RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les fêtes annuellement célébrées à Emoui (Amoy). Étude concernant la religion populaire des Chinois.
Première partie : Le Printemps, l’Été.
(1886)
Extrait 2:


Une édition électronique réalisée à partir du texte de l'ouvrage de Johann Jacob Maria de Groot, Les fêtes annuellement célébrées à Emoui (Amoy). Étude concernant la religion populaire des Chinois. Première partie : Le Printemps, l’Été. Traduit du Hollandais, avec le concours de l’auteur, par C. G. Chavannes. Première édition: Ernest Leroux, Paris, 1886, XXVI+400 pages, 15 illustrations de Félix Régamey. [Ministère de l'instruction publique, Annales du Musée Guimet. tome onzième.] Réimpression par Chinese Materials Center, San Francisco, 1977. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT 2

La fête des lanternes

On voit d’ordinaire déjà dans la dernière semaine de l’année commencer l’étalage et la vente de lanternes de papier ; toutefois au début il ne s’agit guère que d’articles de pacotille, destinés à l’amusement des enfants. Elles affectent toutes les formes. La marmaille promène suspendus à des bâtons, ou poussés sur des roues, des animaux de toute espèce en papier, illuminés à l’intérieur, chevaux, poules, poissons, chèvres, chiens. Ces lanternes sont plates, rondes, sphériques, ovales, carrées, toutes bariolées, et il serait difficile d’imaginer une forme qui ne se trouve pas dans le nombre. Plus on se rapproche du grand jour de la fête, plus les lanternes deviennent splendides ; le 15 la vente est fiévreuse, car chacun rivalise à qui suspendra la plus belle lanterne devant sa porte. Des marchands les colportent dans les rues, et le soleil est à peine couché que partout on les allume et que les promeneurs sortent par milliers. On se souvient que les rues sont tendues de draperies bariolées en l’honneur du Ciel, et l’on conçoit qu’elles prennent un aspect des plus fantastiques quand en outre d’innombrables lanternes ont été allumées au milieu de toute cette bigarrure. On décore souvent aussi l’intérieur des maisons et on les illumine brillamment, et le tout ensemble est si féerique que l’on n’oublie plus cette fête quand on y a assisté. Parmi les lanternes les plus remarquables sont celles qui se nomment tsáo‑bé‑ting, « lanternes aux chevaux qui trottent ». Elles renferment sur un pivot des chevaux et d’autres figures en papier que le courant d’air ascensionnel produit par la flamme de la bougie fait tourner plus ou moins rapidement, suivant que la brise du soir est plus faible ou plus forte, et permet à la flamme de monter plus ou moins droit. D’autres, que l’on appelle sioù‑kioû‑ting, « lanternes‑balles ornées », sont en forme de boules et construites de façon que les enfants puissent les rouler sans qu’elles s’éteignent ; c’est comme des balles de feu. Il serait tout à fait impossible de nommer toutes les espèces en vogue. Ajoutons seulement que les couleurs dominantes sont le rouge, couleur du feu et du bonheur, et le blanc, couleur de la lumière du soleil et de la lune ; et cela est en harmonie complète avec le caractère de la fête, puisque celle-ci, comme nous allons le voir, est destinée à célébrer le nouveau feu solaire, la lumière et la chaleur printanière qui renaissent.

Il s’agit aussi de saluer dans les temples le retour de la lumière du printemps, et chacun y contribue suivant ses moyens. On offre des cierges, si l’on a l’argent et la dévotion, et parfois il y en a de si gros que ce sont comme des colonnes allumées ; quand il y en a beaucoup, l’effet est fort brillant. On colle au pied des cierges des étiquettes portant les noms des donateurs. Très souvent ces cierges s’offrent en vertu de quelque vœu fait dans le cours de l’année, et on les fait allumer tous les soirs par le king‑kong jusqu’au 20 du mois. Si à cette date ils ne sont pas entièrement consumés, l’administrateur au temple ou le prêtre met dans un panier les bouts qui sont restés, et les porte chez les donateurs avec ou sans cortège de musiciens. Cela s’appelle sàng‑tsik‑bé, « rapporter les bouts de cierges ». Celui à qui on les rapporte donne au porteur, en guise d’étrennes de nouvel‑an, quelques pièces de monnaie enveloppées dans un morceau de papier rouge. Ces bouts de cierge s’allument sur les autels domestiques, et l’on espère ainsi que la famille jouira de la lumière qui éclaire les dieux du temple dans les champs élyséens.

