RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Pierre HOANG, Mélanges sur l’Administration (1902).
Extrait 2: Exposé d'une classe de personnes viles


Une édition électronique réalisée à partir du texte Pierre HOANG, Mélanges sur l’Administration. Chang-Hai: Imprimerie de la Mission catholique de l'orphélinat de T'ou-sé-wé, 1902, 236 pp. Variétés sinologiques, no 21. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT 2 :
EXPOSÉ D’UNE CLASSE DE PERSONNES VILES


I. Il existe une classe de personnes viles, méprisées des naturels du pays, privées des droits communs du peuple, et regardées comme indignes de participer aux relations sociales. On les range sous neuf catégories, lesquelles datent de plusieurs siècles, mais, sauf pour la première, dite Yo-hou, nous n’avons pu trouver aucun document par écrit touchant leur origine. Nous nous bornerons donc à rapporter brièvement ce que la tradition nous en fait connaître.

Yo-hou ou Yo-tsi : "Catégorie des musiciens, des chanteuses et des prostituées." Elle se trouve principalement dans les Provinces de Tche-li, Chan‑si et Chen-si. On lit dans des documents historiques qu’au 4e siècle av. J.-C., vers la fin de la dynastie des Tcheou, la femme et le fils d’un meurtrier furent condamnés à entrer dans cette catégorie, et l’on trouve dans l’histoire que, depuis la dynastie des Han (206 av. J.-C.) jusqu’à la dynastie des Ming qui, en 1644 ap. J.-C., céda le trône à la dynastie actuelle, il y avait une loi d’après laquelle les femmes, et parfois les fils des rebelles, étaient condamnés à entrer dans cette catégorie, ce qui s’appliquait aussi quelquefois aux femmes et aux fils des brigands. Lorsque Yong-lo, le troisième Empereur de la dynastie des Ming, après avoir expulsé l’Empereur Kien-wen, fils de son frère aîné, eut usurpé le trône, en 1403 ap. J.-C., il condamna à entrer dans cette catégorie les femmes, les fils et les filles des grands qui avaient résisté à son usurpation, et les envoya dans la Province de Chan-si, où leurs descendants continuent à faire partie de cette classe vile.

Touo-min ou "Race abjecte". Cette catégorie, qui se trouve dans Chao-hing, Préfecture de la Province de Tché-kiang, se compose des descendants des rivaux du fondateur de la dynastie des Ming, qui fut établie en 1368 ap. J.-C. Ils lui résistèrent longtemps et, après leur défaite, leurs descendants furent privés des droits communs du peuple.

Kieou-sing-yu-hou "Les pêcheurs des neuf noms patronymiques". Cette catégorie se trouve dans la Province de Tché-kiang. Vers la fin de la dynastie des Yuen, environ 1358 ap. J.-C., lors d’un trouble public, un petit employé, Tchen Yeou-liang, descendu d’une famille de pêcheurs, s’insurgea avec ses partisans et en 1360 ap. J.-C., après s’être emparé de quelques villes au S. du Yang-tse-kiang, il se proclama Empereur, avec le titre de règne Ta-i, et Han comme nom de dynastie, mais il fut bientôt vaincu par le fondateur de la dynastie des Ming. Les descendants de ces insurgés retournèrent à la profession de leurs ancêtres, comme pêcheurs et bateliers, et ils sont méprisés comme descendants de rebelles.

T’an-hou "Barbares du Sud". Ils se trouvent dans la Province de Koang-tong, où leurs ancêtres, originaires des îles du Sud, étaient venus. Il exerçaient le métier de bateliers.

Liao-min, "Habitants des cavernes." Ils demeurent dans la Province de Koang-tong. Ce sont les descendants d’émigrés qui y étaient venus pour chercher des moyens de subsistance.

P’ong-min "Gens habitant dans des huttes". Ils se trouvent dans les Provinces de Fou-kien, de Tché-kiang et de Kiang-si. Ce sont les descendants d’étrangers qui étaient venus des régions barbares voisines s’établir dans ces provinces.

