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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Oeuvres complètes de J. Michelet, Histoire de France. (1895)
Tome neuvième: Guerres de religion
Préface.


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jules Michelet, Oeuvres complètes de J. Michelet. Histoire de France. Tome neuvième. Guerres de religion. (1895). Édition définitive revue et corrigée avec les notes et les appendices. Paris: Ernest Flammarion, Éditeur, 1895, 448 pages. Une édition électronique réalisée à partir du fac-similé de l'édition originale telle que reproduite par la Bibliothèque Nationale de France. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay.

Préface

Dans cette préface, qui véritablement est plutôt une conclusion, je dois des excuses à la Renaissance, à l’art, à la science, qui tiennent si peu de place dans ce volume, mais qui reviendront au suivant.

Je m’y arrête à peine au règne d’Henri II. Mais, dès ce règne même, sinistre vestibule qui introduit aux guerres civiles, tout souci d’art et de littérature était sorti de mon esprit.

Mon cœur avait été saisi par la grandeur de la révolution religieuse, attendri des martyrs, que j’ai dû prendre à leur touchant berceau, suivre dans leurs actes héroïques, conduire, assister au bûcher.

Les livres ne signifient plus rien devant ces actes. Chacun de ces saints fut un livre où l’humanité lira éternellement. Et, quant à l’art, quelle œuvre opposerait-il à la grande construction morale que bâtit le seizième siècle ?

(p002) La forte base, immense, mystérieuse, s’est faite des souffrances du peuple et des vertus des saints, de leur foi simple, dont la portée hardie leur fut inconnue à eux-mêmes, enfin de leurs sublimes morts.

Tout cela infiniment libre. Mais une école en sort qui fait du martyre une discipline et une institution, qui enferme dans une formule la grande âme brûlante de la révolution religieuse. Cette âme y tiendra-t-elle ? La liberté qui fut la base, va-t-elle reparaître au sommet ?

Voilà les questions qui m’ont troublé jadis. La voie était obscure et pleine d’ombres ; je voyais seulement, au bout de ces ténèbres, un point rouge, la Saint-Barthélemy.

Mais maintenant la lumière s’est faite, telle que ne l’eut aucun contemporain. Tous les grands acteurs de l’époque, et les coupables même, sont venus déposer, et on les a connus par leurs aveux. Philippe II s’est révélé, et, grâce à lui, l’Escurial est percé de part en part. Le duc d’Albe s’est révélé, et nous avons sa pensée jour par jour, en face de celle de Granvelle. Nous connaissons par eux leur incapacité, leur vertige et leur désespoir au moment de la crise. Le duc d’Albe était perdu en 1572, près de devenir fou. Il faisait prier pour lui dans toutes les églises, consultait les sorciers, implorait un miracle ou du Diable ou de Dieu. Le 10 août, ce miracle lui fut promis pour le 24.

Les tergiversations de la misérable cour de France, (p003) qui si longtemps voulut, ne voulut pas et voulut de nouveau (poussée par ses besoins, par le riche parti qui lui faisait l’aumône), et qui prit à la fin du courage à force de peur, tout cela n’est pas moins clair aujourd’hui, lucide, incontestable. Ce que le Louvre avait pour nous d’obscur s’est trouvé illuminé tout à coup par cette foule de documents nouveaux qui, d’Angleterre et de Hollande, de Madrid, de Bruxelles, de Rome, d’Allemagne même et du Levant, sont venus à la fois pour l’éclairer. Et, de tant de rayons croisés, une lumière s’est faite, intense, implacable et terrible.

Et qu’a-t-on vu alors ? Une grande pitié. Ni l’Espagne, si fière, ni la grande Catherine (que tous méprisaient à bon droit), ne savaient où ils allaient ni ce qu’ils faisaient. Ils cherchent, ils tâtent, ils heurtent, ils donnent le spectacle très bas de ces tournois d’aveugles qu’on armait de bâtons, et qui frappaient sans voir. Ils marchent au hasard et tombent, puis jurent, se relevant, qu’ils ont voulu tomber.

Une telle lumière est une flamme, et rien n’y tient ; tout fond. Ces majestueux personnages, réduits à leur néant, s’évanouissent, s’abîment, disparaissent, comme cire ou comme neige. Et il ne resterait qu’un peu de boue, si, de tant de débris, un objet n’échappait, ne s’élevait et ne dominait tout : la figure triste et grave d’un grand homme et d’un vrai héros.

Je ne suis pas suspect. Je ne prodigue guère les (p004) héros dans mes livres. Mais celui-ci est le héros du devoir, de la conscience.

J’ai beau l’examiner, le sonder et le discuter. Il résiste et grandit toujours. Au rebours de tant d’autres, exagérés follement, celui-ci, qui n’est point le héros du succès, défie l’épreuve, humilie le regard. La lumière électrique, la lumière de la foudre, dont il fut traversé, pâlit devant ce cour, où rien, au dernier jour, ne restait que Dieu et Patrie.

