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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Pour une doctrine (1931)
Étapes


Une édition numérique réalisée à partir de livre d'Édouard Montpetit (1881-1954), Pour une doctrine. (1931). Montréal: Librairie d'Action canadienne-française, 1931, 253 pp. Collection: Documents économiques. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec.
Étapes


Un vif intérêt d'humanité s'attache aux fondations coloniales. Décidés à un sort étranger, les hommes emportent vers l'inconnu, avec le souvenir de leur patrie, des aptitudes, des mœurs et, plus profondément, leur sentiment religieux.

Quittant leur pays, ils ne se renoncent pas. Leur volonté formée de siècles sollicite, parmi de formidables résistances, les promesses de la sauvagerie. Notre histoire est ainsi bien autre chose qu'une succession de dates et de décrets : une période vivante où des traditions germent en terre neuve.

* * *

La légende d'un Canada normand a persisté : simplification que justifient presque nos commencements. De nos pères, les Normands sont arrivés les premiers et les plus nombreux ; mais leur influence, indéniable, rencontre celle des hommes du Perche et du Poitou, de la France du nord et de l'ouest, à laquelle le Canada se rattache largement. On me l'a rappelé à Poitiers d'où venaient mes ancêtres et où il me semblait être retourné après un très long temps. Avait-on à le faire quand, tout de suite, j'avais retrouvé la vérité de nos origines, mi-eux que dans le splendide anonymat de Paris : sur des figures de chez nous, comme naguère en Saintonge et en Normandie, dans des noms de famille, dans mille traits de mœurs où je communiais d'une âme habituée, dans des mots qui apparentent plus que tout au monde, sans crainte, sans diminution, familièrement.

La France a dirigé vers nous dix mille colons, aussitôt multipliés jusqu'à former un groupe, lié dans le culte de ses traditions. Aventureux, d'humeur gaie, très surveillé dans sa moralité, il poursuivit ses desseins parmi les difficultés que suscitaient le climat, la distance et l'homme rouge.

* * *

Deux tendances dissocient ces énergies : l'intérêt commercial, la volonté de stabiliser. Les marchands veulent exploiter leurs privilèges au détriment de la colonisation qui gênerait leur égoïsme : ils poussent à la forêt les coureurs de bois qui rabattent sur l'Europe les précieuses peaux de castor. Malgré les guerres, la course se précipite à travers l'histoire vers des contrées de plus en plus éloignées, jusqu'à la chute de la colonie que de brillantes victoires n'ont pu que retarder.

Pourtant la tâche s'accomplit. Ceux que la forêt n'attire pas, ou qui ne lui donnent qu'une part de leurs soucis, « s'habituent », ainsi que l'on disait joliment. À l'orée du bois, le long du fleuve, des champs travaillés, des routes marquent l'emprise de l'homme que la maison perpétue.

Des historiens ont décrit cette colonisation primitive que nous évoquons de nos jours, quand nous la voyons revivre dans nos régions encore vierges. Mais nul mieux que Léon Gérin-Lajoie n'en a révélé la lumière intérieure. Les articles qu'il donna à la Science sociale de Paris, à la fin du siècle dernier, sont remarquables d'observation humaine appliquée aux origines, au sens et aux résultats des établissements français dans la vallée du Saint-Laurent.

* * *

Car c'est là surtout qu'ils se sont solidifiés. En dehors de cette région mère prolongée vers l'Acadie, seules quelques tentatives du côté des Grands Lacs et du Mississipi disent l'arrêt des hommes au sein de l'immense espace qui sans cesse les appelait ailleurs. L’œuvre française a encerclé le Saint-Laurent et ses tributaires, courant sur le territoire comme les rivières sur la carte. C'est dans la vallée laurentienne et en Acadie que notre race s'est ramassée pour mieux durer.

La colonisation fut entreprise surtout par les gens du Perche qui s'installèrent sur la côte de Beauport, dans l'Ile d'Orléans et à Lauzon, d'où ils ont essaimé, formant le long du Saint-Laurent avec ceux de la Normandie et du Poitou, le fond de la population stable. Invité par la pensée de Gérin-Lajoie, j'ai visité le Perche, pays vallonné, quadrillé de haies, livré à la petite culture. Le paysan y connaît les « terres froides et neuves ». Il supplée à la parcimonie du sol par l'exercice de quelque métier ou l'exode saisonnier vers des provinces voisines, plus riches.

