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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Histoire et institutions de la Chine ancienne.
L'Antiquité, l'Empire des Ts'in et des Han
(1967)
Extraits


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Henri MASPERO (1883-1945), Histoire et institutions de la Chine ancienne. L'Antiquité, l'Empire des Ts'in et des Han. Édition posthume. Paris: Les Presses universitaires de France, 1967, pp. 1-79. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

C34. — Henri MASPERO: Histoire et Institutions de la Chine ancienne: L’Antiquité, l’empire des Ts’in et des Han.

Extrait : Les classes sociales au temps des Han.

Les Paysans. — La vie des paysans était dure. Au IIe siècle av. J.-C., Tch’ao Ts’o la décrit ainsi dans un rapport à l’Empereur :

« Aujourd’hui, sur une famille paysanne de cinq personnes, celles qui sont prises par les corvées officielles ne sont pas moins de deux. Ce que la famille est capable de cultiver ne dépasse pas 100 meou (5 ha), la récolte de 100 meou ne dépasse pas 100 che (20 hl). Au printemps les paysans labourent, en été ils sarclent, en automne ils moissonnent, en hiver ils engrangent ; ils vont couper du bois de chauffage, ils servent les autorités, ils travaillent aux corvées. Au printemps, ils ne peuvent échapper au vent et à la poussière ; en été, à la chaleur et au soleil ; en automne, au mauvais temps et à la pluie ; en hiver, au froid et à la gelée. Tout le long des quatre saisons, ils n’ont pas un jour de repos. Et je ne parle pas de leurs affaires privées : ils accompagnent ceux qui partent, vont au-devant de ceux qui arrivent ; ils font des condoléances pour les morts, prennent des nouvelles des malades, nourrissent les orphelins et élèvent les adolescents qu’il y a parmi eux. Quand ils ont peiné de la sorte, ils ont encore à subir les calamités de l’inondation ou de la sécheresse, les exactions cruelles d’un gouvernement exigeant, la perception d’impôts hors de saison, les ordres du matin et les contre-ordres du soir. Alors ceux qui possèdent quelque chose le vendent à moitié prix ; ceux qui n’ont rien empruntent en s’engageant à rendre le double avec les intérêts. Alors il y en a qui aliènent leurs champs et leur maison, qui vendent leurs enfants et leurs petits‑enfants pour payer leurs dettes ».

Un écrivain du temps des Han Antérieurs, qui a pris comme pseudonyme le nom d’un célèbre économiste de l’Antiquité, Li K’ouei (vers 400 av. J.-C.), fait un tableau encore plus noir :

« Aujourd’hui, un paysan soutient cinq personnes. Il cultive 100 meou de terre (env. 5 ha) ; la récolte annuelle est de 1 1/2 Che (30 l) par meou (5 a), soit en tout 150 che de millet (30 hl). Si on retranche de ces 150 che l’impôt de la dîme, soit 15 che, il reste 135 che. La nourriture d’une personne pendant un mois est de 1 1/2 che, celle de cinq personnes pendant un an, de 90 che : il reste 45 che. Comme le che vaut 30 sapèques, cela fait en tout 1350 sapèques. Si on retranche de ces 1350 sapèques les dépenses pour les sacrifices au dieu du Sol du village, pour les sacrifices aux Ancêtres, pour les sacrifices des prémices du printemps et de l’automne, soit 300 sapèques, il reste 1050 sapèques. Les vêtements par homme reviennent en moyenne à 300 sapèques, soit pour cinq personnes à 1500 sapèques par an. Il manque donc 450 sapèques, sans compter les frais de maladie, de funérailles, de deuil, ni les contributions... ».

