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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Comment s'est déclenchée la guerre mondiale (1921)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Karl Kautsky, (Secrétaire d'État adjoint des Affaires Étrangères d'Allemagne lors de la Révolution du 9 novembre 1918), Comment s'est déclenchée la guerre mondiale. Avec les documents secrets de la Chancellerie allemande annotés par Guillaume II. Traduit par Victor Dave. Paris: Ancienne Librairie SCHLEICHER, Alfred Costes, Éditeur, 1921, 218 pages. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Paul Murcia, bénévole, professeur de philosophie à Dijon.

Préface
Berlin, 1er Novembre 1919. K. KAUTSKY.


À la suite de la révolution du 9 novembre 1918, les délégués du peuple me demandèrent d'entrer, en qualité de Secrétaire d’État adjoint, au Ministère des Affaires Étrangères. Comme une de mes premières tâches, je m'y appliquai, tout d'abord, à rechercher si des matériaux accablants n'avaient pas été enlevés de ses Archives, ce qu'on craignait fort à cette époque. Je ne pus rien remarquer cependant qui fût de nature à confirmer ce soupçon. Les premières constatations, faites au hasard, me révélèrent, au contraire, l'existence de matériaux importants. Je proposai aux délégués du peuple de publier, en premier lieu, les documents relatifs à l'explosion de la guerre. Le peuple allemand avait incontestablement le droit d'apprendre la vérité sur les hommes qui, jusqu'alors, avaient été ses dirigeants. C'était nécessaire aussi, parce que, par là, on démontrerait clairement à l'étranger méfiant, que la rupture avait été complète entre le nouveau régime et l'ancien.

Les délégués du peuple furent d'accord avec moi et me confièrent le soin de colliger et de publier les documents en question. L'attitude que j'avais observée jusqu'alors garantissait, du reste, que des matériaux gênants ne seraient pas supprimés par moi. On désirait seulement que je ne mette pas sous les yeux du public les documents isolément, un par un, aussitôt après leur découverte, comme Eisner l'avait fait, mais qu'ils ne fussent publiés qu'en un recueil complet, entièrement terminé. Au point de vue politique, cette manière de procéder ne se justifiait guère, parce que la publication des documents — et leur effet favorable pour le nouveau régime, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, — en serait ainsi retardée. Mais cela coupait court, cependant, aux objections des défenseurs de l'ancien régime, qui auraient prétendu qu'on n'avait affaire qu'à des documents tendancieusement choisis et détachés de leur ensemble, n'ayant pas, par conséquent, force démonstrative.

Je ne méconnus pas la valeur de ces considérations et j'agis conformément aux indications données.

Quand, en décembre, mes coreligionnaires politiques Barth, Dittmann et Haase, sortirent du gouvernement, je renonçai, moi aussi, à mon poste de Secrétaire d’État adjoint, tout en me déclarant disposé à continuer à colliger et à publier les documents de la guerre. À cette offre, je reçus la réponse suivante en date du 4 janvier :


« Cher Camarade,
« En réponse à votre lettre du 2 janvier, le gouvernement du Reich vous prie de vouloir bien continuer votre travail comme co-éditeur des documents relatifs à l'origine de la guerre.

« Le gouvernement du Reich,
« ebert ».


Le mot « co-éditeur » se rapporte à ce fait que, depuis quelque temps, on avait pris l'habitude de dédoubler chaque poste supérieur, qui, dès lors, était occupé par un socialiste de droite et par un socialiste indépendant ; on m'avait ainsi adjoint Quarck.

Cette habitude cessa après le départ des indépendants. Quarck mit aussi bientôt fin à sa collaboration et je demeurai éditeur unique de ces documents.

Naturellement, je n'accomplis pas seul tout ce grand travail. Avant de prendre d'autres auxiliaires, j'eus l'assistance dévouée de ma femme qui, depuis plusieurs dizaines d'années déjà, participe, par son aide et ses conseils, à chacune de mes œuvres. Bientôt cependant un bureau spécial d'édition devint nécessaire.

Il fallait accélérer la publication, et moi, à part mes travaux de publiciste, j'étais encore occupé à la Commission de socialisation. Aussi, Quarck et moi, nous étions-nous déjà, en décembre, adressés au docteur Gustave Mayer, lui demandant de mettre à notre disposition toute son activité, à l'effet de recueillir et de classer les documents, quoiqu'il dût, lui aussi, abandonner pour cela quelques travaux qui lui étaient chers. Sur son initiative, nous eûmes encore recours, surtout pour le travail des archives, au docteur Hermann Meyer, archiviste au Bureau des Archives secrètes de l’État, et, au commencement de février, pour accélérer la conclusion du travail, et en raison de l'abondance croissante des matériaux, au docteur Richard Wolff et à Mlle N. Stiebel, diplômée en sciences historiques.

J'ai le devoir de les remercier tous, surtout les deux premiers, pour leur participation dévouée et précieuse à la grande œuvre.

Je fus ainsi mis en mesure d'informer, le 26 mars, le comte Brockdorff-Rantzau que le recueil était complet quant à l'essentiel, et qu'il pourrait être, immédiatement, livré à l'impression. Il restait bien à faire une série de constatations ; par exemple, la date et l'heure de la réception ou de l'expédition, qui ne pouvaient pas être établies exactement pour chaque document sans de nouvelles recherches. Mais ces additions et certaines autres, comme la table des matières, etc., pouvaient être faites au cours de la composition. Il ne fallait plus retarder l'impression, si on voulait établir aux yeux du monde entier, et avant même le commencement des négociations de paix, la preuve la plus évidente, la plus manifeste, que le Gouvernement allemand qui conduisait ces négociations, n'avait rien eu de commun avec celui qui avait déclaré la guerre.

Le gouvernement, évidemment, considéra la chose d'une autre façon. Il remit à plus tard la publication, et fit paraître à la place des documents, un rapport sur l'explosion de la guerre, qui constitua le Livre blanc de Juin 1919, rapport qui a pu être discuté encore dans le présent travail, et qui révéla une chose toute autre qu'une rupture avec la poli- tique du régime déchu.

Pendant que nous attendions, mes collaborateurs et moi, l'invitation de commencer l'impression du recueil de documents, nous nous occupions toujours à éplucher et à compléter les matériaux. Mais, quand la perspective que le gouvernement donnerait bientôt l'autorisation de publier, en vint à diminuer de plus en plus, je ne pus pas conserver plus longtemps mes collaborateurs que d'autres devoirs pressants attendaient. Ils mirent donc un terme à leur travail au commencement de mai ; mais je pouvais compter qu'ils se présenteraient de nouveau, dès que l'ordre d'imprimer aurait enfin été donné.

Cependant cet ordre se fit attendre encore, même après la signature de la paix.

Enfin, au milieu du mois de septembre, on m'appela un beau jour au téléphone au sujet de l'affaire des documents : cet appel ne venait pas du Département des Affaires Étrangères, mais d'un journal qui me demanda s'il était vrai que MM. Mendelssohn, Montgelas et Schücking, et non pas moi, avaient été chargés de la publication. Je ne pus que répondre que j'en savais moins que le journal qui m'interpellait. Je n'apprenais le fait que par la voie de la presse.

Le gouvernement avait réellement été assez déloyal pour confier à d'autres, sans même m'en avertir, la publication du recueil de documents entrepris par moi et exécuté sous ma direction.

Les raisons pour lesquelles j'ai été débarqué, n'ont pas été élucidées par moi jusqu'à ce jour. Le gouvernement ne les a jamais fait connaître.

Son procédé fit, d'ailleurs, si mauvais effet, qu'il se vit forcé d'en atténuer la portée. MM. le professeur Schücking et le comte de Montgelas s'adressèrent à moi, à la fin de septembre, me donnant l'assurance que ce qu'ils songeaient à publier, serait exclusivement mon recueil dans lequel on ne changerait pas une ligne sans mon consentement. On me donnerait également toute facilité de surveiller l'impression. Ils me prièrent d'approuver la publication.

Ils devaient donc seulement, dans l'essentiel, soumettre mon travail à un contrôle que je n'avais pas à craindre et faire la menue besogne que nécessite généralement l'impression définitive d'un ouvrage de ce genre, besogne que je leur abandonnai volontiers.

Puisque ma personnalité n'était rien et que la cause était tout pour moi, je ne vis pas de raison de bouder et je me déclarai prêt à coopérer, à la condition que l'impression commençât immédiatement.

Cela me fut également promis, et c'est ainsi que paraît enfin, à cette heure, le recueil devenu presque légendaire des documents de la Chancellerie relatifs à l'origine de la guerre.

Pendant ce travail, je ne m'étais pas contenté, naturellement, d'enfiler ces documents les uns après les autres. Je voulais établir la connexité intime existant dans cette masse d'environ neuf cents pièces, et les coordonner avec les autres matériaux déjà connus et relatifs à l'origine de la guerre. Je le fis non en accusateur, mais en historien qui veut examiner comment les choses se sont passées.

J'entrepris d'abord ce travail de coordination pour moi-même. Un historien ne peut pas colliger des sources sans en discuter la valeur. Plus mon travail avançait, plus vif aussi devint mon désir de ne pas le garder pour moi seul, mais d'en faire profiter le grand public, qui a moins de temps que moi, et, souvent aussi, moins l'occasion d'étudier soigneusement une si grande quantité de matériaux.

C'est ainsi que, peu à peu, ce livre prit forme. Des parties essentielles en étaient achevées depuis des mois, mais j'en avais toujours retardé la publication, ce qui me permit d'y faire de nouvelles additions et d'y apporter des changements, par exemple, lors de la découverte de nouvelles pièces, principalement dans le Livre blanc allemand de juin et dans les publications du docteur Gooss.