Kai-hou "Mendiants". Ils se trouvent dans la Province de Tché-kiang ainsi que dans Chang-chou et Tchao-wen , Sous-préfectures de la Province de Kiang-sou. Ils sont les descendants de gens qui y étaient venus mendier.

Pan-tang "Valets". Ils se trouvent à Hoei-tcheou, Préfecture de la Province de Ngan-hoei. Leurs ancêtres étaient des valets ou suivants des fa-milles nobles de ce pays.

Che-pou "Esclaves de naissance". Ils se trouvent dans Hoei-tcheou, Ning-kouo et Tch’e‑tcheou, Préfectures de la Province de Ngan-hoei. Leurs ancêtres étaient, soit des esclaves vendus dans des familles nobles, soit des locataires de leurs champs ou des naturels du pays, qui s’étaient donnés comme esclaves à ces familles pour se mettre sous leur protection. Cette catégorie de Che-pou se trouve aussi dans Kiang-yn, Sous-préfecture de la Province de Kiang-sou. On sait par tradition que ces esclaves appartiennent respectivement aux familles de leurs maîtres, mais il est impossible de déterminer quel membre de ces familles doit être reconnu comme leur maître actuel. Les esclaves sont appelés communément Siao-hou "de petite famille" ou Siao-sing "de petit nom" et les descendants des maîtres, Ta-hou, "de grande famille", ou Ta-sing "de grand nom." Les premiers demeurent soumis aux seconds et, quand il y a quelque corvée à faire, particulièrement pour les mariages, les funérailles et les sacrifices, leurs services sont requis, et ils n’osent pas les refuser. Si quelqu’un d’entre eux arrive, par son industrie, à acquérir une certaine fortune, il peut obtenir d’être dispensé de ces services, mais à prix d’argent. Il n’est pas rare que des gens pauvres, qui prétendent être leurs maîtres, emploient ce moyen pour leur extorquer de l’argent.

 

II. Il est des emplois dont les habitants d’honnête condition auraient honte, et qui sont remplis par les hommes de la classe dite vile, à savoir :

1° Les emplois dans la célébration des noces, des funérailles, des anniversaires de naissance, et autres fêtes communément appelés Lou-ché ou Lou-kiu les six catégories des emplois vils. Elles comprennent :

a.      Tch’oei-cheou ou Kou-tch’oei, ceux qui sonnent de la trompette et battent le tambour : c’est ce qu’on appelle "la musique bruyante", Tsou-yo ;

b.      Ts’ing-yn, les joueurs de flûte et de luth : c’est "la musique légère" Si-yo ;

c.       P’ao-cheou, ceux qui sont occupés des boites à feu ;

d.      Tchang-li, ceux qui dirigent les cérémonies et proclament quand il faut s’agenouiller, se prosterner et se relever ;

e.      Tch’a-tan , ceux qui offrent du thé aux convives et font le service des tables ;

f.       T’ai-p’an, Kang-hiao, ceux qui portent les présents sur des plateaux, qui portent les chaises nuptiales et les tablettes d’insignes et remplissent d’autres fonctions serviles, comme, par exemple, de courir devant ou derrière les chaises.

2° Leurs femmes ont aussi leurs fonctions. Celles qui servent les matrones sont appelées Niu-che ou Niu-yn, "servantes" ; celles qui sont au service de la mariée et qui l’accompagnent, sont communément appelées Hi-niang "Femmes de fête".

3° Les emplois dans les tribunaux. Ceux qui les remplissent sont appelés Ya-i "esclaves des tribunaux". Ce sont : a) les satellites, les licteurs ; b) Kai-t’eou, l’agent de police chargé des mendiants ; e) T’ou-kong, (fossoyeur) l’agent chargé de mettre les cadavres dans le cercueil et de les enterrer ; d) P’ou-kia ou Ti-kia, l’agent de police chargé de maintenir l’ordre dans le district.

Tch’ang-yeou, les prostituées et comédiens.