« Une seule objection, dira-t-on. Cette joie héroïque dont vous faisiez ailleurs le premier signe du héros, elle ne fut point en Coligny. Tout ce que dit l’histoire tout ce que dit le funèbre portrait, montre en cet homme redoutable un ferme juge du temps, mais plein de deuil, triste jusqu’à la mort. »

Nous l’avouons, par cela il fut homme. Blessé ? Plus qu’on ne saurait le dire, à la profondeur même de l’abîme des maux du temps. Qui s’en étonnera ? Nul, après trois cents ans, ne pourra seulement les lire, que lui-même n’en reste blessé ?

Mais c’est aussi en lui une grandeur d’avoir toujours vu clair par-dessus la nuit et le deuil, d’avoir gardé si nette la lumière supérieure.

Les vrais héros de la France ont cela de commun, que les uns inspirés, les autres réfléchis (comme fut l’amiral), sont éminemment raisonnables. Coligny, quoique fort cultivé, lettré, théologien, quoique gentilhomme et retardé par cette fatalité de classe, allait s’affranchissant et de ses préjugés et de ses docteurs. Sauf un moment d’hésitation chrétienne à (p005) l’entrée de la guerre civile, il ne vacilla nullement, comme on l’a dit ; il fut ferme et libre en sa voie.

Homme de batailles, il haïssait la guerre ; il y fut superbe, indomptable, dédaigneux pour cette fille aveugle, tant flattée, la Victoire. Il la mena à bout, ne quitta l’épée que vainqueur, après avoir conquis non seulement la paix et la liberté religieuse (1570), mais les volontés même de l’ennemi et l’avoir vaincu dans son propre cœur. Charles IX (les actes le prouvent), pendant près de deux ans, suivit la voie de Coligny.

Ce grand esprit, si sage, avait vu à merveille la chose essentielle, que la France, dans sa pléthore nerveuse et son agitation, voulait s’extravaser au dehors. Et il lui ouvrait l’Amérique et les Pays-Bas, c’est-à-dire la succession espagnole. Il ne se trompa nullement. Seulement (comme Jean de Witt un siècle après) il eut raison trop tôt. Ses projets furent repris, dès le lendemain de sa mort, par ceux qui l’avaient tué.

C’était un très grand citoyen et fort libre de son parti même. Lorsque les protestants, ayant le couteau à la gorge, se virent forcés d’appeler l’étranger, il résista autant qu’il put, et tant qu’il eu faillit périr.

Sa netteté, son admirable cœur, apparurent à sa mort, quand on lut ses papiers secrets, et que ses meurtriers confus virent ce conseil au roi de se défier de l’Angleterre protestante autant que de l’Espagne catholique.

(p006) Grande consolation pour nous, dans cette histoire, de voir la nature humaine tellement relevée ici ! de voir marcher si droit, parmi l’aveuglement de tous, ce pur et ferme cœur qui ne regarde que la conscience. Les défaites des siens, leurs folies, leurs destructions, rien ne l’entame. Il va à son but. Quel ? une grande mort, — qui semble perdre, mais sauve au contraire son parti.

Car la fille de Coligny, veuve par la Saint-Barthélemy, épousera Guillaume d’Orange. Car la France protestante, de sa blessure féconde, engendre la France hollandaise. Car ce malheur immense, au sein des meilleurs catholiques, mit le regret, l’amour des protestants. « Dès ce jour, dit l’un d’eux, sans connaître leur foi, j’aimai ceux de la Religion. »

De sorte que ce grand homme a réussi, même selon le monde. Par sa mort triomphante, il gagna plus qu’il ne voulait.

Voilà la pensée de ce livre [1]. Et plut au ciel qu’elle nous eût profité aussi à nous, que ces grands cœurs, (p007) si riches, nous eussent donné quelque peu d’un tel souffle, et mis dans notre aridité un rien de leurs torrents !

Que si notre temps, si loin de ce temps, et si peu préparé à retrouver l’image de ces grandeurs morales, s’en prenait à l’histoire, l’histoire lui répondrait ce que le jeune d’Aubigné dit un jour dans le Louvre à Catherine de Médicis, qui le voyait debout et si peu plié devant elle : « Tu ressembles à ton père !...

— Dieu m’en fasse la grâce ! »

 

1er mars 1856.



[1] Dans la suite de cet ouvrage qui me ramène aux lettres et aux sciences et ferme le seizième siècle, on trouvera une critique générale des sources historiques de ce grand siècle si fécond, mais si trouble, Une partie des notes que je donnerais aujourd’hui reviendrait dans cette critique. Je les ajourne jusque-là.
Qu’il me suffise ici d’indiquer les principales sources manuscrites où j’ai puisé, et qui m’ont donné spécialement les causes et précédents, très peu connus, de la Saint-Barthélemy : lettres de Morillon à Granvelle (c’est, jour par jour, l’histoire du duc d’Albe, celle des rapports de Bruxelles et de Paris). — Lettres inédites de Catherine de Médicis. — Extraits des lettres de Pie V, Charles IX, etc., tirées des Archives du Vatican (en 1810), etc.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 septembre 2008 8:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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