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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin.
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Frédéric Le Play, Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin. Paris: Librairie Dalloz, 1947, 316 pages. Collection des grands économistes. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole.

Préface
L'homme et l'œuvre
La méthode monographique
La méthode historique
La construction
l° La morale et la religion
2° La famille
3° La société

La question ouvrière
L'évolution de l'humanité
Appréciation

- 6 -
L’ÉVOLUTION DE LA SOCIÉTÉ.
Cette partie est la plus faible de l'œuvre de Le Play, mais nous ne devons pas la passer sous silence, car il est bon de connaître les insuffisances de notre auteur pour l'apprécier ensuite correctement.

Le Play pose une règle inspirée par ses observations : le bonheur des hommes a décru à mesure qu'ils se sont éloignés de la région boréale. Celle-ci commence au 72e degré de latitude et finit soit au 60e degré (Baltique, mer du Nord), soit au 50e (Amérique), soit au 45e (Europe orientale, Asie). Au nord de ces étendues dominent les eaux marines exploitées par des pêcheurs, au centre les forêts d'arbres résineux où vivent des chasseurs, au midi des steppes parcourues par des pasteurs et des chasseurs. Ce sont là des « races simples ». La décroissance du bonheur se manifeste dans cette région même, lorsqu'on va du nord au sud. « Plus la chaleur du climat augmente, plus il est difficile au peuple et surtout aux gouvernements de pratiquer la loi morale et d'éviter la corruption » (L'École de la paix sociale, p. 14 et suiv.).

Mais en quoi consiste ce bonheur ? Simplement dans la paix sociale, ce n'est nullement un « genre de bien-être », comme il le nomme (d°, p. 23). Et pourquoi en est-il ainsi ? Parce que les infractions à la loi morale sont rares, non en raison d'une perfection naturelle plus grande des hommes, mais parce que le froid amortit les appétits sensuels et parce que la rareté des produits empêche les vols et les accumulations. D'où il suit qu'il n'y a là aucune moralité. Le Play le reconnaît, sans y prendre garde, lorsqu'il prétend que ces races « sont presque obligées de pratiquer la loi morale ». Là où il y a contrainte, il n'y a pas moralité.

Il résulte de cette conception singulière que « le sol le plus propre à créer le bonheur est le moins apte à nourrir ses habitants ».

Le Play cite en exemple la race pastorale heureuse qui vivait cinquante siècles avant l'ère moderne en Asie centrale. Il admet encore que le prétendu bien-être – qui n'est, somme toute, qu'un minimum d'existence – dont jouissaient ce peuple et tous ceux qui vivaient dans les régions boréales, est inférieur à ce véritable bien-être qui a existé dans les pays chauds ou tempérés et qu'il nomme « prospérité ». On voit ici une ancienne idée prendre une forme nouvelle : l'antinomie du bonheur, défini par la paix sociale dans la moralité, et de la prospérité, considérée en tant que richesse matérielle. Le Play ne s'aperçoit pas qu'il aboutit à une étrangeté, pour ne pas dire plus : le paradis terrestre dépeint comme une étendue herbeuse balayée par des vents glacés ! Que les gens des tropiques soient plus corruptibles que ceux des zones tempérées, c'est possible, encore que le fait ne soit pas prouvé, mais que ceux des régions polaires doivent être regardés avec envie, au nom de la morale, c'est un paradoxe et une inexactitude. Le Lapon, qui n’a pas trop de toutes ses forces pour vivre, jouit sans doute d'une certaine paix sociale, mais l'Européen qui garde une pensée droite et qui agit correctement dans la société mêlée des grandes villes, a une valeur morale bien supérieure.