 

III. Il y a un grand nombre d’hommes de classe vile qui n’exercent pas ces professions viles, mais se livrent à l’agriculture, à la navigation, à la pêche, à l’industrie, au commerce et autres professions honnêtes, et quelques uns arrivent à posséder une fortune assez considérable. Ils ne peuvent pas toutefois se présenter aux examens de baccalauréat et acquérir des dignités ni devenir mandarins. Ils sont universellement regardés comme méprisables, ne peuvent pas s’allier avec des familles de condition honnête, et demeurent méprisés de tous de génération en génération.

 

IV. Mais s’ils veulent sortir de leur classe, d’après la loi, ils en ont la faculté. Car plusieurs Empereurs de la dynastie actuelle ont, non seulement permis, mais même ordonné qu’ils sortissent de leur condition, et les juges, dans les cas de cette nature, donnent des sentences en conformité avec les édits impériaux. En effet :

1° Dans la 1e année de l’Empereur Yong-tcheng (1723 ap. J.-C.), il fut fait un recensement de la population, et l’on exclut des catalogues les familles de classe vile des catégories suivantes : a) Yo-tsi dans la Province de Chan-si ; b) Touo-min dans Chao-hing, Préfecture de la Province de Tché-kiang ; c) Pan-tang dans Hoei-tcheou, Préfecture de la Province de Kiang-nan ; d) Che-pou dans Ning-kouo, Préfecture de la Province de Kiang-nan ; e) Kai-hou dans Chang-chou et Tchao-wen, Sous-préfectures de la Préfecture de Sou-tcheou  ; f) T’an-hou dans la Province de Koang-tong ; g) P’ong-min dans les Provinces de Kiang-si, Tché-kiang et Fou-kien ; h) Liao-min, dans la Province de Koang-tong. L’Empereur, touché de compassion, ordonna d’abolir ces catégories et d’inscrire ces personnes réputées viles dans le catalogue du recensement, avec les autres habitants.

2° Le même Empereur, le 2e jour de la 4lune de la 1e année de son règne (13 mai 1723), abolit la catégorie des Yo-tsi dans les Provinces de Chan-si et de Chen-si afin que ces gens, renonçant à leur profession vile, fussent rangés dans la population de condition honnête.

3° Enfin, dans la 5e année de son règne (1727), il donna un rescrit au Gouverneur de la Province de Ngan-hoei, dans les termes suivants.

« Ayant à cœur d’amener le peuple à de meilleures mœurs, Nous avons disposé que quiconque, par une coutume traditionnelle, se trouvait dans une condition vile, en pût sortir ; c’est pourquoi Nous avons aboli les catégories viles des Yo-hou, dans la Province de Chan-si et des Touo-min dans celle de Tché-kiang, afin que ces gens fussent rangés parmi le peuple de condition honnête, dans le but de faire fleurir l’amour de l’honnêteté et la crainte de la honte, et de propager de plus en plus les bonnes mœurs. Nous avons appris dernièrement l’existence des catégories des Pan-tang dans la Préfecture de Hoei-tcheou et des Che-pou dans la Préfecture de Ning-kouo, appelés par les habitants du pays "le petit peuple", Si-min, et exerçant à-peu-près les mêmes professions que ceux des catégories Yo-hou et Touo-min. Ayant cherché à savoir à quelle époque ces gens étaient devenus esclaves des habitants, Nous avons trouvé qu’il n’y avait aucun document pour le constater. Si les uns sont esclaves et les autres maîtres, c’est donc une coutume inique et non pas un droit. Voilà ce que Nous avons appris. Si ces gens étaient retirés des catégories susdites et rangés parmi le peuple d’honnête condition, ils chercheraient de toutes leur forces à atteindre une position honnête ; ils ne resteraient pas toute leur vie dans une condition vile, et ne la transmettraient pas à leur postérité. Nous ordonnons donc au Gouverneur de prendre des informations à ce sujet et de Nous donner son avis.

Le résultat fut que l’Empereur, renseigné par le Gouverneur, abolit ces catégories.

4° Dispositions pour l’abolition de la classe vile, approuvées par l’Empereur K’ien-long dans la 36e année de son règne (1771).

