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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Maurice Gaudefroy-Demombynes, MAHOMET (1957)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Maurice Gaudefroy-Demombynes, MAHOMET. Paris: Albin Michel, 1957, 1969, 698 pp. 1 carte. Collection: L'évolution de l'humanité. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévole.

Introduction

I. — Les sources de l’étude de Mohammed, conception générale du livre  

Le Coran. — La tradition. — Conclusion et conception générale.

II. — L’Arabie préislamique  

A. — Le pays et ses habitants
Généralités, le nord. — L’Arabie du sud. — Le Hedjaz. — La population, les tribus. — Organisation sociale. — Culture.
B. — Les religions préislamiques 
Les djinns. — Les principales divinités. — Sanctuaires et pèlerinages. — Divination et magie. — La religion au Hedjaz. — Conclusion.

I

Les sources de l’étude de Mohammed,
Conception générale du livre

P009 La naissance de l’Islam est un fait considérable dans l’histoire de l’humanité. Après treize siècles la religion nouvelle ordonne encore la vie de peuples parvenus à des stades inégaux de culture et appartenant à des races diverses, Sémites, Indo-Européens, etc. La doctrine, il est vrai, s’en est modifiée par l’effort soutenu des théologiens et des juristes du moyen âge, mais le Coran et la tradition du Prophète en restent les éléments essentiels, qu’il faut réunir et situer dans l’histoire religieuse de l’Arabie et du Proche-Orient. Mais Coran et Tradition nous introduisent avant tout auprès d’une personnalité puissante, celle du fondateur de l’Islam, Mohammed, dont la vie est pour le musulman le commentaire vivant de l’enseignement qu’il a apporté. Une histoire de la vie de Mohammed est donc une introduction nécessaire à l’étude de la doctrine musulmane. Elle sera conduite ici avec le souci de relever surtout les faits qui expliquent et commentent les conséquences de la méditation du Prophète inspiré [1].

Le Coran. — Si, pour reconstituer le milieu arabe, nous disposons, en dehors d’informations sommaires dans quelques écrivains anciens de confessions diverses, d’une collection d’inscriptions de jour en jour croissante, en ce qui concerne Mohammed lui-même notre documentation est P010 d’un autre ordre, et consiste en deux éléments, d’une part le Coran, d’autre part la Tradition.

Le Coran, c’est-à-dire le texte de la Révélation prêchée par Mohammed, se présente à nous en chapitres, les sourates, composés eux-mêmes d’un nombre variable de versets, plus ou moins longs, les ayât. Il y a 114 sourates totalisant 6 219 versets. Elles sont classées selon leur longueur, les trois plus petites, 1, 113 et 114 encadrant le texte sacré comme d’une protection magique. Leur classement n’a donc pas de rapport avec l’ordre dans lequel elles ont été réellement prononcées. Chaque sourate a un titre qui correspond au principal sujet traité, mais aucune ne forme un ensemble ordonné. La sourate qui « ouvre » le livre, la fâtiha, résume le Coran tout entier, selon les docteurs de l’Islam ; c’est une sorte de catéchisme, où des auteurs européens ont voulu voir une influence chrétienne [2]. Des lettres isolées sont inscrites en tête de certaines sourates, dont aucune explication convaincante n’a été fournie : Allah seul en connaît le sens [3].

Tel qu’il est le Coran nous a été transmis par la combinaison de la mémoire et de l’écriture. La langue dans laquelle il est écrit, rythmique, souvent assonancée, se prête particulièrement à la conservation dans la mémoire d’un peuple dressé par le pas de ses chameaux à donner aux phrases courantes une mesure rythmée. Cependant l’écriture était répandue en Arabie, et les croyants s’en servirent aussi pour fixer la Révélation — un verset prouve que c’était déjà un métier d’être copiste du Coran — [4]. La tradition veut que le Prophète ait dicté lui-même une partie de la Révélation à son secrétaire Zaïd b. Thâbit : il est vraisemblable qu’il préférait la transmission orale, mais que Zaïd, de sa propre initiative, nota de nombreux feuillets. D’autres compagnons sans doute avaient imité son exemple, et à la mort du Prophète il est probable que le Coran entier était conservé par écrit. Selon la tradition, c’est le texte de Zaïd qu’Abû Bakr, successeur du Prophète, considéra comme valable et légua à ‘Omar, qui le remit à sa fille Hafça, veuve de Mohammed. Néanmoins d’autres recensions prirent autorité dans les pays conquis par l’Islam, celles d’Ibn Ubayy à Damas, de Miqdâd à Himç, d’Ibn Masûd à Kûfa et d’Ibn al-Ach‘ath P011 à Baçra. Ainsi apparaissaient dans le texte du Coran les altérations que la Révélation reprochait si fort aux Juifs et aux Chrétiens d’avoir apportées aux anciens Livres. La tradition craint particulièrement que le texte du Coran soit contaminé par la connaissance des livres apocryphes. ‘Omar, qui avait copié un livre des gens de l’Écriture, fut blâmé publiquement par le Prophète, et, à son tour, il tança vertement un compagnon qui avait copié le Livre de Daniel [5].

Il fallait réagir contre les variantes des textes écrits et les comparer aux transmissions orales qui étaient encore assurées par la présence de nombreux compagnons du Prophète. ‘Othmân confia à quelques-uns d’entre eux le soin de réunir les divers écrits autour de celui de Zaïd b. Thâbit et d’établir un texte définitif ; ce texte est encore aujourd’hui la Loi du monde musulman [6].

Il convient de rendre hommage aux anciens docteurs de l’Islam qui ont montré la fermeté de leur sens critique et leur sincère souci de retrouver un ordre des versets du Coran qui soit conforme à la réalité historique. Leur effort s’est étendu à l’interprétation du Coran en général. Mais ils n’ont pu triompher de toutes les difficultés. Après eux les historiens européens ont établi une chronologie des versets coraniques, qui n’est point certaine ; le travail décisif à cet égard est dû à Noeldeke, dont on adoptera les conclusions [7].

La Tradition. — Le texte du Coran a donc été définitivement fixé dès le milieu du VIIe siècle, sauf quelques mots qui restent indécis ; mais l’interprétation de nombreux versets a été aussitôt et reste incertaine : grammatici certant. Or, il y avait eu, jusqu’en 632, un commentaire vivant de la révélation, le Prophète, dont les paroles, les actions, les silences et les abstentions devaient servir d’explication et de modèle à tous les musulmans. Le Coran a dit : « Il y a pour vous un bel exemple en l’Envoyé d’Allah. » C’est une « Imitation de Mohammed », la tradition sunna, exprimée par les récits, hadîth [8]. Les compagnons du Prophète les transmirent à la seconde génération de croyants, celle des Suivants, qui la confièrent eux-mêmes aux Suivants des Suivants. On en parvint ainsi au IXe siècle, à l’époque des P012 grandes controverses religieuses, et des hommes instruits composèrent, sous leur propre responsabilité, des recueils de hadîth, où ils notèrent soigneusement la route par laquelle ceux-ci leur étaient parvenus, la « chaîne des appuis », isnâd.

Mais au temps où les théologiens-juristes ont rassemblé les membres épars de la sunna, la société musulmane s’était singulièrement élargie. Des érudits d’origines diverses s’efforçaient de compléter et de combiner le Coran avec les coutumes et les lois des nouveaux convertis. Ils cherchaient dans l’exemple du Prophète des preuves de la rectitude de leurs propres opinions ainsi se formèrent des recueils de hadîth dont les tendances sont différentes, selon les sectes religieuses et les rites juridiques. Enfin, il fut trop tentant de fabriquer des hadîth ; les plus dangereux, selon les commentateurs, sont ceux qui ont conservé des traditions authentiques et les ont mêlées à leurs inventions. La sunna assembla ainsi un arsenal de preuves pour ou contre les Omayyades, les ‘Abbâssides, les ‘Alides, les Mu‘tazilites, les Hanafites, les Mâlikites, etc., etc. [9] ; mais elle permit, d’autre part, d’adapter la loi musulmane aux besoins de la société des ville et IXe siècles.

Rien ne montre l’importance que les musulmans attribuent au hadîth comme le petit fait suivant : l’opinion syrienne n’a pu accepter que Médine ait eu le privilège exclusif d’entendre la tradition de la bouche de ‘Aïcha, la veuve du Prophète, et elle a voulu que celle-ci fût aussi venue la dire dans un angle de la cour de la Grande Mosquée de Damas, où en 1184 encore un voile dissimulait son ombre aux regards indiscrets [10].

Comme à la critique du Coran, l’effort des érudits musulmans s’est attaqué à celle du hadîth : il s’agissait de distinguer dans la masse des traditions celles qui sont authentiques et s’imposent à la croyance. Des recueils ont alors été composés, donnant la série reconnue comme authentique. Les principaux sont les deux « sains » çahîh de Bukhârî (m. 870) et de Muslim (m. 875), puis les livres de Tirmidhî (m. 892), Abû Dâûd (m. 888), Ibn Hanbal (m. 88), Ibn Mâdjâ (m. 886) et Nasâî (m. 915). Ils ont classé les hadîth par matières formant des chapitres ; Ibn Hanbal seul a pris pour ordre celui des noms des traditionnistes asânîd [11].

P013 Les critiques musulmans ont noté avec joie les hadîth acceptés par tous les docteurs orthodoxes, et qui jouissent ainsi du consensus idjmâ‘ [12]. Le hadîth, comme le Coran, a eu ensuite ses commentateurs.

Les différences et les contradictions qui apparaissent entre les hadîth expliquent la méfiance que des historiens comme le P. Lammens leur ont témoignée. La Tradition n’en est pas moins une source essentielle de la compréhension du Coran. La critique doit assurément essayer de déceler dans la Tradition tout ce qui est apport ou altération étrangers aux souvenirs primitifs réels ; mais il serait excessif de penser que de tels souvenirs ne restent pas fréquemment à la base de la Tradition, et ils sont les seuls à nous fournir la biographie du Prophète, qu’on ne peut tirer du Coran.

[La biographie traditionnelle de Mohammed, la Sîra, est en effet le résultat du classement et de la mise en œuvre de traditions. Elle nous est parvenue surtout sous la forme que lui a donnée Ibn Hichâm (m. 834), utilisant une rédaction antérieure d’Ibn Ishâq (m. 768) ; d’autres traditions se rencontrent cependant aussi dans les grands recueils de hadîth et dans les travaux issus des recherches de Wâqidî (m. 823), soit les siens propres, soit les biographies classées (tabaqât) de son disciple Ibn Sa‘d.]

Conclusion et conception générale. — [Tel étant le matériel documentaire dont nous disposons, deux attitudes extrêmes sont en somme possibles. L’une consiste, pour le savant européen, à traduire dans sa langue les récits de la biographie apologétique telle qu’elle s’est peu à peu constituée dans le monde musulman à travers les évolutions de la Tradition et de la piété. L’autre, qui en fait n’a jamais été adoptée parce qu’elle aboutirait à une renonciation, consisterait à n’admettre que ce dont la vérité peut être contrôlée, c’est-à-dire presque rien.] L’attitude ici adoptée est autre ; et peut-être, en accueillant des récits qui ont souvent l’allure des légendes dorées de tous les grands hommes, ferai-je aux yeux de certains figure de naïf. Certes dans le hadîth la ligne de démarcation est difficile à tracer, épisode par épisode, entre le faux, le vrai, l’élaboré ; mais si l’exactitude méticuleuse des moindres faits est impossible à établir, la croyance P014 commune que reflète l’ensemble reste un élément précieux à utiliser pour restituer la figure d’un homme ou de son époque ; si le Coran est la version définitive de la Loi de Moïse, le hadîth est l’Évangile de Mohammed. On peut donc essayer de choisir, dans l’ensemble des informations, avec un effort pour réduire la dose d’arbitraire, celles qui paraîtront exprimer le mieux l’âme du Prophète initiateur d’autres âmes en une étape de l’évolution de l’esprit humain.

