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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Rencontre de deux mondes. La crise de l'industrialisation du Canada français (1943)
Avant-propos de l'auteur, septembre 1944.


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Everett-Cherrington Hughes, Rencontre de deux mondes. La crise de l'industrialisation du Canada français (1943). Préface et traduction de Jean-Charles Falardeau. Montréal: Les Éditions du Boréal Express, 1972, 390 pp. Traduction de l'ouvrage américain, French Canada in Transition (1943). Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de la l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. [En préparation, disponible dans la 3e semaine de décembre 2008.]

Avant-propos de l'auteur

septembre 1944

Ce fut une théorie de notre époque que la surface de la terre devrait être partagée en territoires nettement délimités. Chacun serait habité par des gens de même race et de même culture, pouvant évoquer leur passé, leur présent et leurs espoirs en des cérémonies communes, et capables d'administrer collectivement leurs affaires intérieures et de se défendre contre les menaces de l'extérieur. Peu de pays réalisent exactement cet idéal. À ce fait s'ajoutent l'expansion continuelle de régions économiques qui ne tiennent pas trop compte des frontières nationales, et la dynamique de l'accroissement et de la migration des populations. Tout cela complique et amplifie plus que jamais les relations entre les races et entre les peuples. Alors que ces relations semblent nécessiter plus d'activité diplomatique que par le passé, il est devenu plus difficile de les déterminer par des conventions entre diplomates. Les peuples, en effet, se compénètrent les uns les autres, bouleversant ainsi leur équilibre interne et externe. Le diplomate est impuissant à traiter des problèmes d'ordre interne.

Il est notoire que les deux grands pays d'Amérique du Nord, à cause de la diversité de leurs groupes ethniques et culturels, sont bien loin de réaliser l'idéal du peuple-nation. Chacun contient un résidu d'indigènes conquis et déplacés. Chacun fut colonisé par des immigrants venus de nombreux pays, et chacun doit faire face à un problème identique, plus aigu peut-être aux États-unis, et qui est celui d'assimiler ces nationalités diverses. Chacun finalement, contient aussi des groupes considérables de « membres fondateurs ». Ces gens, sur le sol même où ils s'établirent les premiers, se trouvent maintenant enclavés dans un État où ils constituent une minorité numérique aussi bien que politique et économique. De ce nombre, aux États-unis, sont les Acadiens de la Louisiane et les Hispano-américains du Sud-Ouest, les deux groupes engloutis par les conquêtes et les migrations vers l'Ouest des Anglo-américains.

Ces minorités cependant, si considérables soient-elles en nombre, ne représentent que des fractions négligeables de la population américaine. D'autre part, les « membres fondateurs » du Canada occupent, de façon plus dense et plus complète, un espace beaucoup plus vaste de territoire. L'équilibre du nombre et du pouvoir politique entre les deux éléments de la population canadienne est bien plus fragile et instable. En fait, le Canada présente le cas classique d'un fait minoritaire sur ce continent, et l'un des plus frappants et des plus révélateurs du monde. Le Dominion du Canada fut mis au monde dans un état de division ethnique. Bien que les Canadiens-français eussent été les premiers venus au Canada, on peut affirmer que c'est en synchronisme avec les Canadiens anglais qu'ils s'éveillèrent collectivement à la vie politique. Nous sommes ici en présence d'un cas de jumeaux bi-vitellins, génétiquement différents, rivaux dans l'encombrement d'un même sein, mais puisant par ailleurs aux mêmes sources dans un milieu commun. On ne pourrait trouver meilleure situation pour étudier non seulement une minorité mais l'interaction entre une minorité et ce que l'opinion courante reconnaît avec raison comme son opposé immédiat, un peuple dominant.

