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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Rencontre de deux mondes. La crise de l'industrialisation du Canada français (1943)
Préface de l'auteur, avril 1963.


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Everett-Cherrington Hughes, Rencontre de deux mondes. La crise de l'industrialisation du Canada français (1943). Préface et traduction de Jean-Charles Falardeau. Montréal: Les Éditions du Boréal Express, 1972, 390 pp. Traduction de l'ouvrage américain, French Canada in Transition (1943). Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de la l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [En préparation, disponible dans la 3e semaine de décembre 2008.]

Préface de l'auteur
avril 1963

Si le Québec est encore en état de transition * c'est, dans une certaine mesure, parce que, aujourd'hui comme hier, « Jean-Baptiste arrive en ville » (c'était là, en effet, le premier titre auquel j'avais songé pour ce volume mais des amis et mon éditeur m'en ont dissuadé!). La population totale et la main-d'œuvre de Cantonville ont presque doublé depuis l'époque, il y a vingt-cinq ans, où mon épouse et moi y poursuivions notre enquête. Toutefois, Cantonville demeure dans l'ensemble ce qu'elle était alors : une ville française et catholique. **

Rien ne permet de supposer que les cadres supérieurs des industries dominantes de Cantonville ne soient, pas aussi anglais qu'ils l'étaient à ce moment là. Par contre, je parierais qu'un plus grand nombre de Canadiens de langue française ont accédé aux occupations tertiaires des industries (comptabilité, direction du personnel, travail de bureau) et que les contremaîtres subalternes sont en majorité de langue française. Je parierais aussi que la population active en dehors des industries est plus française qu'auparavant et que, de leur côté, les succursales de grands magasins ont probablement accaparé une plus grande portion du commerce local. Telles sont, en effet, les tendances que l'on peut observer dans les villes et les régions où l'industrie est entre les mains de cadres et de techniciens itinérants « étrangers » à la population locale : les membres des professions libérales, les hommes d'affaires et les propriétaires fonciers s'adaptent au nouvel ordre de chose, tandis que les petites gens de la ville et des environs gravissent lentement les échelons tant des industries que des entreprises commerciales et des établissements de service. Le processus est le même dans les circonstances les plus diverses. On peut l'observer dans les situations où les agents de l'innovation industrielle sont de même nationalité et de même religion que les habitants des lieux, comme il arriva dans le sud ou dans de petites villes du nord des U.S.A. On l'observe encore lorsque, comme ce fut le cas en Rhénanie, les responsables de l'invasion parlent la même langue mais partagent une religion (protestante) autre que la religion (catholique) des gens chez qui ils implantent l’industrie. On le retrouve enfin dans des contextes sociaux où, comme dans le Québec, les, animateurs de l'industrie sont étrangers par la religion, la langue et la nationalité et sont, en outre, les antagonistes politiques séculaires de la tenace population locale. Par ailleurs, la différence de nationalité entre industrialisants et industrialisés a une incidence profonde sur l'ampleur et le tempo des changements sociaux de tous ordres que provoque l’industrialisation. Elle cristallise et souvent accentue des confits spécifiques.

On peut observer ce processus dans plusieurs régions du globe ; plus encore en 1963 qu'à la fin des années trente. En effet, le « développement économique », pour employer le terme maintenant passé dans l’usage, n'a pas seulement envahi les régions qui étaient demeurées moins touchées dans les pays depuis longtemps industrialisés, tels le Québec, le Nord canadien ou les États du sud des U.S.A. Il s'est infiltré à un rythme accéléré en Amérique du Sud, dans les régions périphériques de l’U.R.S.S. en Asie, au Proche-Orient, dans le continent africain au nord et au sud du Sahara.

Par ses traits dominants, la situation du Québec est analogue à celle qui oppose Wallons et Flamands en Belgique, catholiques rhénans et protestants du nord de l'Allemagne, Afrikanders et Anglais en Afrique du sud, compte tenu, dans ce dernier cas, de la présence des Noirs qui dépassent en nombre les deux camps de la population d'origine européenne. Pourtant, si l'on compare à, celles-ci la situation du Québec, elle offre un caractère archaïque. En effet, les Flamands ont fini par contrôler la vie politique en Belgique ; le parti du centre catholique qui a pris naissance en pays rhénan détient aujourd'hui le pouvoir effectif en Allemagne ; l’ancienne minorité des Afrikanders est solidement installée dans la vie politique en Afrique du Sud. Dans tous ces cas, la minorité est devenue électoralement plus puissante que l'ancien groupe dominant. Elle n'a cependant pas délogé celui-ci des postes de contrôle économique. Pour autant, les chefs de la minorité n'ont pas eu a préconiser le démembrement d'une économie industrielle dominante en se disant séparatistes, ainsi que le font, du moins implicitement, les séparatistes québécois. En fait, le Québec ne peut nourrir l'ambition de dominer électoralement le reste du Canada : son taux de natalité est trop peu différent de celui du reste du pays pour modifier les proportions numériques ; aussi bien, très peu d'immigrants canadiens sont de langue française.

