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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Robert Hertz
(sociologue) 1881-1915


Notice biobraphique

Par Alice Robert Hertz (1928)

Source: Robert Hertz (1881-1915), Sociologie religieuse et folklore (1928). Recueil de textes publiés entre 1907 et 1917. Première édition: 1928. Paris: Les Presses universitaires de France, 1970, 2e édition, 208 pp. Collection: Bibliothèque de sociologie contemporaine.

Robert Hertz fut tué à Marchéville, dans la plaine de la Woëwre, le 13 avril 1915.

Il avait eu, de son vivant, l'idée de réunir les «Mémoires» qui paraissent aujourd'hui. Mais, en ce temps-là, son casier à fiches était plein; il travaillait à sa thèse sur «Le péché et l'expiation dans les sociétés primitives»; celle publication n'était qu'un projet entre beaucoup d'autres: l'avenir d'un homme de trente-trois ans est sans limites... La guerre est venue... Le volume que nous publions aujourd'hui contient tout ce qu'a produit de définitif ce travailleur acharné.

Robert Hertz commença la Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort aussitôt après sa sortie de l'École normale, en 1904. Reçu premier à l'agrégation de philosophie, il demanda une bourse d'études pour l'Angleterre, et c'est à Londres qu'il réunit les éléments de ce travail.

Ceux qui ont vu à ce moment-là ce jeune homme de vingt-trois ans peuvent témoigner de son ardeur, tandis qu'après avoir travaillé toute la journée à la bibliothèque du British Museum, il passait ses soirées à marcher de long en large dans son petit logement de Highgate; réfléchissant; mûrissant l'idée qui se dégageait peu à peu de l'énorme compilation des faits... Le jour où il eût la certitude d'avoir trouvé fut un jour d'exaltation il avait le sentiment de découvrir un fait sociologique nouveau: la mort, passage, période de transition entre la désintégration de l'individu exclu de la société des vivants et son intégration à la société mythique des ancêtres, aboutit, après avoir commencé par des obsèques provisoires, aux obsèques définitives, où elle s'achève: résurrection, initiation, communion de l'individu avec le monde de l'au-delà. Peut-être s'exagérait-il l'importance de cette découverte? Qu'on permette néanmoins à un témoin de ces jours heureux d'évoquer ce jeune savant, à peine sorti de l'adolescence, absorbé à un tel point par son travail qu'il vécut, pendant des mois et jusqu'à en apprendre la langue, avec les Dayaks de Bornéo, devenus pour lui non pas matière à fiches, mais réalité en chair et en os. Son interprétation des doubles obsèques jaillit, pour ainsi dire, d'un contact direct avec les «primitifs» de là-bas.

La rédaction de son mémoire se ressentit sans doute de cet enthousiasme juvénile. Ses maîtres, quand il leur communiqua son travail, se chargèrent de le réduire à ses justes proportions. Il fallut élaguer, restreindre, faire rentrer la toile, brossée avec un peu trop de fantaisie, dans le cadre scientifique de l'Année sociologique: «Ils ont raison», dit Robert Hertz, «c'était enfantin.»

La prééminence de la main droite parut dans la Revue philosophique en décembre 1909.

L'ambidextrie le préoccupa peut-être avant qu'il n'y vît un problème sociologique. Il avait eu connaissance des nouvelles méthodes pédagogiques qui développent à la fois la main droite et la main gauche des enfants, et cela l'avait intéressé. Il avait, depuis un an, un fils. Ce qui faisait pour lui l'intérêt de celle étude, au point de vue sociologique, c'est qu'elle est une contribution à l'analyse de notre représentation de l'espace: espace profondément asymétrique, vivant et mystique chez le primitif; abstrait, vide et absolument isotrope chez les géomètres, depuis Euclide jusqu'aux modernes.


Saint Besse fut commencé à Cogne pendant les grandes vacances de l'année 1912. L'été précédent, Robert Hertz avait fait, sac au dos, un tour dans les Alpes Grées. Il avait remarqué ce bourg, à quelques heures de marche d'Aoste, au pied du «Grand Paradis», isolé dans la montagne par l'absence de routes carrossables (1); son torrent bleu écumant, le vieux pont de pierres roses, les groupes de maisons où, depuis des siècles, la vie s'écoule sans change-ment... Il s'était promis de revenir, sans idée préconçue, simplement à cause de la beauté du pays et des mœurs primitives des habitants.

Sans qu'il l'eût voulu ni cherché, saint Besse s'imposa.

D'abord, la fête. Il faut aller coucher dans une grange de l'Alpe de Chavanio, partir bien avant le jour avec un des bergers pour passer le col, assez aride (où les cristaux affleurent et où les chamois sont chez eux) qui relie Cogne au val Soana. Après une longue descente solitaire dans des alpages perdus, on arrive presque soudainement au milieu de groupes endimanchés, jeunes filles élégantes aux colliers de verroterie venant de Paris, familles bruyantes et joyeuses. L'animation de ce «pardon» montagnard est extraordinaire et paraît insolite si haut, si loin de tout.

Aux abords des rôtissoires en plein vent, les gigots sont retenus d'assaut. Chaque groupe cherche une bonne place pour pique-niquer à l'aise. Après le recueillement solennel de la fête religieuse, la foule grouillante se délasse, mange, les bouchons sautent... C'est là que Robert Hertz fit la connaissance, autour d'un gigot, d'un ou deux de ses informateurs.

Ceux de Cogne partent de bonne heure; la route est longue; les autres s'égaillent peu à peu. Il ne reste bientôt plus que quelques ivrognes difficiles à ébranler... puis c'est le silence. Silence comme il ne peut y en avoir que dans un pâturage sans torrent.

Les cierges achèvent de se consumer dans la chapelle sombre, l'échelle adossée au rocher, derrière l'autel, ne supporte plus le poids de ceux qui, tout à l'heure, sont montés gratter un morceau de la pierre sacrée...

Robert Hertz, avant de descendre vers le val Soana, resta un long moment à réfléchir près de l'immense rocher informe et de la petite chapelle aux lignes régulières...

À partir de ce jour-là, ce fut l'enquête joyeuse, si du moins on peut appeler enquête ses conversations si simples, si familières, avec les gens du pays?

Dans sa conclusion, B. Hertz dit que «l'hagiographie fera bien de ne pas négliger ces instruments de recherche que sont une paire de bons souliers et un bâton ferré...»; mais, à quoi serviraient ces instruments, sans ce rare pouvoir de sympathie, ce rayonnement qui efface presque instantanément la méfiance, une modestie si complète qu'elle abolit toute distance, et le pouvoir socratique (seule qualité qu'il se reconnaissait) de rendre les gens loquaces, de les mettre en valeur, «d'allumer» leur esprit? Il faut se rendre compte que rien n'est plus difficile que des recherches de ce genre, faites parmi les gens les plus méfiants du monde: rudes paysans vivant à l'écart des étrangers, ecclésiastiques italiens. Et pourtant, tel un naturaliste trouvant facilement, dans cette même région, les papillons ou les plantes qui lui manquent, sans effort, en se promenant, en vivant au milieu des gens du pays, il recueillait des faits, des reliques. Un jour, une brave femme lui donna, dans une chaumière du val Soana, une image enluminée du saint, grossièrement protégée par une boîte de verre colorié.

Cette étude le passionna.

Combien plus vivant que le travail de bibliothèque, ce contact direct avec des réalités tout aussi riches en possibilités que les rites des primitifs de l'autre bout du monde.

Il n'abandonna jamais Saint-Besse. Il étendit ses recherches non seulement au culte des rochers et au «saut de la roche», mais au culte des sources, aux fontaines saintes, aux cimes sacrées des monts, trouvant jusque dans la mythologie grecque des analogies puissantes entre l'origine du culte de certains personnages de l'Olympe (Athéna, Pégase) et celui de l'humble Besse.

«La roche abrupte, la cime vertigineuse du mont, la force d'une fissure ou d'une caverne éveillent dans l'esprit des hommes des images qui composent non seulement des mythes où ces éléments sont encore très apparents, mais d'autres où la transposition, plus complète, laisse à peine deviner l'origine de l'image (Athéna jaillissant de la tête de Zeus),» écrit un ami, commentant le travail inspiré par saint Besse: Légendes et cultes des roches, des monts et des sources, que B. Hertz n'eut pas le temps de mettre au point.

