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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Johan Huizinga, Le déclin du Moyen Age. [L'Automne du Moyen-Age] (1919) [1948]
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Johan Huizinga, Le déclin du Moyen Age. [L'Automne du Moyen-Age] Édition originale néerlandaise: 1919. Traduit du hollandais par Julia Bastin (1888-1968) chargée de cours à l'Université de Bruxelles. Préface de Gabriel Hanotaux de l'Académie française. Paris, éditions Payot. Éditions françaises: 1938, 1948, 1975, 1982 et 2002. À partir de 1975, l'ouvrage est publié sous le titre L'Automne du Moyen-Age avec une préface de Jacques Le Goff. Une édition numérique réalisée par Jean-Claude Bonnier, bénévole, professeur d'histoire au lycée de Valenciennes (France, département du Nord).

Préface

Ceux qui avaient pu prendre connaissance du livre de M. J. Huizinga, professeur à l'Université de Leyde, LE DÉCLIN DU MOYEN AGE, avaient le vif désir de le voir traduit en français. C'est, en effet, un livre-maître; et Mlle J. Bastin, chargée de cours à l'Université de Bruxelles, rend un grand service à l'histoire générale et à l'histoire de France en particulier, en nous donnant cet ouvrage traduit d'une manière à la fois sobre et brillante, reflet exact du texte qui lui fut confié. Comme au beau temps du Moyen Age, l'écuyer est un fidèle second du chevalier.

Il y a des AGES dans l'histoire, telle est la conclusion qui se dégage de cette lecture pleine de choses et pleine de sens, où une époque tout entière est étudiée à la loupe dans son « déclin », c'est-à-dire au moment où, en se désagrégeant, elle expose mieux sa nature par sa décomposition même.

Il y a des AGES en histoire ; les époques ont un caractère propre, une personnalité tranchée qui, avec des traits et des survivances héréditaires, leur impose une destinée, une vocation, comme aux individus. Par leurs grandeurs et par leurs égarements, elles se distinguent les unes des autres... Parmi elles, il est vrai, et c'est le cas de celle-ci, il en est qui ne servent guère que d'anneaux dans-la chaîne des temps : ce ne sont pas des âges montants, des âges-sommets, ce sont des âges descendants, glissant vers l'abîme par plis et affaissements de terrain ; en un mot, ce sont des époques de « déclin ».

Entre le Moyen Age et la Renaissance, la période qu'a étudiée M. Huizinga est telle: en déformant l'âge précédent, elle le transforme en l'âge suivant par un mouvement insensible et une pente qui l'entraîne à son insu. Elle enterre le Moyen Age dans une pompe solennelle et lugubre et creuse le terrain où va germer la Renaissance.

Histoire émouvante et secrète; combien différente de cette « Histoire-manuel », tant raillée aujourd'hui. L'érudition de M. Huizinga nous tient en son laboratoire ; et nous assistons, par l'analyse des infiniment petits, à une reconstitution après dissection.

Qu'on lise le livre avec la profonde attention qu'il mérite : on y trouvera, à chaque page, une matière forte et dépouillée, nais qu'il est impossible de présenter par tranches: c'est ce qui explique l'embarras de cette préface. Indiquons donc, seulement, l'idée générale qui nous paraît se dégager de sa captivante lecture.

Encore une fois, cette étude consciencieuse prouve qu'il y a des AGES en histoire et que leur ordre, leur série, le caractère de chacun d'eux sont en contradiction avec la fameuse loi du progrès. Le développement qu'on affirme être celui de la civilisation dans le sens d'un gain perpétuel, d'une élévation constante et d'une amélioration à jamais acquise, par un mouvement automatique et sans recul, n'y apparaît nullement. Imaginée au XVIIIe siècle, jaillie du cerveau d'intellectuels orgueilleux et mécontents, cette prétendue loi a été promulguée et acceptée sans autre démonstration dans un temps où la « philosophie » en lançait et en acceptait bien d'autres. Aujourd'hui, elle nous donne l'impression d'un mythe forgé par la parade révolutionnaire.