Le but dans lequel on allume tant de lanternes, de cierges et de bougies pendant les premiers jours de l’année est, sans doute possible, de célébrer la lumière grandissante du soleil et la chaleur du printemps qui renaît. On comprend par conséquent que la fête des lanternes arrive à son apogée le jour de la pleine lune, lorsque l’astre joint son éclat à celui du soleil pour inonder de lumière la Nature qui se réveille. Les anciens peuples de l’Occident célébraient aussi le soleil printanier, quoique ils le fissent plus tard que les Chinois, c’est-à-dire à l’époque de l’équinoxe ou de la victoire de la lumière solaire sur les ténèbres. Quelque chrétien qu’il fût, l’empereur Constantin avait l’habitude de faire allumer pendant la nuit de Pâques des bougies et des lampes, qui la rendaient aussi brillante que le plus beau jour. Mais il n’est pas nécessaire de remonter si haut, et nous pouvons voir tous les ans chez nous consacrer le samedi avant Pâques, dans toutes les églises catholiques, le grand et gros cierge de Pâques, que l’on allumera le lendemain sur l’autel en l’honneur du Christ, du soleil, qui « triomphe de l’esprit des ténèbres et de la mort ». Le prêtre allume à la même occasion le « feu de Pâques », mais les paysans de mainte localité ne font pas même appel pour cela à son intervention, et allument leurs feux solaires en rase campagne. Ce dernier usage existe ou a existé dans presque toute l’Europe, mais ce qui probablement est moins connu, c’est qu’à Emoui on allume aussi des feux du printemps le 15 du premier mois chinois en l’honneur du soleil printanier. Nous en parlerons dans un instant.

La fête des lanternes est donc pour les Chinois la fête du printemps par excellence, ce que Pâques est pour nous, la célébration et la bienvenue du soleil printanier victorieux et vivifiant. « La fête de Pâques », dit Dupuis, est la plus gaie de toutes nos fêtes. Tous ses chants sont consacrés à la joie : alléluia est un cri de joie, et ce cri est répété sans cesse. Les prêtres sont vêtus de blanc, couleur favorite du Dieu de la Lumière. On multiplie les cierges ; les temples brillent de nouveaux feux ; enfin, tout exprime la joie d’un triomphe. Et quel est ce triomphe ? Parce que, dit Macrobe, en ce moment le soleil assure au jour l’empire sur les nuits ». — Ceci peut s’appliquer presque mot à mot à la fête des lanternes et aux jours qui la précèdent et la suivent ; cela vient de ce que, malgré la différence des dates, les deux fêtes ont le même fondement ; toutes deux constituent des réjouissances en l’honneur du soleil printanier, soit renaissant, soit vainqueur.

Feux du printemps.

Outre leurs cierges et leurs lampes, les Chinois ont aussi leurs feux du printemps, et ils les allument à l’occasion de leur fête du printemps à eux, lors de la fête des lanternes. La veille on voit des groupes de gens du peuple aller de maison en maison demander du combustible, et chacun donne ce qu’il a sous la main, du bois, des meubles hors d’usage, de vieux paniers, n’importe quoi, pourvu que cela se brûle. Les collecteurs vont partout, même aux jonques dans le port. On fait un grand amas du combustible recueilli et on le dispose sur une place ouverte, volontiers devant un temple, pour l’allumer le lendemain après le coucher du soleil. Remarquons en passant que les collecteurs portent avec eux dans leur tournée, dans un palanquin, une petite figure de tigre, comme on en trouve dans presque tous les temples. Que le lecteur fasse lui même ses conjectures sur le motif de cette coutume quand il aura parcouru les deux pages suivantes.