Il se préparait à faire, en septembre 1914, un voyage en Grèce avec son ami Pierre Roussel, car il voulait pour ce nouveau travail, connaître autrement que par les livres le paysage grec, particulièrement les régions accidentées où le thème du «saut de la roche», de la «naissance d'Athéna», de «l'essor de Pégase» ont pu prendre naissance (Acarnanie, roches delphiques, Arcadie, Etolie, Acrocorinthe, etc.).


La guerre... Ce volume se termine par des dictons populaires ayant trait au chant des oiseaux: recueillis sur le front, dans les bois d'Herméville, près d'Etain, où il passa les derniers mois de sa vie en compagnie de ces «poilus de la Mayenne et d'ailleurs» qui lui donnèrent ses dernières joies de folkloriste.

Voici la lettre qui accompagnait l'envoi des dictons:

Je t'envoie un supplément à ma collection de dictons... J'ai eu particulièrement du plaisir à recueillir les discours des oiseaux. Je ne me rends pas compte de ce qu'il y a d'inédit et d'original là-dedans. Je sais que beaucoup ont déjà été publiés, mais c'est un domaine où les moindres variantes ont leur intérêt. Un jour je t'ai rapporté de la Bibliothèque quelques notes sur le chant des oiseaux, extraites du livre de Rolland sur la Faune populaire de la France. Mais comme c'est différent de les recueillir de la bouche même des campagnards, de cueillir les fleurs toutes fraîches au lieu de les extraire, pâlies et séchées, d'un herbier poudreux. Bien entendu, il aurait fallu noter les airs; mon ignorance me l'a interdit.

Tous ces discours viennent des vieux; c'est une science traditionnelle qui malheureusement ne se transmet plus. L'enfant (et l'adulte) s'y exerçaient à reconnaître et à reproduire le rythme et le ton des chants des différents oiseaux tout en y ajoutant un élément ou instructif ou comique, rarement moral. Même mes grands enfants d'ici prennent un plaisir très vit à se rappeler ces «discours». C'est un jeu de reconnaissance qui certainement développe l'habileté à percevoir et discerner les sons. Je le sens par les progrès que j'ai faits moi-même. Intéressant de comparer les paroles diverses prêtées selon les lieux au même oiseau; on retrouve constamment le même rythme, le même son, les mêmes éléments fondamentaux. Et puis, il serait curieux de chercher comment l'esprit populaire s'y prend pour ajouter un sens à ces sons multiples. Encore une fois, ce qui me frappe, c'est le sérieux ou le demi-sérieux de tout cela: il y a bien eu un temps où les grands-pères initiaient leurs petits-enfants et leur taisaient comprendre le chant des oiseaux.

... J'espère compléter encore mon petit recueil; il m'a fait passer plus d'un moment agréable au cours de ces longues heures de «travail de nuit» ou bien nous a distraits du bruit des obus dans nos petites huttes à la lisière des bois: c'est peut-être tout leur intérêt.

Il mourut un mois à peine après avoir écrit cette lettre. Il donna sa vie à son pays, et ce don, il l'avait fait dès le premier jour de la guerre, heureux de disparaître dans la masse anonyme, d'être «humble sergent des armées de l'Est», comme il disait en souriant. Ainsi s'achève son œuvre. Au lieu de les étudier abstraitement, il vécut, avec quelle intensité, ces formidables expériences sociales que sont les guerres...

Malgré tant de liens qui le retenaient à la vie, il aspirait «à la région ardente où se consomme le plein sacrifice» et où l'individu disparaît, absorbé par les forces sociales auxquelles il voulut, consciemment et de toute son âme, se soumettre. Tertre sacré lui aussi, que celui d'où il marcha, innocent et sans haine, vers les Allemands invisibles qui mitraillaient les trois cents mètres de terrain découvert qu'ils savaient, lui et ses compagnons, devoir traverser pour attaquer Marchéville, petite ligne blanche derrière un rideau d'arbres. Ils sont tous tombés -lui, le front en avant, en plein élan...

Alice Robert HERTZ.

(1) Cogne a, paraît-il, beaucoup changé depuis la guerre à cause de l'exploitation plus intensive de ses mines de fer.

Retour à l'auteur: Robert Hertz Dernière mise à jour de cette page le samedi 21 juillet 2007 10:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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