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Collection « Les auteur(e)s classiques »

DIEU D’EAU: entretiens avec Ogotemmêli (1948)
Extraits


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Marcel Griaule (1898 - 1956): DIEU D’EAU: entretiens avec Ogotemmêli. Paris: Librairie Arthème Fayard, 1975, 224 pages. Première édition: 1948. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Extraits

Sixième journée. La descente du grenier de terre pure. 

L’ancêtre constructeur avait rassemblé sur la terrasse les outils et appareils d’une forge. Car son rôle futur était d’apporter aux hommes le fer pour leur permettre de cultiver.

Le soufflet était fait de deux vases de terre crue triturée avec du poil de mouton blanc ; ces vases étaient fixés l’un à l’autre comme deux jumeaux : leur large ouverture était fermée avec une peau. De chacun d’eux partait un conduit de terre aboutissant à la tuyère.

La masse avait la forme d’une grande navette de fer, conique côté manche, quadrangulaire côté frappe. L’enclume, de forme comparable, était fixée dans une traverse de bois.

L’ancêtre Forgeron était armé d’un arc de fer et de flèches-fuseaux. Il en lança une dans la terrasse du grenier, au centre du cercle figurant la lune ; il entoura la tige d’un long fil de la Vierge qui forma bobine. Ainsi l’édifice entier était une énorme fusaïole. Prenant une seconde flèche à laquelle il attacha l’autre extrémité du fil, il la décocha dans la voûte du ciel pour servir de point d’appui.

Ce qui allait descendre était une somme de symboles :

Au premier chef, le grenier merveilleux était le système du monde orienté, classé en catégories d’êtres.

Il était le panier tressé qu’avait imité son constructeur et dont les hommes devaient faire leur unité de volume. L’unité de longueur était l’emmarchement, ou la contremarche du degré des escaliers, soit une coudée. L’unité de surface était donnée par la terrasse de huit coudées de côté. Les deux figures géométriques fondamentales se manifestaient par la terrasse carrée et par le cercle de base qui, dans le panier, est en réalité l’ouverture.

Il était le grenier modèle dans lequel les hommes allaient engranger leurs récoltes.

Il était, de ce fait, la réalisation idéale et dernière de l’agencement de la fourmilière, laquelle avait déjà servi de modèle aux hommes pour transformer leurs habitations souterraines. 

Il était la fusaïole, masselotte du fuseau que le Forgeron avait décoché dans sa terrasse et qui servait d’axe au bobinage du fil de descente.

Il donnait symboliquement la forme du fer à égrener le coton, navette bi-tronconique dont la silhouette est apparentée à celle de la masse du Forgeron.

Il était le haut de la masse. Dans la croyance populaire, c’est dans sa masse que le Forgeron avait apporté les graines aux hommes.

Il était aussi l’enclume quadrangulaire, femelle, forgée à l’imitation de la masse qui est le mâle.

Il était la main palmée du Nommo, dont la masse donne l’image.

Il était le haut du corps du Nommo, dont cette même masse est aussi le symbole : deux faces opposées représentant la poitrine et le dos ; les deux autres étant les bras.

Il était enfin le corps même de la féminité du Forgeron qui, comme tous les êtres, était double.

Tout était prêt pour le départ. Mais le feu de forge manquait. L’ancêtre se glissa dans l’atelier des grands Nommo qui sont les forgerons du ciel et il vola un morceau de soleil sous forme de braise et de fer incandescent. Il le saisit à l’aide d’un « bâton de voleur » dont la crosse recourbée se terminait par une fente ouverte comme une bouche. Perdant des braises, revenant sur ses pas pour les reprendre, il s’enfuit vers l’édifice dont il ne retrouva plus les issues dans son émoi. Il en fit plusieurs fois le tour avant d’escalader les degrés et de gagner la terrasse où il cacha son larcin dans l’une des peaux du soufflet en disant :

Gouyo !

C’est-à-dire « volé ».