« Bien qu’on n’ait aucun document authentique relativement à l’origine des catégories Yo-hou dans les Provinces de Chan-si et de Chen-si, et Kai-hou dans les Provinces de Kiang-sou et de Tché-kiang, le fait est que les familles vouées par tradition à ces professions viles, sont elles-mêmes viles. Quant aux hommes des catégories Yo-hou et Kai-hou qui, abandonnant leur profession traditionnelle, sont rangés parmi le peuple de condition honnête et ont été, après avis donné au Mandarin, inscrits sur les registres des archives publiques, s’ils sont sortis depuis longtemps de leur condition vile, on ne doit pas les empêcher d’aspirer à une condition honnête. Mais il ne leur est pas permis de se présenter aux examens de baccalauréat, ni d’acquérir des dignités à moins qu’ils ne soient les fils des arrière-petits-fils de ceux qui ont notifié au Mandarin leur abandon de leur catégorie, et que leurs parents de même souche ne soient tous de condition honnête. Quand une fois leur propre Mandarin aura reçu une attestation de leur condition signée par leurs parents et leurs voisins, ils pourront librement user de leur droit, et l’on doit veiller à ce que des vauriens, sous quelque faux prétexte, ne s’y opposent. Pour ceux toutefois qui sont sortis eux-mêmes de leur catégorie ou dont la sortie ne date que d’une génération ou deux ; pour ceux dont les oncles paternels, les tantes paternelles ou les sœurs exercent encore des professions viles, ils sont tous exclus de la jouissance de ce droit. A l’égard des catégories T’an-hou dans la Province de Koang-tong, Kieou-sing-yu-fou dans celle de Tché-kiang, et autres du même genre, les Mandarins locaux se conformeront à ces dispositions. Si quelqu’un, en contravention avec ces réglements, avait frauduleusement obtenu un grade, il en serait privé. Pour ceux qui ont abandonné récemment une profession vile et sont rangés parmi le peuple de condition honnête, il leur est seulement interdit de se présenter aux examens de baccalauréat ou d’acquérir quelque dignité, mais ils ont toute liberté de se livrer à l’agriculture, à l’étude des lettres, à l’industrie ou au commerce. Si des hommes d’autorité dans le pays, ou des vauriens, saisissaient quelque vain prétexte pour les soumettre à des vexations ou pour leur extorquer de l’argent, les Mandarins locaux, après enquête, les en empêcheront et les puniront sévèrement afin de réprimer ces abus.

5° Décret de l’Empereur Kia-k’ing, publié en l’année 14e de son règne (1809).

« Tong Kiao-tseng (Gouverneur de la Province de Ngan-hoei) Nous a présenté une supplique, demandant que Nous lui donnions des instructions touchant la réhabilitation des esclaves Che-pou dont la condition remonte à une antiquité très reculée. Nous avons appris qu’il existe depuis longtemps, dans les trois Préfectures Hoei-tcheou, Ning-kouo et Tch’e-tcheou de la Province de Ngan-hoei, une catégorie vile d’esclaves Che‑pou. Leurs prétendus maîtres, étant requis de produire un document authentique constatant à quelle époque leurs ancêtres furent vendus ou donnés en antichrèse, la plupart d’entre eux reconnaissent qu’il n’en existe plus. Si on leur demande à quelle époque les ancêtres de ces hommes furent esclaves et quand ils quittèrent la maison de leur maître, ils ne peuvent rien dire de certain ; mais toutes les fois que quelqu’un d’entre eux se présente aux examens de baccalauréat ou obtient un grade, ils s’y opposent et le poursuivent d’accusations répétées, prétendant que la distinction des classes vile et honnête doit être maintenue en vigueur. Or ceux-ci sont en grand nombre, et ils ne veulent pas rester dans une condition basse ; de là des disputes sans fin et une hostilité mutuelle. Mon avis est qu’il faut, dans l’occasion, parer à cet abus, d’accord avec la vérité et la,justice. Tong Kiao-tseng a proposé de juger si ces hommes doivent être regardés comme Che‑pou ou non d’après leur condition actuelle, à savoir s’ils remplissent des fonctions serviles ou non. S’ils remplissent actuellement des emplois serviles, ils ne peuvent pas être admis aux examens de baccalauréat ni acquérir de grade, et ce droit ne reviendrait qu’aux fils de leurs arrière-petits-fils, s’ils étaient libérés par leur maître. S’il y avait plus de cent ans ou même plusieurs siècles que leurs ancêtres qui avaient rempli des emplois serviles ou même qui avaient cultivé les champs d’un maître et été enterrés dans ses terrains vagues, étaient sortis de la maison de leur maître, ils devraient tous être rayés de la classe vile et rangés parmi les hommes de condition honnête. Ces propositions Nous semblent parfaitement justes, et Nous ordonnons qu’elles soient mises en pratique. La règle fixe pour les droits à accorder aux Che-pou des régions susdites, dépendra donc uniquement de leur condition actuelle, à savoir s’ils rendent maintenant ou non des services vils. Quant à ceux au sujet desquels il n’existe pas de document authentique depuis nombre d’années, qui ne remplissent pas d’emploi servile et qui ne sont pas entretenus par un maître, ils seront tous rayés de la classe vile et rangés parmi le peuple de condition honnête, et cela quand même leurs ancêtres auraient cultivé les terres d’un maître ou auraient été enterrés dans ses terrains vagues. De cette manière la distinction des classes sera clairement déterminée.