Pasteur disait, un jour, devant moi, à Taine qui le poussait sur la morale de la Science : « Vous ne trouverez pas cela dans nos cornues »; de même, les historiens pourraient dire à Condorcet : « Vous ne trouverez pas cela dans nos dossiers. » La plus longue de toutes les histoires humaines, l'histoire d’Égypte autoriserait plutôt l'idée contraire : au début, unité, grandeur, puissance ; à la fin décadence, misère, anarchie.

Si une notion paraît se dégager de l'histoire d'un « déclin », telle qu'elle est écrite par M. Huizinga, ce serait plutôt la notion du mérite et du démérite pour les générations comme pour les individus, avec récompense ou châtiment élevant ou abaissant la descendance. Nous sommes agis par nos pères et nous agissons dans nos enfants. Ils ne s'absolvent du passé que nous leur avons légué que par un effort qui leur est propre et qui corrige ou achève ce que nous leur avons laissé d'imparfait ou d'incomplet. Grande loi de justice solidaire qui, par un effet contraire au déterminisme de la « loi du progrès », unit la famille humaine dans une interdépendance séculaire soit de défaillance, soit d'élan et, finalement, de responsabilité.

Le « déclin » du Moyen Age commence par un double crime, l'assassinat de la rue Barbette et la surprise du pont de Montereau ; et ces deux crimes sont les résultantes d'un délabrement moral remontant aux années antérieures. Un tel affaiblissement de la conscience collective venait, à mon avis, d'une sorte d'épicurisme en réaction contre la sévère exigence du haut Moyen Age, et cet affaiblissement s'était manifesté, littérairement et socialement, par le succès inouï du plus mal connu de tous les poèmes ennuyeux : le Roman de la Rose.

Dans la période d'apogée, la religion de saint Bernard et de saint Louis, la chevalerie des chansons de geste, la politique de notre saint Roi, le rêve de l'amour courtois, l'élan risqué des dernières cathédrales, tout et tous avaient pris leur point de mire trop haut. On demandait un effort excessif aux puissances humaines. Les élites, entraînées par un retour prématuré vers les lettres antiques et, par les lettres, vers le paganisme, se détournaient des masses populaires et se perdaient dans l'erreur d'un Joachimisme abstrait et d'un verbalisme sans merci.

L'ambition de l'inaccessible découragea le monde ; dans l'impossibilité de suivre, il se laissa tomber du ciel sur la terre et s'enlisa dans la bourbe des joies terrestres.

Ainsi ce siècle se précipita à la décadence et au déclin. Il sentait bien lui-même que le péché était à sa naissance : notre auteur le rappelle : « Le traité d'Arras qui, en 1435, sembla apporter la paix entre la France et la Bourgogne, commence par l'amende expiatoire du meurtre de Montereau : une chapelle, des messes, une croix, un couvent, des pèlerinages ce n'est qu'une partie des amendes qui furent imposées aux Armagnacs pour le repos de l'âme de leurs victimes ». Quant au duc d'Orléans, n'était-il pas assez vengé par le triomphe du roi de Bourges et la défaite, déclarée par le traité lui-même, de la maison de Bourgogne.

Ainsi né, le siècle s'était projeté dans cette joie de vivre que notre propre siècle 'a connue ; mais, gardant toujours aux lèvres l'arrière-goût du péché et de la mort, il oscille entre la liesse et la mélancolie. On danse et on pleure ; danse macabre au cliquetis du squelette ; « odeur mêlée du sang et des roses ». Ecoutons Chastellain, dont la voix s'élève parmi les orgies du Vœu du Faisan : « Moi, douloureux homme, né en éclipse de ténèbres et en espesses bruynes de lamentations.» Et Eustache Deschamps :

Temps de doleur et de temptacion,
Aages de plour, d'envie et de tourment,
Temps de langour et de damnacion,
(…) Aages menteur plein d'orgueil et d'envie,
Aages en tristour qui abrège la vie.