Ce tableau est sans exagération : 100 meou par famille, c’était plus que ne le permettait la densité d’une population d’environ dix millions de familles se partageant quarante millions d’hectares de terres défrichées. Sans tenir compte des grands domaines et de la répartition inégale de la population, la superficie disponible n’aurait pas suffi à procurer à chaque famille des lots égaux de cent meou. Si même dans les années moyennes une famille ne pouvait tenir sa subsistance de cent meou, même théoriquement, que devait-il en être des pauvres, de tous ceux qui avaient la malchance de vivre dans des régions surpeuplées et qui étaient réduits à la moitié ou au quart seulement de cette superficie théorique ? Toutefois le paysan à cette époque ne semble pas avoir été absolument misérable, car il ne manifeste pas son mécontentement par des rébellions ; du moins les historiographes des Han Antérieurs ne mentionnent-ils pas de troubles agraires en dehors des années d’extrême disette. Certains règnes ont même laissé un souvenir durable de prospérité, comme le milieu du 1er siècle de notre ère, au lendemain du rétablissement de la dynastie, sous les Empereurs Kouang-wou et Ming des Han Postérieurs, quand « le che de grain (20 l) valait 20 sapèques ».

Les Lettrés. — C’est la classe des Lettrés (che ou jou), qui profita presque seule du nouvel ordre établi par le Premier Empereur de Ts’in (Ts’in Che houang-ti) et maintenu par les Han. Les aristocraties des principautés soumises avaient presque entièrement disparu. Les chefs de famille et les membres les plus influents furent contraints par le Premier Empe-reur de s’établir dans sa capitale, Hien-yang (près de l’actuel Tch’ang-ngan, dans le Chen-si). Ceux qui restèrent sur place furent ruinés : leurs apanages furent confisqués et devinrent domaine public ; cer-tains furent réduits à la misère, comme ce petit-fils du Prince Houai de Tch’ou qui s’était fait berger et gardait des moutons quand, en 208, Hiang Leang, voulant dans sa révolte contre le Second Empereur des Ts’in (Ts’in Eul-che houang-ti) reconstituer les anciens États détruits par Ts’in, alla le rechercher pour le mettre sur le trône de Tch’ou. Le plus grand nombre, réduits à leurs propriétés privées, se fondirent rapidement dans la masse des petits propriétaires fonciers. L’aristo-cratie de Ts’in, de son côté, fut démembrée par le Second Empereur pendant son court règne (209-207) et acheva de périr dans les guerres qui suivirent la chute des Ts’in. Pendant la première moitié du IIe siècle, sous les premiers Empereurs Han, l’empire fut gouverné et administré par les chefs de bandes qui avaient aidé Lieou Pang (Kao-tsou) à conquérir le trône, ainsi que par leurs parents et leurs clients. Quand cette première génération eut disparu, et qu’on commença à s’apercevoir que l’exploitation rationnelle de l’empire était plus avantageuse que sa mise au pillage et qu’elle exigeait comme condition préalable sa mise en ordre, il fallut bien faire appel aux Lettrés, les seuls qui eussent des principes d’administration régulière et une tradition déjà longue de loyalisme (envers quatre souverains). Ainsi la classe des Lettrés sortit de la tourmente avec une autorité accrue. Il fut désormais établi qu’on ne pouvait se priver d’elle ; elle prit définitivement la haute main dans l’organisation de l’État, sans qu’aucune autre classe jouît jamais d’une autorité suffi-sante pour lui faire contrepoids.

 

L’Aristocratie. — Il y avait, il est vrai, des Seigneurs auxquels la cour des Han s’efforçait de donner les allures d’une aristocratie féodale : quelques personnages privés de la famille impériale, quelques hauts dignitaires recevaient de l’Empereur à titre héréditaire les vieux titres de Prince (Roi, wang) ou de Marquis (heou), avec une terre, et ses habitants, qui était érigée par eux en fief (kouo) et pour laquelle ils devaient l’hom­mage à l’Empereur, chaque année au huitième mois. Ces fiefs formaient une unité religieuse par la création d’un dieu du Sol propre ; l’investiture en était conférée suivant l’ancien rite de la terre et des herbes. Mais ce n’était qu’une aristocratie apparente, et les Seigneurs investis d’un fief par les Han ne formèrent jamais une véritable classe.

