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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Traité de caractérologie (1945)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de René Le Senne [(1882-1954), Philosophe français, professeur à la Sorbonne], Traité de caractérologie (1945). Paris: Les Presses universitaires de France, 1963, 7e édition, 660 pp. Une édition numérique de Pierre Palpant, bénévole, Paris.

PRÉFACE

1. Deux sens de caractérologie. — Dans le vaste domaine de la psychologie concrète, qui groupe les diverses sections de la psychologie différentielle, de la psychologie appliquée, et d’autres, la caractérologie comprend les études relatives à ce qu’il y a de spécifique dans les différentes variétés d’individus et à ce qu’il y a d’original dans les individus eux-mêmes.

Ces études sont assez diverses pour que la région battue par la caractérologie s’enferme entre deux sens, inégalement amples de ce mot.

1° Au sens étroit, la caractérologie est la connaissance des caractères, si l’on entend par ce mot le squelette permanent de dispositions qui constitue la structure mentale d’un homme. Il s’en faut de beaucoup qu’en ce sens la caractérologie embrasse la totalité des traits et des mouvements qui s’entrecroisent dans la vie psychologique d’un individu, de manière à en composer, non seulement la structure, mais l’histoire. La caractérologie n’en retient que ce qui la conditionne congénitalement par-dessous le système invariable de nécessités qui se trouve pour ainsi dire aux confins de l’organique et du mental. Les travaux de Malapert, de Heymans et Wiersma, de Kretschmer même et de beaucoup d’autres relèvent de ce premier sens du mot.

2° Au sens large, souvent employé par les Allemands, la caractérologie porte, non seulement sur ce qu’il y a de permanent, d’initialement et perpétuellement donné dans l’esprit d’un homme, mais sur la manière dont cet homme exploite le fonds congénital de lui-même, le spécifie, le compense, réagit sur lui. Suivant ce deuxième sens l’Individualpsychologie d’Alfred Adler est une section de la caractérologie, qui ne se demande plus seulement ce qu’un homme est, de par sa nature, mais ce qu’il fait de lui-même et devient. C’est de cette caractérologie au sens large que relèvent, par exemple, les travaux d’Häberlin, de Klages, la section Charakterologie, par Fr. Seifert, du Handbuch der Philosophie de A. Baeumler et M. Schroeter. Les considérations propres à ce second groupe de travaux finissent par se perdre dans l’étude de la destinée humaine.

Dans cet ouvrage, en raison même de la définition que nous allons donner du caractère et à laquelle nous resterons strictement fidèle, le mot de caractérologie sera toujours pris au sens étroit. Ce n’est qu’au cours de quelques considérations de « psycho-dialectique » et dans le dernier chapitre du livre que, sans revenir d’ailleurs sur la convention verbale qui vient d’être établie, nous pénétrerons dans le domaine de la caractérologie au sens large ; mais, encore une fois, sans employer ce mot dans des analyses pour lesquelles nous préférerons l’expression d’anthropologie de la destinée humaine. Ici nous ne ferons principalement, après les observations convenables sur la méthode et la documentation de la caractérologie. que définir les propriétés constitutives ou supplémentaires des caractères congénitaux et esquisser la description systématique des types de caractères susceptibles de servir de repères dans l’inventaire psychologique de l’humanité.

2. Il existe une caractérologie objective. — Ce livre procède de la conviction, éprouvée par la vie, qu’à la suite des nombreux travaux qui ont porté sur les différences de caractère entre les hommes, on peut voir maintenant se dégager avec netteté un système de types caractérologiques qui, non seulement se compren­nent intellectuellement, mais soutiennent la confrontation avec l’expérience et sont susceptibles de rendre des services dans toutes les questions relatives au commerce entre les hommes. C’est la description de ces types qui est le principal objet de cette étude.

