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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin.
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Frédéric Le Play, Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin. Paris: Librairie Dalloz, 1947, 316 pages. Collection des grands économistes. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole.

Préface
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APPRÉCIATION.
Le Play part des faits, et il a raison, mais il ne s'élève pas toujours au-dessus d'eux. Suivant l'expression d'un commentateur, il semble avoir peur de les quitter. Et quand il s'y résout, c'est pour procéder à des généralisations dont nous avons montré les risques. Cette insuffisance d'appel à la raison le porte à des exagérations et à des naïvetés en même temps qu'à des applications imprudentes d'idées justes en soi. P. Ribot remarque que l'éloge dont sont l'objet les peuples de la grande steppe d'Asie dans les ouvrages de notre auteur est loin de concorder avec les observations des autres voyageurs et J. Valdour reproche à Le Play d'avoir été victime de la hantise de l'organisation de la famille-souche quand il transporte en bloc cette notion dans un autre ordre de faits sociaux, dans l'usine par exemple, sans prendre conscience des différences fondamentales qui les séparent et dont la principale est l'absence de liens du sang.

Mais le plus grave est un défaut sur lequel nous devons insister parce qu'il est devenu extrêmement commun : l'exposé de questions sociales sans une connaissance suffisante des questions économiques. Certes, le travail se trouve ainsi très facilité, mais il risque de demeurer stérile. Dans sa préface au livre de Xavier Roux, Le Play parle des « sophismes de Smith et de Turgot ». Que n'a t'il mieux étudié ces économistes ! Il est si peu enclin à le faire qu'il ne voit même pas les limites du « social » et de « l'économique » et ne définit pas cette « science sociale » dont il parle sans cesse.

Lorsque, par exemple, Le Play invite les patrons à éviter d'accroître la production exagérément en période de prospérité et à prévoir un resserrement ultérieur des débouchés, il aurait pu, sinon découvrir un rythme, au moins indiquer comment la crise et le chômage pourraient être conjurés. Mais il se borne à des conseils, il tourne court. Il est moins économiste que moraliste. Et c'est pourquoi le lecteur a la pénible impression qu'une certaine envergure de la pensée lui fait toujours défaut. Sa conception de l'évolution en apporte une preuve très nette.

Pour ces mêmes motifs la disproportion entre les maux dont il parle et les remèdes positifs qu'il indique en plusieurs cas ne le choque point. La liberté testamentaire ne provoquerait nullement les heureuses transformations qu'il imagine, car la mentalité de nos contemporains resterait pénétrée d'idées égalitaires et le père de famille opérerait le partage de sa fortune entre ses descendants comme par le passé. Rares sont les parents, en France, qui se servent de la quotité disponible pour faire des aînés et c'est aux États-Unis, où règne la liberté testamentaire, que la famille présente le moins de cohésion. D'ailleurs, quand Le Play fait du testament un « acte de discernement et d'amour », nous sommes en droit de nous demander si ces deux termes s'accordent entre eux. La contradiction est pire encore lorsqu'il nous montre l'état de dégradation dans lequel sont tombés les chefs des familles instables : va-t-il cependant leur confier le soin de régler leur succession ? Une phrase nous éclaire : « Le père de famille doit avoir toujours en vue l’avenir de ceux qui lui sont chers et se mettre sans cesse par la pensée en présence de la mort » (Réforme sociale, I, p. 129). Visiblement cette règle ne s'applique pas au commun des hommes, d'autant plus que nous lisons plus loin : « Les hommes religieux sont à peu près les seuls qui se plaisent à reporter ainsi leur esprit vers leur fin prochaine ». Nous sommes ici en présence non pas de l'homme de la rue, mais d'un homme d'élite. Le Play se trouve ramené de la famille à l’individu et même à l'individu sous sa forme la plus rare. Mais dans ses développements il finit par prendre l'impératif pour l'indicatif, par mêler ce qui doit être et ce qu'il a observé.

La conception de la liberté testamentaire n'a eu pratiquement aucun succès. La réfutation n'a pas tardé à être faite, à grands coups de citations d'auteurs, par G. Boissonade dans son Histoire de la réserve héréditaire et de son influence morale et économique (Mémoire présenté à l'Académie des Sciences morales et politiques en 1872).

Les critiques adressées au patronage ont été également nombreuses, mais, à notre avis, moins méritées. Il est vrai que la permanence des engagements est incompatible avec les nécessités de la grande industrie dans un temps où règne la loi du rythme, et l'erreur de Le Play consiste à raisonner trop souvent sur l'hypothèse irréelle d'une époque de stabilité ; le devoir du chef d'entreprise est au contraire aujourd'hui de prévoir l'instabilité. Contraindre l'entrepreneur à conserver l'ouvrier et l'ouvrier à rester auprès de l’entrepreneur, c'est aller à l'encontre des évolutions nécessaires.

Mais il est injuste de reprocher à Le Play d'être utopiste à cet égard. Il ne pouvait évidemment pas modifier les tendances marxistes d'une partie de la population ouvrière, il le savait, mais c'est bien sous son influence, en accord avec ses idées de patronage que se sont créées et développées de multiples institutions sociales au siècle dernier. On en trouvera une longue énumération dans l'ouvrage de M. P. Collignon cité dans notre bibliographie.

Si le patronage, est devenu aujourd'hui un objet de réprobation, on ne saurait faire grief à Le Play de ne pas l’avoir prévu. Tout pessimiste qu'on l'accusait d'être, il ne l’était pas encore assez. « Je suis loin de croire, écrit-il, que tous les patrons sont dès à présent disposés à établir un tel régime et les ouvriers à l'accepter. » (Réforme sociale, II, p. 32). Qui oserait prétendre de nos jours que le patronage, si décrié soit-il, ne serait pas préférable à la lutte à laquelle nous assistons ? Et qui oserait affirmer que les caisses patronales de secours et de prévoyance, les services médicaux et hospitaliers, les organismes de construction d'habitations, voire les centres intellectuels ou sportifs n'ont été d'aucune utilité ?

Nous n'avons pas caché les ombres. Il y a aussi des lumières. Le Play est un « honnête homme » dans le meilleur sens du mot; sa grande figure domine la fin du siècle, car il indique la voie que prendront les thèses nouvelles inspirées « de l'individualisme, de cet individualisme qu'il croyait renier et qu'il a amélioré. Nous savons que la moralité n'était pas absente des doctrines antérieures, mais elle demeurait sous-entendue, inexprimée, à l'arrière-plan. Désormais elle aura sa place dans l'économie politique, une place d'honneur.

Rattachant la morale à l'économique, Le Play a dégagé la notion d'une « nature des choses sociales » et a été appelé par M. Divisia le Walras et le Quesnay de l'économie sociale. Nul mieux que lui n'a dénoncé l'immoralité croissante, le déséquilibre interprofessionnel, l'exagération d'accélération du rythme de la vie. Il a joué le rôle précurseur sur bien des points touchant à la conception du chef, au rôle de la famille dans l'économie, à la nécessité de la hiérarchie dans la société. Il reste dans l'histoire le défenseur de cette disposition constante de l'âme à faire le bien que plusieurs de nos contemporains méconnaissent à tel point dans notre société qu’ils n'osent plus l'évoquer sans esquisser quelque absurde sourire et qui s'appelle la vertu.



Retour au texte de l'auteur: Frédéric Le Play Dernière mise à jour de cette page le Lundi 30 juin 2003 12:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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