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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Lettre sur la tolérance (1686)
Introduction (début seulement)


Une édition électronique réalisée à partir du livre de John Locke (1686), Lettre sur la tolérance. Traduction française de Jean LeClerc, 1710. Paris : Garnier-Flammarion, 1992. Collection Texte intégral. Traduit par Jean Le Clerc. 273 pages.

par Jean-Fabien Spitz

Introduction: (début seulement)

La tolérance religieuse est aujourd'hui l'une des évidences les moins contestables de l'univers intellectuel du libéralisme : dans une société civile, chaque individu est libre de croire ou de ne pas croire en Dieu ; s'il croit, il est libre d'adhérer aux opinions et aux dogmes qui lui paraissent les mieux fondés ou les plus agréables à son Dieu, ainsi que de pratiquer la forme de culte extérieur qu'il préfère. Cette double liberté - de croyance et de culte - est une composante essentielle de la liberté de l'individu, un élément vital de la liberté de pensée, un droit imprescriptible attaché à la personne humaine. La religion fait indéfectiblement partie de cette sphère privée qui doit être abandonnée à l'absolue discrétion des individus : en aucun cas l'autorité politique ne peut intervenir pour prescrire ou prohiber une croyance, pour enjoindre ou interdire l'exercice d'un culte quelconque ; appelée à une scrupuleuse neutralité en la matière, elle ne peut accepter qu'une religion soit enseignée dans ses écoles, que l'appartenance confessionnelle joue un rôle dans l'accès aux fonctions publiques, ou qu'un culte soit d'une quelconque manière favorisé aux dépens des autres.

Ouvrant le texte de Locke on s'attend peut-être à y trouver une justification philosophique de ce droit universel à la liberté en matière religieuse, et à l'y trouver dans des termes tels qu'elle puisse servir de socle à une justification plus large de la liberté de pensée comme l'un des droits fondamentaux de la personne humaine. Mais notre attente est rapidement déçue : par un détail gênant d'abord, puisque Locke nie explicitement que, dans une société civile, la tolérance puisse être accordée non seulement aux athées mais également aux catholiques ; par l'allure générale du raisonnement ensuite, car Locke ne part pas des droits imprescriptibles des individus pour ériger autour d'eux une barrière philosophique infranchissable à l'autorité politique ; tout au contraire, il part d'une définition fonctionnelle de cette dernière pour montrer qu'étant donné ce que sont sa mission et ses moyens, elle est condamnée à l'échec lorsqu'elle tente d'imposer à ses sujets une forme particulière de croyance et de culte. Il est en effet impossible au magistrat, avec les moyens de coercition dont il dispose - et qui le définissent - de contraindre ses sujets à croire ce qu'ils ne croient pas. Il s'agit là d'une entreprise qui est tout simplement hors de portée des moyens humains; les hommes, en effet, ne peuvent se rendre maîtres de leur entendement par une simple décision volontaire ; ils ne peuvent décider de croire qu'une chose est vraie, et encore moins qu'ils la croiront vraie demain : « c'est ce que démontrent à l'évidence, écrivait déjà Locke en 1667, l'expérience et la nature même de l'entendement, lequel ne saurait pas plus appréhender les choses autrement qu'elles ne lui apparaissent que l'œil n'est capable de voir dans l'arc-en-ciel d'autres couleurs que celles qu'il y voit ». S'il s'agit de contraindre à croire, les moyens du magistrat sont principiellement inadaptés à la fin qu'il poursuit .


Mais si l'autorité politique est incapable de forcer les consciences, elle peut cependant contraindre les sujets à se conformer extérieurement au culte établi. Une telle entreprise, dit Locke, est certes possible, mais elle est contradictoire : celui qui recourt à la persécution proclame uniformément qu'il n'a en vue que le bien et le salut de ses victimes ; or, s'il amène les persécutés à professer de bouche ce qu'ils ne croient pas de cœur, il fait d'eux des hypocrites qui agissent à l'encontre de leur conscience. Or, puisque la conscience oblige en toute circonstance, et qu'on commet un péché en agissant à l'encontre de ce qu'elle commande, le magistrat entrave le salut de ses sujets en les contraignant à des actions qu'ils ne croient pas sincèrement agréa-bles à Dieu. Ainsi, le seul succès possible d'une politique de contrainte en matière religieuse (la conformité extérieure dans la pratique du culte et dans la confession publique des dogmes de l'Église établie) serait aussi son nécessaire échec à atteindre le but qu'elle se propose. S'il s'agit de contraindre à faire, les moyens du magistrat sont en contradiction avec la fin qu'il poursuit.