Le titre le plus élevé, celui de Roi (ou Prince : wang), n’était donné qu’aux fils, petit-fils ou frères d’Empereur ; leurs fiefs avaient souvent l’étendue des provinces de ce temps, mais leur droit sur leurs sujets se bornait presque à un droit fiscal : ils percevaient les impôts, et versaient au trésor impérial une somme de 4 onces d’or (40 000 sapèques) par 1 000 habitants, conservant pour eux la différence, considérable, puisque l’impôt personnel par 1 000 personnes était de 120 000 sapèques. Obligés de vivre dans leurs fiefs et écartés par là des fonctions publiques, seule source d’autorité réelle, ces  Rois ne comptaient guère. Ils étaient d’ailleurs suspects par leur naissance même, au point qu’ils n’avaient pas le droit de régir leurs États ni de choisir leurs conseillers, et que ceux‑ci leur étaient envoyés par la cour impériale, autant pour les surveiller que pour les assister. Condamnés à l’oisiveté, quelques-uns essayaient de remédier au vide de leur existence par des occupations intellectuelles, protégeant les écrivains, fondant des bibliothèques ou des écoles : le Roi de Ho-kien, celui de Houai-nan se firent ainsi une renommée vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. Mais la plupart d’entre eux s’abru-tissaient dans une vie crapuleuse, buvant, organisant des combats de coqs, enlevant des femmes et des filles pour leur harem. Presque tous moururent jeunes, quelquefois emportés par des maladies consécutives à leurs excès, le plus souvent de mort violente, obligés de se suicider. Ils n’eurent aucune influence ni sur les affaires publiques, ni même sur la vie privée de la société de leur temps.

Les Marquis (heou, lie-heou) étaient des membres plus éloignés de la famille impériale, ou de hauts dignitaires à qui l’Empereur conférait par faveur spéciale un fief (heou-kouo). Leur autorité sur les habitants du fief était strictement limitée : ils en étaient les Seigneurs, et leur sujets les appelaient respectueusement Monseigneur. Mais ni la justice, ni l’administration, ni les finances ne leur appartenaient et, de même que pour les Rois, leur privilège consistait surtout en ce qu’une part des impôts restait entre leurs mains. Les Marquis avaient sur les Rois l’avantage de n’être pas astreints à la résidence, de sorte que les charges de cour leur restaient ouvertes. Mais aucune fonction ne leur était réservée en propre : si la plupart des ministres et grands dignitaires des Han furent des Marquis, c’est presque toujours après coup qu’ils le devinrent, et ce furent leurs hautes fonctions qui les firent anoblir. Ils n’avaient même pas de privilèges spéciaux en dehors de ceux que partageaient tous les Lettrés, à savoir d’échapper à la corvée et, en cas d’accusation, à la bastonnade. Ils ne formèrent jamais une classe particulière ; ils restèrent dans celle des Lettrés, à laquelle ils appartenaient par leurs origines et dont ils devinrent les membres les plus riches et les plus influents.