Traditions qui l'adaptent à merveille aux exigences du Canada. S'il se laisse tenter par la traite, c'est pour assurer la fidélité que, de longue date, il a jurée à la terre. Il organise ce que Gérin-Lajoie appelle, avec Demolins et l'abbé de Tourville, le « domaine plein qui se suffit, s'enrichissant de sa propre substance : culture mixte, exploitation forestière adjointe aux labours, fabrication à domicile des objets de consommation. Uni sous l'autorité du père et la conduite de la mère, le foyer abrite longtemps les enfants et souvent des parents plus pauvres ou célibataires. L'aîné reçoit le bien paternel comme un lien sacré et les autres enfants, lorsqu'ils se marient, la compensation d'avantages entre vifs. Le voisinage prolonge et intensifie l'action des familles qui s'entr'aident, groupées dans le travail, la joie ou le deuil. Ces caractères, qui se retrouvent en pays acadien, ont rayonné au cours du X1Xe siècle dans L'Ontario et même au Manitoba, au sud de Winnipeg. Les champs allongés restent vides,avec, en bordure de la route, la chaîne de la paroisse ou du rang. Le peuple, on le sent, s'est rapproché par goût et par instinct de défense. Tout autre est la campagne où se disséminent les colons anglais. On découvre au centre de la propriété, parmi le touffu des arbres, la maison plus vaste, plus confortable, loin de la route nue. Une ou deux églises, un bureau de poste, quelques magasins, une salle de réunion, désignent les centres où s'anime à l'occasion une vie commune.

La paroisse, au Canada français, s'est établie d'abord sous la forme d'une mission, puis définitivement, comme un refuge. Longtemps le Canadien français y a enfermé ses désirs. Lorsque le vieil esprit d'aventure l'emportait vers des terres nouvelle, il jalonnait sa route de clochers, il « suivait les églises » , comme l'écrivait A.-N. Montpetit à propos de Beauharnois. Rappelons-nous les regrets de la mère Chapdelaine à savoir la paroisse si lointaine et, à Péribonka, au cœur des bois du Nord, la messe, point de départ de l’œuvre immortelle de Louis Hémon.

* * *

Le type canadien français restait le même dans ses traits essentiels et comparable à celui que nous décrivent les narrations anciennes. Il résista à la tourmente. Après 1763 le peuple répara ses pertes et reprit ses travaux. Sous l'ancien régime, la traite était la grande industrie. L'impulsion de Talon avait établi des productions et des échanges, mais beaucoup de riches et de notables avaient passé les mers après la conquête et les Canadiens français « dépatriés » étaient ramenés à eux-mêmes. Il leur restait la terre.

Pour eux, c'était presque le dénuement et il sied de s'en souvenir au moment de mesurer l'effort économique de l'élément français. C'était le dénue-ment à côté des richesses que les Anglais allaient récolter. Point d'histoire aujourd'hui dévoilé : la population d'origine britannique, au commencement du régime anglais, a capté les sources de fortune, s'est fait attribuer quantité de terres, a exploité les services publics, reçu l'appui généreux d'un capital déjà formé et , plus tard, l'appoint d'une immigration intense. Cet argument ne tranche point le problème de notre collaboration dans l'ordre économique, mais il atténue singulièrement notre prétendue infériorité.

Il explique en tout cas que le Canadien français se soit attaché à son champ dont il restait le maître, l'exploitant suivant des procédés qui lui venaient des ancêtres. Cette existence, simple,routinière, têtue, entraînait certes des faiblesses, mais qu'il est facile d'exagérer si l'on n'en apprécie pas les causes et si l'on en méconnaît le caractère. Pour Gérin-Lajoie, le régime agricole de la Province de Québec ne manque ni d'unité, ni d'indépendance, ni même de puissance, mais il ne favorise pas la spécialisation, borne l'intérêt aux petites exploitations et retient les ambitions dans le cadre habituel de la paroisse. Dans les villes qui se développent lentement, subsiste une élite professionnelle, distinguée, mais sans audace, peu ou pas de classe patronale, guère d'associations ni de fondations, une inclination paresseuse au paternalisme, des administrations parfois douteuses et, en général, une insouciance prononcés vis-à-vis des arts usuels. Il compare en passant l'habitant au highlander, « moins paysan », moins fermement adonné à la culture, plus porté vers l'action. Les deux pourtant se ressemblent ; et, là où ils sont venus en contact, le Canadien a « absorbé ou évincé l'autre » . Le lowlander, au contraire, est mieux organisé, compte davantage sur le travail salarié, sur les mouvements de la vie publique et fait preuve d'initiative. C'est le particulariste. On sent bien que Gérin-Lajoie le propose en exemple à ses compatriotes. Sans se dénationaliser, pense-t-il, les Canadiens français pourraient se montrer plus pratiques et plus fervents de progrès, se livrer à des entreprises plus diverses. Il ne laissait pas d'ailleurs toute espérance. La fin de ses articles signale des indices de réveil. Les transports, l'essor des industries, la consolidation des fortunes influeront « du dehors », — c'est son expression— sur le groupe canadien français et le détermineront à une activité décisive.

