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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Essai sur l'inégalité des races humaines. (1853-1855)
Dédicace de la première édition, 1854


Une édition électronique sera réalisée à partir du texte de Joseph-Arthur (Comte de) Gobineau (1816-1882), Essai sur l'inégalité des races humaines (1853-1855). Paris: Éditions Pierre Belfond, 1967, 878 pages. Une édition numérique réalisée par mon amie Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite de l'École polyvalente Dominique-Racine, qui a consacré des mois d'un minutieux travail à cette édition numérique. [Thèmes abordés: antisémitisme, civilisation, être humain, histoire, humanité, inégalité, juif, peuple, philosophie, race, société.]

Dédicace de la 1re édition, 1854

À SA MAJESTÉ
GEORGES V.
ROI DE HANOVRE

SIRE,

J'ai l'honneur d'offrir ici à VOTRE MAJESTÉ le fruit de longues méditations et d'études favorites, souvent interrompues, toujours reprises.

Les événements considérables, révolutions, guerres sanglantes, renversements de lois, qui, depuis trop d'années, ont agi sur les États européens, tournent aisément les imaginations vers l'examen des faits politiques. Tandis que le vulgaire n'en considère que les résultats immédiats et n'admire ou ne réprouve que l'étincelle électrique dont ils frappent les intérêts, les penseurs plus graves cherchent à découvrir les causes cachées de si terribles ébranlements, et, descendant la lampe à la main dans les sentiers obscurs de la philosophie et de l'histoire, ils vont demander à l'analyse du cœur humain ou à l'examen attentif des annales le mot d'une énigme qui trouble si fort et les existences et les consciences.

Comme chacun, j'ai ressenti ce que l'agitation des époques modernes inspire de soucieuse curiosité. Mais, en appliquant à en comprendre les mobiles toutes les forces de mon intelligence, j'ai vu l'horizon de mes étonnements, déjà si vaste, s'agrandir encore. Quittant, peu à peu, je l'avoue, l'observation de l'ère actuelle pour celle des périodes précédentes, puis du passé tout entier, j'ai réuni ces fragments divers dans un ensemble immense, et, conduit par l'analogie, je me suis tourné, presque malgré moi, vers la divination de l'avenir le plus lointain. Ce n'a plus été seulement les causes directes de nos tourmentes soi-disant réformatrices qu'il m'a semblé désirable de connaître: j'ai aspiré à découvrir les raisons plus hautes de cette identité des maladies sociales que la connaissance la plus imparfaite des chroniques humaines suffit à faire remarquer dans toutes les nations qui furent jamais, qui sont, comme, selon toute vraisemblance, dans celles qui seront un jour.

Je crus, d'ailleurs, apercevoir, pour de tels travaux des facilités particulières à l'époque présente. Si, par ses agitations, elle pousse à la pratique d'une sorte de chimie historique, elle en facilite aussi les labeurs. Le brouillard épais, les ténèbres profondes qui nous cachaient, depuis une date immémoriale, les débuts des civilisations différentes de la nôtre, se lèvent et se dissolvent aujourd'hui au soleil de la science. Une merveilleuse épuration des méthodes analytiques, après avoir, sous les mains de Niebuhr, fait apparaître une Rome ignorée de Tite-Live, nous découvre et nous explique aussi les vérités mêlées aux récits fabuleux de l'enfance hellénique. Vers un autre point du monde, les peuples germains, longtemps méconnus, se montrent à nous aussi grands, aussi majestueux que les écrivains du Bas-Empire nous les avaient dits barbares. L'Égypte ouvre ses hypogées, traduit ses hiéroglyphes, confesse l'âge de ses pyramides. L'Assyrie dévoile et ses palais et leurs inscriptions sans fin, naguère encore évanouies sous leurs propres décombres. L'Iran de Zoroastre n'a su rien cacher aux puissantes investigations de Burnouf, et l'Inde primitive nous raconte, dans les Védas, des faits bien proches du lendemain de la création. De l'ensemble de ces conquêtes, déjà si importantes en elles-mêmes, résulte encore une compréhension plus juste et plus large d'Hérodote, d'Homère et surtout des premiers chapitres du Livre saint, cet abîme d'assertions dont on n'admire jamais assez la richesse et la rectitude lorsqu'on l'aborde avec un esprit suffisamment pourvu de lumières.

Tant de découvertes inattendues ou inespérées ne se placent pas, sans doute, au-dessus des atteintes de toute critique. Elles sont loin de présenter, sans lacunes, les listes des dynasties, l'enchaînement régulier des règnes et des faits. Cependant, au milieu de leurs résultats incomplets, il en est d'admirables, pour les travaux qui m'occupent, il en est de plus fructueux que ne sauraient l'être les tables chronologiques les mieux suivies. Ce que j'y recueille avec joie, c'est la révélation des usages, des mœurs, jusqu'aux portraits, jusqu'aux costumes des nations disparues. On connaît désormais l'état de leurs arts. On aperçoit toute leur vie, physique et morale, publique et privée, et il nous est devenu possible de reconstruire, au moyen des matériaux les plus authentiques, ce qui fait la personnalité des races et le principal critérium de leur valeur.

Devant un tel amoncellement de richesses toutes neuves ou tout nouvellement comprises, personne n'est plus autorisé à prétendre expliquer le jeu compliqué des rapports sociaux, les motifs des élévations et des décadences nationales avec l'unique secours des considérations abstraites et purement hypothétiques qu'une philosophie sceptique peut fournir. Puisque les faits positifs abondent désormais, qu'ils surgissent de partout, se relèvent de tous les sépulcres, et se dressent sous la main de qui veut les interroger, il n'est plus loisible d'aller, avec les théoriciens révolutionnaires, amasser des nuages pour en former des hommes fantastiques et se donner le plaisir de faire mouvoir artificiellement des chimères dans des milieux politiques qui leur ressemblent. La réalité, trop notoire, trop pressante, interdit de tels jeux, souvent impies, toujours néfastes. Pour décider sainement des caractères de l'humanité, le tribunal de l'histoire est devenu le seul compétent. C'est d'ailleurs, j'en conviens, un arbitre sévère, un juge bien redoutable à évoquer à des époques aussi tristes que celle-ci.

Non pas que le passé soit lui-même immaculé. Il contient tout, et, à ce titre, on en obtient l'aveu de bien des fautes et l'on y découvre plus d'une honteuse défaillance. Les hommes d'aujourd'hui seraient même en droit de faire, devant lui, trophée de quelques mérites qui lui manquent. Mais, si, pour repousser leurs accusations, il vient soudain à évoquer les ombres grandioses des périodes héroïques, que diront-ils? S'il leur reproche d'avoir compromis la foi religieuse, la fidélité politique, le culte du devoir, que répondre? S'il leur affirme qu'ils ne sont plus aptes qu'à poursuivre le défrichement de connaissances dont les principes ont été reconnus et exposés par lui; s'il ajoute que l'antique vertu est devenue un objet de risée; que l'énergie a passé de l'homme à la vapeur; que la poésie s'est éteinte, que ses grands interprètes ne vivent plus; que ce qu'on nomme des intérêts se ravale aux considérations les plus mesquines; qu'alléguer?

Rien, sinon que toutes les belles choses, tombées dans le silence, ne sont pas mortes et qu'elles dorment; que tous les âges ont vu des périodes de transition, époques où la souffrance lutte avec la vie et d'où celle-ci se détache, à la fin, victorieuse et resplendissante, et que, puisque la Chaldée trop vieillie fut remplacée jadis par la Perse jeune et vigoureuse, la Grèce décrépite par Rome virile et la domination abâtardie d'Augustule par les royaumes des nobles princes teutoniques, de même les races modernes obtiendront leur rajeunissement.

C'est là ce que j'ai moi-même espéré un instant, un bien court instant, et j'aurais voulu répondre immédiatement à l'Histoire pour confondre ses accusations et ses sombres pronostics, si je n'avais été frappé de cette considération accablante, que je me hâtais trop d'avancer une proposition dénuée de preuves. Je voulus en chercher, et ainsi j'étais ramené sans cesse, par ma sympathie pour les manifestations de l'humanité vivante, à approfondir davantage les secrets de l'humanité morte.

C'est alors que, d'inductions en inductions, j'ai dû me pénétrer de cette évidence, que la question ethnique domine tous les autres problèmes de l'histoire, en tient la clef, et que l'inégalité des races dont le concours forme une nation, suffit à expliquer tout l'enchaînement des destinées des peuples. Il n'est personne, d'ailleurs, qui n'ait été frappé de quelque pressentiment d'une vérité si éclatante. Chacun a pu observer que certains groupes humains, en s'abattant sur un pays, y ont transformé jadis, par une action subite, et les habitudes et la vie, et que, là où, avant leur arrivée, régnait la torpeur, ils se sont montrés habiles à faire jaillir une activité inconnue. C'est ainsi, pour en citer un exemple, qu'une puissance nouvelle fut préparée à la Grande-Bretagne par l'invasion anglo-saxonne, au gré d'un arrêt de la Providence qui, en conduisant dans cette île quelques-uns des peuples gouvernés par le glaive des illustres ancêtres de VOTRE MAJESTÉ, se réservait, comme le remarquait, un jour, avec profondeur, une Auguste Personne, de rendre aux deux branches de la même nation cette même maison souveraine, qui puise ses droits glorieux aux sources lointaines de la plus héroïque origine.

Après avoir reconnu qu'il est des races fortes et qu'il en est de faibles, je me suis attaché à observer de préférence les premières, à démêler leurs aptitudes, et surtout à remonter la chaîne de leurs généalogies. En suivant cette méthode, j'ai fini par me convaincre que tout ce qu'il y a de grand, de noble, de fécond sur la terre, en fait de créations humaines, la science, l'art, la civilisation, ramène l'observateur vers un point unique, n'est issu que d'un même germe, n'a résulté que d'une seule pensée, n'appartient qu'à une seule famille dont les différentes branches ont régné dans toutes les contrées policées de l'Univers.

L'exposition de cette synthèse se trouve dans ce livre, dont je viens déposer l'hommage au pied du trône de VOTRE MAJESTÉ. Il ne m'appartenait pas, et je n'y ai pas songé, de quitter les régions élevées et pures de la discussion scientifique pour descendre sur le terrain de la polémique contemporaine. je n'ai cherché à éclaircir ni l'avenir de demain, ni celui même des années qui vont suivre. Les périodes que je trace sont amples et larges. Je débute avec les premiers peuples qui furent jadis, pour chercher jusqu'à ceux qui ne sont pas encore. Je ne calcule que par séries de siècles. Je fais, en un mot, de la géologie morale. Je parle rarement de l'homme, plus rarement encore du citoyen ou du sujet, souvent, toujours des différentes fractions ethniques, car il ne s'agit pour moi, sur les cimes où je me suis placé, ni des nationalités fortuites, ni même de l'existence des États, mais des races, des sociétés et des civilisations diverses,

En osant tracer ici ces considérations, je me sens enhardi, SIRE, par la protection que l'esprit vaste et élevé de VOTRE MAJESTÉ accorde aux efforts de l'intelligence et par l'intérêt plus particulier dont Elle honore les travaux de l'érudition historique. Je ne saurais perdre jamais le souvenir des précieux enseignements qu'il m'a été donné de recueillir de la bouche de VOTRE MAJESTÉ, et j'oserai ajouter que je ne sais qu'admirer davantage des connaissances si brillantes, si solides, dont le Souverain du Hanovre possède les moissons les plus variées, ou du généreux sentiment et des nobles aspirations qui les fécondent et assurent à ses peuples un règne si prospère.

Plein d'une reconnaissance inaltérable pour les bontés de VOTRE MAJESTÉ, je La prie de daigner accueillir

L'expression du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,

Sire,

De VOTRE MAJESTÉ,

Le très humble et très obéissant serviteur,

A. de GOBINEAU.

Revenir à l'oeuvre de l'auteur: Joseph-Arthur de Gobineau, 1816-1882 Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 30 octobre 2005 08:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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