L’édition normalement suivie du Coran est celle de Flügel (Leipzig 1834), que rendent pratique ses « Concordances » (index de tous les mots) (ibid., 1840). J’ai essayé de traduire les nombreux versets que j’ai cru devoir citer ; je me suis en général conformé au sens, sinon à la lettre, de la traduction qu’en a donnée Blachère. Celui-ci a adopté l’ordre chronologique vraisemblable des sourates, et s’est éclairé de l’opinion des grands commentateurs musulmans et occidentaux. J’ai pour ma part trouvé un profit particulier dans la consultation de Baïdâwî, Tabarî, Râzî et (moderne) Chaïtkh ‘Abduh. Pour le hadîth, je me suis surtout servi de Bukhârî, en suivant dans ma traduction celle de Houdas (et, pour le premier volume seulement, de W. Marçais), qui a utilisé le commentaire de Qastallânî ; mais j’ai trouvé une aide plus solide dans celui d’al-‘Aïnî la ‘Umdat al-Qâri’i.

[L’historiographie occidentale a jadis, dans sa présentation de Mohammed, subi l’influence des polémiques confessionnelles] ou d’un rationalisme sommaire qui n’était pas toujours raisonnable ; [dans l’homme dont la parole a entraîné les Arabes et fondé l’une des religions les plus répandues du globe, elle n’a voulu voir qu’un imposteur, un plagiaire ou un détraqué. La critique moderne, même de l’incroyant, n’a pas des choses une vue aussi simpliste. Elle cherche à comprendre et à expliquer l’interaction] d’une personnalité individuelle particulièrement vigoureuse et d’un milieu social préparé à recevoir sa prédication, tout en se l’adaptant. Le présent livre vient après d’autres, en particulier ceux de Tor Andrae et d’Ahrens, auxquels je dois une bonne part de mes opinions ; et il aurait été inconcevable sans l’Histoire du Coran de Nöldeke.

[Afin que le lecteur non-orientaliste ou l’étudiant débutant puissent facilement tirer parti des pages qui suivent et se reporter pour renseignements complémentaires à l’Encyclopédie de l’Islam, on a, parmi les divers systèmes de transcription, tous mauvais, choisi, en gros, celui qui a été adopté dans celle-ci, en substituant seulement ch à sh, pour respecter les habitudes françaises, et ç à s, q à k, pour ne pas compliquer la typographie. Pour un ou deux noms très courants, on a cependant conservé des formes usuelles, Omar, Othman ; à défaut de Mahomet, vraiment trop éloigné de la forme véritable], on a écrit Mohammed, à la maghrébine ; Mekke, sans article, au lieu de l’usuel La Mecque, que rien ne justifie.

II

L’Arabie préislamique

A. le pays et ses habitants

P015 L’Arabie, grande quatre fois comme la France, nous semble une immense solitude, isolée du reste du monde par trois de ses faces et séparée du continent sur la quatrième par des déserts. Ainsi l’on tient pour des miracles qu’elle ait donné naissance à l’une des trois religions sœurs et qu’elle ait été un réservoir d’hommes pour de larges conquêtes et pour des peuplements lointains. Mais c’est qu’il y a en Arabie, à travers les déserts, de larges sillons d’oasis et de steppes et sur ses bords des régions élevées et arrosées qui ont été propres à nourrir des populations nombreuses et cultivées. Celles-ci ont été en relations avec des peuples de vieille civilisation dont la pensée les a aidées à développer les valeurs de leur propre esprit. La merveille se réduit ainsi à la présence d’un homme exceptionnellement doué, qui, dans un milieu favorable, a réalisé l’évolution rapide de son peuple et la formation d’une religion mondiale.

Pendant longtemps l’Arabie ancienne n’a été connue en Europe que par la lecture d’historiens, musulmans pour la plupart, dont les ouvrages les plus vieux datent du IXe siècle et dont bien des renseignements sont tendancieux. Ce n’est que depuis le dernier siècle qu’a été entreprise l’étude archéologique du pays. Outre quelques monuments, des inscriptions fort nombreuses, mais la plupart de faible valeur, ont été découvertes et sont étudiées, qu’on classe, selon leur écriture, en safaïtiques, sabaïtes et thamoudéennes (ou lihyânites). On peut donc donner du pays une description combinant aux données modernes de la géographie celles du passé historique.

P016 Généralités. Le Nord. — Dans les régions montagneuses les sommets sont élevés : le pays d’at-Tâïf dans le Hedjaz est dominé par une montagne de 2 600 mètres ; dans la chaîne des Sarât au sud-est de Çan‘â’ (Sana), le Djabal Chu‘aïb monte à 3 140 mètres. Le Hedjaz, le Yémama, le Yémen, le Hadramout ont des cultures paysannes en céréales, en légumes et en fruits.

A l’intérieur s’étendent de grandes steppes, où de rares pluies font pousser, en certaines époques, les herbes dont se nourrissent les chameaux ; là s’étend l’Arabie du romantisme avec ses nomades de grandes tentes ; des points d’eau marquent les étapes des déplacements et les sanctuaires des dieux. La steppe est heureusement traversée de bas-fonds où l’eau souterraine est plus proche ; ce sont de longues enfilades d’oasis, où, à l’ombre de belles palmeraies, des sédentaires récoltent grains, légumes et fruits : ils achètent leur sécurité aux puissants nomades du jour, moyennant un tribut. Ces oasis apparaissent en Arabie méridionale comme au nord, au bord du désert, avec Yathrib (la future Médine), Khaïbar, Taïmâ’, Fadak. Ailleurs c’est le désert, ce ne sont que des roches qui se délitent en sables.

Dans sa partie septentrionale, l’Arabie n’a pas de frontières. Des tribus arabes ont razzié ou nomadisé à diverses époques jusque dans la région d’Alep et jusqu’à Mossoul sur l’Euphrate. Ce sont des tribus arabes qui, sous les dynasties des princes Lakhmides et Ghassanides, ont défendu les territoires perse et byzantin contre leurs compatriotes, les Bédouins d’Arabie.

Au Nord-Ouest, le détroit de Bab-el-Mandeb a vu passer bien des peuples ; la presqu’île du Sinaï dépend géographiquement de l’Arabie et le Coran l’a annexée à l’Islam puisque Moïse est l’un des prédécesseurs de Mohammed et que les paroles que Dieu lui adressa du mont Sinaï tiennent une grande place dans l’histoire de la vraie foi avant Mohammed.

L’Arabie du Sud. — L’autre extrémité de la péninsule, la région du Yémen et de l’Hadramout s’est révélée à l’érudition moderne comme le centre d’une civilisation très vivante. Il semble que les côtes, sur la Mer Rouge et l’Océan Indien, aient permis un cabotage qui a entretenu des relations P017 suivies avec l’Éthiopie d’une part, et, de l’autre, par l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate, avec la Perse et l’Inde. De magnifiques découvertes d’inscriptions réalisées depuis un siècle par Glaser, Joseph Halévy, Arnaud, Philby et récemment par Ryckmans permettent de tracer le cadre de l’histoire ancienne de l’Arabie méridionale et aussi de connaître quelques éléments de la civilisation de ses peuples. On peut y reconnaître quatre grands empires successifs : Ma‘an, Saba, Qatabân et Hadramout, et trois autres moins importants : Awsan, Samay et Asba [13].

L’empire de Ma‘an ou Ma‘în, dont les inscriptions minéennes rappellent l’existence, s’était étendu, vers le XVe siècle avant l’ère chrétienne, de l’Arabie méridionale jusque vers le nord. Il y rejoignait le domaine amalékite. Vers l’an 800 av. J.-C., ses grandes villes sont au sud-est de Sana et au sud-ouest de Ma’rib.

Puis ce sont les inscriptions sabéennes qui révèlent en Arabie méridionale, vers le VIIIe siècle av. J.-C., un empire où règne un prêtre-roi, mkrb, qu’on lit makarrib ou mukarrib. C’est un régime quasi féodal de grandes familles de soldats ou de propriétaires fonciers. Les souverains de Ma’rib sont rois de Saba, à côté des souverains de Qatabân et de Hadramout. Au second siècle, les princes himyarites s’intitulent rois de Saba, Dhû (maître de) Raïdân ; et vers 300 après J.-C. ils sont en outre rois du Hadramout, du Yamâmah et du Tihâma.

En 525, les Éthiopiens s’emparèrent de l’Arabie méridionale, et, selon la tradition, ils supprimèrent en 530 le dernier roi himyarite, Dhû Nuwâs, converti au judaïsme. Ryckmans a découvert une inscription de 518 qui relate une expédition abyssine dirigée contre lui [14]. Il a trouvé en outre une inscription qui donne le véritable nom de Dhû Nuwâs. On est là dans les ruines d’une grande cité que l’on désigne par son nom dans le Coran, Ukhdûd : « Ils furent tués, y lit-on, les compagnons des fosses açhâb al-ukhdûd par le feu en brasier, alors qu’ils étaient auprès, assis... Ils leur reprochaient de croire en Dieu ! » Suivant la tradition musulmane, ce sont des gens de Nedjrân, convertis au christianisme, que le roi Dhû Nuwâs fit jeter dans des fosses et brûler vifs. Sauf le détail des fosses, le fait est confirmé par des textes chrétiens ; P018 mais l’origine de la légende reste obscure [15]. Ce sont aussi des souverains yéménites que le Coran appelle Tobba‘ et qu’Allah a fait périr pour leur impiété [16].

Dans cette région, la digue de Ma’rib retenait des eaux et les distribuait sur une large région de plaines cultivées ; c’était un ouvrage fragile qui ne fut plus entretenu durant de longs désordres politiques. Elle se rompit, semant la ruine au lieu de la fertilité, et nul ne fut capable de la reconstruire. La légende a grossi les effets de cette rupture et lui attribue tous les anciens déplacements des tribus méridionales vers le nord.

L’un des gouverneurs vice-rois du Yémen, aux ordres du roi d’Abyssinie, chrétien monophysite, sous la dépendance religieuse de l’empereur byzantin, fut Abraha, illustre dans la tradition musulmane. En 570, il conduisit une armée contre Mekke, afin d’y détruire la Ka‘ba ; Allah envoya des oiseaux abâbîl, qui lâchèrent sur les soldats une mitraille de cailloux aux blessures mortelles. L’éléphant monté par Abraha donna son nom à l’année. Des inscriptions confirment l’existence d’Abraha : l’une d’elles est relative à la digue de Ma’rib en 542 ; une autre, trouvée au puits de Muraïghân dans le ‘Alem au sud d’at-Tâïf, relate une expédition de 547 contre des tribus [17]. Ces deux inscriptions chrétiennes sont sous l’invocation, l’une de Dieu sous le nom d’ar-Rahmân et son Messie, l’autre sous l’invocation d’ar-Rahmân et de son fils Christos.

Les cités principales du Yémen étaient Saba, Sana, Zafâr, ancienne capitale himyarite, dont on connaît les ruines, Sahûl où l’on tissait les linceuls, Djanad et, plus au sud, Ta‘izz.