Dans « La Constitution essentielle de l'humanité », ouvrage achevé quelques mois avant sa mort, Le Play poursuit l'étude de l'évolution des sociétés, mais il rejette l'évolutionnisme proprement dit en tant que doctrine de progrès. Les évolutionnistes prétendent que l'humanité marche vers le bonheur, or il n'en est rien : les peuples, comme les individus, jouissent du libre arbitre, « ils ne sont fatalement voués ni au bien ni au mal et l'on ne saurait discerner dans l'histoire d'aucun d'eux une succession nécessaire de jeunesse ou de progrès, de vieillesse ou de décadence. Quel que soit leur passé, ils restent maîtres de leur avenir » (Réforme sociale, I, p. 14).

Historiquement, trois époques se sont succédé sur terre : le premier âge de l'humanité correspondant à l'organisation primitive du travail, s'appelle l'âge des herbes. Les hommes de ce temps vivent à l'état nomade ou demi-sédentaire, ils sont des pasteurs, ils se livrent à la chasse et à la pêche. Leurs outils sont simples, l'esprit de tradition règne, l'individu a le sentiment du bonheur dont il jouit. Il aime, somme toute, la vie aventureuse, la lutte contre le hasard. On sent que Le Play a senti la beauté de la steppe russe qu'il a parcourue et qu'il poétise quand il en parle.

Le deuxième âge survient lorsque l'homme attelle un animal domestique à la charrue, au lieu de se borner à mettre directement en œuvre l'effort de ses bras. C'est l'âge des machines. Le cultivateur est celui qui comprend que son bien-être n'est pas attaché nécessairement au maintien du territoire dans sa forme originelle et qui entreprend de modifier la nature. La conciliation de la nouveauté et de la tradition s'opère dans son esprit.

Ces races du deuxième âge, après avoir inventé les machines mues par les animaux, ont remplacé ces moteurs coûteux par la force plus économique des vents et des eaux courantes. Elles ont ainsi développé les industries : les barques à voile ont favorisé la pêche côtière ; l'art forestier et l'art minier ont offert aux peuples de nouvelles occupations ; l'industrie manufacturière a permis la multiplication des ateliers. Les nouveautés se sont surtout accumulées depuis le début du XVIe siècle : elles finissent par régner en maîtresses et provoquent trois phénomènes principaux : les inventions, l'amélioration des transports, l'extension des villes.

Le troisième âge, celui de la houille se caractérise par « l'accélération extraordinaire du mouvement qui entraîne vers la nouveauté les choses, les idées et les hommes ». Il diffère donc du précédent en degré et non en nature. Les peuples poursuivent les conquêtes entreprises pendant le deuxième âge, mais « avec une force inouïe d'accélération dans l'exploitation du territoire, le travail de la matière et la culture de l'intelligence ». Ils se persuadent que l'humanité doit connaître un progrès continu. Ainsi les voies ferrées « transforment l'homme lui-même. Elles ébranlent, par une impulsion brusque, le cœur et l'esprit des populations, en les soumettant plus étroitement que jamais aux dures alternances de la souffrance et de la prospérité ».Au cours de l'examen qu'il fait de cette évolution, Le Play met l'accent sur une vérité élémentaire. Ce n'est pas le fait de la nouveauté qui est fâcheux, c'est la brusquerie de cette nouveauté. Il ne le dit pas ainsi, en sorte qu'il semble souvent un pur traditionaliste et donne prise à la critique, mais c'est bien ce qui ressort de la lecture attentive de plusieurs passages de la Constitution essentielle de l'humanité. Il est certain qu'une stagnation est fâcheuse en ce qu'elle cristallise l'esprit et dépersonnalise l'homme, lui fait perdre le sens de la vie, le rend semblable à la matière, mais il est, non moins certain qu'une évolution très rapide est un mal, surtout parce qu'elle crée des déséquilibres, des difficultés de réajustement, en particulier cette disparité avec l'évolution morale dont nous avons déjà parlé.


La suite: Appréciation

Retour au texte de l'auteur: Frédéric Le Play Dernière mise à jour de cette page le Lundi 30 juin 2003 11:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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