Il m'a fallu beaucoup d'abnégation pour ne pas publier mon écrit, en présence du déluge de révélations sur la guerre que les derniers mois nous ont apportées. Rester silencieux là où j'aurais eu tant à dire, ne fut pas chose facile.

Je me serais bien senti justifié, vu les hésitations continuelles du gouvernement, à faire paraître mon livre avant même qu'il se fût décidé à publier les documents depuis longtemps réunis.

Je n'ai pas travaillé dans les Archives du Ministère des Affaires Étrangères en qualité de fonctionnaire, mais comme historien libre, dès que j'ai cessé d'être Secrétaire d’État adjoint. La preuve en est dans le fait que, depuis ce moment, je n'ai reçu du gouvernement, ni appointements, ni émoluments d'aucune sorte.

Un historien qui utilise des archives ne doit rendre compte à personne de l'usage qu'il fait des fruits de son travail.

Si je me tus quand même, ce fut, non pas pour une considération de droit, mais de politique. Tout l'avantage politique que la publication des pièces aurait pu avoir pour le jugement du peuple allemand par ses adversaires présents, ne pouvait avoir lieu que si elle était faite par le gouverne- ment et non contre lui. Il est vrai que la publication s'imposait aussi, dans ce dernier cas, pour des raisons de politique intérieure. Mais tant que la possibilité existait, que le gouvernement lui-même ferait paraître les documents, je ne voulus pas le devancer par la publication de mon résumé des matériaux.

Maintenant que toutes les pièces sont rendues publiques, je n'ai plus aucune raison d'attendre encore.

Il n'est pas douteux que mes appréciations seront très contestées ; aucune conception de cette guerre n'a, du reste, eu pour elle le consentement unanime. Et aucun langage n'est plus ambigu, plus fait pour être lu entre les lignes, plus apte à des interprétations contradictoires, que celui des diplomates, langage avec lequel nous avons presque exclusivement affaire ici. Seul, l'Empereur n'applique pas la terminologie diplomatique. Sa langue ne laisse rien à désirer quant à la netteté. Et ses annotations marginales offrent la rare satisfaction de présenter, pour cette fois du moins, un Empereur en négligé.

Quoi qu'il en soit, malgré toute la ruse et l'astuce des diplomates, les documents autrichiens ont fait naître une conception presque unanime de la culpabilité de la politique autrichienne. Celui qui est arrivé à les estimer à leur juste valeur n'aura pas de peine, d'après le texte des documents allemands, à arriver aussi à se faire une idée exacte de la politique allemande.

La tentation fut grande de démontrer, à la claire lumière des événements, à quel point le peuple allemand a été égaré par ceux qui, surtout parmi les socialistes de droite, ont attaqué le plus violemment mon attitude et celle de mes amis durant la guerre, et qui avaient été les apologistes les plus résolus de la politique de guerre du Gouvernement de Guillaume. Leur conception n'est vraiment plus aujourd'hui qu'une vaine fumée.

Mais à cause de cela même, il ne servirait de rien de continuer à polémiquer à ce sujet avec les David et les Hilmann, etc. ; la cohésion de mon exposé en souffrirait, et il serait à craindre que ce récit, qui s'adresse à tous ceux qui veulent connaître la vérité sur l'origine de la guerre, ne prît, par une telle polémique, un caractère de politique de parti, voire même un caractère personnel, ce que je tenais à éviter. Je n'ai donc fait de polémique que là où l'intérêt de l'élucidation des faits l'exigeait, mais, à part cela, je me suis abstenu de toute récrimination.

Cependant, je m'attends à ce que cet écrit suscite de nouvelles polémiques.

Quelle que soit l'attitude qu'on prendra à son égard, il faut que l'on ait toujours une chose en vue à la lecture des documents publiés ici : ils témoignent de pensées et d'actions d'hommes d’État allemands, et non du peuple allemand. Le peuple, lui, n'est coupable que d'une chose, et ne peut-être coupable que de celle-là : il ne faisait pas assez attention à la politique extérieure de ses gouvernants. Mais c'est là une faute que le peuple allemand a commise comme tous les autres peuples. En vain, Marx, il y a plus d'un demi-siècle déjà, lors de la fondation de la première Internationale, proclama comme « le devoir des classes laborieuses » « de sonder les mystères de la politique internationale, de surveiller les menées diplomatiques de tous les gouvernements. »

Cela n'a été fait, jusqu'ici, que d'une manière absolument insuffisante. La guerre actuelle, avec ses horribles conséquences, trace plus impérieusement que jamais, ce « devoir des classes laborieuses ».

Je considère ce travail comme une faible partie de l'accomplissement de cette tâche.

Retour au texte de Karl Kautsky Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 30 octobre 2003 07:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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