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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Antonio GRAMSCI, « La science et les idéologies "scientifiques". » In revue L’homme et la société, revue internationale de recherches et de synthèses sociologiques, no 13, juillet-septembre 1969, pp. 169-174. Paris : Les Éditions Anthropos.

[169]

Antonio GRAMSCI

La science
et les idéologies "scientifiques"
.”

In revue L’homme et la société, revue internationale de recherches et de synthèses sociologiques, no 13, juillet-septembre 1969, pp. 169-174. Paris : Les Éditions Anthropos.

Ce fragment des « Quademi del Carcere » est indispensable pour comprendre la pensée philosophique de Gramsci. L'auteur, après avoir dans la première partie du texte discuté certains points subsidiaires, essaie de répondre à la question fondamentale : peut-on parler de l'objectivité de la  nature ? S'opposant à la fois au matérialisme mécaniste et au solipsisme, Gramsci affirme l'inséparabilité du sujet et de l'objet : l'objectivité de la nature n'existe pas indépendamment de l'homme,  il n'y a pas de dialectique de la nature indépendante de la dialectique humaine. Dans le même fragment, l'auteur essaie de définir la valeur et les limites de la science, puis de la re-situer dans l'histoire : la science est une superstructure, reliée elle aussi aux autres niveaux de la pratique humaine. Cette analyse de Gramsci se rattache à son historicisme radical (aucune réalité n'existe en soi, hors de son rapport temporel avec les autres réalités physiques et humaines) et à son humanisme (toute réalité implique la dialectique de l'homme).

Jean-Marc PIOTTE *

L'affirmation d'Eddington : « Si dans le corps d'un homme nous éliminions tout l'espace dépourvu de matière et que nous réunissions ses protons et électrons en une seule masse, l'homme serait réduit à un corpuscule à peine visible à la loupe» [1] a frappé et mis en mouvement l'imagination de G. A. Borghese (cf. son petit livre).

Mais que signifie concrètement l'affirmation d'Eddington ? À y réfléchir un peu, elle n'a qu'une signification littérale : elle ne signifie précisément rien d'autre qu'elle-même. Même si une telle réduction fut faite (et par qui ?) et étendue à tous les hommes, les rapports ne changeraient pas et les choses resteraient telles qu'elles sont. Les choses changeraient seulement si un groupe déterminé d'hommes subissait cette réduction : dans cette hypothèse, on aurait une concrétisation de quelques chapitres des Voyages de Gulliver avec les Lilliputiens, les géants et le bourgeois Gulliver.

En réalité, il ne s'agit pas d'un nouveau mode de pensée scientifique ou philosophique, mais d'un pur jeu de mots, d'une science romancée, d'une façon de poser les questions aptes seulement à faire rêver les têtes vides. Peut-être que la matière vue au microscope n'est plus une matière réellement objective, qui existe dans la réalité, mais une pure création de l'esprit humain ? On pourrait rappeler à ce propos le conte hébreu d'une petite fille qui a subi un très petit malheur... aussi petit qu'un coup d'ongle. Dans la physique d'Eddington et dans plusieurs autres manifestations de la science moderne, la surprise du lecteur naïf dépend du fait que des mots qui signifient des phénomènes déterminés sont arbitrairement utilisés pour désigner des phénomènes absolument différents. [170] Un corps reste, dans son sens traditionnel, « massif » même si la « nouvelle » physique démontre qu'il est constitué de 1/1 000 000 de matière et de 999 999 parties vides. Un corps est, dans son sens traditionnel, « poreux » : il ne le devient pas avec la « nouvelle » physique, même après l'affirmation d'Eddington. La position de l'homme reste la même ; aucun des concepts fondamentaux de la vie n'est le moindrement ébranlé et, encore moins, renversé. Les commentaires des différents Borghese auront à la longue comme seul résultat de rendre ridicules les conceptions subjectivistes de la réalité qui permettent de semblables insignifiants jeux de mots.