Les éléments les plus nombreux et les plus précis de cette description ont été rassemblés et systématisés par G. Heymans et E. Wiersma qui ont été l’un et l’autre professeurs de l’Université de Groningue : les caractérologues ultérieurs leur doivent pour cette systématisation beaucoup de gratitude. Mais l’importance de leurs travaux consiste moins dans l’originalité de leurs vues que dans l’objectivité et l’on peut même dire la banalité des résultats obtenus par eux. Car on peut constater, comme nous le montrerons à chaque occasion, que les résultats obtenus par les autres caracté­rologues, dans la mesure au moins où ils s’imposent à la connais­sance, viennent se faire aisément intégrer et comprendre dans la typologie caractérologique de Heymans et de Wiersma.

Cela nous permet de considérer que la caractérologie est dès maintenant sortie de la période préliminaire dans laquelle chaque spécialiste se croyait le droit, quand il abordait l’étude des caractères, de reprendre tout le travail à nouveaux frais, de proposer des principes de répartition originaux, ou censés tels, de dessiner des portraits incomparables aux portraits déjà esquissés. À les regarder de plus près il apparaît bientôt que ces esquisses typologiques et idéologiques ne sont pas aussi nouvelles qu’elles le paraissaient à première vue ; car, au vocabulaire près, elles s’identifient sans difficulté avec certains des éléments de la classification de Groningue dans une caractérologie générale et spéciale qui ne fasse plus acception d’auteur. Ce sont les traits de cette caractérologie dès lors objective que nous nous proposons d’esquisser ici, afin qu’elle serve de base commune de départ pour des recherches ultérieures dont la destination soit, non de la remplacer, mais de la continuer. La caractérologie, non plus qu’aucune autre connaissance, ne doit être une succession stérile de recommencements. Les résultats acquis doivent être consolidés avant que le travail qu’ils conditionneront vienne retentir sur eux pour les préciser ou les retoucher. C’est un état de la recherche que nous nous proposons de fixer ici ; à l’avenir de le situer, mutatis mutandis. dans un savoir à la fois plus ample et plus précis.

3. Importance de la caractérologie. — Faut-il, au seuil de ce livre, marquer l’importance de la caractérologie ? Nous ne le ferons qu’en quelques mots au moyen de quelques observations privilégiées.

La première, c’est que l’homme dont il est presque partout traité et parlé, dans la science et la philosophie, n’est qu’une moyenne ou une abstraction. — Le définition d’abord par une ou des propriétés moyennes, il est possible en premier lieu que cet homme n’existe pas, qu’aucun homme empirique ne corresponde à cet homme moyen ; de même que, si l’on prend la moyenne des fortunes respectivement possédées par deux hommes, il n’existe entre eux réellement personne qui soit le propriétaire de cette fortune moyenne. — Admettons pourtant que, parmi tous les hommes, il y en ait un ou quelques-uns qui soient exactement dotés des propriétés de l’homme moyen : ces individus ne seraient encore qu’une minorité parmi tous ceux qui ne seraient pas moyens. Dès lors on fausse le tableau de l’humanité en le concevant sur le modèle de cet homme moyen, tandis que justement la grande majorité des hommes est différente de lui.

De plus cet homme moyen est généralement une abstraction ; car il est réduit à quelques propriétés générales. Or d’une part, en dehors de ces propriétés générales les hommes vivants possèdent bien d’autres traits de caractère. En outre, ces propriétés générales seraient-elles universelles, la manière dont elles sont spécifiées pour constituer la diversité infinie des natures individuelles défend d’identifier avec cet homme général, abstrait, soit nous-même, soit aucun de ceux avec lesquels nous avons rapport au jour le jour. Tel homme qui a vécu en Grèce ou vit à nos côtés, ce n’est ni le [en grec dans le texte], ni l’homme raisonnable, ni l’homo economicus, c’est Socrate ou Callias, notre frère ou tel voisin. Pour exprimer ce qu’ils sont, il nous faut d’autres concepts que les notions servant à la pensée de l’homme en général ; il nous faut des concepts encore généraux sans doute, mais d’une compréhension beaucoup plus riche et taillés sur l’expérience qu’ils doivent représenter, tels pour le zoologiste, ceux de puma et de jaguar, pour le chimiste, ceux d’acide sulfurique ou de nitrate de plomb. Ces concepts plus concrets des hommes sont précisément ceux que la caractérologie seule peut fournir.

