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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin.
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Frédéric Le Play, Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin. Paris: Librairie Dalloz, 1947, 316 pages. Collection des grands économistes. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole.

Préface
L'homme et l'œuvre
La méthode monographique
La méthode historique
La construction
l° La morale et la religion
2° La famille
3° La société

La question ouvrière
L'évolution de l'humanité
Appréciation

- 3 -
LA MÉTHODE HISTORIQUE.

Explorant l'immense champ d'observations que lui offre l'histoire, appliquant dans ses voyages à travers le temps le même esprit scientifique et critique que lors de ses voyages à travers l'espace, Le Play découvre que l'opinion a été souvent induite en erreur et entreprend des rectifications. Dans ce but, il recourt aux sources existant à son époque. C'est ainsi que, parlant de la condition des serfs au Moyen Âge, il se réfère aux prolégomènes du polyptyque d'Irminon (commentaire sur l'état des hommes, biens et droits de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés au IXe siècle, par Benjamin Guérard, 1844).

C'est en connaissance de cause, par conséquent, que dans une de ses lettres-préfaces, il vitupère « les lettrés qui exercent indûment chez nous l'enseignement de l'histoire » (préface à l'ouvrage de Xavier Roux: Les utopies et les réalités de la question sociale) et qu'il s'insurge contre les « vieux clichés » reproduits sans vérification. Ainsi, sous l'influence des faux savants, le public se persuade que la nation française, antérieurement à la Révolution, «ne se composait guère que de victimes et de bourreaux» (Réforme sociale, I, p. 22), qu'une «oppression permanente» régnait sur le bas peuple et que l'«antagonisme» était la marque de l'Ancien Régime. Or cet antagonisme est au contraire une des caractéristiques du XIXe siècle. Jadis les propriétaires vivaient en grand nombre sur leurs terres et les patrons étaient en paix avec leurs ouvriers. «Autrefois, après la lutte, on trouvait dans l'atelier et dans la maison la paix et un repos réparateur; aujourd'hui, la lutte est dans la maison même, elle continue d'une manière sourde lorsqu'elle n'éclate pas ouvertement; elle mine donc incessamment la société en détruisant toute chance de bonheur domestique» (Réforme sociale, I, p. 25).

Qu'on ne s'imagine pas que Le Play cherche de la sorte à réhabiliter l'Ancien Régime. Il n'est pas aveugle. Il projette une lumière crue sur les débauches de la Cour, la corruption des classes dirigeantes, l'absentéisme des seigneurs, il déplore la centralisation excessive qui nous achemine déjà vers la bureaucratie et considère même comme favorable à certains égards la réaction des philosophes au XVIIIe siècle, propagateurs d'idées de justice, de dignité, de fraternité; il, dégage surtout, les lourdes responsabilités morales qui pèsent sur Louis XIV dont ses successeurs ont été les trop dociles imitateurs.

Mais tous ces maux ne sont rien à côté de ceux auxquels la Révolution a donné naissance. En 1789 ont surgi les «faux dogmes» qui ont perverti les générations ultérieures, à savoir : la liberté systématique, l'égalité providentielle, le droit de révolte. Examinons sommairement chacun d'eux.

La liberté systématique. L'épithète ici est essentielle. C'est une erreur de regarder Le Play comme anti-libéral. Quand Charles Dunoyer, cet apôtre intransigeant de la liberté, est venu défendre ses idées à la Société d'économie sociale, «il nous a trouvés si libéraux, raconte Le Play, qu'il a voulu de suite être admis parmi nous» (lettre du 12 décembre 1860). Mais si Le Play ne dénie pas le principe de la liberté, il lui refuse un caractère absolu. Il sait que les tendances vicieuses de l’homme empêchent cette liberté si précieuse de jouer un rôle bienfaisant, à moins que l'autorité ne vienne canaliser et orienter son action. Il se rapproche du point de vue adopté aujourd'hui par les néo-libéraux en considérant qu'elle est un précepte d'ordre secondaire et qu'elle doit être «tempérée et souvent interdite par les préceptes non moins respectables qui imposent la hiérarchie sociale et l'autorité» (Réforme sociale, II, p. 14). On aurait aimé que Le Play marquât mieux encore sa volonté de prendre la liberté comme moyen, non comme fin, mais il n'a pas poussé plus loin ses réflexions et il est resté au seuil de la séparation féconde que, pour notre part, nous traçons entre l'individualisme et le libéralisme, et qu'il a ignorée.