C’est en l’année 570 que le fils et dernier successeur d’Abraha fut chassé par Wahraz, général du roi sassanide Kesra Anouchirvan ; il organisa au Yémen la domination perse avec la dynastie locale de Dhû Yazan, et il y imposa le christianisme nestorien.

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Au nord du Yémen, entre la côte de la Mer Rouge et le désert du Rub‘al-Khâlî, s’étendent deux régions : celle de la côte est le pays Sarât ou Badjîla, habité par des paysans cultivateurs ; celle de l’intérieur est une vaste steppe, traversée par des oasis, la principale étant celle de Nedjrân, P020 dont les habitants, au VIIe siècle, étaient chrétiens. Suivant la tradition musulmane, ils n’en fréquentaient pas moins les foires du Hedjaz qui avaient lieu avant les cérémonies du hadjdj de ‘Arafa : Mohammed, dans sa jeunesse, y aurait entendu les homélies de l’évêque de Nedjrân Quss b. Sâ‘ida.

Selon la tradition, l’ancêtre mythique des tribus du Hedjaz, Nizâr, a rédigé son testament dans le style mystérieux des oracles et des réponses des devins ; aussi recommande-t-il à ses fils d’aller, après sa mort, en demander l’explication au devin des Banû-Djuchâm à Nedjrân [18].

L’oasis de Nedjrân, qui a une centaine de kilomètres de longueur, se continue par d’autres bandes d’oasis avec le Wâdî-Hanîfa. (C’est dans cette région qu’est Riyâd, la capitale actuelle de la dynastie séoudite. Elle est voisine de la région pétrolifère.) Il y avait par là une route de caravanes qui permettait les communications entre l’Arabie du Sud, celle du Nord et la Syro-Palestine. Il y en avait une autre vers at-Tâïf, Mekke et Djedda, qu’Abraha, sans doute, avait cherché à dominer.

La région du Yémama était, elle aussi, habitée par des sédentaires.

A l’est du Yémen, le Hadramout est un pays de montagnes, traversé d’ouest en est par un cours d’eau permanent. C’était cependant au VIIe siècle, un pays médiocrement peuplé, alors que les ruines y attestent son ancienne importance. Plus loin, c’est la côte du Mahra ou Chihr, où l’arbre à encens est cultivé en terrasses : Mirbad est l’ancien port de Zafâr. Puis la côte du ‘Oman, entre l’Océan Indien et le désert, est une bande de terres fertiles qui étaient cultivées par des Banû Azd, qui, selon la tradition, étaient venus du sud, après la rupture de la digue de Ma’rib [19]. Plus au nord, vers le Bas-Iraq et l’embouchure des deux fleuves, c’était le Bahraïn, « les deux mers ». Tournés vers le golfe Persique et l’Océan Indien, le Bahraïn et l’Oman eussent pu ouvrir aux Arabes une fenêtre sur la Perse et sur l’Inde ; mais ils étaient séparés du reste de l’Arabie par des déserts au sens exact du mot, le Nefûd et le Rub‘ al-Khâlî.

La capitale du Bahraïn était Hadjar ; le pays d’al-Khatif était dit d’al-Khatt, car c’était par là qu’entraient en Arabie les bambous indiens dont on faisait des lances de ce nom. P021 Les sédentaires y étaient exploités par les Bédouins Tamîm et ‘Abd al-Qaïs. Les pêcheurs de perles en étaient déjà célèbres. Au VIIe siècle, une partie des habitants était des chrétiens nestoriens.

Il n’y a point de frontière naturelle entre les diverses parties de l’Arabie et de ses confins septentrionaux. Un climat et un sol semblables ont attiré vers le nord les populations arabes moins favorisées. Les empires méridionaux, minéens et sabéens, paraissent s’y être étendus fort loin ; puis ce furent les Lihyanites, et enfin les Nabatéens, dont on connaît des souverains, vassaux de l’Égypte au second siècle avant J.-C. Leur résidence était Petra ; leur territoire fut conquis par les Romains en 106 après J.-C.

C’est du côté du Djauf, à Dûmat al-Djandal, d’al-Hidjr (al-‘Ulâ), et de la moderne Madâïn-Çâlih (les « Villes de Çâlih », du nom de leur prophète supposé selon le Coran) que les anciens poètes arabes placent les Thamoud, que le Coran dit anéantis par Allah. Leur existence est attestée depuis le temps de Sargon ; vers 400 encore ils figurent parmi les auxiliaires des troupes romaines sur les confins syro-palestiniens. On ignore les circonstances de leur ruine, mais l’extension de leurs inscriptions presque jusqu’au Yémen prouve leur ancienne importance [20].

Au IVe siècle, un chef arabe du Haurân, Imrû’l-Qais b.‘Amr, s’intitule roi des Arabes, des deux Asad (Asad et Tayy) et de Nizâr, sur une inscription de 328 ; c’est le royaume de Kinda.

Au Ve siècle, les Azd du Yémen, poussés, dit-on, par la rupture de la digue de Ma’rib, montent jusqu’à Batn Marr, dans la région mekkoise ; puis le plus grand nombre s’installe en Syrie. Ils y sont confirmés à la fin du siècle par l’Empereur « romain » de Constantinople. Al-Hârith b. Djabala est le premier de ces rois de la dynastie ghassânide, qui ont pouvoir sur l’ancienne province d’Arabie, Haurân et Baqâ‘a, Phénicie et Palestine. Ils gardent les frontières de l’empire byzantin contre les Lakhmides, vassaux des Perses ; ils sont chrétiens monophysites. On rapporte que, vers 544, le roi lakhmide Mundhir de Hîra fit prisonnier un fils d’al-Hârith et le sacrifia à al-‘Ozzâ. Une autre tradition montre al-Hârith venant assiéger à Taïma le chef P022 juif Sarnawal pour lui faire rendre les cottes de mailles d’Imrû’l-Qa‘ïs. L’ancien domaine des ghassânides est dans l’anarchie, quand le roi sassanide Khosrau Parvîs s’empare de Jérusalem et de Damas en 618. Néanmoins un de leurs chefs, Djabala, combattra à Yarmouk en 643 dans l’armée d’Héraclius [21].

Les Lakhmides, auxquels les Ghassanides s’opposaient, étaient d’autres Yéménites, Lakhm, Badjîla, Djacham, Djudhaïma, installés au Ve siècle sous la suzeraineté perse dans la région bordant à l’ouest l’Iraq ; leurs rois résidaient à Hîra, près de Nadjaf au sud de Kûfa. Ils se convertirent au christianisme nestorien au VIe siècle [22].

Le Hedjaz. — La région de l’Arabie où naît l’Islam est le Hedjaz, qui s’étend entre la Syro-Jordanie au nord, la mer Rouge à l’ouest, le pays des Sarât et le Yémen au sud et le désert à l’est. Les rares pluies glissent en torrents momentanés sur le sol volcanique ; mais les eaux souterraines ont créé des oasis et, çà et là, des sources et des puits.

La première des oasis qui au nord s’échelonnaient vers la Syrie, Yathrib, qui devint Médine, madînat an-nabî, la ville du Prophète, débouchait sur la mer Rouge et l’Abyssinie par le port de Yanbu‘ ; au sud, dans une région aride mais autour de sources, les Quraïchites maintenaient à leur cité mekkoise sa richesse de centre commercial, qui s’ouvrait sur la mer par Djedda. Ils étaient en intime alliance avec les Thaqîf d’at-Tâïf, dont les jardins s’étageaient sur les hauteurs où commençait le pays Sarât.

Au VIIe siècle, la région de Mekke est à la fois le centre commercial et religieux de l’Arabie. Les foires s’y accouplent aux pèlerinages, à la ‘umra de la Ka‘ba et au hadjdj de ‘Arafa, selon une formule que R. Brunschvig a excellemment dégagée [23].

Le centre de la péninsule arabique est tout entier désertique : c’est le Nedjd et au nord le Nafûd. On y signale seulement une oasis, celle de Djabrîn, sur un chemin possible entre Mekke et le ‘Omân. Le pourtour de cette région quasi inconnue est habitée par des Bédouins qui profitent de la saison des pluies pour aller nomadiser avec leurs douars et leurs troupeaux, suivant des partages et des coutumes P023 qui n’ont pas changé, sans doute, depuis le temps de Mohammed. Ce désert est donc plutôt une steppe, au moins dans certaines de ses parties.

Il y a une région habitable à l’est de Khaïbar, le Qâsim, qui profite des eaux souterraines du Wâdî Rumma.

A l’ouest est le pays des Chammâr, groupe des Banû Tayy.

Entre les deux grands déserts du Rub‘ al-Khâlî et du Nefûd, la région du Yémâma était jadis habitée par des Djadîs, Tasm et Banû Hanîfa, que l’on retrouvera dans l’histoire de Mohammed. On y a repéré les ruines de la cité d’al-Hadjar [24].

La longueur des voyages et les dangers de la route ne permettaient point les échanges directs entre les diverses régions de l’Arabie, ni la distribution des marchandises provenant des pays du Nord et des ports. Il fallait un marché central que tout le monde pût aisément atteindre. Le rythme saisonnier et la vie nomade imposaient aussi des moments précis de l’année solaire. Enfin une réunion d’échanges commerciaux n’était possible que si elle était assurée contre les razzias et les pilleries ; c’est ainsi qu’une influence religieuse était essentielle pour conférer aux conventions des tribus un caractère sacré et intangible.

L’époque de ces périodes sacrées haram fut, tout d’abord, fixée par celle où, dans la sécurité et la paix, grands et petits nomades apposaient sur l’épaule de leurs jeunes bêtes la marque tribale wasm comme un titre de propriété. La réunion, la foire, et aussi la cérémonie religieuse, c’est le mawsim. C’était le printemps ou l’automne, pour tenir compte des différentes conditions climatériques. Les mois sacrés étaient d’une part radjab au printemps, que manifestait la ‘umra solennelle de Mekke, et aussi, semble-t-il, la réunion de Hubâcha, dans la région d’at-Tâïf derrière Qarn al-Manâzil, à une journée de marche sur le chemin de Sana ; c’était particulièrement le marché des Azd [25].

Mais de grandes foires se tenaient dans la même région durant les trois mois sacrés d’automne. Celle de ‘Ukâz, du 1er au 20 de dhû’l-qa‘da était la plus fréquentée ; puis c’était celle de Madjama du 21 au 29 ; enfin, celle de Dhû’l-Madjâz du 1er au 8 de dhû’ 1-hidjdja. On se rendait le à ‘Arafa P024 pour le hadjdj [26]. II semble qu’il y avait, notamment à ‘Ukâz des pierres sacrées que l’on enduisait du sang de victimes [27], et qu’il y avait là sacralisation des pèlerins, prise d’ihrâm.

Les opérations commerciales qui y étaient conclues, étaient, pour ainsi dire, sanctifiées par l’accomplissement des rites du pèlerinage et par le sacrifice du Minâ. L’activité commerciale des Quraïchites et leur habilité politique leur avaient permis d’attirer, à la fin du hadjdj, une partie des pèlerins autour de la Ka‘ba. Auprès du dieu Hobal, ils avaient groupé trois déesses qui avaient ailleurs leurs sanctuaires : elles semblaient ainsi protéger les routes qui, de la Ka‘ba, menaient à ceux-ci : al-Lât gardait celle du sud vers at-Tâïf ; al-‘Ozzâ, celle de l’Iraq par Hurad ; Manât, celle de Yathrib et de la Syrie par Qudaïd.