Le professeur Mario Camis écrit : « En considérant l'extrême minutie de certaines méthodes de recherches, me revenaient en mémoire les paroles d'un membre du dernier Congrès philosophique d'Oxford qui, selon ce que rapporte Borghese en parlant des phénomènes infiniment petits qui attirent aujourd'hui tant l'attention, remarquait qu'ils ne peuvent être considérés indépendamment du sujet qui les observe. Ce sont des paroles qui conduisent à de nombreuses réflexions et qui remettent sur le chantier, dans des perspectives complètement nouvelles, les grands problèmes de l'existence subjective de l'univers et de la signification des informations sensorielles dans la pensée scientifique » [2]. Ceci est, semble-t-il, un des rares exemples d'infiltration parmi les hommes de science italiens du mode de penser extravagant de certains scientistes, très souvent anglais, au sujet de la « nouvelle » physique. Le professeur Camis aurait dû — si l'observation rapportée par Borghese pousse à la réflexion — avoir premièrement réfléchi à ceci : la science ne peut plus exister comme elle l'a fait jusqu'à maintenant, mais doit, parce que les faits n'existent pas indépendamment de l'esprit des expérimentateurs, se transformer en une série d'actes de foi dans les affirmations de ceux-ci.  L'ensemble  du progrès scientifique ne s'est-il pas manifesté jusqu'à présent par le fait que des expériences et des observations nouvelles ont corrigé et élargi le champ des expériences et des observations précédentes ? Comment cela aurait-il pu se produire si l'expérience donnée n'avait pu se répéter, si, l'observateur changé, il avait été impossible de contrôler et de développer l'observation déjà effectuée pour dévoiler de nouveaux liens ? La superficialité des observations de Camis ressort clairement de l'ensemble de l'article d'où j'ai tiré la citation rapportée plus haut. Camis y laisse entendre que l'observation   du philosophe  du Congrès d'Oxford — qui  a tant  fait déliré Borghese — peut et doit se comprendre, non dans un sens philosophique, mais dans un sens strictement empirique. L'écrit de Camis est un compte-rendu du livre de Gösta Ekehorn, On the principles of renal function, Stockholm, 1931. On y parle d'expériences effectuées sur des éléments si petits qu'ils ne peuvent être décrits (la description est entendue, elle aussi, en un sens relatif) avec des mots qui soient valables et représentatifs pour les autres phénomènes ; l'observation de ces éléments ne peut par conséquent être séparée de l'observateur et être objectivée : tout expérimentateur doit arriver directement et par ses propres moyens à la perception de ces éléments en suivant minutieusement tout le processus. Posons cette hypothèse : le microscope n'existe pas et seules quelques personnes ont une acuité visuelle égale à la vision normale munie d'un [171] microscope ; il est alors évident que les expériences de l'observateur pourvu d'une vue exceptionnelle ne peuvent être séparées de sa personnalité psychophysique et être répétées. Seule l'invention du microscope éliminera les différences d'acuité visuelle entre les observateurs et permettra à tous les savants de reproduire l'expérience et de la développer collectivement. Mais cette hypothèse permet d'observer et d'identifier une seule partie de la difficulté ; il n'y a pas seulement l'acuité visuelle qui entre en jeu dans les expériences scientifiques. Camis observe à propos de l'expérience dans laquelle Ekehorn pique un des glomérules rénaux d'une grenouille avec une canule : « cette expérience est conduite avec tant de finesse et est si liée aux indéfinissables et inimitables intuitions manuelles de l'expérimentateur que Ekehorn lui-même, lorsqu'il veut décrire l'opération de l'incision en oblique, affirme qu'il doit se contenter d'une vague indication, ne pouvant en formuler avec précision les règles ». L'erreur est de croire que de semblables phénomènes se vérifient seulement dans l'expérimentation scientifique. En réalité, en tout atelier existent, pour certaines opérations industrielles de précision, des spécialistes dont les capacités se fondent uniquement sur leur très grande sensibilité visuelle et tactile et sur leur très grande dextérité. On peut trouver, dans les livres de Ford, des exemples à ce sujet. Dans la lutte contre le frottement, on a fait des pas en avant considérables pour obtenir des surfaces lisses et non granuleuses (ce qui permet une épargne considérable de matière) ; à l'aide de machines électriques, on vérifie — ce que l'homme par lui-même ne pourrait faire — la parfaite adhérence des surfaces de matériaux. Ford rapporte à ce propos l'exemple d'un technicien Scandinave qui réussit à donner à l'acier une telle égalité de superficie que, pour détacher deux corps qu'on a fait adhérer l'un à l'autre, il faut le poids de plusieurs quintaux.

Pourtant ce qu'observe Camis n'a aucun rapport avec les rêveries de Borghese et de ses maîtres. S'il était vrai que les phénomènes infiniment petits ne peuvent être posés comme existant indépendamment du sujet qui les observe, ils ne seraient pas en réalité « observés », mais « créés », et tomberaient dans le même domaine que les rêveries de l'individu. On pourrait aussi poser la question : le même individu peut-il « deux fois » créer (observer) le même fait ? Il ne s'agirait pas alors de solipsisme, mais de démiurgie et de sorcellerie. Ces rêveries — et non les phénomènes (inexistants) — seraient ainsi, comme les œuvres d'art, objets de science. L'ensemble des hommes de science qui ne jouiraient pas de cette faculté démiurgique étudieraient scientifiquement le petit groupe de grands savants thaumaturges. Mais si au contraire, nonobstant toutes les difficultés pratiques soulevées par les différences de sensibilité individuelle, le phénomène se répète et peut être observé objectivement et, indépendamment les uns des autres, par différents hommes de science, que signifie l'affirmation rapportée par Borghese sinon précisément qu'elle est une métaphore pour indiquer les difficultés inhérentes à la description et à la représentation des phénomènes observés ? Ces difficultés me paraissent être facilement explicables.

1) l'incapacité des hommes de science à exprimer par l'écriture les phénomènes microscopiques : ils ont été jusqu'à maintenant didactiquement préparés à décrire et à représenter les seuls phénomènes macroscopiques ;

[172]

2) l'insuffisance du langage commun, forgé lui aussi pour rendre compte des phénomènes macroscopiques ;

3) le faible développement de ces sciences ; l'exigence du progrès de leurs méthodes pour pouvoir être expliquées au grand public à l'aide de la communication écrite (seul un petit nombre privilégié d'initiés peut avoir une vision directe et expérimentale de ces sciences) ;

4) enfin, il faut rappeler que plusieurs expériences microscopiques sont des expériences indirectes, à chaîne, dont la solution « se voit » dans les résultats et non dans le processus lui-même (par exemple, les expériences de Rutherford).

Il s'agit de toute façon d'une phase transitoire et initiale d'une nouvelle époque scientifique, phase qui a produit, en se liant à une grande crise morale et intellectuelle, une nouvelle forme de « sophistique » qui rappelle les sophismes classiques d'Achille et de la tortue, du grain dans un tas de grains, de la flèche décochée qui ne peut s'arrêter, etc. Toutefois ces sophismes ont représenté une phase dans le développement de la philosophie et de la logique, et ont servi à raffiner les instruments de la pensée.

Nécessité de recueillir les principales définitions qui ont été données de la science (dans le sens de science naturelle). « Etude des phénomènes et de leurs lois de ressemblance (régularité), de coexistence (coordination), de succession (causalité). « D'autres tendances — qui tiennent compte du fait que la science établit entre les phénomènes une relation telle qu'il soit possible de s'en rendre maître par la pensée et de les dominer pour les fins de l'action — définissent la science comme « la description la plus économique de la réalité ».

La question la plus importante soulevée par le concept de science est celle-ci : la science peut-elle donner — et si oui, de quelle façon — la « certitude » de l'existence objective de la réalité dite extérieure ? Pour le sens commun, la question n'existe même pas ; mais d'où provient la certitude du sens commun ? Essentiellement de la religion (du moins en Occident, où elle vient du christianisme) ; mais la religion ne peut servir de preuve ou de démonstration : elle est une idéologie, l'idéologie la plus répandue et la plus enracinée. On peut soutenir que c'est une erreur de demander à la science comme telle la preuve de l'objectivité du réel, puisque cette objectivité relève d'une conception du monde, d'une philosophie et ne peut donc être considérée comme une donnée vérifiable scientifiquement. Quel peut alors être l'apport de la science à la solution de cette question ? La science sélectionne les sensations, les éléments primordiaux de la connaissance : elle considère certaines sensations comme transitoires, apparentes et fausses parce qu'elles dépendent de conditions individuelles particulières, et les différencie des sensations durables et permanentes qui sont au delà des différences de perception entre individus.

