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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Claude Adrien Helvétius (1715-1771), DE L'ESPRIT. (1758)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Claude Adrien Helvétius (1715-1771), DE L'ESPRIT. À Paris chez Durand Librairie, 1758, 543 pp. Une édition réalisée à partir d’un facsimilé de la Bibliothèque nationale de France. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay.

Préface

L’objet que je me propose d’examiner dans cet ouvrage est intéressant ; il est même neuf. L’on n’a jusqu’à présent considéré l’esprit que sous quelques-unes de ses faces. Les grands écrivains n’ont jeté qu’un coup d’œil rapide sur cette matière ; et c’est ce qui m’enhardit à la traiter.

La connaissance de l’esprit, lorsqu’on prend ce mot dans toute son étendue, est si étroitement liée à la connaissance du cœur et des passions de l’homme, qu’il était impossible d’écrire sur ce sujet, sans avoir du moins à parler de cette partie de la morale commune aux hommes de toutes les nations, et qui ne peut avoir, dans tous les gouvernements, que le bien public pour objet.

Les principes que j’établis sur cette matière sont, je pense, conformes à l’intérêt général et à l’expérience. C’est par les faits que j’ai remonté aux causes. J’ai cru qu’on devait traiter la morale comme toutes les autres sciences, et faire une morale comme une physique expérimentale. Je ne me suis livré à cette idée que par la persuasion où je suis que toute morale dont les principes sont utiles au public est nécessairement conforme à la morale de la religion, qui n’est que la perfection de la morale humaine. Au reste, si je m’étais trompé, et si, contre mon attente, quelques-uns de mes principes n’étaient pas conformes à l’intérêt général, ce serait une erreur de mon esprit, et non pas de mon cœur ; et je déclare d’avance que je les désavoue.

Je ne demande qu’une grâce à mon lecteur, c’est de m’entendre avant que de me condamner ; c’est de suivre l’enchaînement qui lie ensemble toutes mes idées ; d’être mon juge, et non ma partie. Cette demande n’est pas l’effet d’une sotte confiance ; j’ai trop souvent trouvé mauvais le soir, ce que j’avais cru bon le matin, pour avoir une haute opinion de mes lumières.

Peut-être ai-je traité un sujet au-dessus de mes forces : mais, quel homme se connaît assez lui-même pour n’en pas trop présumer ? Je n’aurai pas du moins à me reprocher de n’avoir pas fait tous mes efforts pour mériter l’approbation du public. Si je ne l’obtiens pas, je serai plus affligé que surpris : il ne suffit point, en ce genre, de désirer, pour obtenir.

Dans tout ce que j’ai dit, je n’ai cherché que le vrai, non pas uniquement pour l’honneur de le dire, mais parce que le vrai est utile aux hommes. Si je m’en suis écarté, je trouverai dans mes erreurs même des motifs de consolation. Si les hommes, comme le dit M. De Fontenelle, ne peuvent, en quelque genre que ce soit, arriver à quelque chose de raisonnable, qu’après avoir, en ce même genre, épuisé toutes les sottises imaginables ; mes erreurs pourront donc être utiles à mes concitoyens : j’aurai marqué l’écueil par mon naufrage. Que de sottises, ajoute M. De Fontenelle, ne dirions-nous pas maintenant, si les anciens ne les avaient pas déjà dites avant nous, et ne nous les avaient, pour ainsi dire, enlevées !

Je le répète donc : je ne garantis de mon ouvrage que la pureté et la droiture des intentions. Cependant, quelque assuré qu’on soit de ses intentions, les cris de l’envie sont si favorablement écoutés, et ses fréquentes déclamations sont si propres à séduire des âmes plus honnêtes qu’éclairées, qu’on n’écrit, pour ainsi dire, qu’en tremblant. Le découragement dans lequel des imputations, souvent calomnieuses, ont jeté les hommes de génie, semble déjà présager le retour des siècles d’ignorance. Ce n’est, en tout genre, que dans la médiocrité de ses talents qu’on trouve un asile contre les poursuites des envieux. La médiocrité devient maintenant une protection ; et cette protection, je me la suis vraisemblablement ménagée malgré moi.

D’ailleurs, je crois que l’envie pourrait difficilement m’imputer le désir de blesser aucun de mes concitoyens. Le genre de cet ouvrage, où je ne considère aucun homme en particulier, mais les hommes et les nations en général, doit me mettre à l’abri de tout soupçon de malignité. J’ajouterai même qu’en lisant ces discours, on s’apercevra que j’aime les hommes, que je désire leur bonheur, sans haïr ni mépriser aucun d’eux en particulier.

Quelques-unes de mes idées paraîtront peut-être hasardées. Si le lecteur les juge fausses, je le prie de se rappeler, en les condamnant, que ce n’est qu’à la hardiesse des tentatives qu’on doit souvent la découverte des plus grandes vérités ; et que la crainte d’avancer une erreur ne doit point nous détourner de la recherche de la vérité. En vain des hommes vils et lâches voudraient la proscrire, et lui donner quelquefois le nom odieux de licence ; en vain répètent-ils que les vérités sont souvent dangereuses. En supposant qu’elles le fussent quelquefois, à quel plus grand danger encore ne serait pas exposée la nation qui consentirait à croupir dans l’ignorance ? Toute nation sans lumières, lorsqu’elle cesse d’être sauvage et féroce, est une nation avilie, et tôt ou tard subjuguée. Ce fut moins la valeur que la science militaire des romains qui triompha des Gaules.

Si la connaissance d’une telle vérité peut avoir quelques inconvénients dans un tel instant ; cet instant passé, cette même vérité redevient utile à tous les siècles et à toutes les nations.

Tel est enfin le sort des choses humaines : il n’en est aucune qui ne puisse devenir dangereuse dans de certains moments ; mais ce n’est qu’à cette condition qu’on en jouit. Malheur à qui voudrait, par ce motif, en priver l’humanité.

Au moment même qu’on interdirait la connaissance de certaines vérités, il ne serait plus permis d’en dire aucune. Mille gens puissants et souvent même mal intentionnés, sous prétexte qu’il est quelquefois sage de taire la vérité, la banniraient entièrement de l’univers. Aussi le public éclairé qui seul en connaît tout le prix la demande sans cesse : il ne craint point de s’exposer à des maux incertains, pour jouir des avantages réels qu’elle procure. Entre les qualités des hommes, celle qu’il estime le plus est cette élévation d’âme qui se refuse au mensonge. Il sait combien il est utile de tout penser et de tout dire ; et que les erreurs même cessent d’être dangereuses, lorsqu’il est permis de les contredire. Alors elles sont bientôt reconnues pour erreurs ; elles se déposent bientôt d’elles-mêmes dans les abîmes de l’oubli, et les vérités seules surnagent sur la vaste étendue des siècles.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 5 août 2009 7:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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