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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Oeuvres complètes de J. Michelet, Histoire de France. (1895)
Tome huitiàme: Réforme
Avertissement, 21 juin 1855.


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jules Michelet, Oeuvres complètes de J. Michelet. Histoire de France. Tome huitième. Réforme (1508-1547). (1895). Édition définitive revue et corrigée avec les notes et les appendices. Paris: Ernest Flammarion, Éditeur, 1895, 448 pages. Une édition électronique réalisée à partir du fac-similé de l'édition originale telle que reproduite par la Bibliothèque Nationale de France. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay.

Avertissement

Paris, 21 juin 1855. 

J’ai pour l’histoire des trente-deux ans que contient ce volume un rare et heureux avantage : c’est d’entrer le premier dans une masse immense de documents nouveaux, qui changent cette histoire de fond en comble et la renouvellent entièrement.

J’y entre le premier et le seul, je puis le dire, puisque M. Mignet, l’habile explorateur des mêmes documents, ne se rencontre avec moi, dans cette période, que pour un fait : l’élection de Charles-Quint.

C’est dans les douze ou quinze dernières années que les lettres, dépêches et actes de tout genre ont été publiés d’ensemble et dans une abondance, une variété qui nous permet de juger ces pièces elles-mêmes, en les contrôlant les unes par les autres.

Jusque-là on n’avait guère d’autre guide que les chroniques du temps et les collections partielles de Ribier et Legrand. La plupart des chroniques ne donnent que l’histoire militaire ; elles sont peu exactes sur le reste ou tout à fait muettes.

Les points essentiels de l’histoire politique étaient encore controversés. Le connétable, par exemple, eut-il ou n’eut-il pas un traité écrit avec l’empereur ? Les avis étaient partagés. Quelle fut, pendant la captivité de Madrid, la flottante politique de la régence et de Duprat ? On ne le savait pas davantage. Tout s’est trouvé dans les Papiers Granvelle et dans les pièces réunies sous le titre Captivité de François Ier (1841, 1847).

L’histoire des mœurs de la cour et du prince était-elle mieux connue ? On en était réduit à glaner dans Brantôme. Les deux faits moraux les plus graves et du plus intime intérieur sont éclaircis maintenant par les lettres de la sœur du roi (Éd. Génin, 1841).

Les actes les plus cachés, niés et démentis devant l’Europe, sont maintenant en pleine lumière, spécialement les rapports secrets du roi avec le sultan. Cette circonstance dramatique est connue, qu’ils furent un coup de désespoir et datèrent du champ de Pavie. Grâce à l’importante publication de M. Charrière, nous pouvons compléter, dater et préciser les faits donnés par Hammer, d’après les rapports, souvent vagues et défigurés, des écrivains orientaux (Négoc. du Levant, 1848).

Le point capital, décisif, pour toute la fin du règne, c’est la crise de 1538, qui changea subitement la politique française, la fit définitivement catholique, rétrograde et, pour ainsi dire, espagnole. C’est le gouvernement nouveau de Montmorency et des cardinaux de Tournon, de Lorraine, on peut dire l’éclipse de François Ier, sa mort anticipée, et déjà l’avènement de la petite cour d’Henri II. Qui décida cette crise ? Lequel, du roi ou de l’empereur, fit les premières démarches ? Sandoval disait le roi, Du Bellay l’empereur ; les modernes hésitaient. Il n’y a plus lieu de douter depuis les publications récentes (Weiss, 1841 ; Lanz, 1844 ; Le Glay et Van der Bergh, 1845 ; Alberj, 1839-1844). Tout est clair maintenant, et par le rapport de l’ambassadeur Tiepolo au sénat de Venise, et par la lettre intime où la sœur de Charles-Quint révèle ses terreurs, les embarras extrêmes et l’état effrayant de sa situation.

A ces publications d’actes et de lettres ajoutons les importantes chroniques que nous avons maintenant entre les mains. L’histoire intérieure de Paris qu’on cherchait dans Félibien, Sauval, Du Boulay, etc., n’existait point pour cette époque. Elle s’est révélée à nous dans la précieuse chronique anonyme publiée par M. Lalanne (1854). On en peut dire autant de l’histoire de Genève, qu’on a connue par les chroniques, imprimés récemment, de Bonnivard, du syndic Balard, et surtout de Froment, que M. Revilliod vient de donner (1855).

En possession de ces riches matériaux, la critique peut maintenant examiner, juger, choisir.

Parfois la lumière se fait d’elle-même. Au premier coup d’œil, par exemple, on voit, pour les exécutions des protestants en 1535, que le narrateur sérieux est le bourgeois anonyme de Paris qui a tout su (et peut-être vu) jour par jour. Bèze et Crespin évidemment ont suivi de lointains échos. Le récit catholique éclaire l’histoire protestante.

Nuls documents ne méritent une attention plus sérieuse que les rapports des envoyés vénitiens. Seuls ils offrent des chiffres et des renseignements statistiques. Ce sont généralement de pénétrants observateurs. Osons dire cependant qu’ils se trompent parfois. Contarini, par exemple, a bien vu Charles-Quint. Il décrit à merveille cette mâchoire absorbante, ces yeux avides (occhi avari). Il n’en juge pas moins que l’empereur est modéré, peu ambitieux. Cela, en 1525, au moment où le jeune prince se lâche et se dévoile dans ses vastes projets par sa lettre à Lannoy.

