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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Louis Lavelle, LE MOI ET SON DESTIN. (1936)
Avertissement


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Louis Lavelle, LE MOI ET SON DESTIN. Paris: Aubier, Les Éditions Montaigne, 1936, 231 pp. Une édition numérique réalisée par un bénévole qui souhaite conserver l'anonymat sous le pseudonyme “Antisthène”, un ingénieur à la retraite de Villeneuve sur Cher, en France.

[7]

LE MOI ET SON DESTIN

Avertissement

Nous avons recueilli ici seize chroniques philosophiques qui ont paru dans le Temps : nous avons voulu ainsi répondre à un vœu qui nous avait été souvent exprimé par les lecteurs de ce journal et donner satisfaction en même temps à un public plus large qui montrait pour elles la même curiosité ; nous leur avons maintenu leur ancien titre afin de ne point dérouter ceux qui en ont gardé un souvenir assez fidèle. Nous les avons reproduites exactement, en les dépouillant seulement de quelques détails qui étaient destinés à leur donner place dans l’actualité.

Ces chroniques ont été écrites à l’occasion de nos lectures. Au début de chacune d’elles, [8] nous mentionnons le livre qui l’a suggérée. Mais nous n’en faisons point une recension : il est pour nous le point de départ d’une méditation personnelle à laquelle nous voudrions associer tous ceux qui nous lisent. Car nous ne cherchons ce que les autres ont pensé qu’afin de savoir ce que nous devons penser nous-même. L’intérêt psychologique ou historique que nous portons à une doctrine est toujours surpassé par l’intérêt que nous portons à la vérité : chaque doctrine est pour notre esprit une excitation, un exemple et une épreuve. De là l’unité que ce livre a acquise sans aucun effort. On y reconnaîtra partout la même inspiration, soit dans les choix que nous avons faits, soit dans la convergence même à laquelle nous essayons de réduire les perspectives les plus différentes.

Les individus sont toujours vivement frappés par ce qui les sépare ; et, pour assurer la victoire de leurs préférences, ils engagent entre eux un combat dans lequel ils acceptent de triompher ou de succomber. Mais la conscience humaine est indivisible : elle est présente tout entière en chaque homme ; et il trouve en lui les mêmes conflits qui l’opposent à autrui. Dans les ouvrages de l’esprit nous cherchons toujours cette pensée vivante dont nous sentons le germe au fond de nous-même et qui [9] doit obtenir en nous-même aussi la croissance et la maturité. Nous sommes tous les habitants du même monde et nous participons à la même existence. Notre sort est le même et si chacun n’aperçoit qu’une parcelle de la vérité, toutes ces parcelles sont accordées. C’est que la même conscience qui est propre à chacun est commune à tous. Et c’est la déchirer que de mettre les individus aux prises, quand ils doivent rester les uns pour les autres des médiateurs. En rassemblant ici des pensées d’origine très différente, en les ramenant vers le même foyer, nous voudrions rapprocher aussi tous ceux qui, ne saisissant de la vérité que des traits dispersés, ne reconnaissent pas toujours en eux la même lumière.

Nous avons groupé ces seize méditations autour de ce titre : Le moi et son destin. Car il n’y a pour aucun homme de problème plus émouvant que celui de la conscience qu’il peut acquérir de lui-même, de la signification profonde de son existence et de la situation qu’il occupe dans l’ensemble du monde : tel est l’objet même de la philosophie. Il nous est apparu qu’il pouvait être ramené à quatre thèmes principaux : le premier est celui de l’intimité, par laquelle chaque être oppose au spectacle qu’il a sous les yeux cette expérience secrète qu’il fait de soi par un acte qu’il est [10] seul à connaître, qu’il dépend de lui d’accomplir, qui remplit sa durée et qui est un acte indivisible de pensée, de volonté et d’amour. Le second est celui de l’anxiété, qui donne à la conscience son acuité la plus vive, à laquelle nul être n’échappe dès qu’il se voit lui-même émerger du néant, comme une possibilité pure qu’il lui appartient d’actualiser, en déterminant à jamais l’être même qu’il deviendra un jour. Le troisième est celui de la liberté, qui est la source même de l’anxiété, liberté dont il peut toujours faire mauvais usage, qui crée sa responsabilité et trouble sans cesse sa conscience, qui oscille entre le caprice et le devoir, et sans laquelle il serait incapable de se constituer lui-même en tant que personne. Le quatrième enfin est celui de l’éternité, qui n’est point au delà du temps, mais qui est la véritable raison d’être du temps, s’il est vrai que le temps est le moyen par lequel chaque être parvient à se créer lui-même grâce à une conversion que la mort seule achève de son être possible en son être réalisé.

On s’étonne parfois qu’il y ait dans la philosophie d’aujourd’hui un primat du sentiment sur la raison : mais le rôle du sentiment ne doit être que de nous enraciner profondément dans l’existence et, au lieu, comme il arrive, de nous dispenser de l’usage de la raison, d’obliger [11] celle-ci à maîtriser la vie elle-même et à ne point s’évader dans l’abstraction. On s’étonne aussi de la place qu’y tient l’anxiété qui suspend notre souffle et nous paralyse ; mais elle n’est là que pour nous donner la conscience de la gravité de cette vie qui est remise entre nos mains : il faut l’avoir traversée pour qu’elle nous permette d’assumer la responsabilité de notre être métaphysique, il n’y a qu’elle qui puisse se changer un jour en une espérance infinie.

Qu’il le veuille ou non, l’homme ne se détache jamais de ces préoccupations. Elles ne se laissent point oublier. Partout et toujours, elles forment l’essence même de sa vie. Jamais elles n’ont eu plus de poids qu’à l’époque présente. Elles ne doivent point détourner notre regard des événements qui menacent la vie des individus ou celle des peuples ; elles nous permettent au contraire de les mesurer et d’être toujours à leur niveau. Où trouverons-nous la force de les affronter, d’y répondre ou de les réparer, sinon dans cette conscience de notre destinée intérieure qui ne se réalise que par nous et dont les événements ne sont jamais que les véhicules ?

Nul individu aujourd’hui ne peut se mettre à l’abri dans une vie exclusivement contemplative ; et la contemplation n’est jamais que la [12] récompense de l’action la plus pure. Le moment est venu de rassembler toutes les forces de la vie spirituelle, de retrouver en nous cette participation à l’absolu qui permet à tous les hommes de reconnaître la communauté de leur destin. Puissent-ils apprendre, en le méditant, que les plus grands de tous les biens, ceux que chacun doit chercher à obtenir pour soi et à partager avec tous, sont la lucidité, le courage et la douceur.



Retour au livre de l'auteur: Louis Lavelle (1883-1951) Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 juin 2017 6:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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