Les Commerçants. — Ainsi la classe des Lettrés ne devait se heurter à aucune rivalité de la part de l’aristocratie de naissance, presque entièrement issue d’elle. Ses seuls rivaux ne pouvaient surgir que parmi les commerçants (chang) et les industriels (kong), d’origine et d’éducation toutes différentes ; encore cela n’arriva-t-il que pendant un temps très court. La pacification de l’empire, suivie de la création de routes, l’absorption de pays nouveaux dans le Midi, l’établissement de relations régulières avec les pays étrangers de l’Occident avaient créé un mouvement économique considérable. Les immenses territoires presque déserts des provinces nouvelles du Midi attirèrent des colons en nombre croissant. Riches et peu peuplés, ces territoires étaient en mesure d’exporter dans la Chine du Nord toutes sortes de denrées : c’est à partir des Han que le riz, rare dans l’Antiquité, prit une place de plus en plus grande dans l’alimentation ; l’usage du thé commença aussi vers cette époque, mais ne se répandit que plus tard, quand les invasions barbares eurent chassé la cour impériale dans le bassin du Fleuve Bleu. On commença à exploiter les richesses naturelles de ces régions neuves. Les propriétaires de mines firent des fortunes énormes par exemple un certain Teng T’ong avec sa mine de cuivre, K’ong Kin avec sa mine de fer. Même dans les provinces du Nord, de grandes entreprises se fondèrent ; ainsi de grandes salines furent créées sur la côte sud-ouest du golfe de Petchili par un certain Tong-kouo Hien-yang. De floris-santes entreprises de transports par chars et par bateaux s’étaient constituées, utilisant le réseau des routes impériales établi par le Premier Empereur et accru par l’administration des Han pour compléter celui des fleuves et des canaux qui sillonnent la Chine du Nord. Le commerce de la soie par caravanes à travers l’Asie centrale s’organisa. Pendant un siècle, on put croire que la Chine allait voir se développer un commerce et une industrie dignes de ses richesses naturelles. Mais la nécessité de trouver des ressources fiscales nouvelles pour payer les dépenses de la conquête de l’Asie Centrale et de la pénétration dans les pays du sud et du sud-ouest fut fatale à ce mouvement. Les gains énormes des commerçants et des industriels éveillèrent l’attention et la malveillance du gouvernement impérial. Les taxes instituées sous l’Empereur Wou des Han (141-87) portaient presque exclusivement sur les commerçants, et l’établissement des monopoles du fer, du sel et des transports tua les entreprises privées. Les préjugés des Lettrés contre les commerçants, intermédiaires jugés inutiles entre le producteur et le consommateur, et contre les industriels qui attiraient des hommes du peuple dans leurs ateliers pour la fabrication d’objets de luxe ou tout au moins d’utilité secondaire, les détournant ainsi du travail de la terre et de la production des denrées alimentaires, ne leur furent guère moins néfastes. Les Lettrés luttaient tenacement contre la formation d’une classe de commerçants et d’industriels riches, la seule qui aurait pu être assez indépendante par sa formation et par son éducation pour leur porter ombrage.

La Propriété foncière. — Ainsi, pendant toute la durée de la dynastie des Han, les Lettrés furent la classe dominante. Eux seuls avaient en fait le droit d’être propriétaires de domaines, car les fonctionnaires impé-riaux, recrutés parmi les Lettrés, ayant pris dans la société nouvelle la place des anciens Seigneurs, avaient hérité de ceux-ci le privilège de posséder les terres pour eux-mêmes ou pour leurs descendants ; et à plusieurs reprises ils firent interdire l’achat de domaines aux commerçants. Mais leurs domaines ne leur étaient pas donnés, comme dans l’Antiquité : la loi leur permettait seulement de les acheter, et l’étendue était réglée théoriquement d’après leur rang, bien qu’en pratique les règles restrictives fussent mal observées. En 6 av. J.-C., il fut interdit de dépasser une superficie d’environ 150 ha, sous peine de confiscation de l’excédent (la loi ne fut du reste pas sérieusement appliquée). Le commerce des propriétés était libre, et le prix ne paraît pas en avoir été élevé. On affirme qu’au IIe siècle av. J.-C. la bonne terre atteignait 10 000 sapèques par meou (environ 5 a) ; mais quand nous trouvons des faits précis, ils montrent des prix bien moindres. Le prix des terres publiques que le ministre Li Ts’ai fut accusé de s’être appropriées et d’avoir vendues à son profit était de 400 000 sapèques par 300 meou, soit environ 1 400 sapèques par meou, ce qui correspond à 28 000 sapèques par hectare (118 av. J.-C.) ; un document de 82 ap. J.-C. met le prix de 23 meou 64 pas (1,17 ha) à 102 000 sapèques, soit 4 400 sapèques par meou.

