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Collection « Les auteur(e)s classiques »

L’EXISTENCE ET LA VALEUR.
Leçon inaugurale et résumé des cours au Collège de France, 1941-1951.

Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis LAVELLE  (1883-1951), L’EXISTENCE ET LA VALEUR. Leçon inaugurale et résumé des cours au Collège de France, 1941-1951. Paris: Documents et inédits du Collège de France, 1991, 149 pp. Une édition numérique réalisée par un bénévole qui souhaite conserver l'anonymat sous le pseudonyme “Antisthène”, un ingénieur à la retraite de Villeneuve sur Cher, en France.

[9]

L’EXISTENCE ET LA VALEUR.

Leçon inaugurale et résumé des cours
au Collège de France, 1941-1951.


Préface

par Pierre Hadot
Professeur au Collège de France


M. Foucault a dit : « S’il est vrai que la philosophie grecque a fondé une rationalité dans laquelle nous nous reconnaissons, elle soutenait toujours qu’un sujet ne pouvait avoir accès à la vérité à moins de réaliser d’abord sur lui un certain travail qui le rendrait susceptible de connaître la vérité. Le lien entre l’accès à la vérité et le travail d’élaboration de soi par soi est essentiel dans la pensée ancienne et dans la pensée esthétique » [1]. Cette liaison entre l’accès à la vérité et l’élaboration de soi par soi était essentielle aussi dans la pensée de L. Lavelle : « La vérité ne peut jamais pénétrer que dans une conscience qui s’en montre digne ». « La vérité est un acte vivant... on ne peut la trouver sans la produire en soi et sans inviter autrui à la produire aussi en lui-même. Elle se prouve par son efficacité, par la communication qu’elle établit entre nous et l’univers, entre nous et tous les autres êtres dans la connaissance du même univers (L’erreur de Narcisse, p. 168 et 229) ». Car, pour lui, si la démarche fondamentale de la philosophie consistait à prendre conscience de soi, cette prise de conscience du moi n’était pas la découverte d’un objet, d’une essence déjà achevée (une telle conception était, à ses yeux « l’erreur de Narcisse »), mais l’expérience d’un acte, « d’un acte que nul être au monde ne peut accomplir à notre place » (Leçon inaugurale), « un acte dont je dispose et qui met en jeu ma liberté, c’est-à-dire le pouvoir de créer moi-même ce que je suis », (Cours de l’année 1941-1942). Exactement, le fait primitif, d’où peut partir la philosophie, était pour [10] L. Lavelle, ma propre insertion dans le monde, « ma responsabilité à l’égard de moi-même et du monde ». « L’expérience avec laquelle commence tout à la fois l’émotion que la vie nous donne et la révélation de notre être propre, ne consiste donc pas dans le spectacle déployé devant notre regard et dont nous faisons nous-même partie, mais dans la mise en jeu d’un mouvement que nous sommes capable d’accomplir, qui dépend de notre seule initiative, qui nous éveille à la conscience de nous-même et qui, en changeant l’état du monde, nous montre l’empire même dont nous disposons. Dès que je suis attentif au pouvoir que j’ai de remuer le petit doigt, je répéterai cent fois ce geste avec le même émerveillement. À ce moment-là seulement je commence à saisir le réel par le dedans, c’est-à-dire dans l’activité même dont il dérive, qui forme mon être même et que j’ébranle ou que je retiens par une simple décision qui dépend de moi seul. Cependant le mouvement n’est ici que le signe et le témoin d’une activité plus secrète. Mais il suffit à montrer qu’au lieu de me trouver pris dans un devenir sans fin où je ne cesse de m’échapper à moi-même, je ne saisis au contraire ce que je suis que dans cet acte par lequel je m’arrache moi-même au devenir pour recommencer sans cesse à être, et sans lequel je ne percevrais pas le devenir lui-même. C’est là un acte de création qui est toujours un consentement à ce que je veux penser, produire ou être (De l’acte, p. 10). »

On ne peut prendre conscience de cet acte que nous sommes qu’en l’accomplissant en quelque sorte, donc par une action de soi sur soi, une conversion, conversion d’ailleurs toujours fragile et précaire, qu’il faut reconquérir à chaque instant, mais qui change à la fois notre être et notre conscience. Comme le dit L. Lavelle (De l’acte, p. 472) : « L’acte est toujours acte de volonté ». « L’acte volontaire constitue la conscience elle-même ». « Il crée la lumière qui l’éclaire ».

Cette prise de conscience, puisqu’elle est prise de conscience de « mon » insertion dans le tout, est une expérience de « présence », présence du moi aux autres « moi », présence du moi au Tout, du Tout au « moi », c’est l’expérience de ce que L. Lavelle appelait la présence totale, l’être total se confondant avec la mutualité de toutes les présences ou possibles.

Une des principales caractéristiques de la philosophie de L. Lavelle, c’est de prendre pour point de départ de la philosophie le « moi vivant » comme le dit la Leçon inaugurale, donc le moi vivant dans un corps, [11] « qui fonde son existence, non point en se séparant de l’univers, mais en communiquant avec lui ». C’est pourquoi Maurice Merleau Ponty, dans sa propre Leçon inaugurale (et dans les notes qu’il y a ajoutées), soulignait à juste titre l’importance du rapport au monde, de la temporalité, on pourrait même dire, de la finitude, dans la philosophie de L. Lavelle : « L’absolu habite chacune de nos entreprises, en tant qu’elle est faite une fois pour toutes et ne recommencera jamais plus. Il vient à notre vie de sa temporalité même »... En faveur de cette interprétation, on pourrait citer ce beau texte, tiré de L’erreur de Narcisse (p. 200), où transparaît si bien l’importance de l’unicité du présent et du « monde », aux yeux de L. Lavelle : « L’habitude me rend aveugle et indifférent à l’égard de toutes les choses extraordinaires qui remplissent le monde, de la lumière, du mouvement de ma propre existence, et de vous qui m’adressez la parole et qui tout à coup venez au devant de moi : mais sans elle, je ne verrais partout que des objets d’épouvante ou des présences miraculeuses. L’enfant sait bien que ce sont les objets les plus familiers qui, quand il les fixe pendant un moment en oubliant tout à coup leur usage, lui apportent le plus d’étonnement. Et l’art le plus parfait est celui qui nous les montre dans une sorte de révélation, comme si nous les voyions pour la première fois. Ainsi sans l’habitude, la réalité s’offrirait à nous d’une manière si directe et si vive, que nous n’en supporterions pas la vue. Nous demandons à l’habitude une sorte de sécurité. Or toutes les entreprises de l’esprit visent non pas, comme on le dit, à l’acquérir, mais à la rompre, afin de découvrir le spectacle fabuleux qu’elle recouvre et qu’elle dissimule toujours. Ainsi les hommes ont bien tort de mépriser l’humble objet qu’ils ont sous les yeux, de faire des rêves stériles d’avenir, d’imaginer au-delà de la mort un monde qui comblerait enfin leur attente. Tout le réel leur est donné, mais il est difficile d’en obtenir une image pure. Ce n’est pas en dépassant l’apparence, comme on le dit toujours, qu’on parviendra à saisir la vérité ; car nous avons toujours besoin d’une vérité qui apparaisse, et les plus grands esprits nous rendent apparent ce qui jusque-là nous avait échappé et que l’habitude tout à l’heure ensevelira. Ni derrière le monde, ni au-delà de la mort, il n’existe une autre réalité que celle que nous contemplons aujourd’hui ; mais les uns la repoussent pour courir après les chimères ; les autres trouvent en elle, selon leur puissance d’amour, toutes les joies de la terre et toutes celles du paradis ».

[12]

L. Lavelle avait exposé l’intuition philosophique, dont nous avons essayé de définir brièvement le contenu, d’une part dans de grands traités métaphysiques, réunis sous le titre : La dialectique de l’éternel présent (1928-1951 : De l’être, De l’acte, Du temps et de l’éternité, De l’âme humaine), d’autre part dans des ouvrages plus courts et plus accessibles au grand public. Les grands traités métaphysiques se présentent comme des suites de théorèmes, démontrés ou commentés, qui développent toutes les implications conceptuelles de l’expérience vivante qu’il mettait au point de départ de la philosophie. Ces livres sont austères, d’accès difficile. Les lire attentivement serait, pourtant, certainement un exercice philosophique très fructueux. Les ouvrages plus courts et plus simples : La conscience de soi (1933), L’erreur de Narcisse (1939), nous révèlent un tout autre aspect de L. Lavelle. Je dois avouer que, depuis plus d’une quarantaine d’années, j’ai lu, relu, médité L’erreur de Narcisse. J’aime tout dans ce livre : sa forme littéraire, ses chapitres très courts, d’une ou deux pages, qui invitent à la méditation, le style limpide qui se situe dans la tradition des grands moralistes français, l’atmosphère de lumière, de transparence, de simplicité, de pureté, la finesse et la profondeur des analyses morales et psychologiques.