Approfondissant sa réflexion sur la nature de l'autorité politique, Locke montre que la seule fonction qu'elle peut assumer sans contradiction est la sauvegarde des intérêts temporels de ses sujets : la vie, la liberté et la propriété des biens. Cela lui per-met de fixer une règle générale : tant qu'un individu ne nuit en rien aux intérêts temporels de ses concitoyens, ses actions doivent demeurer parfaitement libres et indemnes de toute immixtion de la puissance publique. Appliquée au problème de la tolérance religieuse, cette règle ne signifie pas que chacun est libre de penser et d'agir comme il l'entend; elle signifie seulement que chacun est libre d'entretenir et de diffuser les croyances qui ne sont pas en contradiction avec l'impératif du bien-être temporel du peuple; de même elle signifie que les pratiques du culte sont libres pourvu qu'elles n'impliquent aucune action qui nuise à ce même impératif Si la préoccupation première de Locke est bien d'interdire à l'autorité politique toute ingérence dans les affaires spirituelles des individus, il est aussi soucieux de montrer les fondements de l'obéissance nécessaire aux lois du magistrat, et de souligner l'impossibilité d'invoquer les scrupules de la conscience pour s'y soustraire ou agir à leur encontre.

L'Epistola de tolerantia n'est donc pas la charte philosophique de la liberté de pen-sée, et encore moins celle des droits de l'homme. C'est d'abord une réflexion sur la nature de l'autorité politique, sur ses moyens et sur ses fins, sur ce qu'elle peut et ne peut pas faire, non pas en termes de droits mais en termes de possibilité effective ; Locke aurait pu faire sien le mot que Cassiodore attribue au roi Théodoric : Religionem imperare non possumus quia nemo cogitur ut credat invitus ; en ce sens, l'argumentation lockienne démontre moins l'illégitimité de la contrainte en matière reli-gieuse que son irrationalité. C'est ensuite une réflexion sur la nature de la croyance religieuse : si elle n'est pas sincère, elle manque nécessairement son objet, et la conscience - même erronée - oblige absolument. Mais, à la différence de Bayle, pour qui la liberté de conscience est le fondement de toute théorie de la tolérance, Locke part de la définition de l'autorité pour conclure que le « forcement » des consciences ne saurait être l'objet de son action .

L'Epistola emprunte ainsi la voie d'une double réflexion sur la nature de la croyance et du pouvoir. La première ne dépend pas de la volonté, tandis que le second, qui est essentiellement coercitif, ne peut influer sur la conduite des hommes que dans les actions où ces derniers ont la possibilité de modifier leur conduite par une décision volontaire ; or, puisque la croyance n'entre pas dans cette catégorie, elle ne fait pas partie des objets possibles de l'autorité politique. Au cœur du raisonnement qui conduit à l'idée de tolérance figure donc une thèse fort simple : nos pensées ne sont pas en notre pouvoir. jointe à la conviction que, en matière religieuse, seule la sincérité sauve, elle constitue le fondement de la conception lockienne de la tolérance.

C'est à partir de ces prémisses que Locke pose les fondements d'une rigoureuse séparation entre l'État et l'Église : l'État est une association librement instituée par les hom-mes pour la sauvegarde de leurs intérêts temporels, mais il n'a pas à se préoccuper du salut des membres de la société civile ; les seuls pouvoirs qui lui appartien-nent légitimement sont ceux qui sont indispensables pour atteindre la fin en vue de laquelle il a été institué ; or, l'imposition forcée d'une croyance ou d'une forme de culte n'est nullement nécessaire à l'atteinte de cette fin puisque, en servant Dieu chacun à leur manière, les citoyens ne nuisent en rien aux intérêts temporels de leurs voisins. A l'inverse, l'Église est une association volontaire instituée pour la recherche des moyens du salut ; là encore, une telle société ne peut légitimement posséder que les pouvoirs qui sont nécessaires à sa fin : la prédication, l'exhortation et l'excommunication des membres qui sont occasion de scandale. Mais en aucun cas elle ne peut faire des lois assorties de peines, ni pour ses membres ni pour ceux qui ne sont pas de sa communion, puisque ces lois et ces peines sont des moyens inefficaces en droit et en fait pour amener les hommes au salut; seule l'adhésion libre et sincère y conduit, et celui qui professe une erreur dans la sincérité de sa conscience est plus proche d'être sauvé que celui qui professe une vérité par la peur des lois et du châtiment.

Retour à l'auteur: John Locke Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 mai 2007 13:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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