La route du sud, après at-Tâïf, suivait la région côtière du Tihâma, laissant à sa gauche des steppes élevées de mille à quinze cents mètres à travers lesquelles on pouvait atteindre Nedjrân. Vers l’Iraq, on suivait, après Yathrib, la grande Harra de Khaïbar et le Wâdî Rumma, à gauche de Tabûk, en évitant à droite le désert du Nefûd et en atteignant aussi Dûmat al-Djandal, aujourd’hui al-Djauf, à treize jours de Médine et dix de Damas. Vers l’Égypte, on gagnait Wadjh et ‘Aqaba, et aussi Wâdi’ l-Qurâ, Mâun, Tabûk, et Madâïn-Çâlih.

Les Qurâïchites entretenaient des relations régulières avec l’Abyssinie. Les Abyssins du royaume d’Aksum, tout en conservant une organisation tribale et des traces de totemisme, qui ressemblaient fort aux faits arabes, avaient été convertis au christianisme monophysite par des missionnaires d’Antioche. Ils s’opposaient ainsi au nestorianisme des convertisseurs perses du Yémen. Adorateurs, semble-t-il, avant leur conversion, d’un grand dieu et de sa mère, suivant une vieille formule syrienne, ils avaient donc largement développé le culte de Marie, mère du Christ [28]. Ils apportaient aux foires du Hedjaz des esclaves noirs qu’ils avaient razziés en Afrique. De Hodaïda et de Djedda de grandes barques à voiles passaient aisément aux époques favorables vers Zula d’Afrique (Adulis). Mohammed y enverra des croyants dont la vie était devenue difficile à Mekke.

P025 Il convient donc d’attribuer une valeur au port de Djedda dans l’histoire ancienne du Hedjaz. On est frappé par l’abondance des événements que la tradition y situe. Ève y a son tombeau. La statue du dieu Wadd est venue échouer à Djedda et il a été érigé un sanctuaire à Dawma [29] ; la statue de Suwâ‘ était aussi à Djedda, et Yaghûth, et Ya‘ûq, et Nasr. Sa‘d avait son sanctuaire près de cette ville.

La population ; les tribus. — Que sont les peuples de l’Arabie au VIIe siècle ? Une bigarrure de populations de vies différentes, un émiettement de tribus qui se battent ou s’allient, — mais des gens de même origine parlant des dialectes assez proches les uns des autres pour que tous demain comprennent le Coran.

Les historiens arabes ont insisté sur la différence d’origine qui séparait les tribus yéménites de celles du Nord, dites ma‘addites ou nizârites. Ils les montrent en rivalités constantes qui engendrent des guerres locales ou placent les tribus dans des clans opposés. Il convient donc de noter quelques noms.

Les grandes tribus yéménites sont les Tayy, les Hamdân ou Madhhidj, les ‘Amila et les Djudhâm, les Azd et les Qudâ‘a. Mais si l’on cherche à les situer sur la carte, on s’aperçoit que l’on trouve surtout des groupements yéménites en Arabie du Nord et en Syrie. Les Lakhmides de Hîra, qui, sur l’Euphrate, montaient la garde pour les Perses Sassanides, étaient des Yéménites, comme les Ghassânides-Azd, fidèles portiers de la frontière byzantine. C’était des Azd aussi que les gens du ‘Omân, les Khuzâ‘a anciens maîtres de Mekke, les Aus et les Khazradj de Médine. Et encore les Bahrâ, les Tanûkh, les Kalb de la Syrie et les Djuhaïna du Hedjaz [30].

Les tribus nizârites se groupaient en deux grands clans : les Rabî‘a et les Modar, dont les noms désigneront deux régions de la Djazîra, le Diyâr Modar (grande boucle de l’Euphrate), et le Diyâr Rabî‘a (province à l’ouest de Mossoul). Parmi les Rabî‘a, les Wâil, usés par les querelles opposant leurs groupes Bakr et Taghlib, émigrèrent en Syrie ; les Taghlib et les Namîr s’y christianisèrent. On retrouvera les Banû Hanîfa et les ‘Abd al-Qaïs. Les principales tribus P026 de Mudar étaient : les Qaïs, les Hudhaïl, les Hawâzin au Nedjd occidental que l’on retrouvera mêlés aux luttes de Mohammed contre les Quraïchites et les Thaqîf d’at-Tâïf ; les Sulaïm et les Hilâl (qui devaient laisser dans l’histoire de l’Afrique du Nord une sinistre trace de dévastations et de meurtres) ; les Ghatafân, divisés en ‘Abs et Dhubyân, etc.

Du point de vue géographique et « politique », on peut dresser le tableau sommaire qui suit, en partant du Hedjaz : Divers groupes des Qaïs-‘Aïlan tenaient au nord de Médine la zone des oasis que cultivaient des juifs sédentaires ; c’étaient des Ghatafân, des Fazâra, des Murra. Plus au nord, les Tayy yéménites nomadisaient et pillardaient à partir des refuges des montagnes Adjâ et Salmâ (Djabal Chammâr), et protégeaient l’oasis juive de Taïma. Plus à l’est sont les Tamîm, que les généalogistes apparentent contradictoirement aux Murâd, Yéménites et aux Qaïs et aux Rabî‘a. Au début du VIIe siècle, ils forment un vaste ensemble de tribus qui étendent leurs terrains de parcours sur le Nedjd, une partie du Yémâma et du Bahraïn, jusqu’au Dahnâ au sud et à l’Euphrate au nord. Ils ont pour voisins des Asad au nord, des Bâhila et Ghatafân au sud-ouest, et des groupes qui s’insèrent dans leurs zones, ‘Abd al-Qaïs et Hanîfa à l’est, Bakr et Taghlib au nord. Essentiellement nomades, ils n’avaient qu’un instant été soumis à al-Mundhir b. Sawa, Tamîmite des Banû Dârim (et non ‘Abd al-Qaïs) qui devait traiter avec Mohammed. Ils avaient pour divinité Chums, et surtout les trois déesses du Hedjaz : al-Lât, Manât et al-‘Ozzâ. Quelques tribus avaient été influencées par le christianisme des Bakr et des Taghlib.

Dans le Tihâma du Yémen, le Yémâma et le Bahraïn, on trouvait des Bakr b. Wâïl ; alliés aux Taghuib et ‘Abd al-Qaïs, ils combattaient les Perses, et disputaient leurs terrains de parcours aux Tamîm ; le voisinage de populations iraqiennes les avait teintés de christianisme. Également vers le Yémâma et le Nedjd se trouvaient des restes de ce qui avait été la grande tribu des Kinda, autour de laquelle s’était un moment réalisée une confédération d’un grand nombre de tribus d’Arabie. Ils combattaient les Asad, qui avaient tué notamment le père du poète ‘Imrû’l-Qaïs. Plus P027 au nord, entre Hedjaz et Iraq, on signale des ‘Udhra. Au Yémâma, des Banû Hanîfa à demi sédentarisés étaient en relation instable avec les ‘Abd al-Qaïs et les Tamîm ; leur centre était al-Hadjar. D’origine nizarienne, issus des Bakr b. Wâïl, ils étaient sous la dépendance politique et culturelle des Perses. Sur les confins du Nedjd, à l’est des Ghatafân, sont des Qaïs-‘Aïlân, les Muhârib. Au nord du Hedjaz encore des Asad et les Achdja‘, ainsi que les Qudâ‘a, voisins orientaux des Bakr, en relations avec les Quraïchites pour la protection des caravanes. De même encore des Djudhâm ; des Djudaïna, yéménites Kahlân.

Dans le Hedjaz central, les grandes tribus étaient les Sulaïm Hilâl et Bakr b. Ça‘ça‘. Dans leur voisinage étaient les Khuzâ‘a, parmi lesquels les Banû Muçtaliq ; les Hudhaïl, qui, comme les Sulaïm, allaient adorer le dieu Suwa de Ruhât ; les Kinâna. Plus au sud, divers groupes, dont les Banû Hârith, se groupaient autour de l’idole Yaghûth. A l’est de Nedjrân, les Murâd avaient été touchés d’influences perses. Les Banû ‘Amr b. Ça‘ça‘ touchaient au Yémâma, aux Thaqîf, à Nedjrân et à la mer Rouge. Des Azd avaient émigré du Yémen vers le pays Sarât et s’y étaient sédentarisés. En pays Sarât aussi des Badjîla. Les Hamdân nomadisaient entre Ma‘rib, Çan‘â, et Nedjrân. Ils s’étaient naguère opposés à l’attaque d’Abraha sur Mekke ; vers 624, les Murâd leur enlèvent leur idole Yaghûth.

Les historiens arabes ont préconisé une division des tribus qui ne paraît pas correspondre à une réalité tangible : les vrais Arabes, descendants de Qahtân b. Yakzân, auxquels appartenaient les peuples de ‘Ad et de Thamûd, anéantis par la colère divine, et, d’autre part, les Arabisés, les mu‘arraba descendants d’Ismaël.

Il est plus commode de reconnaître deux catégories, qui se distinguent par leur organisation économique et sociale : les nomades, gens de la steppe bâdiya, habitant des tentes en poil de chameau ahl al-wabar, et les sédentaires, habitant des maisons ahl al-madar.

Des Juifs chassés de Babylone étaient descendus en Arabie et avaient cultivé et peuplé la bande d’oasis qui s’étend de Taïma à Yathrib. On les y retrouvait au VIIe siècle. Ils formaient des groupes tribaux, comme les Arabes, et ils P028 ne semblent pas s’être mélangés avec eux. Ils étaient néanmoins en relations étroites d’alliance avec des tribus arabes, par exemple les Juifs de Khaïbar avec les Bédouins Thaqîf, ceux de Yathrib avec les Aus et les Khazradj, et ils prirent part au combat de Bu‘âth. On est incapable de déterminer dans quelle mesure des Arabes s’y étaient convertis au judaïsme. On ne voit pas comment l’Himyarite Abû Nuwâs l’avait fait, et si son exemple avait été imité. Les trois « faux prophètes » de 632 paraissent être apparus dans des groupes d’influence juive.

Par contre les Chrétiens, qu’on a rencontrés en maint autre endroit, comptaient peu au Hedjaz proprement dit.

Organisation sociale. — La société arabe préislamique était organisée en groupements qui étaient les mêmes chez les sédentaires et les nomades : famille, tribu, union de tribus. La famille était assemblée dans une tente ou dans une maison ; la tribu se groupait autour de la demeure du chef en un cercle de tentes (dont le nom subsiste dans le franco-algérien douar) ou, chez les sédentaires, en un quartier qui, dans la montueuse Mekke, prenait le nom de « ravin ». Dans chaque tente le chef de famille assemble autour de lui sa femme, d’ordinaire unique, ses enfants, ses esclaves. Les tentes voisines étaient celles des proches. La force de la famille réside dans ses fils, gardiens de troupeaux et guerriers, pour la défense ou la razzia. La femme est une sorte de bien de famille que son chef cède à un mari contre paiement d’une dot. Elle passait en la possession de celui-ci, qui pouvait la répudier. Elle n’avait pour lui échapper d’autre moyen que de s’enfuir chez son père, qui engageait des négociations pour que le mari lui rendît sa liberté, en échange de la dot. La veuve restait en quelque mesure dans la dépendance de la famille de son mari ; elle devait normalement échoir à son beau-frère, et l’on en cite, à l’époque de Mohammed, des exemples qui sont analogues au lévirat juif. Le Coran abolira cette coutume, sans supprimer le sentiment, chez Mohammed même, d’une sorte de devoir d’épouser, si elles le désirent, les femmes de ses proches restées veuves. La cause première de la coutume était sans doute de conserver intacte la valeur économique P029 du clan ; mais il s’y ajoutait le désir de n’en laisser égarer aucune parcelle d’unité spirituelle ou magique. Nous verrons, à propos de la famille musulmane primitive, certaines coutumes particulières qui s’y perpétueront.