Dans L’erreur de Narcisse, apparaît non pas une morale, mais la description d’une forme de vie, d’un mode d’exister, inspiré par l’expérience fondamentale lavellienne, la prise de conscience du moi et de la réalité, non pas comme objet (c’est précisément l’ « erreur de Narcisse »), mais comme acte, comme présence, comme source. De cette intuition naît la représentation d’un mode d’activité qui sera d’autant plus parfaite qu’elle sera « éprouvée comme un pur consentement à être et à vivre ». « Il faut que chaque acte de ma vie, chaque pensée de mon esprit, chaque mouvement de mon corps soient comme un engagement et une création de mon être même ». « La seule activité qui soit réelle, efficace et bienfaisante est celle qui s’exerce invisiblement... celle qui change les esprits ». « L’action la plus profonde est une action de pure présence ». « On n’a d’action sur un autre être que si l’on ne veut pas en avoir ». « Nul n’agit que par ce qu’il est et non point par ce qu’il vise ». « Nul ne peut connaître la vie de l’esprit si la douceur lui est étrangère. L’animosité, l’amertume ou l’aigreur que l’on rencontre chez quelques-uns sont les marques de l’amour propre ; elles ont un goût de chair qui se mêle alors à toutes leurs pensées, quelles qu’en soient la force et la grandeur ». « Si Pyrrhon, qui est le prince des sceptiques, pratiquait, comme on le dit, [13] la douceur véritable, et non point l’indifférence, c’est qu’il y avait chez lui, derrière tous les doutes de la pensée, une participation délicate à l’être et à la vie qu’auraient pu lui envier beaucoup de ceux qui se prononçaient sur de tels problèmes avec plus de hardiesse (p. 74 ss. ; p. 196 ss.). »

Que le lecteur nous pardonne, d’avoir, dans une si brève préface, cité littéralement autant de textes de L. Lavelle, mais j’ai pensé qu’il fallait le faire parce que à peu près tous les écrits philosophiques de L. Lavelle sont épuisés et ne se trouvent plus dans le commerce : il était peut-être bon par quelques exemples de laisser entrevoir ce qu’était le frémissement presque lyrique du style de ce philosophe.

C’est aussi la raison pour laquelle il faut saluer avec reconnaissance la publication, dans la collection Conférences, essais et leçons du Collège de France, de la Leçon inaugurale et des résumés de cours de celui qui fut titulaire de la Chaire de Philosophie au Collège de France de 1941 à 1951. À ces textes, ont été joints également d’une part l’émouvant Témoignage, paru dans les Études philosophiques de 1951, après la mort du philosophe et qui retrace son itinéraire spirituel, d’autre part une évocation de la figure de L. Lavelle par l’un de ses collègues du Collège de France, J. Baruzi.

Dans la Leçon inaugurale, L. Lavelle définit par rapport à ses prédécesseurs E. Le Roy et H. Bergson et toute la tradition française, sa conception de la philosophie et le programme de ses recherches pour 1941 : l’existence et la valeur. Dans les Cours de la première heure, L. Lavelle a repris et approfondi les grands thèmes qui se cristallisent autour de son intuition fondamentale ; il précise le sens, dans cette perspective, des notions d’existence, de valeur, de participation, d’être et de connaître, les rapports du temps avec l’espace, de l’âme avec ses puissances, de l’idée avec l’esprit, de la passion avec la conscience. A la seconde heure, est reprise, dans les trois premières années, une recherche entreprise dans son premier livre La dialectique du monde sensible et destinée à montrer la liaison étroite qui existe entre les fonctions particulières des différents sens dans l’acquisition de notre expérience du monde et les fonctions fondamentales de la conscience. Les années suivantes, L. Lavelle préfère traiter des sujets d’histoire de la philosophie : Descartes, Malebranche, Leibniz, Spinoza, Plotin et Aristote.

[14]

Tous ces textes permettront à nos contemporains un premier contact avec une pensée qui n’avait d’autre ambition que d’éveiller les autres esprits à la conscience de soi. Comme le dit la Leçon inaugurale : « La philosophie est toujours actuelle et personnelle : il n’y a de philosophie que d’aujourd’hui, celle que je puis maintenant penser et vivre. La philosophie la plus ancienne, dès qu’un esprit s’en empare, recommence une autre carrière, comme s’il l’avait lui-même créée ».

P. H.


[1] H. Dreyfus et P. Rabinow, Michel Foucault, Paris, 1984, p. 345.



Retour au livre de l'auteur: Louis Lavelle (1883-1951) Dernière mise à jour de cette page le lundi 15 septembre 2014 14:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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