Ce nom, depuis, est resté dans la langue et signifie grenier. Il rappelle que sans le feu de la forge, sans le fer des boues, il n’y aurait pas de récolte à engranger.

Sans perdre un instant, le Forgeron lança le tronc-de-cône-pyramide le long d’un arc-en-ciel Sans que l’édifice tournât sur p.40 lui-même, le fil se déroulait en serpentin, image du cheminement de l’eau.

Sa masse et son arc en mains, le Forgeron se tenait debout, prêt à se défendre contre l’espace. Mais l’attaque fut inattendue : dans un bruit de tonnerre, un brandon lancé par le Nommo femelle atteignit la terrasse. Le Forgeron, pour se protéger, saisit l’une des peaux du soufflet et la brandit au-dessus de sa tête, créant ainsi le bouclier. La peau, par le fait qu’elle avait reçu le morceau de soleil, était devenue d’essence solaire et le feu du ciel ne prévalait pas contre elle. Puis l’ancêtre éteignit avec l’eau de son outre le bois enflammé qui incendiait l’édifice. Ce bois, nommé bazou, devait être à l’origine du culte du feu femelle.

Un autre coup de foudre suivit le premier, lancé cette fois par le Nommo mâle. Mais il n’eut pas plus d’effet. Le Forgeron éteignit le second brandon, nommé anakyê, sur lequel devait être fondé plus tard le culte du feu mâle.

L’édifice poursuivit donc sa route le long de l’arc-en-ciel. Il allait seulement plus vite, du fait de la poussée donnée par les foudroiements.

Sur la terrasse, le Forgeron avait repris sa garde, mais il était fatigué de tenir sa masse serrée dans sa main et il la posa en travers de ses bras légèrement relevés vers l’avant. Quant à l’enclume, il la portait en bandoulière à l’aide d’un long cuir qui passait autour de son cou et retombait derrière lui par-dessus ses épaules. La traverse de bois dans laquelle était enfoncé le fer lui battait les jambes.

Dans cette descente, l’ancêtre avait encore la qualité de génie de l’eau et son corps, bien qu’ayant gardé une apparence humaine du fait qu’il s’agissait d’un homme régénéré, était pourvu de quatre membres souples comme des serpents, à l’image des bras des grands Nommo.

Le sol approchait rapidement. L’ancêtre était toujours debout, bras en avant, masse et enclume en travers des membres. Survint l’impact final qui se produisit au bout de l’arc-en ciel, là où il touchait la terre. Le choc dispersa dans un nuage de poussière les animaux, les végétaux et les hommes échelonnés sur les marches.

Quand le calme fut revenu, le Forgeron était encore sur la terrasse, debout, face au nord, ses outils en même place. Mais dans le choc, la masse et l’enclume lui avaient brisé les bras et les jambes, à hauteur des coudes et des genoux qu’il n’avait pas jusque-là. Il recevait ainsi les articulations propres à la nouvelle forme humaine qui allait se répandre sur la terre et qui était vouée au travail.

— En vue du travail, son bras s’est plié.

En effet, les membres souples étaient impropres aux tâches de la forge et des champs. Pour frapper le fer rouge et pour creuser la terre, il fallait le levier de l’avant-bras.

En prenant contact avec le sol, l’ancêtre était donc prêt pour son œuvre civilisatrice. Il descendit par l’escalier septentrional et délimita un champ carré de dix fois huit coudées de côté orienté comme la terrasse sur laquelle il était descendu et qui donnait les mesures de la parcelle unitaire.

Ce champ fut divisé en 80 fois 80 carrés d’une coudée qui furent répartis entre les huit familles descendant des ancêtres, et qui avaient poursuivi leur destinée sur la terre. Selon la médiane nord-sud du carré, huit maisons d’habitation furent construites, avec de la terre à laquelle on avait mélangé du torchis pris au grenier. Au nord de cette ligne, la forge s’établit.

Retour au livre de l'auteur: Johann Jacob Maria de Groot (1854-1921) Dernière mise à jour de cette page le mercredi 1 mars 2006 14:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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