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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Sylvain Maréchal, Dictionnaire des Athées anciens et modernes (1833)
Notice nouvelle sur la vie et les ouvrages de Sylvain Maréchal


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Sylvain Maréchal (1750-1803), Dictionnaire des Athées anciens et modernes. Deuxième édition augmentée des suppléments de J. Lalande, de plusieurs articles inédits, et d’une notice nouvelle sur Maréchal et ses ouvrages, par J. R. L. Germond. Bruxelles, Imprimerie de J. B. Balleroy, 1833. Reproduction à partir d’un fac-similé de la Bibliothèque nationale de France. Une édition numérique réalisée par un bénévole, professeur d'université à la retraite, qui demande à conserver l'anonymat [Anonyme 1].

NOTICE NOUVELLE
SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE SYLVAIN MARÉCHAL 

11 novembre 1832.

 

Pierre Sylvain Maréchal naquit à Paris le 15 août 1750. Dans son enfance, son père le destinait au commerce ; mais incertain lui-même sur sa vocation, il commença par se livrer à l'étude des lois, acheva son droit et se fit recevoir avocat au parlement de Paris. Bientôt cependant il abandonna cette carrière, soit qu'il ne s'y sentît point fortement appelé, soit que le bégayement dont il était atteint, l'empêchât de se hasarder au barreau. Il se livra à la poésie, qu'il avait cultivée de bonne heure, puisqu'en 1771 il avait déjà publié ses Bergeries et le temple de l'Hymen et ses débuts dans le genre pastoral furent marqués par des succès qu'il dut autant à la facilité et à l'harmonie de sa versification qu'à la grâce et à la légèreté de ses tableaux, qui plus colorés que ceux de Mad. Deshoulières, n'avaient cependant pas moins de charme et d'agrément. Sa Bibliothèque des Amants, recueil de poésies érotiques, son Âge d'or, recueil de contes pastoraux, et quelques pièces qui les suivirent furent généralement bien accueillis du public et le méritaient en effet.

Ces premiers essais, et les protections qu'ils lui valurent, firent obtenir à Maréchal la place de sous-bibliothécaire au collège Mazarin. Ce fut là qu'il acquit cette érudition forte et variée, qui fit son malheur ; car son talent changeant de nature, perdant en grâce et en simplicité ce qu'il acquerrait en profondeur, prit une allure grave et sérieuse ; et cet esprit jusques alors doux et léger, devenu tout à coup dur et frondeur, oublia totalement le genre auquel il avait dû ses premiers succès. Alors la philosophie le séduisit ; il s'y voua tout entier, et le désir de célébrité qui le travaillait sans cesse poussa son imagination fougueuse au-delà des limites de la raison et l’égara totalement. La société telle qu'il la trouva avait besoin de réforme, sans doute ; il le vit, le vit promptement, mais il alla trop vite, comme il alla trop loin.

Il publia d'abord ses Fragments d'un Poème moral sur Dieu ou le nouveau Lucrèce (1781) qui, annonçant déjà les principes nouveaux qu'il adoptait, piquèrent assez la curiosité pour être réimprimés plus tard sous le titre de Lucrèce Français. C'est une suite de pensées détachées, sans liaison aucune, dans lesquelles on ne peut reconnaître le plan, la marche, ni le but de l'ouvrage ; on y trouve quelquefois une poésie forte et vigoureuse, des pensées énergiques, qui ne peuvent malgré tout sauver l'ennui et l'uniformité du fond qui n'est qu'une continuelle déclamation contre la divinité.

Quelque temps après, il donna le Livre échappé au déluge ou Psaumes nouvellement découverts, composés dans la langue primitive, par S. Ar. Lamech, (anagramme des noms de l'auteur) ; ouvrage original par le soin qu'il prit à imiter le style des prophètes, et dans lequel

Poussant jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole,

il déploya une rudesse de principes, qui lui fit perdre quelques-uns de ses bienfaiteurs. On eût dit que comme l'infortuné Gilbert, Maréchal avait à se plaindre de tout le genre humain. Déjà, il est vrai, Maréchal comptait beaucoup d'ennemis. Son génie inquiet le tourmentait ; les idées philosophiques semées depuis quelque temps dans les esprits, germaient avec force dans le sien ; aussi ses désirs, ses illusions, ses erreurs, appartinrent-ils tout entiers à ce 18e siècle qui marchait si rapidement à ne reconnaître ni rois ni divinité. Maréchal attaché sans retour à la secte philosophique, perdit sa place et fut obligé de chercher des ressources dans sa plume, à laquelle, dès ce moment, il donna cette audacieuse singularité qui devait enfin la caractériser.