* * *

L'événement lui a donné raison. Les Canadiens français sont entrés dans la carrière économique. On le sait trop peu à l'étranger ou ici même, parmi nos concitoyens d'origine anglo-saxonne ; et plusieurs en sont restés au temps déjà éloigné où l'argent des autres semblait nous réduire sans espoir à des fonctions subalternes. Nous avons participé à notre manière, par des moyens que nous avons été seuls à nous façonner, au remarquable développement qui a caractérisé notre pays depuis trente ou quarante ans.

L'agriculture s'est transformée. Si les Canadiens ont été lents à se résoudre au renouvellement de leurs méthodes, du moins ont-ils suivi, leur jour venu, les voies dans lesquelles les provinces anglaises s'étaient naguère engagées. Les résultats ne furent pas toujours complets, ni toujours satisfaisantes les tentatives multipliées ; mais l'effort réalisé oppose tout de même aux pénuries du passé d'incontestables progrès, qui classent notre province en bonne place.

L'industrie s'est répandue, engageant un milliard et demi dans l'exploitation de nos forêts, puis de nos forces naturelles et de nos mines. La province détient dans le monde le quasi-monopole de l'asbeste et demeure, pour le Canada, le centre le plus important de production de la pâte de cellulose.

La réaction a fait naître des industries canadiennes-françaises ; trop peu, il est vrai, ou trop faibles devant la concurrence. Les Canadiens français ont dégagé de la terre un capital liquide que quelques-uns ont fait fructifier dans le commerce, dans les spéculations immobilières, à la Bourse. Il existe un porte-feuille et l'on trouverait, s'il était possible de dresser une statistique, que les nôtres prennent part, à titre d'actionnaires et d'obligataires, au mouvement qui nous entoure. Il existe une finance : nos banques, dont l'une occupe le cinquième rang parmi les institutions canadiennes, nos bureaux d'agents de change, nos maisons de placiers en valeurs mobilières ont drainé l'épargne populaire, encore hésitante et souvent bourrue. Une fortune s'est constituée, évaluée par Olivar Asselin à près de trois milliards et demi, insuffisante si on la compare, consolante malgré tout si on en considère les dures origines. On dénombre des millionnaires. Il reste le travail, notre lot ordinaire depuis des siècles, sans quoi, on l'oublie là où on en profite, rien ne s'accomplirait, et qui demeure pour nous la seule force d'émancipation.

Gérin-Lajoie déplorait les lacunes de nos administrations publiques, autre vice congénital de notre organisme appauvri par la lutte. S'il avait raison, la régénérescence à laquelle nous assistons n'en offre que plus de mérite. Les finances de la province française sont prospères, grâce surtout au monopole des alcools, que les autres provinces du Dominion ont fini par nous emprunter, de pudeur lasse. Des impôts nouveaux sont destinés à l'instruction, qui prend peu à peu sa place parmi nos préoccupations, trop longtemps imprégnées de la seule politique de parti. Les fonds de l'Assistance publique soutiennent plus vigoureusement les oeuvres d'hospitalisation ; et l'hygiène en aura sans doute sa part le jour où nous comprendrons que c'est encore défendre nos droits et fortifier notre influence que de combattre les maladies qui nous déciment.

Tous ces progrès —e t d'autres encore, comme la spécialisation de l'enseignement, le nombre augmenté des associations, l'essor de la colonisation aidé par le clergé — Gérin-Lajoie les a soulignés dans l'Amérique latine en 1924. Il s'en réjouit à bon droit, lui qui avait été presque pris à partie pour avoir parlé de particularisme. Il n'y voyait pas un danger pour notre caractère ethnique, mais une vigueur propre à fortifier nos résistances. C'est l'essentiel. La riches-se, utilisée avec sagesse, nous sera d'un puissant secours, à la condition de nous y intéresser nationalement, si j'ose dire, d'en organiser la poursuite, de nous plier aux disciplines que la pratique ne supplée pas toujours, de méditer la leçon des concurrences qui nous dépossèdent et d'apprendre enfin à substituer à de stériles lamentations une action positive et solidaire, fondée sur une doctrine.


Retour au texte de l'auteur: Édouard Montpetit Dernière mise à jour de cette page le Lundi 27 octobre 2003 19:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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