Prenez-y garde: le « flamboyant » des cathédrales est aussi un « larmoyant ». Car cet âge, -qui honore d'un ordre de chevalerie la toison fauve de la dame d'or, - a le don des larmes. Un ambassadeur du Roi de France pleure en adressant sa harangue à Philippe le Bon ; à la réception du Dauphin, à l'entrevue du roi de France et d'Angleterre, tous les spectateurs fondent en larmes. Jusqu'à Louis XI, - ce renard aux amulettes, - qui est tout en pleurs à son entrée à Arras. Ainsi, la figure de l'époque se dessine. Grimace dans le rire ; désespérance dans la joie. Lassitude. « Déclin ».

Je voudrais essayer d'indiquer, en deux mots, comment cela finit ; ou plutôt comment cela évolua, - car rien ne finit, - ce siècle tragique, ce siècle des grandes vertus et des grands vices, des grands courages et des grandes paniques, des grands élans et des grands désordres, des grands rêves et des grandes désespérances, - ce siècle de la Guerre de Cent ans qui suscita Jeanne d'Arc !

Les deux causes du mal, l'idéalisme désorbité et le matérialisme empoisonné se rétractèrent, en quelque sorte, selon leur propre principe, et se modérant, se réglant, se réadaptant aux lois de la sagesse et du bon sens, en revinrent à une activité plus humaine, mieux réglée, plus harmonieuse. Le résultat de cette mise au point instinctive s'exprime en deux mots : la Réforme et la Renaissance.

Réforme. Il n'y a pas seulement la Réforme protestante; il y a aussi la réforme catholique accomplie par l'Église d'elle-même et sur elle-même. Par l'une et par l'autre de ces deux corrections, les croyances et les mœurs furent redressées et une première guérison s'esquissa. Non pas que l'humanité ait retrouvé jamais l'équilibre normal et uni des grands siècles religieux : la robe sans couture était déchirée. Ni Luther, ni Calvin, pas plus que le cardinal de Lorraine et les conseillers de la saint Barthélémy ne sont des apaisés : mais ils nous conduiront, tout de même, à Henri IV.

La Renaissance, d'autre part, fut un retour réfléchi et pondéré à l'antique culture classique, une élévation vers les hautes sources méditerranéennes. Ni Rabelais, ni Ronsard ne sont des modérés, certes : leurs muses sont des cavales lâchées. Mais quels hommes, si on les compare aux Jean de Meung, aux Guillaume de Lorris, aux rhétoriqueurs ! Et puis, ils nous conduisent à Montaigne et à Racine.

Contemplons donc cette image de l'âge de déclin qui succéda à l'âge de l'épopée chevaleresque, dans le livre de M. J. Huizinga, puisque l'histoire s'anime dans ce livre pour faire vivre, devant nous, une société si complexe où périssent et naissent tant de grandes choses, et recevons de ce livre tant de leçons fortifiantes !

Il nous apprend que, dans les temps des grands troubles et au fort des grands désordres, il ne faut pas désespérer de la nature humaine. Son ressort, pour n'être pas mécanique et automatique, n'en est que plus admirable. Il faut la suivre, la régler, la soutenir, ne pas s'abandonner absolument à elle ; mais, tout compte fait, elle mérite confiance.

Pour que les peuples soient dignes de la liberté il suffit qu'ils sachent la supporter, il suffit qu'ils sachent supporter des règles : règles acceptées par une volonté saine. L'Etat c'est l'ordre ; la loi c'est la mesure ; le salut c'est le travail. Au cours de la crise exposée dans ce livre, en 1412, un moine augustin proposa, en ces termes, la réforme du siècle : « Que toute personne se consacre à un métier ou au labour sous peine d'être chassée du pays. » Cet Augustin allait un peu fort. Cependant, au même moment, Jeanne d'Arc, fille du peuple, prenait pour devise : « Vive labeur ! »

Gabriel Hanotaux

de l'Académie française.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 14 janvier 2011 8:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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