Il avait tenté de grands ouvrages en vers, tels que celui intitulé Dieu, dont ses Fragments étaient extraits, et celui intitulé l'Homme dans les quatre phases de la vie. Tous deux sont restés imparfaits : il les abandonna pour se livrer à d'autres travaux, et lui-même dans une préface qu'il avait préparée nous donne ainsi les motifs qui le décidèrent :

« Après quelques méditations, dit-il, je voulus écrire aussi : la poésie m'offrit son magique pinceau, sa palette chargée de brillantes couleurs. Crois-moi, dit-elle, n'écris pas, peins : la multitude aime les tableaux ; les tableaux sont les livres des ignorants.

Je ne veux point transcrire de fictions ; les hommes en ont déjà assez, je ne serai point versificateur.

L'éloquence m'offrit à son tour le choix parmi les fleurs de sa corbeille ; il faut plaire pour être lu, me dit-elle. Je croyais qu'il suffisait d'instruire et je le crois encore ; je ne serai point orateur.

L'histoire me tendit son crayon. Je n'en voulus pas encore ; je ne ferai l'histoire des hommes que quand ils seront sages et contents.

Prends au moins le stylet de la satyre ou l'arme du ridicule. Ni l'un ni l'autre. Je ne veux pas faire rire aux dépens de mes frères ; je ne serai ni bouffon ni bourreau.

J'aperçus la raison qui osait à peine se montrer ; j'allai à elle : Sois ma muse, lui dis-je, et prête-moi ta plume. Guide et affermis ma main afin que tous les caractères tracés par elle soient purs et réguliers. Quoi qu'il puisse arriver, je fais vœu de n'écrire que sous la dictée de la raison. »

L'homme qui parle et pense ainsi n'est cependant point méchant ; pourquoi Maréchal s'oubliant lui-même, a-t-il fini par prendre le stylet dont il ne voulait pas ?

Maréchal qui, par les deux ouvrages précédemment cités, s'était fait des ennemis puissants, s'en fit encore un nouveau non moins redoutable, quoiqu'il ne fût pas attaqué personnellement, par la publication de son Almanach des honnêtes gens. À l'exemple de M. Riboud, magistrat de Bourg, auteur d'un petit ouvrage intitulé Étrennes littéraires ou Almanach offert aux amis de l’humanité, il avait refait le calendrier, substitué aux noms des Saints, les noms les plus célèbres des temps anciens et modernes et rapproché celui de Jésus-Christ de ceux d'Épicure et de Ninon. Puisque les Saints devaient un jour disparaître momentanément du calendrier français, ce changement valait au moins celui que le délire de la révolution française y introduisit quelques années plus tard, et le culte qui nous rappelait les vertus des grands hommes, valait bien celui qui nous reportait aux dieux de l'Égypte. Cependant l'Avocat Général Séguier crut devoir se charger de la vengeance dès expulsés. À sa réquisition, le livre, dénoncé au parlement, fut brûlé par la main du bourreau et l'auteur décrété de prise de corps.

Maréchal dans le malheur retrouva bientôt les amis qu'il avait perdus, et certes cette circonstance n'est pas le moindre éloge que l'on puisse faire de son caractère. On s'intéressa à lui, et par faveur on obtint une lettre de cachet qui, soit par une intention secrète, soit par une erreur funeste pour lui, fut expédiée pour St-Lazare où l'on n'enfermait que des gens de mauvaises mœurs. Cette détention produisit un mauvais effet sur le public qui ne juge ordinairement que sur les apparences ; elle influa beaucoup sur Maréchal, et ne servit qu'à aigrir cet esprit sombre et blessé contre la cour et ses faveurs.