[Un certain nombre de familles, descendant d’un même ancêtre dont ils portent le nom, forment un clan ; l’ensemble des clans apparentés, une tribu qabîla. Il n’y a point lieu de décrire ici en détail leur organisation ou leur vie, souvent exposées, mais seulement, sans s’arrêter à tel ou tel détail qui se retrouvera en meilleur relief dans son rapport avec des faits de l’Islam naissant, de rappeler succinctement quelques caractères généraux indispensables à connaître pour situer l’œuvre de Mohammed. L’essentiel est,, comme dans toute société tribale, la coïncidence à nos yeux paradoxale d’un individualisme ou d’un démocratisme intolérants de tout véritable commandement avec une solidarité ‘açabiyya extrêmement forte rendant inconcevable une vie individuelle hors tribu. En dehors des maigres objets ménagers de la vie nomade, il n’y a pas, hors des oasis et villes, de propriété individuelle. Collectifs sont les pâturages, et sous protection collective et divine les lieux himâ d’intérêt public essentiel, sources, lieux de culte, etc. Il n’y a pas de véritable chef ; le chaïkh de la tribu est un homme, prestigieux par son âge et ses qualités personnelles, qui est élu par les chefs de familles, souvent parmi les membres d’une famille privilégiée, et son rôle, dont il s’acquitte entouré d’un conseil, est non de commander, mais d’arbitrer, conformément à la coutume sunna, les différends au sein de la tribu. La justice pénale est régie par le talion et la vendetta solidaire de clan à clan. D’où des meurtres en chaîne et des luttes intertribales qui n’ont aucune raison de jamais s’achever, à moins qu’un intérêt commun fasse admettre une compensation diya. Ces luttes se combinent avec les razzias plus ou moins nécessitées par la dureté de la vie au désert. Et malgré de temporaires confédérations, elles aboutissent à rendre impossible aucune unité de l’Arabie, ni même aucune unité régionale stable (sauf au Yémen urbanisé).

Les grosses oasis et a fortiori les villes forment cependant avec la société purement nomade un certain contraste. Non P030 que rien de ce qui vient d’être dit y soit radicalement faux : les citadins sont d’abord, eux aussi, des membres d’une tribu, et d’ailleurs il y a symbiose entre le sédentaire et le nomade. Cependant l’agriculture, la demeure fixe, le commerce des gros centres entraînent une promotion de la propriété ou de l’usage individuels, et la nécessité d’un minimum d’administration urbaine fait exister à Mekke, sur une base cette fois locale, une sorte de conseil général des clans qui y habitent, exerçant sur la ville le pouvoir d’une oligarchie marchande.

Hors tribu, la vie est impossible. Impossible à moins de trouver à grouper, en une bande de chevaliers errants du désert, ça‘lûk, d’autres outlaw analogues, ou bien d’obtenir la condition de protégé, client, d’une autre tribu. Clients sont également les affranchis, qui restent liés à leurs anciens maîtres. Et enfin il y a des esclaves, dont certains même peuvent ne pas être arabes, mais iraniens, abyssins, noirs, etc.

Les vertus que l’on prise dans cette société constituent dans l’ensemble la muruwwa, la forme de virilité idéale du Bédouin, faite d’une combinaison de vaillance, loyauté et astuce au service du clan et de générosité et hospitalité ostentatoires.]

Culture. — Dans cette vie le poète joue un grand rôle. [Il n’est pas question ici d’entrer dans l’étude de détail d’œuvres qui, connues seulement par des recueils postérieurs, ne sont pas toujours d’une authenticité certaine, mais seulement de faire comprendre ce que signifie la poésie dans la société arabe préislamique [31]. Naturellement elle implique un commencement de langue littéraire, qu’il ne faut pas oublier à l’heure où va se faire entendre le Coran.] Mais son importance est surtout socialo-religieuse. Religieuse, parce que le poète est de toutes les réunions et cérémonies. Les invocations adressées par le fidèle à son dieu mêlent paroles, musique et danse, et il y a concordance rythmique entre la poésie, les battements du tambourin, les frappements des pieds et les cris d’appel. Le poète est, pour ainsi dire, le chef d’orchestre. Dans cette ambiance, sa sensibilité, comme celle de ses auditeurs, s’enflamme, et il lui arrive de vaticiner. Il est près d’être un prophète, et P031 sa parole une révélation. On comprend que les Quraïchites, lorsque apparaîtra Mohammed, le comparent à un poète. [Le poète n’est cependant pas que religieusement le héraut de l’âme tribale. Car c’est lui aussi qui chante les exploits, les haines, les vengeances, les épreuves de la tribu ou de ses héros. Porte-parole du sentiment de son groupe, il est aussi l’homme qui dans une certaine mesure peut faire l’opinion. Mohammed pourra le honnir : il ne pourra pas l’ignorer.]

Par contre, il y a peu de trace d’un art arabe. Il ne faut pas se hâter trop de l’affirmer inexistant ; il est impossible cependant qu’il ait été considérable, et il faut en particulier noter, pour nous en souvenir lorsque nous verrons l’aversion du Prophète pour les images divines ou humaines, que les anciens Arabes ne paraissent pas avoir eu d’idole à figure humaine. Le climat les incitait peu, d’autre part, à de gros efforts architecturaux. Ils se contentaient comme maisons de murs de pierres équarries assemblées par du mortier et recouvertes parfois de plâtre, avec toitures de bois ou branchages. Même le temple de la Ka‘ba était un grossier cube de pierre ; et la première mosquée sera un simple auvent de bois reposant sur des murs de pierre et des piliers de bois. A l’exception, peut-être, de Tâïf et des villes du sud occupées par des autorités étrangères, les villes n’avaient point de fortifications. Sans doute y avait-il un peu plus d’art dans les armes, les bijoux, les vêtements, les étoffes, les instruments de musique, etc. ; mais l’on en sait fort peu de chose, et il est difficile de dire si l’art en était différent de ce que pouvaient apporter ou enseigner les marchands venus de Syrie ou d’Égypte.

B. les religions préislamiques

[Les indications qui précèdent étaient nécessaires, puisque, nous le reverrons constamment, l’Islam, fait religieux, est en même temps fait social, et que sa naissance comme son succès ne peuvent s’expliquer que replacés dans le contexte général des conditions sociales comme de l’évolution religieuse en Arabie vers le début du VIIe siècle. Il sera normal cependant de détailler maintenant un peu plus P032 l’examen des croyances religieuses et coutumes cultuelles, par rapport auxquelles plus immédiatement se situeront les croyances religieuses et coutumes cultuelles de l’Islam. Nous pouvons le faire en combinant les données récentes de l’archéologie, les allusions du Coran et des auteurs anciens, enfin les informations du Livre des Idoles du musulman Ibn al-Kalbî.]

Les Djinns. — Nous pouvons ainsi connaître un certain nombre de divinités préislamiques. Néanmoins les puissances occultes étaient surtout représentées dans la croyance arabe par les djinns, dont il convient de parler tout d’abord [32]. Ils étaient étroitement mêlés à la vie des hommes. Salomon, enseigne le Coran, eut pouvoir sur les djinns [33], et la tradition, de même, en fait par Mohammed convertir une tribu. Les plus éminents esprits de l’Islam, plus tard, tels Fakhr ad-dîn Râzî ou Ghazâlî, se sentent encore entourés de djinns, dont les saints peu à peu adoptés par la croyance populaire n’arrivent pas à prendre partout la place.

Les Arabes du VIIe siècle, comme tous les hommes au même stade de culture, étaient sensibles au mystère de la vie du monde ; animaux et plantes leur apparaissaient animés par des puissances supérieures dont ils sentaient la domination sur eux-mêmes. Il convenait de se les rendre favorables, d’établir avec eux des rapports aussi étroits que possible : ainsi les Arabes, comme bien d’autres, s’adonnaient-ils au totémisme, c’est-à-dire qu’ils établissaient une alliance intime entre tribu d’hommes et tribu de djinns, les hommes se considérant comme descendants d’un ancêtre animal : tels les Banû Kalb ou Kilâb (« descendants du chien »), les Banû Asad (« descendants du lion »), etc. Les oiseaux particulièrement sont des djinns, qui renseignent les hommes sur les secrets du destin [34]. Cependant les djinns s’incorporent aussi de préférence à des animaux sombres, chameau, chien, chat, ainsi qu’à des oiseaux sinistres, comme le hibou, ou à des bêtes rampantes, scorpion, serpent, etc. ; les anciens Arabes ne semblent cependant point avoir logé Satan dans le corps du serpent chaïtân. La tradition musulmane fait descendre d’un serpent la dynastie qui régnait au VIIe siècle P033 en Éthiopie. Les djinns se plaisent également dans les sources et les pierres ; on trouve dans toute l’Arabie des pierres sacrées qui, après avoir été honorées comme demeures de djinns, se sont incorporées à un temple d’une divinité distincte, avant de s’adapter au culte musulman : les pierres de la Ka‘ba, le roc de ‘Arafa, la grotte de Quzah à Muzdalifa, les pierres levées ansâb de Minâ, les rocs d’aç-Çafâ et al-Marwa à Mekke, celui de la Mosquée dite de ‘Omar à Jérusalem, etc. [35]. Les pierres sacrées étaient bien connues des Israélites, lieux de sacrifice ou monuments du pacte de Yahveh. Toute source est habitée par un djinn qui en dispense l’usage aux humains. Les rites d’ablution purificatrice et d’absorption de l’eau sont courants et seront adaptés à l’Islam : le musulman boit l’eau de Zemzem au cours des tournées de la Ka‘ba ; la source a jailli d’un coup de pied d’Ismaël ou plutôt de l’ange Gabriel. On trouve encore les djinns, par exemple, dans certains arbres, des samura et des ilah : c’étaient ainsi des arbres sacrés. Les Quraïchites avaient un arbre vert qu’ils appelaient dhât al-anwât, aux branches duquel ils allaient suspendre leurs armes pour les fortifier ; ils y faisaient retraite et sacrifice. Les guerriers de Mohammed devaient une fois lui demander de leur faire un dhât al-anwât, ce qu’il refusa avec indignation en se comparant à Moïse quand les Israélites lui réclamaient le veau [36]. Mais à al-Hudaïbiya (cf. infra) ce sera au pied d’un samura qu’il se fera prêter serment. Il y a aussi toujours un djinn sur le seuil des maisons.

Les Arabes devaient donc se préoccuper constamment de ne point déranger les djinns. En commençant la construction d’une maison ou simplement en plantant sa tente dans la steppe, l’Arabe peut se heurter à un djinn : il offre donc un sacrifice. Le djinn peut s’attacher à un cavalier, l’égarer ou au contraire diriger sa chamelle vers un point d’eau. C’est la même notion transformée qui montrera la chamelle de Mohammed le guidant vers l’emplacement de sa future mosquée. On entend dans la steppe le sifflement caractéristique du djinn, qu’il faut se garder d’imiter. C’est un autre sifflement avec battement de mains que recommande le Coran, le mukâ, qui consiste à mettre les doigts dans la bouche et à siffler [37].

Les djinns ont en effet trouvé place dans le Coran : la P034 croyance populaire a donc pu leur rester fidèle, sans entacher la foi musulmane.