La loi ne permettait en principe d’acheter que les terres incultes ou celles qui faisaient déjà partie de domaines privés ; les terres cantonales allouées aux paysans étaient exclues puisque le paysan, non propriétaire, n’avait pas le droit de les vendre. Toutefois la loi n’était guère obéie sur ce point : c’étaient là en effet les meilleures terres, et il était tentant de profiter de la misère des mauvaises années pour les acheter. D’autre part, une partie de ces terres était constamment vacante à cause des jachères, et cela devait faciliter leur pure et simple occupation par les gens riches : cette usurpation, analogue à la dispute des communaux entre seigneurs et paysans en Occident, est dénoncée pendant des siècles par les Lettrés comme une des causes de la misère des campagnes. Le domaine était mis en culture par des ouvriers salariés (le nombre des esclaves, limité par la loi, était trop restreint pour qu’on pût les employer à l’exploitation d’un domaine rural), ou encore il était loué à des métayers qui partageaient par moitié avec le propriétaire le produit de la récolte. C’étaient ainsi les paysans du village qui fournissaient la main-d’œuvre nécessaire, y trouvant une augmen-tation de leurs ressources. Les deux procédés étaient également pratiqués. La différence du mode d’exploitation devait tenir à la position sociale du propriétaire : fonctionnaire en activité, il était absent de son domaine, et le faisait exploiter par métayage ; retiré des fonctions publiques, il pouvait en diriger lui-même l’exploitation par des ouvriers salariés. Le temps que le propriétaire passait dans l’administration variait suivant ses goûts et ses besoins ; le plus souvent, il se contentait de passer quelques années dans les bureaux de la Sous-Préfecture ou de la Commanderie qu’il habitait, moins pour le profit matériel qu’il pouvait en tirer (car les traitements étaient peu élevés pour les employés des bureaux provinciaux et même pour les chefs de bureaux) que pour établir des relations personnelles de collègue à collègue avec les autorités locales.

Les domaines fonciers, qu’on appelait officiellement « terres (inscrites) au nom » (ming-t’ien), parce qu’elles étaient désignées par le nom du propriétaire sur le rôle du cadastre, se composaient de deux parties : un parc de plaisance (yuan) contenant l’habitation, et des champs (t’ien) qui formaient la véritable exploitation, d’où le nom de « parc avec champs » (yuan-tien) qu’on leur donnait souvent et qui ne fut changé en ceux de « villa » (tchouang) ou de « campagne » (ye, chou) qu’à l’époque des Six Dynasties. Il n’y avait guère de différence entre les domaines des Han et ceux de l’Antiquité, sauf quelques détails qui tenaient au progrès de la civilisation et aux transformations de la société. Le parc prenait une place plus grande qu’autrefois, surtout dans les domaines importants et en particulier dans ceux des grands dignitaires de la Cour impériale aux environs de la capitale. Il était parfois immense et il arrivait qu’on l’aménageât de façon à représenter des sites célèbres, fleuves, montagnes, forêts en miniature. Dans le parc que Yuan Kouang-han s’était fait à Meou-ling près de Tch’ang‑ngan, des rochers entassés sur plusieurs li de long figuraient des montagnes ; il en avait fait une sorte de jardin zoologique et y élevait des perroquets blancs, des bœufs sau-vages, des rhinocéros, et toutes sortes d’animaux extraordinaires. Il l’avait fait traverser par la rivière Ki dont il avait détourner le cours et qui formait des lacs artificiels avec, ça et là, des îles de sable rapporté où il avait mis des mouettes de rivière et des grues de mer ; il avait transplanté à grands frais toutes sortes d’arbres et de plantes exotiques. Des pavillons permettaient de se reposer et de jouir du paysage quand on s’y promenait. Le parc du ministre Leang Yi, qui fut mis à mort en 159 ap. J.-C., a laissé un souvenir de faste inégalé dans la littérature des IVe et Ve siècles : il était près de Lo-yang, capitale des Han Postérieurs. Là aussi on avait élevé des montagnes, avec des forêts profondes et des torrents, lâché des oiseaux et des bêtes étranges ; l’ensemble était aménagé avec tant d’art que ce paysage factice avait l’air naturel.

Tous les parcs n’étaient pas aussi somptueux ; bien au contraire, ce n’étaient là que des exceptions, et des exceptions devenues légendaires. La plupart des propriétaires avaient simplement un jardin autour de leur habitation ; mais l’art du jardin chinois, qui s’est si bien conservé au Japon, avec son effort pour imiter la nature et éviter tout ce qui a l’air arrangé, semble avoir fleuri dès cette époque et il est probable qu’il présidait déjà à l’ordonnance de tous les parcs des familles riches de ce temps. C’est toutefois sous les Six Dynasties qu’il devait atteindre son plein développement ; le type le plus célèbre en est le grand domaine du Kouei-ki, au Tchö-kiang, aménagé et décrit au début du Ve siècle par le poète Sie Ling-yun.



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Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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