Je ne dois cependant pas laisser croire au lecteur qu'on lui présente ici un traité sur les minorités. Ces remarques veulent seulement lui rappeler, s'il est canadien-français, que son peuple n'est que l'une parmi les diverses minorités du monde moderne. Elles laissent aussi entendre que, bien que ce livre ne traite que d'un cas particulier, et encore de façon très restreinte, j'ai l'espoir qu'il stimulera d'autres travaux d'observation et de description comparatives de ce genre qui sont moins la seule fin ou le seul but que le commencement de l'effort scientifique. Ces ouvrages comparatifs ne seront valides que si les descriptions sur lesquelles ils sont fondés sont à la fois exactes, détaillées et moulées dans un cadre tel qu'on puisse les ramener à des éléments fondamentaux. En l'occurrence, j'ai tâché de laisser mon exposé se développer comme de la chair sur un squelette, et non pas de l'insérer de force dans une coquille. La charpente fondamentale de cette étude est faite des postulats suivants, à savoir : 1° que l'unité d'observation à considérer dans l'étude des contacts entre deux peuples n'est pas seulement le groupe minoritaire, mais la situation sociale complète dans laquelle vivent les deux groupes ethniques ; 2° que l'on doit analyser non seulement chacun des touts ethniques dans son rapport avec l'autre tout, mais aussi le fonctionnement interne de chaque groupe, organe par organe, dans ses relations avec les éléments internes de l'autre groupe ; 3° qu'il faut alimenter les grandes enquêtes par des analyses en profondeur, plus restreintes, d'unités plus petites que l'on a quelque raison de considérer comme typiques ; 4° que les relations entre un groupe minoritaire et un groupe dominant peuvent atteindre, de façon récurrente, un certain équilibre aussitôt rompu par un nouvel influx de pénétrations réciproques ou par la tension d'une certaine crise, en particulier la guerre, susceptible d'émouvoir chacun des groupes à des degrés différents et même de les opposer.

Pour comprendre le jeu des équilibres et des crises dans les relations entre les peuples, il ne faut pas oublier, qu'en règle générale, deux peuples n'ont pas seulement une organisation interne différente mais qu'ils remplissent aussi des fonctions différentes à l'intérieur de la grande entité dont ils font partie. La société canadienne-française s'accroche à la terre à la façon d'une plante rampante prolifique. Elle tend à dépasser les frontières de son territoire aux dépens des populations environnantes. En même temps, le taux élevé de sa natalité ne cesse de menacer l'équilibre entre la population et la terre. Les Canadiens anglais, pour leur part, implantent au hasard et avec éclat des industries et de nouvelles entreprises commerciales de grand style au cœur même du territoire des Canadiens français. Ils soulagent ainsi pour un temps et sans le vouloir la pression de la population. Comme ils bouleversent aussi, par là même, l'équilibre social et économique des Canadiens français, on leur en manifeste peu de gratitude.

Les changements actuels de la vie canadienne-française sont ceux d'une industrialisation et d'une urbanisation simultanées. La guerre n'a fait que les accentuer. On peut considérer comme le prototype des localités du Québec encore à peine atteintes par ces changements, la paroisse très rurale décrite par Horace Miner dans son Saint-Denis, a French-Canadian Parish (Chicago, University of Chicago Press, 1939). Montréal, la métropole du Québec et de tout le Canada, représente l'autre extrême. Le livre que voici traite surtout d'une localité située entre ces deux extrêmes, une petite ville récemment animée et troublée par l'installation d'un certain nombre de grandes industries toutes mises en marche et dirigées par des anglophones envoyés là dans ce but. Les faits, les relations sociales et les changements découverts dans cette localité se rencontrent aussi dans un grand nombre d'autres. Toutes ensemble, ces petites villes industrielles constituent le front animé où les recrues des paroisses rurales font face, pour la première fois, à la vie industrielle et urbaine moderne ; où les Canadiens français de classe moyenne, bien assis et déjà urbains, doivent affronter une classe de gérants anglophones dont la mentalité et les façons de travailler sont différentes des leurs ; et où, finalement les institutions traditionnelles du Québec traversent des crises provoquées par la présence des institutions de l'industrialisme et du capitalisme extrêmes. Notre intention dans cette analyse est de suggérer des comparaisons avec d'autres régions où l'industrialisation et l’urbanisation se compliquent, comme dans la plupart des cas, de différences ethniques.