Ce qui est vrai des hommes en général l’est d’abord de nous-même, un de ces individus concrets que leur originalité fait réels, celui qui nous touche de plus près. Pouvons-nous rester sans nous connaître, pouvons-nous nous connaître sans les moyens intellec-tuels de nous penser et de nous confronter avec les autres ? La caractérologie la plus précieuse doit être celle qui nous instruit sur ce que nous sommes congénitalement et par suite nous ouvre la voie à l’action sur nous-même. De même qu’en général connaître une loi de la nature c’est se mettre en état de gouverner les phéno-mènes dont elle constitue la structure, de même s’objectiver soi--même dans la définition d’un caractère, c’est se mettre en situation d’orienter ce caractère dans le sens que l’idéal montre. Que l’on pense, comme la plupart des gens, que la vie la plus féconde est justement celle qui prolonge les déterminations du caractère ou au contraire, comme Adler, que c’est en réagissant, en revendiquant contre les infériorités de son caractère qu’on atteint au plus haut degré possible de soi-même, il est vrai dans les deux cas que le caractère est la condition fondamentale qui s’impose à notre action et que par suite la connaissance qui est la plus propre à l’éclairer est celle des caractères.

Il ne peut en être autrement quand j’ai à définir mes rapports avec les autres. Jamais je ne pourrai agir que maladroitement si je ne sais rien de plus précis sur eux que les jugements sommaires, vrais ou faux, que l’expérience d’autrui arrache à chacun de ceux qui la partagent. Parents et enfants, mari et femme, frères et sœurs, amis et associés ne peuvent vivre ensemble pendant des années sans acquérir et former des jugements les uns sur les autres. Ces jugements devront rester vagues et douteux si ceux qui les émettent ne disposent pas d’une langue bien faite, ne peuvent comparer leurs propres expériences avec des constatations plus nombreuses et obtenues avec méthode. Nul n’en sera satisfait s’il lui faut prendre une décision grave pour l’avenir d’un de ceux qui l’entourent et qu’il aime. Les affinités qui conduisent à un mariage, aussi bien que les calculs qui peuvent en troubler la sincérité enveloppent des rapports entre caractères qu’il faut connaître pour savoir ce qu’on doit en penser. Une association. que ce soit la plus durable de toutes comme une union pour la vie, ou une collaboration provisoire à fin limitée tourne bien ou mal suivant la manière dont s’y conduisent ceux qu’elle unit. Cette manière dépend pour une part, inégale et variable, de circonstances contingentes et, dans la mesure où ils engagent leur responsabilité, de leur liberté ; mais, pour une autre part que personne ne saurait sous-estimer, du caractère de chacun des partenaires. Y sont donc intéressées non seulement la caractérologie qui nous propose les moyens de le reconnaître, mais l’intercaractérologie dont la tâche est d’étudier les interactions que la mise en rapport de ces caractères conditionne. Qui proposera une carrière à quelqu’un, un autre ou soi-même, sans s’être préoccupé de savoir si cette carrière lui convient et si les relations qu’elle instituera entre les autres et lui seront telles ou telles ? Impossible d’acquérir ce savoir sans plus ou moins de pénétration caractérologique dans la connaissance de celui qui doit s’engager dans cette carrière.

Une nation, comme tout groupe social, comporte un certain pourcentage défini de caractères. S’il y a des différences caractéristiques entre colériques, sanguins, passionnés ou flegmatiques, des différences que la caractérologie doit reconnaître et préciser, on ne peut s’attendre à ce qu’un peuple comprenant par exemple une certaine proportion de colériques et de sanguins s’exprime par les mêmes institutions, manifeste les mêmes réactions collectives, ait la même allure historique qu’un peuple composé de flegmatiques ou de passionnés. Voilà la politique sous la dépendance de la caractérologie ! Demander à un peuple de fournir un genre d’actions que sa nature ne le prédispose pas à donner est aussi superficiel et léger qu’attendre d’un individu ce que ses aptitudes ne lui permettent pas de faire. Ce sera donc à la caractérologie à chercher dans quel sens l’évolution d’un peuple doit être orientée pour l’élever non seulement au plus haut niveau de valeur auquel il puisse accéder, mais surtout à ce mode de valeur auquel sa vocation caractérologique le destine.

Ces considérations caractérologiques pourraient être indéfiniment variées. Elles se ramènent à la conclusion que la caractérologie doit susciter et vérifier un sentiment croissant de la diversité des hommes. Ce sentiment n’est pas assez répandu. Tous les hommes normaux n’ont-ils pas une tête, un cœur, deux bras et deux jambes ? Cette ressemblance d’apparence suffit à établir le préjugé commun qu’à peu de chose près l’un est identique à l’autre, que les identités entre eux sont beaucoup plus importantes que les différences, qu’à la limite on peut traiter de l’homme dans la compréhension, sans le considérer dans l’extension de son concept. Ce préjugé est renforcé par la pauvreté des notions dont nous disposons pour le penser ; il est développé par l’abstraction de notre psychologie qui se forge un homme abstrait et général pour en étudier les fonctions. — Ce n’est qu’un faux préjugé. L’expérience le dément chaque jour, quelquefois cruellement et défend d’extrapoler les notions de l’homme qui se présentent à tort comme universelles. L’homme par exemple n’est ni raisonnable ni affectif, par essence : tel homme est moins émotif que la moyenne et il agit par concepts et raisons ; tel autre vire suivant les ébranlements de sa sensibilité et les principes sont sans influence sur sa conduite. De même l’homme n’est ni bon ni mauvais ; ce qui est vrai, c’est que tel homme est spontané et généreux par premier mouvement, tel autre serviable par la puissance d’une doctrine, tel autre dur par indifférence aux sentiments, tel autre enfin cruel par besoin de stimulation intérieure. Que la caractérologie nous ramène vers cette diversité, elle seule pourra nous mettre en état de débrouiller l’écheveau des actions et des passions humaines en nous conduisant à la connaissance des caractères qui sont à leur racine.

Cette évidence dispense de s’engager dans la discussion qui s’ouvre quand on veut décider si la caractérologie est possible ou non. Cette question n’exige de nous aucun débat, susceptible de conduire à un tout ou à un rien. Ce n’est pas le plus souvent la conception d’un idéal qui nous invite à la recherche caractérologique. du moins d’un idéal séparé de la vie, c’est une urgence. Nous allons à la caractérologie comme à la médecine par le besoin que nous en ressentons. La pensée commune roule, traîne déjà une caractérologie qui conditionne l’action mutuelle des hommes. Ainsi on dit d’un homme qu’il « monte comme une soupe au lait » ou qu’il « fait ses coups en dessous ». Des analogies, non sans valeur, avec les animaux font traiter un homme de « renard » ou de « loup ». Cette caractérologie populaire contient déjà de façon implicite les postulats et les méthodes de toute caractérologie possible. Mais les erreurs que nous pouvons commettre par l’effet d’un savoir rudimentaire sont dans ce domaine toujours trop graves pour que nous ne désirions pas réfléchir davantage sur la nature des hommes et leurs rapports de manière à développer une caractérologie de plus en plus précise et de mieux en mieux adaptée aux exigences de notre action. C’est à elle que recourront le père qui veut connaître ses enfants pour les guider avec discernement, l’industriel qui veut connaître ses employés pour les mettre à leur place, l’ami qui veut connaître son ami pour éviter ce qui compromettrait la perpétuité de leur amitié, l’homme d’État qui veut connaître les peuples pour savoir ce qu’il peut en attendre, plus simplement et d’abord l’homme qui veut avancer dans la connaissance de lui-même pour obtenir de soi ce que sa nature lui permet d’espérer de meilleur.


Retour au livre de l'auteur: René Le Senne (1882-1954) Dernière mise à jour de cette page le Mercredi 19 juillet 2006 10:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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