La Révolution approchait ; les Symptômes avant-coureurs qui l'annonçaient devaient nécessairement séduire un homme ardent, irrité, ennemi déclaré de l'arbitraire et des privilèges, dont les écrits publiaient depuis longtemps le dogme de la souveraineté du peuple et qui depuis longtemps l'avait proclamée en disant :

Rois, vous devez un compte au dernier des humains !
Le sceptre est un dépôt, que le peuple, en vos mains,
Daigna vous confier, et qu'il peut vous reprendre,
Si contre son bonheur vous osez entreprendre :
Vos droits ne sont sacrés qu'autant qu'il est heureux.
Vous tenez vos pouvoirs du peuple et non des cieux.
Si vous n'aviez pour frein que des Dieux invisibles
Vous seriez trop puissants et trop inaccessibles.
Rois, qui tyrannisez, sachez qu'il est pour vous
Un châtiment plus sûr que le divin courroux.
Vos sujets aux abois, sur vos têtes sacrées,
Peuvent oser porter leurs mains désespérées,
Ressaisir la couronne et rentrer dans leurs droits.
De son Dieu, de son maître, oui ! le peuple a le choix,
Et peut se rétracter si son choix n'est pas sage :
Il peut quand il lui plait, défaire son ouvrage.

Que d'exemples depuis ont confirmé ce que Maréchal écrivait en 1781 !

En effet, Maréchal adopta les principes de la Révolution avec toute l'énergie dont son âme était susceptible. Il se livra avec feu au culte public de cette raison, seule divinité, que depuis longtemps, quoi qu'en secret encore, il voulût reconnaître ; de cette raison à la quelle le peuple français élevait des autels lors même de ses plus grands écarts et de ses plus tristes folies, mais qu'il n'adorait peut-être que par cela seul qu'on la lui présentait sous les traits de la plus belle actrice de son théâtre. [1] Il composa pour cette divinité des hymnes, des cantates, des scènes, telles que la Rosière républicaine, Denis le tyran maître d'école à Corinthe> Diogène et Alexandre, le Jugement dernier des Mois, toutes pièces aujourd'hui très rares, qui n'avaient guère alors pour mérite que le piquant du titre ou de l'à-propos, et n'étaient du reste

que des lieux communs de morale civique,
Que grétry réchauffait du son de sa musique.

Maréchal lié avec Chaumette, avec Robespierre et tous les coryphées du parti révolutionnaire n'alla cependant pas aussi loin que tous ces fougueux apôtres de la démagogie ; il sut conserver pur de leurs atrocités son coeur dont la bonté balança souvent les écarts de son esprit et les désordres de son imagination ; Lorsque, partisan de la Révolution, il demandait la liberté, ce n'était point une anarchie sanguinaire qu'il voulait, mais des institutions fortes, larges et durables, telles qu'il les avait senti nécessaires à la France ; ce n'étaient point des principes ineptes ou barbares, subversifs de toute société, mais des lois, des mœurs, des vertus. Il fut même souvent des premiers à s'élever contre les excès de tous les pouvoirs, quoiqu'il ne put en arrêter le cours ; et quoiqu'on puisse dire et penser d'ailleurs de Maréchal, le rôle qu'il joua à cette époque fit du moins toujours honneur à son cœur.

Exalté dans ses principes politiques, hardi, téméraire dans toutes ses doctrines, il fut cependant d'une tolérance extrême pour ceux qui ne les partageaient pas ; jamais il né chercha de prosélytes dans la persécution, et jamais chez lui l'amitié, la bienfaisance, l'humanité, ne furent altérées par ses opinions. Anti-catholique, il était le premier à favoriser la dévotion de sa femme et de sa sœur, et par attachement pour elles il avait dans son cabinet tous les symboles de la religion chrétienne ; il tendait la main à des religieuses persécutées, il leur offrait un asile, des secours et sa protection. Anti-monarchique, il ne savait ni trahir, ni dénoncer, ni même refuser aux victimes, quelles qu'elles fussent dans ces temps de cruautés, ses services et son argent. Une pareille tolérance, si elle se rencontrait aujourd'hui dans ses détracteurs, devrait plaider en sa faveur et atténuer du moins les torts de son esprit.