On attribue aux djinns tous les événements anormaux et funestes, les épidémies, les maladies, l’impuissance des hommes et la stérilité des femmes, la démence et aussi la folie de l’amour. Quand un enfant disparaît, c’est qu’il a été volé par un djinn [38]. Parfois, le djinn se contente de faire des farces aux hommes ; il s’insinue dans un taureau et il empêche les vaches de boire ; il faut que le maître du troupeau frappe le pauvre taureau pour que le djinn s’en aille d’où le proverbe sur celui qui subit la peine d’autrui : « Comme le taureau qui est frappé quand la vache ne veut pas boire [39]. »

L’ancienne poésie arabe connaît bien le djinn femelle, la ghûl (fr. goule) qui suit les hommes dans la steppe et les fascine [40]. Mais ce sont des êtres de nuit que l’aurore met en fuite. Un Sulaïm raconte qu’une nuit sa caravane était suivie par une femme inconnue qui menait des chameaux. C’était une ghûl. A l’aurore, elle quitta la caravane, en disant ce vers : « Étoile du matin, vers toi est loin de moi ; je ne suis pas du matin, et il n’est point de moi [41]. » On rencontre aussi des djinns mâles dans la steppe. Une nuit, une caravane fut rejointe par un jeune homme monté sur une autruche qu’il menait à la bride. Un Arabe de la caravane vit bien que c’était un djinn et en eut peur ; mais il entra en conversation avec lui sur le sujet favori : « Qui est le plus grand des poètes arabes? » Puis le djinn disparut [42].

Un djinn peut s’attacher à un être humain, et sa présence a des effets mauvais ou favorables. Il peut faire contracter à l’homme une maladie ; la plus fréquente est la démence. Le djinn femelle est particulièrement dangereux ; il ne faut point pourtant chercher à en délivrer l’homme, car, pour ne point le quitter, elle le tuerait [43].

Les djinns qui hantent les cimetières paraissent avoir été les doubles des morts. La croyance musulmane a conservé la notion que chaque homme est doublé d’un djinn qui est son compagnon intime qârin : il est son bon ou son mauvais génie. Il semble possible de retrouver ce double dans le djinn qui, invisible ou transformé en oiseau sinistre, rôde autour de la tombe [44].

P035 Le djinn fait le poète ; il ne se contente pas de souffler à ce dernier des formules merveilleuses pour qu’il en orne sa pensée : il lui révèle des choses inconnues. C’est encore comme un compagnon qârin que le djinn s’unit au devin kâhin pour lui transmettre les secrets de la terre et du ciel ; ainsi le devin est un avertisseur et un sorcier. Les ennemis de Mohammed le traitaient de châ‘ir et de kâhin. Un djinn enseignait à un homme « à reconnaître l’eau sous la dureté de la roche ». Des chefs de famille ne donnaient leurs filles en mariage qu’à un poète, à un tireur d’augures par l’observation des oiseaux ‘arîf ou à celui qui connaissait les sources de l’eau [45].

Peu à peu cependant les djinns étaient remplacés aux yeux de leurs adorateurs par des divinités plus distinctes. Al-Lât habitait un arbre, al-‘Ozzâ avait trois samura à Nakhla [46]. On croit donc voir, aux deux extrémités de la chaîne, en bas les djinns, en haut quelques divinités douées d’une personnalité distincte et puissante, et, dans l’intervalle, des dieux imprécis qui sont les rabb (maîtres) de telle tribu, des djinns qui n’ont pas réussi à devenir encore réellement des dieux. Tous sont honorés par des rites qui ne diffèrent entre eux que par leur plus ou moins grande complexité et le nombre de leurs fidèles. Le changement du djinn en grand dieu s’est réalisé insensiblement au gré des circonstances. Ainsi est préparé le passage de l’idolâtrie au monothéisme, par la communauté du respect pour les djinns et les anciennes formes rituelles.

Les principales divinités. — La liste des divinités s’est pour nous, avec les fouilles, singulièrement allongée ; elles forment un panthéon très nombreux et de valeur fort inégale. On n’en recueillera ici que quelques noms, et l’on indiquera, après les auteurs cités, ceux qui s’apparentent à d’autres divinités qui ont une histoire hors de l’Arabie.

Les rapprochements entre les divinités de l’Arabie méridionale et celles de l’Arabie du Nord et de la Syro-Palestine, sont certains ou probables. Mais les échanges et combinaisons d’attributions rendent fort difficile une appréciation nette du rôle de chaque divinité. Ce sont les divinités astrales et stellaires qui tiennent la première place, car elles P036 agissent sur toutes les manifestations de la vie terrestre, lumière et obscurité, chaud et froid, sécheresse ou pluie, prospérité ou disette ; elles ont même leur influence sur les destinées humaines.

L’influence des astres sur la vie de la terre et sur les saisons de l’année semble avoir été exprimée par les anciens Arabes sous la forme des anwâ’. « Quand brille une étoile, une étoile disparaît qui la guettait. » Ce sont donc des couples d’étoiles dont l’une devient visible quand l’autre cesse de l’être : ainsi était obtenue une division de l’année. Babylone a connu des observations semblables [47].

Le Coran enseigne qu’Abraham, ne trouvant point Dieu dans les idoles que son père fabriquait, le cherche en vain dans les astres, qui disparaissent sous l’horizon [48].

Athtar est le grand dieu stellaire : en hébreu Athtarti, en accadien Ichtar, en hadramoutien et éthiopien Astari : on l’assimile à la planète Vénus ; il convient, sans doute, de le retrouver dans les divinités féminines Anahita et al-‘Ozzâ et d’élargir l’assimilation. Athtar était adoré en plusieurs temples de l’Arabie méridionale, et dans des sanctuaires de l’Arabie centrale. Hadjar « pierre » serait un autre Athtar, ainsi que Sahar, Sami‘ et Kakkawan [49]. Anahita avait en Abyssinie des temples, où des hiérodules des deux sexes entretenaient une prostitution sacrée. On y menait les filles avant leur mariage [50].

Je crois trouver un rappel des étoiles qui, « voyageuses nocturnes, percent l’obscurité », comme le regard d’Allah, dans les versets 86, 1 à 3 du Coran.

La divinité lunaire est masculine : qamar, sin. L’un des trois grands dieux des Sabéens était lunaire, Almaqah : on trouve déjà son nom dans trois cents inscriptions. Il avait un grand temple à ‘Awwâm, aujourd’hui Haram Bilqîs, et il était dit le Seigneur de ‘Awwâm. On croit le retrouver dans Haubas, Dhû Samawi. Le dieu lunaire des Minéens était Wadd : on a trouvé à Délos un petit autel avec dédicace à Wadd en minéen et en grec. On retrouve Wadd, « amour », en Arabie centrale : l’idole en fut détruite dans le Wâdi Qurâ, à Dûmat al-Djandal, par Khâlid b. Walîd, malgré la résistance de ses adorateurs ; on lui faisait des offrandes de lait. Ibn al-Kalbî fait remonter son origine à l’époque de Noé, P037 dans la montagne de Nod, où Wadd avait été divinisé ainsi que quatre autres hommes pieux, Suwa, Yaghûth, Yâ‘ûq et Nasr. Leurs statues, emportées par le déluge, vinrent échouer à Djedda, où ‘Amr b. Luhay, ancêtre des Khuzâ‘a alla recueillir celle de Wadd et en fit don aux B. ‘Auf b. ‘Udhra b. Kalb, qui lui construisirent un sanctuaire au Tihâma. Quand il fut détruit par Khâlid, c’était, selon le père d’Ibn al-Kalbî, une figure d’homme, dont il ne dit point si elle était sculptée ou peinte, avec un vêtement en deux pièces, un arc, un sabre et un étendard. Wadd était adoré par diverses tribus [51].

Le dieu lunaire régnait sur les gens de Qatabân sous les noms de Amm et de Anbay, auquel on rattache Haukum. Celui du Hadramout était Sin, dont Ryckmans a découvert un temple à Huraïda. On a trouvé à Délos une stèle portant, en hadramoutique, le nom de Sin Dhû Ylim. On rattache à Sin, Haul, qui symboliserait les phases de la lune, de même que Hariman et Rûb. Sûwa était une divinité des B. Hudhaïl à Ruhât près de Yanbo‘, port de Médine. Elle aurait été détruite par ‘Amr ibn al-‘Aç en 630. Yaghût avait été transporté à Djurach dans le Yémen septentrional. Les Tayy, les Hamdân, les Murâd, et les ‘Abd al-Hârith s’en disputèrent la possession par la guerre. Ya‘ûq était vénéré à Khaïwam, près de Çan‘â, par les tribus yéménites Hamdân et Khaulân. Nasr avait son sanctuaire à Balkha, en pays de Saba [52].

Le Coran cite en effet ces quatre divinités comme celles auxquelles les gens restent fidèles, malgré ses avertissements : « Ils disent : ne délaissez point vos divinités ! Ne délaissez ni Wadd, ni Suwama, ni Ya‘ûq, ni Yaghûth, ni Nasr [53]. » Il est donc logique que la tradition musulmane les montre emportés par le déluge. « Ce ne sont que des noms que vous et vos pères leur avez donnés. »

La troisième divinité de la triade sabéenne était le soleil sous le double nom de Dhât-Himyân et Dhât-Badan, l’Incandescente et l’Éloignée, c’est-à-dire le Levant et le Couchant, en un parallélisme analogue à celui des étoiles. Elle est féminine, là comme dans tout le domaine sémitique. Elle est appelée Chams en Hadramout et Qatabân. En sabéen, elle s’unit à un nom de tribu pour désigner des divinités tribales P038 et familiales, le soleil de Tel. On se perd un peu dans les rapprochements quand on trouve en sabéen une divinité Ouzzay qui pourrait être le soleil et qui est al-‘Ozzâ du Hedjaz, et aussi un Umm Athtar [54].

Je ne vois pas que l’on ait aucune précision de l’existence d’un culte solaire à Mekke. Néanmoins il me semble que c’est lui seul qui explique l’insistance du Coran et de la tradition à ordonner d’éviter que tout rite musulman concorde avec une position de l’astre qui puisse faire croire à une adoration du démon du soleil. Il est évident que le culte de Muzdalifa avait une valeur solaire.

Nasr aurait été une idole des Himyarites dans le pays de Saba ; mais ce qu’on en sait est d’autant plus vague que ce nom signifie « vautour » ou « aigle » et qu’ainsi la légende se confond avec celles d’autres dieux Nasr, dont le souvenir a été conservé ou bien dont le nom se trouve sur des inscriptions lihyaniques. Nasr aurait été adoré au Yémen jusqu’à la conversion au judaïsme [55].

Dhû’l-Khalâça était une pierre blanche marwa, à Tabâla, à sept journées de marche au sud de Mekke, donc aux confins du Yémen. Servie par les Umâma b. Bahîla, elle était honorée par un groupe considérable de tribus, depuis les Khatam, les Badjîla, et les Azd du pays Sarât jusqu’aux Hawâzin [56]. La conquête musulmane n’a point détruit la pierre ; une mosquée s’éleva sur l’ancien sanctuaire.

Il est vraisemblable que les gens de l’Arabie méridionale avaient, déjà au VIe siècle, fait largement évoluer leurs conceptions religieuses. Des divinités tribales avaient grandi au-dessus des djinns. Certaines d’entre elles avaient affirmé leur pouvoir en donnant une puissance accrue aux tribus qui leur avaient consacré un culte. Ainsi d’autres tribus étaient venues leur apporter leurs hommages, sans renoncer à leur divinité locale. Des temples s’étaient élevés pour être la demeure de ces divinités supérieures et pour en grouper plusieurs ensemble [57]. Des hommes appartenant à des tribus alliées venaient adorer des divinités qui elles aussi formaient un groupe fortement uni ; ils en venaient à des invocations collectives, comme celle d’une inscription sabéenne qui s’adresse à « toutes les divinités de Ma‘în et de Yathil, toutes les divinités des nationaux et des alliés, toutes P039 les divinités de la terre et de la mer, de l’Orient et de l’Occident » [58]. Il n’est point étrange que l’Arabie méridionale, accoutumée à assembler d’innombrables divinités pour trouver l’Inconnaissable, ait adopté dès le VIe siècle le monothéisme chrétien après celui du judaïsme, et qu’elle ait été prête à croire en Allah, « le maître rabb de l’Orient et de l’Occident » [59].

