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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Essais de persuasion. (1931)
Préface de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir du livre de John Maynard Keynes, Essais de persuasion (1931). Traduction française par Herbert Jacoby. Paris: Éditions Gallimard, 1933, 2e édition. Collection NRF, 278 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l'école Dominique-Racine de Chicoutimi. Un ouvrage fortement recommandé par M. Serge D'Agostino, professeur de sciences économiques.

Préface
par John Maynard Keynes, 1931.



J'ai réuni les croassements de douze années, les croassements d'une Cassandre qui ne put jamais agir à temps sur les événements pour les prévenir. Le volume eût pu s'intituler « Essais de Prophétie et de Persuasion » car malheureusement nous fumes plus prophète que persuasif. Mais ce fut dans le but de convaincre que ces essais furent écrits et ils constituèrent un effort pour influencer l'opinion. Beaucoup d'entre eux furent considérés à l'époque comme des propos excessifs, téméraires et insensés. Je pense que le lecteur qui les parcourra aujourd'hui reconnaîtra que cela tient davantage au fait qu'ils allaient directement à l'encontre de l'opinion et des sentiments courants de l'époque qu'à leur nature même. Tout au contraire je trouve lorsque je les relis - bien que je ne constitue pas un témoin impartial - qu'ils pèchent davantage par modération que par surestimation, si on les examine au jour des événements qui suivirent. Et cela s'explique facilement si l'on considère les conditions dans lesquelles ils furent écrits. Car j'écrivis beaucoup de ces pages en ayant malheureusement conscience du fait qu'une nuée de témoignages surgiraient contre moi, alors qu'il y en aurait peu en ma faveur. Il me fallait donc veiller à ne rien dire que je ne pus matériellement établir. J'étais constamment sur mes gardes m'efforçant (je m'en souviens lorsque je me reporte au passé) de faire preuve d'autant de modération que me le permettaient et la discussion et mes convictions.

Tout ceci s'applique davantage aux trois premières parties de ce volume qu'aux deux dernières, c'est-à-dire aux trois grandes controverses des dix dernières années dans lesquelles je me lançais sans réserves - à savoir, le Traité de Paix et les dettes de guerre, la politique de Déflation et le retour à l'étalon-or (Note 1). Les deux premiers de ces problèmes, et sous certains aspects les trois, se trouvaient étroitement liés. Dans ces essais, l'auteur était pressé, impatiemment désireux de convaincre à temps son auditoire. Mais dans les deux dernières parties, le chariot du temps fait entendre un grincement moins troublant. L'auteur contemple un avenir moins immédiat, et médite sur des faits qu'une lente évolution seule découvrira. Il est plus libre de s'adonner aux loisirs et de philosopher. Et là apparaît plus clairement la thèse qui en vérité forme partout le fond de ses écrits - la conviction profonde que le Problème Économique, ainsi qu'on peut le définir brièvement, le problème de la
misère et de la pauvreté, de la lutte économique entre les classes ou entre les nations, ne provient que d'un affreux malentendu, d'un vain malentendu, momentané et inutile. Car le monde occidental possède déjà les ressources et la technique susceptibles (si nous savions créer l'organisation nécessaire à leur emploi) de ramener le Problème Économique qui absorbe actuellement toutes nos énergies morales et matérielles, à son rôle secondaire.

Ainsi l'auteur de ces essais, malgré tous ses croassements, espère et croit encore que le jour n'est pas loin où le Problème Économique ayant été relégué à l'arrière-plan où il appartient, l'arène de notre coeur et de notre cerveau, seront occupées ou réoccupées par leurs véritables problèmes - problèmes de la vie et des relations humaines, de la création, de la morale et de la religion. Et il se trouve, dans l'analyse des faits économiques, des raisons qui nous montrent comment, même en ce domaine, la foi peut agir. Car si nous conformons tous nos actes à une hypothèse optimiste, cette hypothèse aura tendance à devenir réalité tandis que si nous agissons conformément à une hypothèse pessimiste, nous risquons de nous ensevelir pour toujours dans le puits de la misère,

Ces essais ont été extraits indistinctement de différents écrits de l'auteur ayant déjà paru sous forme de livres, de pamphlets ou d'articles de revues ou de journaux. La méthode que nous nous sommes imposée a consisté à omettre délibérément (sans indication spéciale dans le texte) tout ce qui nous a semblé redondant ou non indispensable dans le développement du raisonnement, ou ce qui a pu perdre de son intérêt avec le temps; mais nous n'avons rien changé dans les textes qui ont été conservés. Nous nous sommes efforcés de faire en sorte que les omissions ne soient pas de nature à faire pencher la balance de la discussion autrement que dans le texte original. Mais l'enquêteur scrupuleux, s'il s'en rencontre, trouvera à la dernière page de ce livre une table des matières avec renvoi pour chaque essai, à l'ouvrage dont il a été extrait, et où il pourra le retrouver dans sa forme intégrale.

J'ai cru devoir choisir cette date pour la publication de ce volume, parce qu'elle marque un point de transition. On parle d'une crise nationale. Mais ceci n'est pas exact pour la Grande-Bretagne, la crise aiguë est passée. Il y a une accalmie dans nos affaires. En cet automne de 1931, nous nous reposons sur un lac paisible entre deux chutes d'eau. L'essentiel est que nous ayons reconquis notre liberté de choisir. Presque personne en Angleterre aujourd'hui, ne croit au traité de Versailles ou à l'étalonor d'avant-guerre, ou à la politique de Déflation. Ces batailles ont été gagnées - surtout grâce à la poussée irrésistible des événements et un peu seulement grâce à la lente usure des vieux préjugés. Mais la plupart d'entre nous n'ont encore qu'une idée très vague de ce que nous ferons à présent de notre liberté reconquise. Aussi aimerais-je invoquer le passé en quelque sorte pour rappeler au lecteur les événements que nous avons traversés, sous quel angle nous les vîmes alors, et la nature des fautes que nous avons commises.

Le 8 novembre 1931.


Notes:

Note 1. Je soutiens encore énergiquement ce que j'écrivais en 1923 dans mes Suggestions positives pour une réglementation future de la Monnaie, avant que nous revenions à l'étalon-or, et qui est reproduit ici dans la troisième partie du volume. Ces propositions demeuraient naturellement en suspens tant que nous conservions l'étalon-or. Mais quiconque voudrait connaître les grandes lignes du plan de l'auteur pour régler notre problème de circulation monétaire tel qu'il se présente aujourd'hui, les trouvera dans cet Essai. (Retour à l'appel de note)


Retour au texte de l'auteur: John Maynard Keynes Dernière mise à jour de cette page le Samedi 28 décembre 2002 10:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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