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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Paul Leroy-Beaulieu, L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. (1900)
Préface de la 3e édition, 1899


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Paul Leroy-Beaulieu, L'ÉTAT MODERNE ET SES FONCTIONS. Paris: Guillaumin et Cie., Éditeurs du Journal des Économistes, 3e édition revue et augmentée, 1900, 487 pp. Une édition numérique réalisée par Serge D'Agostino, bénévole, professeur de science économique et sociale en France.

Préface de la 3e édition

Depuis la publication de la deuxième édition de cet ouvrage, neuf ans se sont écoulés. De nombreux travaux nous ont empêché d'en faire paraître plus tôt une édition nouvelle, revue et fortifiée par un surcroît d'exemples et de preuves, suivant notre constante habitude.

L'expérience de ces neuf années a été, certes, démonstrative. Partout l'État moderne a étalé de plus en plus à la fois sa fragilité et sa présomption.

Deux conditions surtout constituent l'État moderne ; d'abord les hommes qui détiennent l'État, qui parlent et qui agissent en son nom, sortent de l'élection populaire, avec de brèves délégations de pouvoirs ; ils sont censés ainsi représenter la volonté du peuple. En second lieu, par la disparition ou l'affaiblissement de toutes les anciennes forces sociales organiques, Église, aristocratie, corps intermédiaires divers et traditionnels, l'État moderne se trouve investi, d'une façon complète en théorie et qui tend à devenir complète en pratique, de la toute puissance ; la toute puissance, voilà l'attribut principal de l'État moderne[1]. Or, chacun sait que la toute puissance est une cause habituelle d'infatuation.

Incohérent, irréfléchi, corruptible même, démesurément ambitieux et intrusif, voilà l'État moderne tel que les faits nous l'ont montré.

Un journal anglais disait naguère à propos de cet ouvrage que, sous le nom d'État moderne, nous décrivions simplement le gouvernement français, et que nos observations et nos conclusions n'avaient pas d'application en dehors de notre territoire.

Quelle singulière erreur de jugement ! L'État moderne que nous avons décrit, ce n'est pas seulement la France, c'est l'Italie, c'est les États-Unis, c'est même la Suisse et l'Angleterre ; ce sont aussi, sans parler de l'Amérique du Sud, les jeunes colonies de Victoria, de l'Australie Méridionale et de la Nouvelle-Zélande.

Dans toutes ces contrées et d'autres encore, qui réalisent les conditions de l'État moderne, on retrouve, à des degrés légèrement divers, les mêmes faiblesses, sinon les mêmes vices.

I1 se peut que dans certains pays l'État Moderne ait péché moins que dans d'autres contre la stricte honnêteté vulgaire.

Si les scandales des banques en Italie, ceux de certains votes de tarifs aux États-Unis ainsi que de l'administration habituelle de la ville de New-York, égalent ou surpassent les scandales législatifs et administratifs divers qui ont causé en France tant d'émotion dans les dix dernières années, on peut arguer que la petite Helvétie est demeurée, autant qu'on en peut juger, pure de ces actes de manifeste immoralité gouvernementale.

La corruption, consciente et voulue, est, toutefois, l'un des moindres inconvénients de l'État Moderne. Certaines petites démocraties peuvent y échapper. Aucune, au contraire, ne peut se dégager de l'infatuation, de l'activité papillonne et perturbatrice ; aucune ne peut se soustraire longtemps à la domination de la médiocrité ignorante et audacieuse. Aucune ne peut s'élever à la conception de l'intérêt général et permanent, et lui donner habituellement la préférence sur les intérêts particuliers et transitoires.

Nous avons, dans cette édition, ajouté à notre livre un chapitre nouveau que nous considérons comme très important, intitulé : L'État moderne, le protectionnisme et le chauvinisme ; c'est un des phénomènes, en effet, les plus attristants et les plus inquiétants du temps présent que le développement, au sein de nos démocraties, du chauvinisme et de l'exclusivisme national le plus extravagant.

On a vu, en Angleterre, un gouvernement qui avait à sa tête des hommes expérimentés, de la plus haute culture intellectuelle, en possession du prestige que donne une famille historique ayant, depuis près de trois siècles, joué un rôle prédominant dans le pays, lord Salisbury et M. Balfour, s'abandonner pratiquement à la direction incohérente et téméraire d'un de leurs subordonnés, simple charlatan, sans aucune instruction générale, M. Chamberlain, uniquement parce que cet homme borné était un excellent manœuvrier électoral. Voilà un des traits qui caractérisent l'État moderne.

De la peinture que nous faisons de l'État moderne, doit-on conclure qu'il convienne de le détruire et de le remplacer, soit par l'État bureaucratique dont la Prusse nous offre l'exemple, soit, ce qui s'en rapproche, par de grandes monarchies administratives, comme celle de notre ancienne France ? Ce n'est aucunement là notre conclusion. Il pourrait être douteux que, en se plaçant à un point de vue d'ensemble, on gagnât à ce changement, et, d'ailleurs, le choix n'est pas à notre disposition.

Ce qui ressort de notre étude, c'est simplement que les hommes éclairés doivent s'efforcer de contenir l'ambition de l'État moderne, ne pas lui permettre de s'adjuger, aux dépens de l'activité privée et des groupements libres, de nouvelles sphères d'action pour lesquelles il n'a aucune vocation réelle.

Quand même l'État concret se rapprocherait, par ses qualités propres, de l'État abstrait des philosophes, il faudrait, pour maintenir la plasticité sociale et la spontanéité individuelle, lutter contre ses empiétements. A combien plus forte raison ne faut-il pas le faire quand, outre les souvenirs de l'antiquité et du Moyen-âge, la récente expérience continue, aujourd'hui séculaire, démontre chez tous les peuples, combien peu l'État concret, représenté par des hommes sortis de l'élection, ressemble à l'État abstrait, objet de tant d'encens et d'une dévotion si crédule !

Montplaisir, par Lodève, le 25 novembre 1899. Paul Leroy-Beaulieu.



[1] On verra plus loin que la plupart des théoriciens allemands contemporains revendiquent pour l'État la toute puissance.

D'autre part un des psychologues sociaux les plus originaux et les plus pénétrants, M. Tarde, dans son ouvrage Les Transformations du pouvoir (page 205 note), s'exprime ainsi : « À propos de la guerre des paysans, en Souabe (1525), M. Denis écrit dans l'Histoire générale : « En somme ces révoltés étaient des réactionnaires et ils poursuivaient la restauration d'un système vieilli : ce qui représentait le progrès et l'avenir à cette époque, c'étaient les princes qui travaillaient à dégager du moyen âge l'État moderne. Or, qu'est-ce qui le caractérise, cet État moderne ? Le même auteur nous le dit quelques pages plus loin. « Les princes, enrichis des dépouilles du clergé et maîtres de la conscience comme des biens de leurs sujets, n'avaient en quelque sorte plus d'adversaires. Le champ s'ouvrait librement devant eux et ils pouvaient réaliser enfin leur idéal de gouvernement et créer de véritables États modernes où nulle volonté ne gênerait la leur et dont toutes les ressources seraient concentrées entre leurs mains. »

« Le caractère de l'État moderne, conclut M. Tarde, c'est sa toute puissance, c'est la suppression de ces entraves multiples et multiformes que l'État féodal avait dû subir. » Voir aussi plus loin (page 229) un mot très caractéristique de Roscher, le célèbre économiste allemand.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 mars 2016 15:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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