Les Arabes y étaient préparés, mieux encore peut-être, par la similitude des rites par lesquels ils célébraient ces innombrables divinités. Ce sont ces rites qui se sont maintenus dans l’évolution des croyances et qui ont conservé dans les masses populaires le sens de la religion.

Sanctuaires et Pèlerinages. — S’il y avait partout des djinns ou des dieux, on ne pouvait à tous rendre un culte égal. Les conditions favorables d’un lieu, la puissance d’une tribu donnaient à certains cultes la prééminence sur les autres. Autour d’une source généreuse où l’agriculture et quelques métiers pouvaient prospérer sous la protection du dieu, autour du point d’eau où une caravane pouvait se désaltérer, rencontrer d’autres caravanes, où les nomades pouvaient mener boire et brouter leurs troupeaux, en des dates fixes de grandes assemblées humaines se rencontraient, pour se livrer à la fois aux rites de ces cultes et aux affaires d’une foire connexe. On peut imaginer ces cérémonies, parfois au moins, sur le type de celles de Mekke qui, largement conservées dans l’Islam, sont de ce fait mieux connues. Et c’est plus sous cet aspect cultuel que sous un aspect dogmatique d’ailleurs bien obscur qu’il importe de considérer les religions arabes préislamiques.

Le dieu avait un temple. A Mekke, la maison de Dieu, baït Allah, est un cube de pierre, construit sur trois pierres sacrées. L’Arabie méridionale avait construit de tout autres édifices. Le fait est attesté par des inscriptions qui citent diverses parties des édifices. On connaît les ruines du temple de Almaqah à Ma‘rib, dit Haram Bilqîs, celles de Dhât-Badan dans les environs de Çan‘â, un autre temple sabéen à Yehâ, enfin on attend avec grand intérêt la description du temple de Ukhdûd exploré par Ryckmans, en Hadramout.

On a cependant retrouvé le prototype de la Ka‘ba de P040 Mekke. Les fouilles pratiquées en 1937-38 par la mission anglaise à Huraïda en Hadramout ont mis à jour les ruines d’un temple consacré au dieu lunaire Sin, et formant un quadrilatère de 12,50 m sur 9,80 m de large ; il était orienté comme les temples babyloniens, sur l’axe des points cardinaux, la façade étant au sud-ouest. Ce sont l’orientation et les dimensions de la Ka‘ba, sauf que la façade de celle-ci est tournée vers le nord-est. Il semble qu’on ait ajouté ensuite à l’édifice de Huraïda cinq édicules, qui auraient servi de sanctuaires particuliers. On a trouvé un mobilier important et une cinquantaine d’inscriptions [60].

Les cérémonies que les fidèles venaient accomplir aux sanctuaires consistaient en processions autour d’eux, en offrandes et en sacrifices. A certaines époques de l’année, des pèlerinages y assemblaient non seulement leurs fidèles, mais des étrangers, des « gentils », qui apportaient des hommages à une autre divinité que celle de leur tribu. Le pèlerinage hadjdj était accompagné de foires, qui se tenaient sous la protection du dieu. Les sanctuaires avec leurs dépendances formaient des territoires sacrés, où les fidèles ne pénétraient qu’après des rites purificatoires les rendant capables de supporter la présence du dieu. Ils observaient des interdits dans leur personne et dans leurs actes ; ils revêtaient un costume spécial dont le nom ihrâm est resté dans la technique musulmane. Une inscription sud-arabique étend cette sacralisation aux armes de l’Arabe partant pour une razzia ou un pèlerinage : il demande au prêtre de son temple de polir ses armes. Le sacrifice désacralisait ensuite le fidèle, et ouvrait des jours de réjouissance, de négoce, peut-être de prostitution sacrée. Ainsi progressait inconsciemment le sentiment vague d’une divinité suprême, qui, après avoir préparé en Arabie méridionale la venue du christianisme, allait ouvrir à Allah la porte de la Ka‘ba [61].

Les pèlerinages de la région mekkoise avaient lieu à des dates qui montrent que l’on y appelait la faveur divine sur les troupeaux. Le Coran lui-même l’a permis, comme il a encouragé les marchés qui se tenaient alors auprès des lieux saints [62].

La circumambulation, le tawâf est un rite d’union avec la divinité : le fidèle l’entoure en toutes ses parties et en devient P041 partie lui-même. On a noté la coutume palestinienne, selon laquelle le sacrifiant d’un poulet le faisait tourner plusieurs fois autour de lui avant de l’offrir au dieu comme un représentant de sa propre personne [63]. Les Arabes tournent autour de la Ka‘ba et du roc de Quzah ; les Israélites ont tourné autour du veau d’or ; il y a des tournées autour de l’autel catholique. On les retrouverait ailleurs. Les tournées ont lieu de gauche à droite.

Les fidèles apportaient des dons aux sanctuaires. Les temples de l’Arabie méridionale étaient entourés d’un territoire sacré, d’un himâ, dont les plantes et les animaux appartenaient au dieu. Des prêtres entretenaient dans le temple des hiérodules et y commandaient à des esclaves qui étaient chargés des travaux du temple et de la culture du himâ. Les fidèles n’offraient pas seulement des victimes en sacrifices, mais aussi des animaux vivants qui peuplaient le himâ, et des dons de toute sorte. Tout animal, et aussi tout être humain qui se réfugiait dans le himâ devenait sacré, sous la garde du dieu. Les prêtres ajoutaient aux produits du himâ ceux d’une dîme sur les tribus. Les enfants des femmes du temple lui appartenaient, formant ainsi une large famille d’esclaves du dieu.

Le Coran a interdit les consécrations d’animaux au himâ des dieux : « Allah n’a point fait de bahîra, ni de sâïba, ni de wacîla, ni de hâmî. Mais ceux qui nient forgent sur Allah le mensonge. » C’étaient trois sortes de chamelles particulièrement prolifiques, et un étalon largement utilisé. Le lait de la bahîra était réservé à la divinité du himâ où elle était laissée en liberté ; la sâïba elle aussi y était libre et ne portait plus aucun fardeau, ainsi que la wacîla et le hâmî. Les exégètes les ont retrouvées dans le Coran. Des réserves sont faites par des traditions qui admettent que leur lait et même leur chair, après sacrifice, peuvent être donnés aux pauvres de la tribu et aux étrangers : c’est encore les consacrer aux dieux [64].

Le rite principal du culte des dieux était le sacrifice. Il n’était point accompli par le prêtre, mais par le pèlerin qui égorgeait la victime devant l’emblème de la divinité, la recouvrait de son sang et mangeait avec ceux qui l’accompagnaient la chair de la victime, comme en un repas de communion. P042 De même qu’en Israël, les Arabes sacrifiaient le premier-né d’un troupeau pour favoriser la prospérité de celui-ci [65]. Le sacrifice était parfois une expiation ; mais des inscriptions révèlent des confessions qui, adressées par les fidèles au dieu, avaient une autre valeur spirituelle [66].

L’offrande essentielle était le sang de la victime, dont on humectait l’idole, ou bien que l’on versait dans le ghabghab. C’était aussi dans le sang du sacrifice que des hommes mettaient leurs mains pour contracter une fraternisation sanctionnée par le dieu [67].

Il semble qu’il y ait des exemples de sacrifices humains. Le roi de Hira, Mundhir III, aurait sacrifié des captifs chrétiens à al-‘Ozzâ [68]. La tradition n’hésite pas à nous apprendre que ‘Abd al-Muttalib se trouvait contraint par un serment de sacrifier à la Ka‘ba son fils ‘Abdallâh, père de Mohammed, et que c’est la devineresse de Yathrib qui lui apprit qu’il pouvait satisfaire le dieu par l’offrande de cent chameaux. Il est d’ailleurs intéressant de voir le Quraïchite prendre conseil de la servante d’un sanctuaire étranger. Le Coran condamne le meurtre des fillettes enterrées vives à leur naissance, comme un hommage aux faux dieux. Les sacrifices d’enfants offerts aux dieux cananéens invitent à croire à la réalité d’une coutume barbare, qu’on n’explique pas [69].

Par le sacrifice de sa chevelure, l’Arabe s’offrait enfin lui-même à la divinité. La chevelure est, en effet, considérée comme une représentation de la personne humaine. Avant le combat, on sacrifiait sa chevelure en faisant vœu d’être vainqueur ou de mourir [70]. Les Sémites avaient coutume d’offrir leur chevelure à la divinité au moment de leur mariage ; l’usage en avait persisté pour les femmes à cette époque. Les anciens Arabes paraissent avoir restreint le sacrifice normal de la chevelure à la ‘aqîqa du nouveau-né. Le Prophète donnait l’exemple de la bonne tenue arabe en se rasant la moustache et en laissant flotter ses cheveux sur ses épaules. On retrouvera dans d’autres pages le sacrifice de la chevelure [71], c’est-à-dire des deux tresses qui encadraient le visage. On coupait aux esclaves la mèche frontale.

Le temple avait un trésor khizâna (ghabghab). Dans le temple d’al-Lât à at-Tâïf, Mughaïra, chargé par le Prophète P043 de sa destruction, trouva des joyaux, de l’or, de l’argent, des étoffes et de l’encens [72]. Il y avait un ghabghab à Nakhla, pour al-‘Ozzâ ; aussi à la Ka‘ba ; on connaît ceux de la Syrie, et on a exploré des trésors de temples en Arabie méridionale. On offrait aux dieux des figures d’animaux en argent et en or, qui étaient des symboles de leur offrande en nature ; ainsi est confirmée la tradition de la découverte d’une gazelle d’or dans le puits de Zemzem, ou plutôt dans celui de Hobal. Je pense que dhabiya est plutôt ici un bouquetin qui représentait Almaqah [73].

Les biens du dieu étaient administrés par une famille de prêtres dont l’office se transmettait de génération en génération. Les annalistes arabes font grand effort pour prouver que les Banû Chaïba étaient déjà les gardiens de la Ka‘ba à l’époque du Prophète : ils ont conservé leur privilège jusqu’à aujourd’hui. Des inscriptions permettent de constater, dans le préislam, la transformation de ce régime en celui de bien de main-morte waqf : le mot y est. La propriété est confirmée, à titre perpétuel, au temple et à son dieu ; l’exploitation en est confiée régulièrement à des particuliers, contre une redevance [74].

Les prêtres qui étaient les gardiens de la Ka‘ba n’avaient point seulement à en ouvrir les portes et à veiller à la tenue des fidèles faisant les tournées. Cette sadâna se doublait de la siqâya, c’est-à-dire du privilège de leur faire boire l’eau sainte de Zemzem. C’était un rite de communion avec la divinité, qui a été réglementé par la doctrine musulmane. Les B. Chaïba veillaient aussi à l’éclairage habituel de la Ka‘ba et à son illumination les jours de fêtes [75].