6° Statut légal publié en l’an 15 de l’Empereur Kia-k’ing (1810).

« Quant à ceux qui sont de la catégorie Che-pou dans les trois Préfectures Hoei-tcheou, Ning-kouo et Tch’e-tcheou (de la Province de Ngan-hoei), si, employés à des travaux serviles par un maître, chez qui ils vivent, ils sont affranchis par lui, leurs descendants à la troisième génération (c’est-à-dire les fils de leurs arrière-petits-fils) pourront acquérir un grade et se présenter aux examens de baccalauréat. Pour ceux dont l’affranchissement date d’une époque reculée, qui n’exercent pas actuellement d’emplois serviles, ne sont pas entretenus par un maître et n’ont pas contracté de mariage avec des esclaves, ils devront être tous rayés de leur catégorie et rangés parmi le peuple de condition honnête, quand même leurs ancêtres auraient cultivé les terres d’un maître ou auraient été enterrés dans ses terrains vagues. S’ils sont dans ces conditions depuis trois générations (sans compter la souche), ils peuvent, par le fait même, acquérir un grade et se présenter aux examens de baccalauréat.

7° Autre statut légal.

« Ordre est donné de rechercher exactement tous ceux qui sont de la catégorie Yo-tsi dans n’importe quelle province, ainsi que ceux des catégories Touo-min et Kai-hou dans la Province de Tché-kiang, de les rayer de leur catégorie et de les admettre dans la classe des hommes de condition honnête. Dans le cas où des hommes d’autorité dans le pays ou des vauriens voudraient les forcer à rester dans leur condition, ou qu’ils préférassent eux-mêmes demeurer dans leur catégorie vile, ils seraient punis d’après la loi. En cas de négligence à cet égard des mandarins locaux, les Vice-rois ou les Gouverneurs provinciaux devront les déférer à l’Empereur, pour être blâmés officiellement.

8° Dans la première année de l’Empereur Tao-koang (1821), il se présenta un cas relativement à la catégorie Che-pou dans K’i-men, Sous-préfecture de la Préfecture de Hoei-tcheou, Province de Ngan‑hoei, lequel fut décidé, en l’an 5 du même Empereur (1825) d’après les décrets des Empereurs et les statuts légaux rapportés ci-dessus. Le cas qui a été exposé à l’Empereur par le Gouverneur de la province de Ngan-hoei, est comme il suit.

Il y a, dans la Sous-préfecture K’i-men, nombre de familles du nom de Li, et, dans leur voisinage, plusieurs familles du nom de Tcheou, qui sont des Siao-hou, "petites familles", vulgairement appelées Si-min, "petit peuple". Ces gens ne contractent jamais mariage avec les familles de grand nom Ta-sing ; ils ne s’assoient pas avec leurs membres, ni ne mangent à la même table et ne se considèrent pas comme d’une condition égale à la leur. Ils n’acquièrent pas de grade et ne se présentent pas aux examens de baccalauréat, et gagnent leur vie par les professions de musiciens, Tch’oei-cheou, et de porteurs de chaises. Toutes les fois qu’une famille Li célèbre des noces, des funérailles ou des sacrifices aux ancêtres, ces Tcheou, qui exercent les professions de musiciens et de porteurs de chaises, prêtent leurs services tour à tour, sans recevoir de salaire. Cependant ils ne remplissent pas journellement ces emplois serviles, et ils ne sont pas entretenus par les familles Li. On dit communément que, sous la dynastie des Ming (1368-1644), leurs ancêtres étaient gardiens du cimetière des familles Li, qu’ils demeuraient dans une maison donnée par elles, qu’ils enterraient leurs morts dans leurs terrains vagues, et cultivaient des champs cédés par elles, avec la condition que le bénéfice restant après paiement du tribut à l’Empereur leur tint lieu de salaire pour les services qu’ils leur rendaient. Mais cette maison et ces champs ont été rendus depuis longtemps, et il n’existe actuellement aucun document authentique qui prouve que les ancêtres des familles Tcheou aient été vendus ou donnés en antichrèse à ceux des familles Li. Une recherche attentive laisse dans l’ignorance de l’époque à laquelle ces relations se seraient établies entre les familles Tcheou et Li, et l’on ne trouve aucun document d’après lequel ces dernières seraient de droit les maîtresses des familles Tcheou. Bien que la catégorie Che-pou ait été abolie légalement en l’an 14 de l’Empereur Kia-k’ing (1809), par suite d’une coutume très ancienne et par crainte des familles Li, les Tcheou n’ont rien changé à leurs relations avec ces familles. Dans la 1e année de l’Empereur Tao-koang, le 18e jour de la 8e lune (13 Sept. 1821), il arriva que deux frères, Li Yng-fang et Li Yong-houo, voyant un jeune homme, Tcheou Kio-tch’oen, debout devant sa maison, lui ordonnèrent de se rendre à leur temple des ancêtres, pour y apprendre la profession de trompette. Le jeune homme s’y étant refusé, parce que sa mère l’avait destiné à une autre profession, ils l’entrainèrent de force. Enflammés de colère à la nouvelle de cet attentat, deux de ses cousins, Tcheou Tch’eng-tche et Tcheou Yong-fa, poursuivirent les ravisseurs pour délivrer leur parent et, dans la rencontre qui s’ensuivit, Li Yong-houo fut blessé et Li Yng-fang tué. La nature de la peine à infliger dépendait principalement de la question de savoir si ces Tcheou devaient être considérés comme esclaves de ces Li ou de la même condition qu’eux. Le cas fut alors soumis au Tribunal suprême de la Justice criminelle, Hing-pou, dont l’arrêt fut comme il suit.

Vu : a) qu’il n’existe aucun document authentique qui prouve que les ancêtres de ces Tcheou se fussent donnés à ces familles Li ; b) qu’il n’y a non plus aucune constatation authentique de l’époque où les Tcheou auraient été gardiens du cimetière des familles Li et auraient reçu d’elles une maison et des champs ; e) qu’ils n’exercent maintenant auprès d’elles aucun emploi servile habituel ; d) qu’ils ne sont pas non plus entretenus par elles : d’après les décrets des Empereurs et les statuts légaux, ils sont rayés de leur catégorie. Ils doivent donc être punis, non comme des esclaves qui auraient attaqué leurs maîtres, mais comme des hommes libres qui auraient eu affaire à leurs égaux.