Ainsi, les Québécois constituent-ils la plus ancienne des minorités nationales d'Occident. Plutôt que de se réjouir de cette situation, sans doute sont-ils vexés de constater que d'autres minorités, plus jeunes, moins riches, moins évoluées sinon moins instruites ont acquis un statut national dont ils rêvent mais qu'ils n'ont, en fait, jamais ambitionné en assez grand nombre ni avec suffisamment de persévérance. Un autre facteur, à mon avis, petit aider à comprendre le nouvel élan actuel du séparatisme au Québec : c’est le fait de la « guerre froide ». Henri Bourassa, chef nationaliste pendant et après la première guerre mondiale, s'opposait à ce que les Canadiens français combattent pour l'Angleterre. Par la suite, durant la dépression économique des années trente et la seconde guerre mondiale, les U.S.A. sont devenus, à leur tour, un bouc émissaire. À l'heure actuelle, à l'ère de la guerre froide, on a oublié l'Angleterre. Par contre, des Québécois sont enclins, semble-t-il, à voter contre ceux qui, à leur avis, feraient du Canada un satellite des U.S.A.

Je serais curieux de me retrouver à Cantonville pour savoir quelle allure ont prise, en 1963, les discussions dont j'ai connu la version de 1937 alors que l’union nationale dirigée par Maurice Duplessis venait d'accéder au pouvoir. Alors, comme aujourd'hui, Cantonville était une ville humainement intéressante dans sa vie, quotidienne et laborieuse. Alors encore aujourd'hui, Cantonville, ainsi que l'ensemble du Québec, était un lieu privilégié pour l'observation de changements sociaux qui se répètent à l'échelle du monde entier.

Lorsque j'ai abordé l’étude se Cantonville, cette ville devait, en principe, être la première d'une série de villes industrielle québécoises dont il fallait selon moi, entreprendre l'étude : elle incarnait le type de la petite ville de province, déjà ancienne, métamorphosée par l'implantation d'importantes industries légères. La typologie des villes du Québec est, en effet variée : il y avait et il y a encore des villes jadis anglaises qui sont devenues françaises ; il y a des villes nouvelles entièrement créées par une industrie dominante (industries de la pâte et du papier, de transformation des métaux non ferreux, etc.) en des lieux où rien n'existait auparavant ; il y a des villes minières plus anciennes, comme dans la région de l'amiante ; il y a enfin des villes à industries diversifiées encore en pleine croissance. La ville de Québec elle-même, tout en demeurant le siège du gouvernement provincial et un haut lieu de culture, est devenue un important centre industriel. Montréal, métropole plus française que jamais, est aussi, plus que jamais, le creuset de changements économiques, idéologiques et culturels. Si je n'ai pu étudier moi-même aucune autre ville du Québec, d'autres chercheurs ont analysé et continuent d'observer les transformations sociales du Québec. Les deux plus grandes universités de langue française, l'Université Laval à Québec et l'Université de Montréal possèdent de dynamiques facultés de sciences sociales, comme aussi l'Université McGill. Leurs chercheurs se consacrent, selon leurs perspectives propres, avec des méthodes nouvelles et à une plus vaste échelle à l'étude de problèmes qui sont fondamentalement les mêmes que ceux que j'ai abordés à une plus petite échelle dans cette monographie. J'ai eu et j'ai encore la satisfaction de collaborer avec un grand nombre d'entre eux.

EVERETT-C. HUGHES
Avril 1963



*  N. du T. French Canada, in transition est le titre anglais de la monographie de M. Hughes. L'Avant-Propos anglais de l'édition Phoenix, par Nathan Keyfitz, porte en sous-titre : French Canada still in transition.

** LE GRAND CANTONVILLE, HIER ET AUJOURD'HUI

Circa

1941

1961

Population totale (1941)

20,503

37,271

Population catholique (1941)

95 %

97 %

Population de langue française (1941)

94 %

94 %

Main-d'œuvre (1938)

6,733

12,550

Je dois au démographe et sociologue canadien Nathan Keyfitz, les chiffres, établis d'après le recensement de 1961, qui apparaissent dans ce tableau. Le territoire de ce que j'ai appelé jadis la « paroisse Saint-Jérôme» et celui d'une paroisse périphérique alors toute récente sont maintenant intégrés à la ville. L'ancienne « paroisse Saint-Bernard » est devenue une municipalité portant un nom civil. Une petite agglomération qui, à l'époque, était en expansion à l'est de la rivière est aussi devenue une municipalité autonome. C'est la population de cet ensemble de municipalités qui constitue ma « population totale » de 1961 : son territoire correspond à peu près à celui auquel renvoient les tableaux de ce livre. Les chiffres de la main-d'œuvre pour 1938 sont tirés du tableau XV (page 90) ; ceux de 1961, puisés dans le Recensement du Canada, s'appliquent à la « grande agglomération urbaine » de Cantonville dont le territoire est légèrement plus étendu que celui dont je viens de parler. Pour autant que ces chiffres n'incluent que 50 cultivateurs, il n'y a cependant aucun doute que la main-d'œuvre est celle du grand Cantonville.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 26 janvier 2009 9:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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