Les premiers pas de Maréchal une fois faits dans la carrière de l'incrédulité, il ne s'arrêta plus ; et sa plume se fit chaque année remarquer par des bizarreries nouvelles. Le Code d’une société d'hommes sans Dieu, (1797) les Pensées libres sur les prêtres de tous les temps et de tous les pays, (1798) Pour et contre la Bible, [2] parurent tellement extraordinaires que ses amis mêmes ne purent le justifier qu'en répandant le bruit, qu'affaibli déjà par les douleurs de la maladie qui plus tard le conduisit au tombeau, il ne jouissait plus de la plénitude de ses facultés. Maréchal prit soin de démentir ce bruit en publiant son Voyage de Pythagore en Égypte, dans la Chaldée, dans l'Inde, en Crète, à Sparte, en Sicile, à Rome, à Carthage, à Marseille et dans les Gaules, suivi de ses lois politiques et morales ; (Paris 1798, 6 vol. in-8°.) ouvrage rempli d'érudition, de philosophie, de recherches profondes, résultat de longs et pénibles travaux, qui jouit encore d'une estime méritée quoique inférieur cependant au voyage d'Anacharsis, auquel peut-être on le compara trop. Ce fut le plus long et le plus important de ses ouvrages. Voici ce qu'en disait, en 1799,1e représentant Morand au Conseil des Anciens :

« Peu d'ouvrages, sans en excepter le jeune Anacharsis, ont l’importance de celui-ci ; peu de livres me paraissent plus dignes d'être médités par toutes les classes de lecteurs. À chaque page on rencontre des applications à d'autres temps. On est frappé de contrastes ou de similitudes qui fournissent d'utiles sujets de méditations.

Les voyages de Pythagore rédigés dans cet esprit pourraient servir d'histoire comparée. Plusieurs de ses lois sont encore aujourd'hui proverbes et pourraient nous offrir d'excellents modèles. L'homme de lettres qui s'est imposé l'honorable tâche dont je vous présente le résultat a rassemblé pour la première fois ces lois, jusques à ce jour disséminées et comme perdues parmi les ruines savantes de l'Antiquité, et il en a formé un corps complet qu'on regarde comme, l'esprit de toute la législation des siècles reculés. Les institutions de Pythagore firent le bonheur des peuples Italiques pendant tout le temps que ces peuples en furent les fidèles observateurs. »

Enfin, après ces travaux et comme pour terminer la carrière littéraire de Maréchal, apparut le Dictionnaire des Athées anciens et modernes, dont la publication commença par un éclatant scandale le dix-neuvième siècle. Le célèbre de Lalande, dont l'amitié eut tant d'influence sur l'esprit de Maréchal et à l'instigation duquel cet ouvrage fut composé et publié, disait que « quoique fait à la hâte, de pièces et de morceaux non digérés, il contenait une immensité de faits avec la profondeur des raisonnements ; c'est, ajoutait-il, une espèce d'apologie du genre humain, destinée à faire voir que dans tous les siècles et dans tous les pays, malgré les tyrans et les prêtres, il a paru des philosophes au-dessus de la fange qui couvrait l'univers. » Il fut à-peu-près le seul défenseur de Maréchal et de son ouvrage ; c'était le moins qu'il pût faire. Du reste, tout ce que l'esprit de parti politique a de plus violent, tout ce que l'intolérance religieuse a de plus exalté, tout ce que la religion pure a de plus sévère, tout ce que l'hypocrisie a de plus odieux, tout ce que le dégoût, l'indignation des hommes honorables ont de plus expressif et de plus fort, tout ce que la morale enfin a de plus rigoureux fut mis en œuvre contre le livre et contre l'auteur. Pamphlets, libelles, réfutations, écrits de toute espèce s'accumulèrent et donnèrent à cet ouvrage, à défaut des journaux qui n'en parlèrent pas, une étrange célébrité. Ce fut presque justice, on ne peut en disconvenir. Maréchal dont l'esprit indépendant usait depuis longtemps tous les liens de la société, brisait cette fois, sans réflexion peut-être, mais avec éclat, ceux qui attachaient encore l'homme à la religion et à la morale. La religion et la morale, et tout ce qui en prend la figure ou combat sous leur bannière, devaient se réunir, et se réunirent en effet contre lui et Maréchal fut accablé. L'Athéisme était son idée prédominante, sa monomanie ; cependant il ne voyait pas, comme on le fait ordinairement, dans l'Athée un homme sans vertu, sans morale, et il sentait si bien qu'on pouvait dénaturer ses principes et eu abuser qu'il n'appelait à les partager que les gens vertueux, que les gens éclairés sur lesquels ses maximes ayant moins d'influence étaient moins dangereuses, mais qui par cela même étaient le plus en état de le plaindre et de le juger.

Des coupables plaisirs (disait-il) sectateurs insensés,
Des folles passions esclaves abusés,
Gardez-vous de penser que ma muse novice
Daigne vous élargir la carrière de vice,
Je n'écris pas pour vous ; ma morale à vos yeux,
O mortels abrutis, paraîtrait exaltée ;
Pour votre châtiment je vous laisse à vos Dieux :
L'homme vertueux seul a, le droit d'être Athée.

Si l'on rencontrait aujourd'hui dans le déiste, quel qu'il soit, les vertus qu'il réclamait dans l'Athée, tel qu'il le comprenait et qu'il l'a défini dans l'introduction de son Dictionnaire, la société, comme il le disait, reviendrait à l’âge d'or, et l'Être Suprême serait par cela seul honoré d'un encens plus pur que celui qui s'échappe souvent du milieu de nos vices et de notre corruption. Abstraction faite de ce travers dominant, les écrits de Maréchal respirent généralement une morale assez pure ; partout il la prêchait avec autant de persévérance que d'éloquence et de raison, et jamais il ne laissait échapper une occasion de la faire aimer ; lisant un jour un ouvrage de St Thomas, voilà, dit-il, une feuille sur la vertu qu'il faudrait tirer à 20 000 exemplaires pour la répandre. Avec tous ses avantages que manquait-il donc à Maréchal pour jouir de l'estime générale ? Le jugement.

On ne peut chercher à défendre les principes anti-religieux de Maréchal ni les dérèglements de sa pensée. On doit pour son honneur croire, comme tous ses contemporains, que raisonnable d'ailleurs sur toute autre matière, mais travaillé d'une humeur atrabilaire, sa raison s'égarait dès qu'on le mettait sur le chapitre de la religion, comme celle du héros de Cervantès lorsqu'il était question de la chevalerie, et que poussé à cette publication par une influence étrangère, irrésistible pour lui, ce fut peut-être de bonne foi et sans prévoir alors l'usage qu'en pourrait faire la calomnie, qu'il répandit ainsi et à pleines mains le scandale sur son siècle. Ne faut-il pas aussi pour être juste faire la part des temps et des circonstances. L'époque à laquelle cet ouvrage fut publié, la quantité d'hommes illustres et puissants qui s'y trouvaient attaqués, le nombre de ceux qui craignaient de l'être encore, la gravité de l'accusation, le nom des auteurs qui y avaient coopéré, le silence imposé à toutes les feuilles publiques, les entraves mises à sa circulation, tout cela se réunit pour donner à cette aberration nouvelle une importance extraordinaire et en faire un événement politique. En littérature, il n'en a pas toujours autant fallu pour produire un succès éphémère ; et sans cela peut-être son Dictionnaire des Athées passait inaperçu. À cette époque, la nation Française fatiguée d'anarchie revenait à la tranquillité ; la religion, qui avait été renversée jusque dans ses fondements, commençait à renaître sous l'espoir d'un concordat qui bientôt allait lui rendre tout son éclat ; les mœurs dissolues du Directoire s'étaient épurées peu à peu ; tout enfin concourait à l'ordre et à l'harmonie, lorsque le Dictionnaire des Athées vint à travers une société toute neuve, sans jugement encore et sans expérience., nier l'existence de la divinité et appuyer cette doctrine hardie des noms les plus célèbres parmi les morts et les plus recommandables parmi les vivants. Dans de pareilles circonstances le mal pouvait être grand, la religion pouvait être ébranlée de nouveau, les mœurs pouvaient se relâcher encore, enfin les esprits faibles pouvaient tomber dans le doute ou l'incrédulité en voyant mettre au nombre des Athées St Augustin, St Chrysostome, St Grégoire, Charron, Montaigne, Pascal, Grotius, Gruter, Fénelon, Bossuet et le Législateur des Chrétiens lui-même. Cet ouvrage pouvait donc anéantir tout à coup à sa naissance l'œuvre réparatrice de Napoléon. Ce n'était donc pas trop de tout l'anathème de l'autorité pour empêcher le mal, et si les foudres du Vatican n'eussent été depuis longtemps rendues impuissantes par la secte même à laquelle appartenait Maréchal, on les eût invoquées à bon droit. Aujourd'hui, qu'un Dictionnaire des Athées paraisse, il n'ébranlera certainement ni la religion ni la société ; on n'y verra que le rêve d'une imagination en délire ; on ne verra dans une semblable accusation contre les Buffon, les Volney, les Berthollet, les Monge, les Bonaparte, qu'une insulte calomnieuse qui retomberait sur l'auteur seul. Un tel livre ne produirait pas plus d'effet que n'en avaient produit quatre-vingts ans plutôt, et l'ouvrage du Père Hardouin dans lequel se trouvent les noms de Jansénius, Malebranche, Quesnel, Arnauld, Nicole, Pascal et Descartes, et l'Histoire de l'Athéisme par Reimannus, dans laquelle on voit au même titre, Abailard, Bellarmin, Léon X, Sanchez et tant d'autres dont Maréchal n'a fait que répéter les noms ; ouvrages qui disparurent sans avoir porté aucune atteinte à la religion, et sans avoir eu d'autre effet que celui de prouver la démence de leurs auteurs. En 1800, l'effervescence de la Révolution n'était point entièrement calmée, et toutes les passions à la fois s'emparèrent de cet ouvrage. Cependant la raison commençait à reprendre son empire, puisque la justice avait cessé de se mêler de la conscience des hommes, et Maréchal, payé par le dédain, n'eut point les honneurs de la persécution, que lui avait précédemment attirée son Calendrier des honnêtes gens.

Nous nous sommes un peu plus étendu sur cet ouvrage, parce que c'est celui qui pour ainsi dire perdit Maréchal dans l'opinion publique et détermina le genre de sa réputation.

La maladie de Maréchal faisant toujours de nouveaux progrès, il quitta Paris pour se retirer à Montrouge, et dans une société peu nombreuse dont faisaient partie quelques femmes instruites, il passa les dernières années de sa vie occupé de questions littéraires auxquelles il mit peu d'importance. Ce fut pourtant à cette époque (1801) et au milieu de cette réunion, qu'il composa son. Projet de loi portant défense aux femmes d'apprendre à lire. Tel fut toujours le caractère de Maréchal, son cœur était ouvert à toutes les affections, quoique sa plume ne connût jamais d'amis. Toutefois les formes sous lesquelles il développa ces principes avaient encore une grâce qui les faisait excuser même de celles qu'ils intéressaient le plus :

L'aigle altier porte le tonnerre.
Dans les cieux, il a son séjour ;
La colombe rase la terre
Et n'est faite que pour l'amour.

C'est ainsi qu'il s'exprimait, et l'on retrouvait souvent dans les vers qui lui échappaient à cette époque, le charme et l'harmonie de ses premiers ouvrages. Il revint peu à peu de cette prévention contre les femmes, en appréciant de plus en plus celles qui l'entouraient, et dans la société desquelles il apportait autant d'agréments que lui-même en trouvait. Seule, Mme Gacon-Dufour, qui vivait dans l'intimité de cette société, ne voulut pas laisser passer la loi sans discussion ; elle répondit, et sa réponse légèrement acrimonieuse fit croire au public qu'elle avait été blessée ; mais Mme Gacon-Dufour était loin de penser ce qu'elle disait, et leur amitié n'en fut point altérée.

Maréchal déclinait : la mort approchait, et il la voyait venir sans effroi, avec le calme de l'homme de bien, à qui sa conscience ne fait aucun reproche. Il s'occupa de poésie jusques au dernier jour ; Mlle Desprez, sa belle-sœur, écrivait encore sous sa dictée peu de moments avant sa mort, quand prononçant ce vers :

« Au souvenir des morts consacres quelques nuits »,

il appela sa femme qui vint près de lui pour la dernière fois. Viens, dit-il, ma Zoé, viens, ton amitié me réchauffe ; mes vœux sont remplis, je meurs au milieu de tout ce que j'ai de plus cher. Déjà sa vue s'était éteinte, mais il avait encore toute sa raison. Je vous entends, disait-il à ceux qui l'entouraient, mais je ne vous vois plus, la nuit est venue pour moi. Il mourut entre les bras de Mme Dufour, le 18 janvier 1803, vers le milieu du jour, à l'âge où revenu peut-être de ses erreurs et de ses préjugés philosophiques, des illusions et des chimères qu'il s'était créées, il eût pu réparer le tort qu'il avait fait à sa réputation, car en définitive ses écrits n'en avaient fait ni à la religion ni à la société.

Dès 1781, il avait composé une petite pièce en vers, intitulée : Épitaphe de l'auteur. On y reconnaissait les principes qui le dirigèrent le reste de sa vie. La voici :

Heureux ! qui né d'un père exempt de préjugés,
Fut élevé par lui loin des prêtres gagés
Pour enseigner l'erreur, prêcher l'intolérance.
Heureux ! l'homme ignoré, qui vit dans l'ignorance
Des Dieux, de leurs suppôts plus méchants que les Dieux,
Des tableaux indécents, des dogmes odieux
Que la religion, par le despote armée,
Consacre dans l'esprit de la foule alarmée !
Heureux, qui de la mort pressé par l'aiguillon,
Au sein de ses amis, dans un doux abandon,
Sent couler sur sa main les larmes de ses frères,
Est sourd aux vains propos, aux pieuses chimères,
Dont on repaît le cœur d'un chrétien abattu, Et meurt en prononçant le nom de la vertu !
Amis ! lorsque le temps, de son pied trop agile,
Heurtera de mon corps l'édifice fragile,
Que mes débris poudreux soient par vous recueillis !
Par vous sur mon tombeau que ces vers soient écrits :
Cy repose un paisible Athée ;
Il marcha toujours droit, sans regarder les cieux.
Que sa tombe soit respectée ;
L'ami de la vertu fut l'ennemi des Dieux.

S'il n'avait jamais fait de meilleurs vers, il est douteux qu'on parlât de lui aujourd'hui.

Maréchal avait épousé, en 1792, mademoiselle Desprez ; mais il ne laissa pas de postérité.

Il n'avait point des dehors prévenants, et ce n'était qu'en le cultivant qu'on était à même de le bien juger ; car il y eut toujours dans Maréchal, l'homme privé et l'écrivain. L'homme privé était doux, modeste, simple, bienfaisant : exempt de toute ambition, il n'avait que le désir d'éclairer les hommes et les rendre meilleurs, persuadé qu'il était que tous étaient susceptibles de plus ou moins d'instruction ; il refusa pendant la révolution toutes les places qui lui furent offertes, leur préférant l'étude et la retraite et se contentant de celle qui lui avait été rendue. Naïf et bon dans son intérieur, il prenait plaisir à se livrer aux jeux des enfants et y semait toujours avec grâce des principes de morale et de sagesse. L'écrivain au contraire, d'un esprit profond, doué d'une grande fécondité et des qualités les plus heureuses, était entier, impétueux, confiant dans ses forces et méprisant tous les obstacles ; aucune considération n'arrêtait chez lui une pensée, telle forte qu'elle pût être ; et la vérité ou ce qu'il prenait pour elle, sortant de sa plume n'en sortait jamais qu'avec tout ce qu'elle pouvait avoir d'acerbe ou d'énergique, sans égard pour ceux à qui il s'adressait ; aussi se fit-il beaucoup d'ennemis, quoique sa main fût toujours prête à panser les blessures que sa plume avait pu faire.

Les ouvrages de Maréchal ne furent jamais réunis. Cette collection ne serait cependant pas sans intérêt. Elle pourrait servir, comme quelques autres écrits du même temps, à prouver quels abus on a pu faire des vastes lumières du 18e siècle. Maréchal avec son esprit, ses talents, son érudition, son énergie et son activité au travail pouvait attacher à son nom une illustration plus pure que celle qu'il a obtenue, mais les principes philosophiques de son temps, principes qu'il ne sut pas dégager de l'erreur et du paradoxe, égarèrent dès son début son imagination ardente. Il ne sut plus trouver les limites que sa raison ne devait point dépasser : il courait après la liberté, il tomba dans la licence ; il voulait donner des bornes à l'absolutisme de la royauté, il tomba dans l'anarchie ; il voulait briser le joug avilissant de prêtres ignorants, il tomba dans l'athéisme : une fois là, ses ennemis saisirent l'avantage, et méconnu de la multitude qui ne sut point le définir, Maréchal fut, au nom du ciel, jugé par son siècle sans appel à la postérité.

Outre tous les ouvrages déjà cités et quelques poésies légères qui parurent dans l'Almanach des muses, telles que la Consigne à mon portier, l’Épître à Zoé, Maréchal en publia beaucoup d'autres dont quelques-uns sont aujourd'hui très difficiles à trouver. Voici le détail des plus connus.

Le Livre de tous les âges ou le Pibrac moderne, 1779, in-12.

C'est un recueil de pensées morales resserrées en quatrains, qui toutes renferment les principes les plus purs, mais dont l'idée a souvent plus de mérite que l'expression.

Il fut cependant réimprimé en 1807, après la mort de Maréchal, à la suite d'un Traité de la vertu, (Paris Léopold Collin) que les biographes n'ont point cité jusques à présent.

Ce traité est une assez longue collection de maximes sur la Vertu, réunies dans un seul tableau, qui font encore plus d'honneur au cœur de Maréchal qu'à son talent. Dépourvue de toute variété, la lecture en est monotone et fatigante.

Le Dictionnaire d’amour, par le berger Sylvain, Paris 1788. in-16.

Anecdotes peu connues sur les journées des 10 Août, 2 et 3 Septembre 1792 ; Paris, 1793, in-16. Elles furent réimprimées dans l'Almanach des honnêtes gens.

Histoire universelle en style lapidaire ; Paris, 1800, gr. in-8°, imprimé en lettres capitales. Son but dans cet ouvrage était de donner un modèle pour réduire en une suite d'inscriptions les fastes de tous les peuples. Il était persuadé qu'écrite de cette manière, l'histoire, dont Voltaire aussi ne voulait croire que les principaux événements, devait se graver plus facilement et plus profondément dans la mémoire.

Par exemple-, il peint ainsi le temps de Moyse :

MOYSE PARAIT,
ET SON GÉNIE
PLUS PUISSANT QUE CELUI DE SÉSOSTRIS
LAISSE UNE EMPREINTE
QUE LE TEMPS N’À PU EFFACER.
IL CRÉE
UN PEUPLE ET UNE RELIGION
DONT ON PARLE ENCORE.

C'est néanmoins réduire à bien peu de chose le grand livre de l'histoire.

Histoire de. Russie réduite aux seuls faits importants, Paris 1802, in-8°.

Il rédigea aussi les précis historiques qui accompagnent Les Costumes civils de tous les peuples connus ; Les Tableaux de la fable, de Grasset St-Sauveur et Grainville ; Paris et la Province ou Choix des plus beaux monuments d’architecture, par Sergent ; Les Antiquités d'Herculanum, le Muséum de Florence, et l'Histoire de France par David.

Ainsi que l'on distinguait deux hommes dans Maréchal, il faut aussi distinguer ses ouvrages historiques et ses ouvrages philosophiques. Les premiers, utiles, instructifs, variés, résultat de longs et pénibles travaux, forment une lecture agréable ; les autres graves et sérieux, d'une profondeur souvent étonnante, sont le produit d'un talent fort et vigoureux ; mais la répétition des mêmes idées qui dominent dans la plupart, a peut-être contribué à ce que Maréchal ne fût pas recherché et lu autant qu'il aurait pu le mériter. L'esprit se fatigue aisément, tendu sans cesse sur une même pensée, quelque variée qu'en soit l'expression, comme les yeux se lassent d'une même couleur quel que soit le cadre qui la présente.

En résumé, Maréchal méritait mieux de son siècle ; un seul travers de son esprit l'a perdu : il eût recueilli le prix de ses travaux et vu rechercher ses ouvrages de son vivant, si, plutôt que d'attaquer ouvertement l'espèce humaine dans une croyance universellement répandue, quoique sous des formes différentes, il eût lui-même mis en pratique ce qu'il disait, en parlant de Dieu, dans son livre de tous les âges :

Loin de rien décider sur cet être suprême,
Gardons en l'adorant un silence profond ;
Le mystère est immense et l'esprit s'y confond :
Pour savoir ce qu'il est il faut être lui-même.

11 novembre 1832.


[1] Melle Maillard actrice de l'Opéra, représentait la déesse de la raison dans les cérémonies publiques.

[2] Cet ouvrage fut publié à l'époque où le Génie du christianisme de Chateaubriand venait de paraître et obtenait un succès, que Maréchal croyait balancer par cette publication.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 11 juin 2007 17:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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