9° Il se trouve dans la Sous-préfecture de Kiang-yn (Préfecture de Chang-tcheou, Province de Kiang-sou) nombre de familles du nom de Sié, autrefois nobles, mais maintenant, pour la plupart, grandement déchues de l’état de leurs ancêtres. On les appelle cependant encore Ta-sing, "de grand nom" ou Ta-hou, "grandes familles". Il y a aussi dans la même localité d’autres familles de différents noms, communément appelées Siao-sing, "de petit nom". Si quelques unes d’entre elles portent aussi le nom de Sié, on les appelle Yé-sié "Sié étrangères". Elles sont toutes regardées comme esclaves (Che-pou) des familles Sié. Bien que ces gens gagnent leur vie par leur travail, soit comme agriculteurs, soit comme marchands ou par d’autres professions et que quelques-uns d’entre eux possèdent une fortune assez considérable, acquise par leur industrie, ils restent néanmoins toujours sous la domination des familles Sié et exercent auprès d’elles des emplois serviles toutes les fois qu’ils en sont requis.

En l’an 7 de l’Empereur T’ong-tche (1868), quelques-unes de ces familles embrassèrent notre sainte religion. Les Sié en furent irrités et cherchèrent à détourner les néophytes de la foi. Non contents d’exiger leurs services, comme de coutume, dans des cérémonies superstitieuses, ils leur imposaient encore une contribution pécuniaire pour subvenir aux frais de comédies en l’honneur des idoles, et cela en opposition avec le décret de l’Empereur Tong-tche, donné dans la 1e année de son règne, le 6 de la 3e lune (8 Avril 1862), d’après lequel les chrétiens sont exemptés de toute contribution de ce genre. Si des néophytes refusaient d’aller au temple des ancêtres, on les y entraînait et on les forçait à mettre le feu aux lingots de papier, ou bien on les accablait de coups. En l’an 9 de l’Empereur T’ong-tche, dans la 3e et la 10e lune (Avr. et Nov. 1870), quelques-uns de ces néophytes, à bout de patience, se plaignirent de cette insolence au Sous-préfet Ma Hong-siang. Plusieurs Sié, cités en jugement, accusèrent les néophytes de prétexter leur religion pour refuser l’obéissance qu’ils leur devaient, affirmant qu’ils étaient leurs esclaves depuis une époque très reculée. N’ayant aucun document authentique pour prouver leur assertion que les ancêtres de ces hommes avaient été vendus aux leurs, ils expliquaient le fait de différentes manières, prétendant que ces documents avaient été perdus en temps de troubles.

a. Pour quelques-uns d’entre eux, ils produisirent un acte de division de biens entre héritiers, Fen-koan, passé sous le règne de l’Empereur K’ien-long (1736-1765), sur lequel se trouve le nom d’un certain esclave qu’ils prétendaient avoir été l’ancêtre de ces hommes, et à qui il est dit qu’on a donné une maison et des terres.

b. Pour d’autres, ils disaient qu’ils cultivaient actuellement encore des terres des familles Sié.

c. Pour ces hommes et pour tous les autres, ils prétendaient que le fait des services rendus jusqu’alors par eux aux familles Sié prouvait incontestablement qu’ils étaient leurs esclaves.

A ces allégations, les néophytes répondaient comme il suit :

a. A la première a), qu’aucun de leurs ancêtres ne portait le nom que l’on trouve dans l’acte de division mentionné ;

b. A la seconde b), qu’ils étaient fermiers des familles Sié, et non point leurs esclaves ;

c. A la troisième c), que si leurs ancêtres éloignés avaient pu être esclaves, quant à eux, ils étaient émancipés depuis longtemps, et que s’ils se mettaient quelquefois au service des familles Sié, c’était uniquement par crainte de leur pouvoir et de leur violence.