Le soir du quinze, dès que la pleine lune monte dans toute sa gloire dans le ciel, éclatent les sons étourdissants des cymbales et des gongs, et on allume le bûcher. Il est difficile de donner une idée de la scène de confusion et de bruit qui se déroule. La place grouille d’une multitude de gens du plus bas aloi, sans chapeaux ni chaussures, souvent tout le haut du corps nu, qui se démènent, sautent, cabriolent, dansent, à la lueur fantastique du bûcher, et qui crient à tue‑tête. Dès que le bûcher a commencé de s’effondrer, un prêtre taoïque, les pieds déchaussés, parfois nu jusqu’à la ceinture, prend dans les bras l’image du tigre et saute ainsi à travers les flammes. Le peuple redouble de cris, les joueurs de gongs frappent leurs instruments en possédés, une démence universelle s’empare de la foule. Tout ce qu’il y a d’idoles transportables dans le temple est enlevé en un clin d’œil, et les bienheureux qui ont réussi à s’en emparer se précipitent avec elles au travers du feu, deux, trois, quatre fois de suite, davantage encore ; d’autres encore, ne se contenant plus, traversent à leur suite comme des fous l’élément destructeur sans s’inquiéter des terribles brûlures qu’ils se font. Quelques‑uns, moins étourdis par le bruit des gongs et les excitations de la multitude, prennent un élan avant de sauter et ont la précaution de se mouiller le visage, les mains et les pieds ; mais il leur arrive souvent de sauter trop court et de retomber à la renverse dans le feu. Des rires stridents saluent cette maladresse ; celui qui est tombé se relève, revient, saute de nouveau, et continue tant que la douleur que lui causent ses blessures ne le rappelle pas à la réalité et ne le tire pas de l’espèce d’enivrement dans lequel il se trouvait. Cela dure des heures. Enfin la surexcitation de la foule s’épuise en même temps que le combustible commence à manquer ; peu à peu, tard dans la soirée, la multitude s’éclaircit et se dissipe, abandonnant les cendres chaudes aux femmes, qui accourent de toutes parts avec les pots à feu et des pincettes, pour tâcher d’en avoir leur part.

Cette cendre, déposée dans les foyers, a la vertu de rendre florissants les animaux domestiques et de les faire grandir. Cette superstition a sa logique. Elle vient de ce que les feux allumés en l’honneur du printemps sont symboliques de la chaleur, du feu du soleil printanier, qui fait tout vivre et grandir ; la cendre des feux doit donc renfermer aux yeux de femmes superstitieuses une part de la puissance solaire. Cela explique aussi pourquoi l’on allume de préférence les bûchers devant les temples du Grand Dieu Patron de la Production, dont la puissance et l’action naturellement sont les plus apparentes quand l’hiver est fini, que tout revient à la vie, et qu’il naît de nouvelles plantes, et de nouveaux animaux.

Remarquons que le baptême de feu du tigre est une copie de ce qui se passe dans le ciel. En effet, au commencement du printemps chinois, le soleil entre dans le signe du Verseau ou dans celui des Poissons, pour traverser ensuite, dans les trois mois qui suivent, ceux du Bélier et du Taureau ; or c’est là justement la partie du ciel à laquelle les Chinois donnent le nom de Tigre blanc. Cette constellation est donc au printemps inondée de feu par le soleil. Mais, s’il est ainsi très possible que le baptême de feu du tigre soit une imitation de celui que le tigre céleste subit à la même époque de l’année, il résulterait de là, vu la précession, que cette cérémonie serait d’origine relativement récente.

Disons en passant qu’à Emoui on appelle t‘iaò‑hé‑p‘oûn l’acte de sauter à travers le feu.

Le 15e jour de l’année étant consacré, comme on l’a vu, au feu printanier, il va sans dire que l’on fait partir toutes sortes de feux d’artifice. Il y en a une espèce trop curieuse pour que nous la passions sous silence ; c’est « le lion ou tigre de feu », hé‑saï. Il se fait d’une carcasse de bambou et de papier, qui renferme une provision de ces « crackers » que nous avons déjà décrits ; on le traîne par les rues, de telle sorte qu’il ait l’air de marcher, et en même temps le feu, accompagné de détonations, sort de toutes parts de son corps. Cette pièce d’artifice est peut‑être aussi un symbole du tigre céleste, qui reçoit en lui le soleil au printemps, et qui répand de tous côtés sur tout ce qui est au dessous de lui la chaleur de cet astre. La place des tigres est quelquefois prise par des chevaux, appelés hé‑bé, « chevaux de feu », que l’on fait cependant d’ordinaire beaucoup plus petits et moins beaux que les tigres.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 20 juin 2007 19:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref