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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Lettres de la prison (1926-1937):

Préface de Palmiro Togliatti


Une édition électronique réalisée à partir du livre d’Antonio Gramsci, Lettres de la prison. Traduit de l’Italien par Jean Noaro, 1953. Préface de Palmiro Togliatti.

Note

Pour présenter au public français les Lettres de la prison et leur auteur, il nous a semblé utile de nous servir de l'étude que le compagnon d'armes d'Antoine Gramsci et son continuateur à la tête du Parti communiste italien, Palmiro Togliatti, écrivit à Paris en 1937, aussitôt après que le monde eût appris avec stupeur que celui que la protestation universelle croyait avoir arraché à ses bourreaux n'était pas parvenu au delà du seuil de la prison sur le chemin de la liberté recouvrée.

Il est sûr qu'en 1937 l'œuvre que Gramsci avait écrite dans son cachot n'était connue encore ni dans son ampleur ni dans son détail. Le texte de Palmiro Togliatti n'en paraîtra que plus convaincant.

Antoine Gramsci, secrétaire du parti communiste et député au Parlement, fut arrêté à Rome le soir du 8 novembre 1926, dans la maison Passarge, au numéro 25 de la rue G.B. Morgagni : il avait loué là une chambre meublée.

Après seize jours de détention à la prison de Regina Coeli, la « Santé » italienne, il fut dirigé sur l'île d'Ustica, a quelque cent kilomètres au Nord de Palerme, où il avait à subir une condamnation de cinq années de relégation.

Il arrivait à destination le 7 décembre. Il quittait l'île le 20 janvier 1927 et il était transféré à la prison Saint-Victor à Milan, inculpé de conspiration contre les Pouvoirs de l'État, de provocation à la guerre civile, d'excitation à la haine de classe, d'apologie d'actes criminels et de Propagande subversive.

L'instruction terminée, en mai 1928, Gramsci était conduit à nouveau à Regina Coeli. Son Procès et celui de ses camarades communistes se déroulait du 28 mai au 4 juin 1928. Le Tribunal spécial présidé par le général Saporiti retenait les conclusions du procureur Isgrô et condamnait Antoine Gramsci à vingt ans, quatre mois et cinq jours de réclusion. En juillet 1928, Antoine Gramsci prenait possession, à la Prison de Turi, dans la province de Bari, de la cellule 7047 qu'il ne quitterait plus que Pour mourir.

Gramsci était de santé faible. En prison, son organisme débilité offrait un terrain de moindre résistance. Lorsque les troubles stomacaux lui laissaient quelque repos, intervenaient les troubles intestinaux. Il crachait du sang. Il avait de persistantes migraines. Le sommeil le fuyait : en octobre 1930, il dormit en moyenne deux heures sur vingt-quatre. Lorsqu'il lui arrivait de trouver un peu de sommeil, son gardien, qui avait reçu des ordres en conséquence, ouvrait et fermait la porte du cachot avec bruit : Gramsci, réveillé, n'arrivait plus à se rendormir. Toute nourriture lui était contraire. Celle qu'il pouvait digérer ne figurait que rarement au « menu » de la prison. Gramsci ne croyait Pas aux médecins. Mais il se soignait ou du moins il essayait de se soigner : le devoir était de vivre.

Jamais, ce grand caractère ne faiblit. Il lui fut proposé cent fois de demander sa grâce. Il ne consentit jamais à le faire. « Il y a là une forme de suicide et je n'ai nullement l'intention de me suicider », répondait-il.

Chaque jour, il lutta contre ce qu'il appelait la routine pénitentiaire. Il s'était fait un plan de travail. Malgré les souffrances physiques et morales, la censure et le con-trôle de l'administration Pénitentiaire, l'impossibilité de se référer à une documentation indispensable et de recevoir en temps voulu le matériel bibliographique qui lui aurait fait besoin, il couvrit d'une écriture fine et serrée trente-deux cahiers, trois mille pages manuscrites correspondant à quatre mille pages dactylographiées. Gramsci traite des intellectuels italiens et de leur mission à travers l'histoire, de Machiavel, d'Ugo Foscolo, de Dante, de la Réforme, de la Renaissance, du roman feuilleton, du folklore, de la langue littéraire et des dialectes, du théâtre, de l'école laïque, de l'américanisme, du Risorgimento et de Benedetto Croce et de cent autres sujets. Ses connaissances sont universelles. Ses jugements fermes, de valeur définitive, étonnent cependant par les nuances qu'y introduit le plus grand humaniste de l'Italie d'aujourd'hui. Alors que dans les Lettres le drame vécu par Gramsci dans sa Prison est visible, avec ses misères, ses tortures, avec la bataille que l'esprit a décidé de mener -, dans les Cahiers, ainsi que le précise l'éditeur italien, il n'y a plus de trace de l'enfer cellulaire, seul demeure le fruit d'une pensée géniale, la marque d'une volonté de lutte indomptée et d'une admirable force de caractère.

Le sort fait à Gramsci par le fascisme souleva la Protestation universelle. En France, parmi beaucoup d'autres, protestèrent Romain Rolland et Henri Barbusse, en Angleterre l'archevêque de Canterbury. Mussolini fut contraint de reculer, ou de faire semblant de reculer. Gramsci quitta le bagne de Turi pour une clinique de Formia, puis il fut conduit dans une clinique de Rome. Il était trop tard pour qu'il pût être sauvé. Le 27 avril 1937, sa peine, qui avait été hypocritement réduite de dix ans, étant venue à expiration depuis trois jours, Antoine Gramsci rendait le dernier soupir.

Qu'il soit dit Pour compléter le schéma à Peine esquissé de cette grande existence et pour faciliter la lecture des Lettres que la plus grande Partie de celles-ci sont adressées aux membres de la famille de Gramsci : à sa femme, à ses enfants, à sa mère, à ses sœurs, à sa belle-sœur. La maman et les sœurs, Thérésine et Gracieuse, vivaient en Sardaigne. Le frère Charles était employé à Milan. Le frère Gennaro avait émigré en France.

Gramsci avait connu sa femme, Julie (Julca) Schucht dans une maison de repos de Moscou au début de 1923. Un premier enfant, Délio, était né à Moscou en août 1924 alors que Gramsci était retourné en Italie. La maman et Délio rejoignirent le père à Rome fin 1925. Ils le quittèrent au printemps suivant pour rentrer à Moscou, où, en août 1926, julien vint au monde. Tout cela veut dire que Gramsci a connu son premier enfant quelques mois seulement et qu'il n'a jamais connu son second fils. Il faut beaucoup penser à cela en lisant certaines « lettres de la prison ».

Il faut aussi penser que Julie, durement touchée par l'arrestation de son mari, eut à souffrir d'une maladie nerveuse que l'on s'efforça de cacher au prisonnier, mais assez vainement. Gramsci se douta vite qu'on ne lui disait pas la vérité et cela fut à l'origine d'âpres discussions, d'accès de mauvaise humeur, de colères même. Et Julie ne put jamais, et pour cause, venir en Italie ainsi que Gramsci l'aurait tant désiré.

Un personnage important dans ce drame de l'enfermé est la belle-sœur de celui-ci, la sœur de Julie, Tatiana (Tania). Son affection pour Gramsci était fraternelle, et illimitée l'admiration qu'elle avait pour lui. Onze années durant, Tatiana ne vécut que pour soulager les souffrances de Gramsci, pour lui rendre moins dure la vie de la prison. De faible constitution elle-même, elle surmonta toutes les fatigues pour bien accomplir le grand devoir qu'elle s'était imposé. C'est elle qui recueillit le dernier soupir de Gramsci, qui prit soin de sa tombe et qui sauva les précieux cahiers écrits dans la prison. Tatiana Schucht est morte en 1943 en Union soviétique.

Les Lettres de la prison ont été publiées pour la première fois en Italie en 1947. Elles recueillirent aussitôt un immense succès auprès de l'ensemble des critiques et de l'immense majorité du public italien. Elles arrachèrent des cris d'admiration à Benedetto Croce. Elles obtinrent le Prix Viareggio.

La publication des Lettres fut suivie, entre 1948 et 1951, par celle des 32 « cahiers de la prison » réunis en six volumes (Le Matérialisme historique et la philosophie de Benedetto Croce, Les Intellectuels et l'organisation de la culture, Le Risorgimento, Notes sur Machiavel, sur la politique et sur l'État moderne, Littérature et vie nationale, Le Passé et le présent). Nul homme de savoir ne peut décemment ignorer cette œuvre. Il n'est pas possible de s'occuper des choses de la culture italienne sans s'y reporter.

Le volume que nous présentons au public français ne contient ni toutes les lettres écrites par Gramsci dans les dix années de son emprisonnement ni toutes celles publiées dans l'édition italienne. Il s'agît d'un choix que nous regrettons de n'avoir pu faire plus complet, mais d'un choix très large et qui suffira amplement à donner un cadre à une existence exemplaire, à dire quelles furent les vertus, les hautes préoccupations intellectuelles et morales, la vaste et Profonde humanité de l’homme, de l'humaniste, du militant révolutionnaire que fut Antoine Gramsci.

Retour à l'auteur: Antonio Gramsci Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 24 mars 2002 13:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
 



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