L'égalité est un des buts assignés aux civilisations européennes par bien des historiens, mais les inégalités s’accroissent en raison de l'accumulation des richesses et de la complexité croissante du travail. Telle est l'opinion de notre réformateur qui voit aussi dans l'égalité un principe secondaire. Sa pensée, dans ce cas comme dans le précédent, est nuancée et l'adjectif providentiel qui caractérise la forme de liberté dont il fait la critique revêt une particulière importance. Ses vives attaques contre Rousseau et de Tocqueville éclairent sa conception à cet égard.

Rousseau est à ses yeux un coupable n° 1 ; il a accrédité la légende de la bonté naturelle de l'homme et de l'égalité criminelle, hypothèses erronées et dangereuses. De Tocqueville, de son côté, soutient que le développement graduel de l'égalité est un fait providentiel ; il « considère comme frappé d'une irrémédiable impuissance le milieu où il est né» et se persuade «que la réforme sociale ne peut être opérée que par la classe inférieure». Le Play le prend à partie, à plusieurs reprises, en particulier dans sa lettre-préface à l'ouvrage de Claudio Jannet sur «Les États-Unis contemporains» et dans une lettre à Ampère datée du 10 août 1841. Ch. de Ribbe, dans le livre qu'il a consacré à Le Play, a fort bien mis en lumière l'altitude de cet économiste qui cherche, par ailleurs, des excuses à de Tocqueville dont il reconnaît les éminentes qualités. Il est vrai qu'à cette époque l'illustre auteur de la «Démocratie en Amérique» subissait une crise morale; il se prétendait atteint d'un «mal philosophique» et allait jusqu'à se comparer à un navigateur privé de boussole, de voile et de rames, qui se couche au fond du bateau et attend l'avenir. Le Play le réprimande avec raison: «il faut parler haut et ferme, dit-il, il faut montrer l'abîme ouvert et crier gare» (Ch. de Ribbe: Le Play d'après sa correspondance, p. 109).

Le droit de révolte est le faux dogme qui choque le plus Le Play. Il a été proclamé pour la première fois en 1789 dans une constitution écrite. Les révolutionnaires, pour légitimer leur propre action, ont substitué «l'esprit de violence à l'esprit de paix». Ils n'ont pas réagi contre la tyrannie organisée depuis 1661 par les dirigeants de l'Ancien Régime, ils l'ont revêtue d'une nouvelle forme, – observation profonde – Ils ont libéré l'homme de toute contrainte, lui ont donné le droit d'apprécier tout ordre reçu et de l'exécuter ou non. Sans doute devait-on corriger les abus qui s'étaient multipliés sous la monarchie, mais «la rupture des liens sociaux et l'adoption des faux dogmes ont engendré des maux pires que ceux d'autrefois». On sent que Le Play a profondément souffert en contemplant les scènes révolutionnaires de 1830 et de 1848, et qu'il a vécu, comme un grand nombre d'hommes de sa génération, dans le souvenir encore vivace des horreurs perpétrées sous la Convention. Ces explosions, dont sont responsables aussi bien les bourgeois autrefois que les gens du bas peuple en son temps, ne sauraient constituer des remèdes: «Les abus [de l'Ancien Régime] ont disparu en partie, mais nous conservons les erreurs que la passion a propagées» et: «Le seul moyen de glorifier définitivement la révolution de 1789 est de la terminer» (Réforme sociale, I, p. 29).

L'histoire, selon Le Play, est caractérisée par une alternance des époques de tradition, qui sont progressives et réformatrices, et des époques d'innovation, qui sont décadentes et révolutionnaires. La supériorité des premières est pour lui une vérité incontestable.


La suite: La construction
l° La morale et la religion
2° La famille
3° La société

Retour au texte de l'auteur: Frédéric Le Play Dernière mise à jour de cette page le Lundi 30 juin 2003 11:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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