Le travail scientifique a deux principales caractéristiques : premièrement, il corrige continuellement le mode de connaissance, rectifie et renforce les organes sensoriels, et élabore de nouveaux et complexes principes d'induction et de déduction, c'est-à-dire qu'il affine les instruments mêmes de l'expérience et de son contrôle ; deuxièmement, il applique cet ensemble instrumental (d'instruments matériels et mentaux) pour distinguer ce qui dans les sensations est nécessaire de ce qui est arbitraire, individuel et transitoire. On établit ce qui est commun à tous les hommes, ce que tous les hommes peuvent contrôler de la [173] même façon indépendamment les uns des autres, pourvu qu'ils aient respecté les mêmes conditions techniques de vérification. « Objectif » signifie précisément et seulement ceci : on affirme comme étant objectif, comme réalité objective, la réalité qui est vérifiée par tous les hommes, qui est indépendante de tout point de vue individuel ou de groupe.

Mais au fond même ceci est une conception particulière du monde, une idéologie. Toutefois cette conception, dans son ensemble et par la direction qu'elle indique, peut-être acceptée par la philosophie de la praxis, tandis que celle du sens commun doit en être rejetée, même si elle conclut matériellement de la même façon. L'objectivité du réel est affirmée par le sens commun dans la mesure où la réalité — le monde — a été créée par Dieu indépendamment de l'homme, antérieurement à l'homme ; le sens commun exprime par conséquent la conception mythologique du monde ; il tombe d'ailleurs dans les erreurs les plus grossières lorsqu'il décrit cette objectivité ; le sens commun s'est en grande partie arrêté à l'astronomie de Ptolémée, il ne sait pas établir les liens réels de causalité, etc., c'est-à-dire qu'il affirme « objective » une certaine « subjectivité » anachronique, ne pouvant même pas concevoir que puisse exister une conception subjective du monde et ignorant totalement ce qu'une telle conception voudrait ou pourrait signifier.

Mais toutes les affirmations de la science sont-elles « objectivement » vraies ? De façon définitive ? Si les vérités scientifiques étaient définitives, la science cesserait d'exister comme science, comme recherche, comme expériences nouvelles, et l'activité scientifique se réduirait à une divulgation du déjà vu. Ce qui n'est pas vrai... pour le bonheur de la science. Mais si les vérités scientifiques ne sont pas définitives et péremptoires, la science, elle aussi, est une catégorie historique, un mouvement en continuel développement. Sauf que la science ne pose aucune forme métaphysique d'« inconnaissable », mais réduit ce que l'homme ne connaît pas à un empirique « non connu » qui n'exclut pas la connaissance, mais la rend dépendante du développement des instruments physiques et de l'intelligence historique des hommes de science.

Si c'est ainsi, ce qui intéresse la science n'est donc pas tant l'objectivité du réel, mais le fait de l'homme qui élabore ses méthodes de recherche, qui rectifie continuellement les instruments matériels renforçant ses organes sensoriels, qui affine sans relâche ses instruments logiques (y compris les mathématiques) de discrimination et de vérification : ce qui intéresse la science est donc la culture, c'est-à-dire la conception du monde, c'est-à-dire le rapport de l'homme et du réel par la médiation de la technologie. Même pour la science, chercher la réalité hors des hommes — cela entendu dans un sens religieux ou métaphysique — n'apparaît rien d'autre qu'un paradoxe. Sans l'homme, que signifierait la réalité de l'univers ? Toute la science est liée aux besoins, à la vie, à l'activité de l'homme. Sans l'activité de l'homme, créatrice de toutes les valeurs, mêmes scientifiques, que serait l'« objectivité » ? Un chaos, c'est-à-dire rien, le vide — si cela même peut se dire, car si on imagine que l'homme n'existe pas, on ne peut poser l'existence de la langue et de la pensée. Pour la philosophie de la praxis, l'être ne peut être disjoint de la pensée, l'homme de la nature, l'activité de la matière, le sujet de l'objet : si on effectue cette séparation, on tombe dans une des nombreuses formes de religiosité ou dans de vides abstractions.

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Poser la science à la base de la vie, faire de la science la conception du monde par excellence, celle qui libère de toute illusion idéologique, qui pose l'homme devant la réalité telle qu'elle est, signifie retomber dans l'erreur de croire que la philosophie de la praxis a besoin de soutiens philosophiques étrangers à elle-même. Mais, en réalité, même la science est une superstructure, une idéologie. Peut-on toutefois dire que la science — spécialement depuis 1700, depuis qu'on lui accorde un rang particulier dans l'appréciation générale — occupe une place privilégiée dans l'étude des superstructures dans la mesure où son action sur la structure a une plus grande extension et une plus grande continuité de développement que les autres instances superstructurelles ? Que la science soit une superstructure est démontré par le fait qu'elle a subi des périodes entières d'éclipsé lorsqu'elle fut obscurcie par la religion, idéologie qui dominait et qui affirmait avoir absorbé la science elle-même ; à cette époque, la science et la technique des arabes apparaissaient aux chrétiens comme une pure sorcellerie. De plus la science, malgré tous les efforts des savants, ne se présente jamais comme pure notion objective : elle apparaît toujours revêtue d'une idéologie ; la science est en réalité l'union du fait objectif et d'une hypothèse ou d'un système d'hypothèses qui dépasse le pur fait objectif. Il est cependant vrai que, dans le domaine scientifique, il est relativement facile de distinguer la notion objective du système d'hypothèses par un processus d'abstraction qui est inscrit dans la méthodologie même des sciences et qui permet de s'approprier l'une et de repousser l'autre. Voilà pourquoi un groupe social peut faire sienne la science d'un autre groupe sans en accepter l'idéologie (par exemple, l'idéologie grossière de l'évolution) ; les observations de Missiroli et de Sorel à ce sujet ne valent donc point.

Il faut noter qu'existe, à côté de l'engouement superficiel pour les sciences, la plus grande ignorance des faits et des méthodes scientifiques, faits et méthodes qui sont très difficiles d'accès et qui le deviennent toujours davantage par la progressive spécialisation de la science et par la formation continuelle de nouveaux rameaux de recherche. La superstition scientifique apporte avec soi des illusions si ridicules et des conceptions si infantiles que, par comparaison, même la superstition religieuse en sort ennoblie. Le progrès scientifique a fait naître la croyance et l'attente d'un nouveau type de Messie qui apporterait à ce monde le paradis terrestre : les forces de la nature, sans l'intervention de l'homme, mais par le fonctionnement de mécanismes toujours plus perfectionnés, donneraient en abondance à la société tout le nécessaire pour satisfaire les besoins des hommes et pour rendre la vie facile. Contre cet engouement dont les dangers sont évidents (la foi superstitieuse et abstraite dans la force thaumaturgique de l'homme porte paradoxalement à stériliser les bases mêmes de cette force et à détruire tout amour du travail nécessaire et concret ; elle porte à rêver comme si elle était un nouveau type d'opium), il faut combattre avec différents moyens, dont le plus important devrait être une meilleure connaissance des notions scientifiques essentielles, par la divulgation de la science par ceux-là mêmes qui la font et non pas par des journalistes omniscients ou des autodidactes prétentieux. En réalité, on conçoit la science comme une sorcellerie supérieure parce qu'on attend trop d'elle, et, par conséquent, on ne réussit pas à évaluer avec réalisme ce qu'elle offre de concret.



* Jean-Marc Piotte vient de terminer une étude sur Gramsci qui sera publiée prochainement aux Éditions Anthropos.

[1] Cf. La nature du monde physique, éd. Française, p. 20

[2] Nuova Antologia, 1er novembre 1931, dans la rubrique « Scienze biologiche e mediche ».


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 14 octobre 2017 15:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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