Lorsque je fus amené à habiter Montréal, je commençai aussitôt à consacrer le peu de temps que me laissait mon métier de bourreau des étudiants, au problème le plus intéressant de mon nouveau milieu, celui qui fait l'objet de ce livre. Un collègue inlassablement condescendant, le professeur C.-A. Dawson, m'encouragea dans ce dessein qui servait de complément à ses propres recherches sur les problèmes de la colonisation de l'Ouest canadien. Tous les deux, nous avions eu la bonne fortune d'étudier avec le regretté professeur Robert-E. Park, de l'université de Chicago, l'homme qui a fait plus que tout autre à notre époque pour encourager l'étude pénétrante et sympathique des contacts des peuples partout dans le monde entier.

Ma première expérience fut de découvrir que la plume, chez les Canadiens français est, en fait, une arme plus efficace que l'épée. Je suppose que l'affirmation de Bagehot déclarant que les peuples conquis sont toujours meilleurs orateurs que leurs conquérants, parce qu'ils ont une cause à défendre, est encore plus vraie d'un peuple dont la conquête fut si superficielle et date maintenant de si longtemps qu'elle sert surtout de symbole. Quoi qu'il en soit, je lus avec ardeur et intérêt les polémiques d'Olivar Asselin, d'Henri Bourassa et de plusieurs autres ; l'histoire polémique et les brochures de l'abbé Groulx des essais, des poèmes et des romans ; les articles savants des revues publiées par les universités sur la population, la géographie et la science économique ; les notes généalogiques et les histoires locales des notaires, des médecins et des curés de campagne ; les collections de folklore et de chansons. Cette littérature est vivante et révélatrice. Elle est le témoignage d'un peuple qui, contrairement à nous, de tradition anglaise, donne libre cours au penchant naturel qui le porte à exprimer son âme, sous forme littéraire, artistique et politique ; d'un peuple dont chaque journaliste voudrait être un savant et, chaque savant, un journaliste et le chef d'un mouvement.

Après une immersion complète dans cette atmosphère stimulante, j'étais prêt à aborder l'œuvre de deux érudits canadiens-français, aussi chefs de mouvements, mais de mouvements destinés au développement de cette sorte d'étude sociale qui m'intéressait et m'intéresse encore tout spécialement. Je veux parler de l'œuvre de M. Léon Gérin et de M. Marius Barbeau. Je dois beaucoup à l'inspiration et aux idées puisées dans les œuvres de ces deux hommes. Si ma dette est plus grande à l'égard de M. Gérin, c'est que l'intérêt de celui-ci est centré sur le fonctionnement de la réalité sociale vivante, tandis que celui de M. Barbeau est plus particulièrement consacré aux manifestations culturelles, laissant au second plan le problème de l'organisation sociale proprement dite. Si la présente étude doit trouver place parmi les ouvrages consacrés au peuple canadien-français, je demande seulement qu'on la considère comme une humble pierre dans l'édifice de cette œuvre scientifique sur la société humaine du Québec, édifice dont M. Gérin a jeté les fondements solides et que les travaux de M. Barbeau ont contribué à ériger et à orner. Mais un travail semblable n'est jamais terminé. J'ai confiance que la génération actuelle de jeunes Canadiens français la poursuivra, en la corrigeant, en l'amplifiant, en guettant d'un œil toujours vigilant les faits et les changements qui jusqu'ici ont échappé à l'observation et en intégrant l'œuvre de spécialistes donnés avec celle de tous les autres. Tout ceci, afin de procurer au peuple canadien-français et aux autres qui s'intéressent à lui, une image plus exacte, plus vivante et plus utile de lui-même tout autant que de sa place dans le monde.

Ma femme, Helen MacGill Hughes, et moi remercions les gens de Cantonville pour leur cordialité et la confiance qu'ils nous ont témoignées, et nous les prions de croire que nous avons observé à leur égard les règles de notre éthique professionnelle. M. Jean-Charles Falardeau connaît très bien, sans qu'il soit nécessaire de les souligner une autrefois, les sentiments que j'ai pour lui, sentiments renforcés par tout ce qui s'est échangé entre nous au cours de son travail de traduction. Combien j'aimerais aussi nommer chacun de ce petit groupe d'amis communs qui, j'ai bonne raison de le croire, ont accordé une part de collaboration à cette traduction, non peut-être sans prendre en cours de route la tangente de ces conversations pétillantes qui rendent si appréciable la vie québécoise.

EVERETT CHERRINGTON HUGHES
Chicago, septembre 1944.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 26 janvier 2009 9:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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