Songeons aussi que ces rapports d’ambassadeurs au sénat de Venise sont souvent combinés pour plaire à ce sénat. Nicolas Tiepolo, par exemple, qui sera si sérieux dans sa relation de 1538, l’est fort peu dans l’éloge qu’il fait de Charles-Quint en 1532. Longue énumération de ses vertus. Il est si généreux, si peu ambitieux, dit-il, qu’il vient de faire élire son frère roi des Romains. Pourquoi ces puérilités dans une bouche du reste grave ? Parce que le parti impérial redevenait tout-puissant dans le sénat de Venise ; après la conférence de Bologne, vers la fin imminente du vieux doge André Gritti, qui meurt un an après. Venise dès lors va suivre l’empereur, s’éloigner de la France et se brouiller avec les Turcs.

Ceci donné à la méthode, à la critique, aux sources, il resterait peut-être de tracer une brève formule qui résumât les trente années, permît d’embrasser tout d’un coup d’œil, comme une vaste contrée dans une petite carte géographique.

C’est l’âge adulte de la Renaissance, sa grandeur et son ambition infinies, son précoce avortement, la nécessité où elle est de s’appuyer du principe, essentiellement différent, de la Réformation.

Que n’avait-elle embrassé dans ses vœux ? Du premier bond, elle allait, par l’adoption des Turcs, des Juifs, au but lointain du genre humain : la réconciliation de la terre.

D’un même élan, elle embrassait amoureusement la nature, finissait le fatal divorce entre elle et l’homme, rejoignait ces amants.

La merveille, c’est que d’une foule de découvertes isolées, spontanées, un ensemble systématique se faisait sans qu’on s’en mêlât, tout gravitant vers ces deux questions : Comment se fait et se refait l’homme physique ? Comment se fait l’homme moral ? Le premier livre qu’on ait écrit sur l’éducation, celui qu’on peut appeler l’Émile du seizième siècle, apparaissait dans sa bizarre et fantastique grandeur.

La puissance d’enfantement qu’eut la France à ce moment éclata par l’apparition subite des deux langues françaises, qui surgissent, adultes, mûres, tout armées, dans les deux écrivains capitaux du siècle : l’immense et fécond Rabelais, le fort, le lumineux Calvin.

Cette France de Gargantua, principal organe de la Renaissance, est-elle au niveau de son rôle ? Avec ce cerveau gigantesque, a-t-elle un corps ? a-t-elle un cœur ? a-t-elle cette vie générale, répandue partout, que l’Italie avait dans son bel âge ? La France étonne par d’effrayants contrastes. C’est un géant et c’est un nain. C’est la vie débordante, c’est la mort et c’est un squelette. Comme peuple, elle n’est pas encore.

Donc, sur quoi porte la Renaissance française ? Faut-il le dire ? sur un individu.

Qu’était-il celui qui eut plusieurs fois en main le destin de l’humanité, celui que l’esprit nouveau pria d’être son défenseur contre la politique catholique et le roi de l’inquisition ?

C’est à ce volume à répondre. Mais déjà, dans ce résumé, nous devons faire un aveu humiliant : ce roi brillant, qui dit si bien, agit si mal, mobile en ses résolutions encore plus que dans ses amours, cet imprudent, cet étourdi, ce Janus, cette girouette, François Ier, fut un Français.

Le peuple est encore une énigme. La noblesse et le Parlement accueilleraient l’étranger (1524). La bourgeoisie prête au clergé l’appui brutal des confréries contre le libre esprit de recherche et la rénovation religieuse.

La France, toute en un homme en qui rayonnent à plaisir les vices nationaux, la France captive avec lui, malade avec lui, on doit attendre que, comme lui, elle ira de chute en chute jusqu’à s’oublier et se renier.

Quelle réponse à cela, et quel remède ? Nul que la voix morale, l’appel aux vertus fortes, au sacrifice, au dévouement. Dans les ravages atroces des armées mercenaires, sans loi, sans foi, sans roi, sous le drapeau de Charles-Quint, le peuple de France abandonné écoute le cantique du bon et grand Luther qui enseigne le repos en Dieu.

L’immense élan de la musique, devenue populaire, le libre examen de la Bible, la presse décuplée, centuplée, l’épuration du sacerdoce et de la famille, n’est-ce pas déjà la victoire ? Quelque ombre mystique qui reste dans ce nouvel enseignement, la cause de la lumière n’est-elle pas gagnée pour toujours ?

Rien n’est gagné. Tout reste en question. Au mysticisme spontané, spirituel, lumineux du Nord, répond le mysticisme matériel, imaginatif du Midi, son dévot machiavélisme. De la colère idolâtrique, de l’obstination espagnole, du génie d’intrigue surtout et de roman, sort la dangereuse machine des Exercitia d’Ignace, grossière, d’autant plus redoutable.

Cela de très bonne heure, quatre ou cinq ans après Luther, vers 1522, et bien avant l’école de résistance que Genève organisera.

C’est tout le sens de ce volume. La Renaissance, trahie par le hasard des mobilités de la France, qui tourne au vent des volontés légères, des caprices d’un malade, périrait à coup sûr, et le monde tomberait au grand filet des pêcheurs d’hommes, sans cette contraction suprême de la réforme sur le roc de Genève par l’âpre génie de Calvin.

 

Paris, 21 juin 1855.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 28 avril 2008 19:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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