Le Sous-préfet, après avoir entendu les deux parties, rendit sentence en ces termes :

 « Il n’est pas douteux que les ancêtres de ces néophytes n’aient été esclaves des Sié. Bien qu’on ne puisse pas les regarder comme émancipés, vu cependant qu’ils ont en fait quitté depuis longtemps la maison de leur maître, ils ne peuvent pas être considérés comme des esclaves entretenus par lui. Néanmoins les Sié continuent à être maîtres et les néophytes, esclaves. A l’avenir que ceux-ci ne se conduisent pas avec arrogance envers les Sié sous prétexte, qu’ils sont chrétiens, et que ceux-là ne traitent pas les néophytes d’une manière insultante et vexatoire, sous prétexte, qu’ils sont les descendants de leur ancien maître ; que dans des céremonies les Sié mettent le feu eux-mêmes aux lingots de papier, et n’imposent aucune contribution pécuniaire aux néophytes pour faire jouer des comédies. Que tous, de part et d’autre, agissent suivant la justice, et gardent la paix entre eux.

Le Mandarin, dans ce jugement, n’avait pas attribué aux néophytes les droits qui leur sont accordés par les décrets des Empereurs et les statuts légaux, et ils ne les avaient eux-mêmes pas réclamés, peut-être par ignorance. Cependant, depuis cette époque, les familles Sié les ont toujours laissés libres et ne les ont jamais appelés à remplir des emplois serviles.

 

V. 1° Bien que l’abolition de la classe vile par décrets repétés des Empereurs ait été publiée et insérée au bulletin des lois, néanmoins cette classe se maintient presque partout comme auparavant, et l’on entend rarement parler d’hommes qui soient sortis de cette classe et aient acquis une position honorable. Les causes de ce fait semblent, en général, être les suivantes :

a. L’insouciance. Les hommes de cette classe, d’un naturel vil qu’ils ont sucé avec le lait, sont contents de leur sort et ne pensent pas à sortir de leur condition ; pourvu qu’ils puissent y vivre tranquillement, ils n’aspirent pas à s’élever plus haut.

b. L’ignorance. Ces hommes sont, pour la plupart, d’une ignorance profonde. Il en est bien un certain nombre qui possèdent une fortune assez considérable, mais ils s’appliquent bien plus à augmenter leur avoir qu’à étudier la littérature et à se mettre au courant des choses du monde. C’est ainsi qu’ils ignorent absolument les décrets des Empereurs et les statuts légaux qui sont en leur faveur.

c. La jalousie des lettrés. Il se trouve parfois quelques jeunes gens de cette classe vile, desquels les parents et les proches ont exercé depuis plusieurs générations une profession honnête et sont inscrits sur les registres du tribunal avec ceux de condition honnête, et qui se livrent à l’étude des lettres. S’ils se hasardent à concourir pour les examens de baccalauréat, les lettrés qui résident dans la même Sous-préfecture les attaquent et leur font obstacle de toutes manières, ceux-là surtout qui se font un plaisir de nuire aux autres, sans aucun avantage pour eux-mêmes, masquant leur jalousie sous le prétexte que la classe des lettrés ne doit pas être déshonorée par l’admission de personnes viles.

d. La dureté des prétendus maîtres envers la catégorie Che-pou. Abusant de leur pouvoir, ils s’efforcent opiniatrément de maintenir ces hommes dans leur condition primitive, pour leur propre avantage. S’ils en voient quelques-uns se soustraire à leur joug, ils ne tardent pas à les réduire à leur premier état et, en cas de résistance, non seulement ils les soumettent à des vexations, mais encore, se prévalant de leur prétendu droit de maîtres légitimes, ils exercent impunément envers eux toutes sortes de violence.

2° En présence, toutefois, des décrets Impériaux et des statuts légaux en leur faveur, ces obstacles, de la part des autres, étant illicites, ne sont pas insurmontables. Pour ceux-là donc qui remplissent les conditions pour sortir d’une classe vile, qui sont suffisamment au courant des choses, et qui ont la faculté et la volonté de faire les frais d’un procès ; s’ils réclament leurs droits contre leurs adversaires auprès des Mandarins locaux, ou même s’il en est besoin, auprès des Mandarins métropolitains et de la Cour suprême d’appel à l’Empereur, Tou-tch’a-yuen, il n’est pas douteux qu’ils n’obtiennent une sentence favorable, conforme aux décrets Impériaux, à moins qu’il n’y ait, d’autre part, quelque fait ou quelque raison en leur défaveur.


Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 avril 2007 16:42
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref