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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Essais sur le gouvernement populaire (1887):

Préface de l'auteur, 1885


Une édition électronique réalisée bénévolement par M. Pierre Tremblay, diplômé en anthropologie de Montréal à partir du document numérique (en format photo) sauvegardé à la Bibliothèque nationale de France. Une oeuvre de Sir Henry Sumner Maine, Essais sur le gouvernement populaire. Traduit de l'Anglais par René de Kérallain avec l'autorisation de l'auteur. Paris: Ernest Thorin, 1887, 416 pages. Collection Bibliothèque de l'histoire du droit et des institutions, no 4.


PRÉFACE DE L'AUTEUR


H. S. MAINE.
Londres, 1885.


Les Essais qui suivent, au nombre de quatre, relèvent du genre d'études auxquelles, durant une bonne partie de ma vie, j'ai consacré tout le loisir dont je pouvais disposer. Il y a bien des années, dans un livre intitulé l'Ancient Droit, j'avais tenté d'appliquer la méthode des recherches dites historiques aux lois et institutions privées de l'humanité ; mais, dès le début, je trouvai la voie obstruée par un certain nombre de théories a priori qui, sauf pour de rares esprits, satisfaisaient la curiosité à l'égard du passé et paralysaient les spéculations nouvelles quant à l'avenir. Elles se basaient d'abord sur l'hypothèse d'un Droit et d'un État de nature antérieurs à toute institution positive, puis sur un système hypothétique de droits et de devoirs appropriés à la condition naturelle de l'homme. Il semblait admis que travailler à l'amélioration progressive des institutions humaines n'était autre chose que rentrer graduellement en possession de cette condition naturelle. En examinant, comme il était indispensable, la véritable origine et l'histoire authentique de ces théories, je m'aperçut bientôt qu'elles reposaient sur une philosophie éminemment fragile, quoiqu'il fût facile de prouver en même temps qu'elles avaient exercé une influence des plus puissantes en bien comme en mal. L'un des caractères qui s'associent le plus clairement à la nature et à ses droits était la simplicité ; et c'est ainsi que les théories dont je parle ont engendré (moins en Angleterre qu'ailleurs, il est vrai), nombre de réformes précieuses dans la législation privée, en la simplifiant et en la purgeant de ses technicalités barbares. Elles ont pris en outre une large part à l'enfantement du droit international, et, par là, elles auront pu contribuer dans une mesure, d'ailleurs assez minime, à apaiser l'ardeur querelleuse et sanguinaire qui avait accompagné l'espèce humaine durant tout le cours de son histoire. Mais, d'autre part, elles ont, à mon sens, énervé l'intelligence humaine et l'ont rendue capable des extravagances où elle est tombée à la fin du dix-huitième siècle. Et, dans tous les cas, elles ont très certainement lancé sur une fausse piste les recherches historiques sur l'origine de la société et sur le développement du droit.

J'avais toujours éprouvé le désir et gardé l'espérance d'appliquer la méthode historique aux institutions de la politique humaine. Mais, ici encore, les recherches sur l'histoire de ces institutions et les efforts tentés pour en estimer la véritable valeur d'après les résultats de ces recherches, se trouvent sérieusement entravés par une foule d'idées et de croyances qui se sont répandues de nos jours au bénéfice d'une forme spéciale de gouvernement, cette forme extrême de gouvernement populaire que l'on nomme démocratie. Les notions qui règnent en Europe sur le gouvernement populaire proviennent en partie (et à ces égard elles méritent tout notre respect) d'observations sur sa mise en œuvre effective ; puis, en partie, et dans une mesure beaucoup plus importante, elles se bornent à répéter, sous une forme altérée ou déguisée, les principes techniques des deux Constitutions anglaise et américaine. Mais nombre d'idées à ce sujet, idées qui continuent régulièrement d'absorber ou de remplacer toute idée contraire, me paraissent, ainsi que les théories juridiques dont je viens de parler, le fruit de simples conceptions a priori. Ce n'est, au fond, qu'une nouvelle série de déductions appuyées sur l'hypothèse d'un état de nature. Sur le continent d'Europe, on n'a jamais oublié leur véritable source, et l'on sait parfaitement qu'elles dérivent des leçons de Jean-Jacques Rousseau, qui était persuadé que les hommes émergent de l'état de nature primitif par une évolution propre à rendre toute forme de gouvernement illégitime, hors la démocratie. En Angleterre, il est rare que l'on fasse explicitement, ou même sciemment, allusion à leur véritable origine qui, nonobstant, ne se trahit pas moins constamment dans les expressions dont on se sert pour les formuler. On représente couramment la démocratie comme jouissant d'une supériorité inhérente sur toute autre forme de gouvernement. On suppose d'ordinaire qu'elle s'avance d'un mouvement irrésistible et préordonné. On la croit pleine de bénédictions en expectative pour l'humanité. Et cependant, s'il lui arrive de ne point apporter avec elle ces bénédictions, si même elle se montre prolifique en calamités désastreuses, on n'imagine point qu'elle soit passible de la moindre condamnation. Tels sont les traits familiers d'une théorie qui se prétend indépendante de l'expérience et de l'observation, sous le prétexte qu'elle nous apporte les lettres de créance d'un âge d'or, étranger au domaine de l'histoire et, par suite, impossible à vérifier.

Le demi-siècle pendant lequel une théorie politique a priori s'est ainsi frayé la voie au sein de toutes les sociétés civilisées d'Occident a vu se dérouler en parallèle une suite d'événements qui me semblent mériter bien plus de considération qu'ils n'en ont obtenue jusqu'ici. Il y a soixante ou soixante et dix ans, quiconque s'occupait de science politique devait fatale-ment employer surtout dans ses recherches une méthode d'investigation déductive. Jérémie Bentham, qui se souciait peu des événements lointains de l'histoire, n'avait guère d'autres éléments sous les yeux que les phénomènes de la Constitution anglaise, qu'il entrevoyait à la lumière toute spéciale de sa propre philosophie et qu'il regardait à son point de vue de réformateur du droit privé. Il possédait en sus quelques faits matériels que lui avait fournis la courte expérience de la Constitution américaine, outre qu'il avait encore à sa disposition les tentatives si brèves et si malheureuses de la France en matière de gouvernement démocratique. Mais depuis 1815, et surtout depuis 1830, le gouvernement populaire a été introduit dans presque toute l'Europe continentale et dans toute l'Amérique espagnole du Nord, du Centre et du Sud ; et le fonctionnement de ces institutions nouvelles nous a valu un certain nombre de faits du plus vif intérêt. Entre temps, l'antique Constitution anglaise se modifiait avec une rapidité qu'on n'aurait pu prévoir à l'époque de Bentham. Je soupçonne que parmi les Anglais vraiment doués d'un esprit observateur, il en est peu qui, en présence de l'agitation dont le mouvement a rempli l'été et l'automne de 1884, n'aient été fort étonnés de constater combien la Constitution de leur pays s'était altérée sous le couvert des vieilles expressions et des vieilles formes constitutionnelles. Et pendant ce temps, la solidité de quelques-unes des garanties que la Constitution fédérale d'Amérique avait préparées en vue des infirmités du gouvernement populaire s'affirmait de la façon la plus remarquable. C'est ainsi que, dans presque tout le monde civilisé, une grande quantité de faits nouveaux s'est accumulée, à l'aide desquels je m'efforce, dans les Essais qui suivent, de contrôler le titre des opinions qui entrent en circulation de nos jours relativement au gouvernement populaire, à mesure que ce dernier converge vers la démocratie.

Ce serait faire preuve d'ignorance ou de mauvaise foi que de nier les bienfaits dont l'humanité est redevable au gouvernement populaire entre plusieurs calamités. Néanmoins, s'il entre une ombre de vanité approximative dans les conclusions auxquelles j'arrive dans les trois stades imprimées en tête de ce volume, il faudra se recoudre à éliminer quelques-unes des hypothèses communément admises sur ce point. Dans l'Essai sur L'Avenir du gouvernement populaire, j'ai voulu prouver que ce gouvernement, si l'on s'en tient à la simple observation des faits, s'est montré, depuis sa rentrée dans le monde, extrêmement fragile.

Dans l'Essai sur La Nature de la démocratie, j'espère apporter certaines raisons de croire que, sous la forme extrême vers laquelle il tend, il est, de tous les gouvernements, de beaucoup le plus difficile. Dans L'Age du progrès, j'ose soutenir que le changement perpétuel qu'il semble réclamer, et tel qu'on l'imagine de nos jours, ne s'harmonise pas avec les forces normales qui dirigent la nature humaine, et qu'il pourrait dès lors nous conduire à de cruels désappointements ou nous infliger de graves désastres. Si en cela j'ai quelque peu raison, le gouvernement populaire, surtout lorsqu'il approche la forme démocratique, exigera l'effort de toute la sagacité et de toute la capacité politique du monde, pour nous garder des mésaventures. Heureusement, s'il est plus d'un fait de mauvais augure pour sa durée et ses succès, il en est d'autres qui nous portent à croire qu'il n'est pas au-dessus des pouvoirs de la raison humaine de découvrir des remèdes contre ses infirmités. Afin de mettre en lumière quelques-uns de ces derniers symptômes, et de signaler en même temps le quartier où celui qui veut étudier la politique (après s'être dégagé des hypothèses a priori) peut chercher des matériaux pour reconstruire sa science favorite, j'ai entrepris la critique et l'analyse de la Constitution des États-Unis , sujet qui semble prêter à la division de beaucoup d'erreurs. Parmi ces erreurs, il en est qui paraissent supposer que cette Constitution est un jour sortie du cerveau de l'homme, armée de pied en cap, comme la déesse de la Sagesse, idée très conforme aux rêveries modernes qui ont cours sur le continent, relativement à l'origine de la démocratie. J'ai essayé de démontrer que sa naissance, en réalité toute naturelle, procédait de circonstances historiques très ordinaires ; et que si parfois elle touche à l'absolue Sagesse, cet heureux accord résulte de l'habileté avec laquelle des esprits sagaces, ayant conscience que certaines faiblesses héritées au berceau, s'aggraveraient sous l'empire des nouvelles conditions où elle allait vivre, lui avait préparé des ressources pour réduire au minimum ces infirmités, ou même les neutraliser entièrement. Son succès, aussi bien que le succès des autres institutions américaines qui ont également réussi, me semble provenir de ce que l'on a su adroitement serrer le mors aux impulsions populaires, au lieu de leur lâcher la bride. Tandis que la Constitution anglaise se transforme insensiblement en gouvernement populaire, assiégé de tous côtés par de sérieuses difficultés, la Constitution fédérale américaine prouve qu'il y a déjà plus d'un siècle, on avait su découvrir divers expédients pour mitiger grandement quelques-unes des difficultés en jeu, et pour en surmonter entièrement quelques autres.

L'apparition de ces Essais en substance dans la Quarterly Review, tout en me procurant des lecteurs plus nombreux que l'on n'eût osé l'espérer pour une dissertation sur des questions abstraites de politique générale, qui n'ont qu'un rapport lointain avec les discussions acerbes des partis, m'a valu en outre l'avantage d'un certain nombre de critiques qui me sont parvenues avant de donner à ce volume sa forme définitive. Je dois signaler en première ligne une série d'observations que Lord Acton a bien voulu m'adresser. Je me suis permis, dans les pages qui suivent, d'utiliser librement les fruits de son savoir étendu et de sa pensée aussi originale que profonde.


H. S. MAINE.
Londres, 1885.

Retour à l'auteur: Sir Henry Sumner MAINE Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 06 juin 2002 19:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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