Rien ne paraît confirmer la tradition selon laquelle les fidèles de la Ka‘ba devaient faire les tournées tout nus. Mais il est précisé que l’on ne peut se présenter devant la divinité que dans des vêtements purs, c’est-à-dire lavés [76]. Pour éviter toute souillure, il est préférable de s’en remettre au prêtre du sanctuaire qui loue des vêtements purs ou bien qui les vend, car dans une inscription le dédicant offre une tunique au dieu Athtar [77] ; ainsi se trouve confirmée la tradition suivant laquelle la Ka‘ba, avant d’avoir une kiswa spéciale, était vêtue des habits des fidèles. Dans une inscription, une servante du dieu s’accuse de l’avoir approché, P044 vêtue d’un manteau souillé et usé qu’elle avait rapiécé. Pour approcher la divinité d’al-Djalad en Hadramout, il faut emprunter le vêtement des prêtres [78].

Divination et Magie. Au-dessus des divinités elles-mêmes, les anciens Arabes voyaient le sort inconnaissable, ad-dahr (dont l’idée devait les préparer à croire à la prédestination islamique). Comme bien d’autres, ils trouvaient les manifestations de ce sort dans des influences astrales [79]. Plus près d’eux, les djinns, on l’a vu, se mêlaient de toute la vie, et par ailleurs avaient accès à des secrets de la destinée. Pour comprendre tous les mystères, l’Arabe avait besoin de recourir à des hommes favorisés de capacités spéciales, le devin kâhin (hébreu kohen) ou ‘arrâf, le sorcier sâhir, qui eux savaient faire parler les djinns et les dieux, influencer leur comportement, pratiquer envers eux les procédés et précautions nécessaires.

Les prêtres étaient les interprètes du dieu pour répondre aux questions des fidèles, pour prononcer des oracles et pour dire le sort. On connaît les sept flèches sans pointes, dites azlâm ou qidâh, que le prêtre de Hobal savait consulter pour le fidèle qui venait offrir un sacrifice à sa statue et verser le sang dans le ghabghab. Le prêtre d’al-Djalsad, dieu des Kinda et des Hadramout, avait aussi des flèches du sort [80]. Les prêtres des sanctuaires étaient des devins supérieurs, car ils étaient inspirés par des dieux. Mais il y avait en Arabie une foule d’hommes auxquels les djinns enseignaient divination et magie. On consultait aussi le sort au moyen de cailloux blancs que l’on lançait, d’où le nom de ce procédé, tatrîq. Les Arabes le pratiquaient eux-mêmes sans intervention de prêtre ou de devin [81].

Les devins arabes, comme ceux d’autres peuples, expliquaient le vol des oiseaux. Le passage de ceux-ci vers la droite ou la gauche de l’observateur était un présage faste ou néfaste. Mohammed prétendra supprimer cette tayâra, mais, à ses noces avec ‘Aïcha, les femmes n’en crieront pas moins encore : « Khaïr taïr », bon oiseau (augure).

Le devin vaticinait en une sorte d’extase : c’est qu’il connaissait les herbes qui, en la lui procurant, lui dévoilaient les secrets de la nature [82]. Les extases de Mohammed P045 sembleront être de même ordre, et l’on viendra lui demander, celui-ci l’identité de son père, un autre la cachette de sa chamelle égarée [83]. Les croyants le considéreront comme le devin parfait, inspiré par Allah, cependant que d’autres s’étonneront qu’il n’eût point reçu une cassette close, qu’un ange ne lui apprît pas tous les secrets des hommes. Les devins pratiquaient la qiyâfa, l’art d’interpréter les traces de l’homme ou de sa monture, et celui de consulter les flèches sans pointes azlâm. Il y en avait à la Ka‘ba. Mohammed tirera lui-même ainsi au sort le nom de la femme qui l’accompagnera dans une expédition [84]. La consultation du sort prenait aspect de jeu avec le maïsir, la science du sable, etc., toutes choses qui seront condamnées par le Coran.

Le ‘arrâf, « celui qui sait », paraît avoir été un devin doué d’une science supérieure. Sans doute était-il informé par l’un de ces djinns qui savaient monter jusqu’au bord du ciel inférieur et qui y surprenaient les secrets d’Allah en écoutant les conversations des anges. Ceux-ci, depuis l’Islam, les chassent en leur lançant des étoiles filantes [85]. Le devin ‘arrâf devenait un magicien quand il savait pratiquer les gestes et dire les paroles qui faisaient découvrir un coupable. Tenant entre deux doigts une petite cruche sur laquelle il avait prononcé les paroles utiles, il parcourait le cercle des personnes soupçonnées ; la cruche désignait le coupable [86] ; ou bien un homme, assemblant de même les gens qu’il soupçonnait, disait : « Je vais jeter cette crotte à qui je crois coupable ! » et aussitôt celui-ci se dénonçait. On retrouvera, plus loin, le jet de la crotte [87].

Les djinns nouaient et dénouaient les nœuds. Ils étaient, à Médine, en relations avec les juifs, dont l’un ainsi, Labîd b. al-A‘sam, rendit le Prophète malade [88]. Le sorcier ajoutait à la valeur du nœud en soufflant dessus, en l’animant d’un rûh maléfique. Des pratiques inverses permettaient au guérisseur tabîb d’annuler l’effet des nœuds : c’est la raqâ ou ruqâyâ [89]. Dans d’autres cas, le guérisseur faisait avaler au possédé des choses répugnantes pour chasser le djinn ou bien pour le satisfaire. Les nœuds pouvaient être aussi de simples moyens d’être avertis du sort. Un homme, partant en voyage, nouait des tiges de ratam, qu’il trouvait dénouées au retour P046 si sa femme avait dénoué sa ceinture. Le cavalier est averti de l’infidélité de celle-ci par l’apparition d’une touffe de poils haq‘a sur le cou de son cheval [90].

Un djinn dit « parlant » hâtif ; suscitait des songes qui, interprétés, entrouvraient les secrets de la destinée. Le Prophète saura les interpréter, et le Calife ‘Abd al-Malik fera à bon droit mettre à mort ‘Abdallâh b. az-Zubaïr, qui s’était vu en rêve l’écorchant.

Le djinn est partout : il faut se défendre contre lui sans lui nuire. Contre le « mauvais œil », les Arabes se servaient pour eux-mêmes et pour leurs bêtes d’amulettes et d’ornements brillants qui éblouissaient et détournaient le djinn, et aussi de tatouages et marques wasm spéciales, qui montraient au djinn son propre symbole. C’est une autre face de la même préoccupation que l’interdiction de tuer un homme endormi, car l’on pourrait tuer son djinn dont la tribu le vengerait cruellement. L’homme endormi perd son âme supérieure rûh, et le djinn s’insinue dans son autre âme nafs. Ainsi l’homme blessé, non seulement est paré de bijoux de femme qui éblouissent ou trompent le djinn, mais il doit ne pas dormir pendant sept jours [91]. Certaines formules, prononcées ou écrites, éloignaient le djinn. Les versets du Coran y seront tout-puissants. Des inscriptions de protection ou de malédiction apparaissent sur des objets offerts aux divinités. La représentation de la main ouverte était à la fois un geste d’adoration envers le dieu et une menace contre le djinn, auquel on dit : « cinq dans ton œil ! » — le mauvais œil. La « main de Fâtima » sera protectrice dans l’Islam, ornée de formules coraniques [92]. L’os de lièvre est particulièrement odieux aux djinns, car la femelle de cet animal a des menstrues comme les femmes. C’est de même en attachant aux flancs des navires des chiffons imprégnés de sang menstruel que l’on pouvait faire fuir le fâtûs, le dangereux poisson-djinn qui les attaquait [93].

Le djinn pouvait aussi conférer un moyen de protection. L’arbre samura était, on l’a vu, le séjour aimé des dieux et des djinns. Les B. Hudhaïl entouraient leurs bras de ses feuilles : de son aubier, Mohammed frottera un homme pour le rendre invulnérable dans le combat [94]. Car il conviendra P047 que le Prophète ne soit pas en magie inférieur aux anciens sorciers ; et il multipliera les mets d’un repas.

Les jets de pierre semblent satisfaire des sentiments opposés selon les circonstances. Des pierres levées ansâb marquaient les limites d’un territoire sacré, et le fidèle en y pénétrant, comme hommage, déposait une pierre ; ainsi sans doute celle, à laquelle l’Islam donnera un autre sens, lancée aux pierres levées de Minâ. On ajoutait aussi pieusement une pierre à celles qui recouvraient un tombeau. Mais on lapidera par malédiction, après l’Islam, la tombe d’Abû Labab, et les pierres jetées à Minâ le seront contre Satan.

Des feux s’allumaient dans les montagnes volcaniques de l’Arabie, sous l’influence de djinns malfaisants. Il y en avait un, au pays des B. ‘Abs aux deux Harrat, harrataïn, qui lançait ses flammes comme de longs cous : Khâlid b. al-Walîd tua le djinn. Il semble qu’on l’appelait en allumant au départ d’un homme un feu qui l’éloignerait à jamais : sans doute, il devait être attiré dans le désert par les feux qu’y allumaient les ogresses [95]. Par des feux, on associait les djinns à l’annonce de la guerre, à la proposition d’un pacte d’alliance. Le feu mis à des bottes de foin sec noué aux queues de vaches lâchées attirait la pluie, dont on invoquait par ailleurs la venue par des prières solennelles sur les sommets. Le « feu de l’hospitalité » allumé sous les marmites, qui guidait le voyageur égaré, était une des gloires du Bédouin ; mais les djinns en allumaient aussi pour le perdre [96]. Etc...

Les textes, qui d’ailleurs se répètent, situent à Khaïbar la coutume suivante. L’air de cette oasis, habitée par des Juifs, est malsain pour les étrangers. Mais ceux-ci peuvent le rendre inoffensif s’ils s’arrêtent à l’entrée, se mettent à quatre pattes et imitent dix fois le braiment de l’âne. C’est, dit-on, la coutume de l’âne, ou plutôt de l’onagre, de ne s’arrêter de braire qu’après dix éclats de voix. D’autres auteurs recommandent d’accomplir ce rite à l’entrée de toute localité et de toute habitation, où l’on craint une contagion quelconque [97]. Wellhausen accepte que l’âne est particulièrement résistant à la maladie ; en l’imitant par sa posture et sa voix l’homme fait croire au djinn de la malaria qu’il est un âne et il évite ainsi tout mal. On verra qu’en 628, P048 lors de l’expédition contre les juifs de Khaïbar, Mohammed interdit la chair de l’âne, qui était sacré haram. On se souviendra que les Bédouins ne montaient point les ânes ; et l’on pensera aussi à l’âne de Jésus.

La religion au Hedjaz. — Allah n’avait point frappé les hommes impies de l’Arabie méridionale, mais seulement ceux du Hedjâz ; il réservait aux survivants la faveur de l’envoi du Prophète qui apporterait à tous la vraie foi. Le milieu quraïchite et hédjazien ne paraît point avoir été particulièrement favorable à une large évolution religieuse il convient donc de faire ici une très grande place à l’influence d’un homme, Mohammed.

Au VIIe siècle, Mekke avait d’ailleurs, comme des cités méridionales, un temple, modeste sans doute, mais qui assemblait quatre divinités, tout en étant la « maison du dieu ». Mohammed se convainquit aisément qu’antérieure au déluge, elle avait été reconstruite par Abraham. Elle avait été édifiée sur trois pierres sacrées ; la Pierre Noire, celle de l’angle sud-est est la plus sainte ; celle de l’angle yémenite, sud-ouest, qui fut plus tard abandonnée ; la troisième, isolée du mur de la Ka‘ba, devint le maqâm Ibrâhîm. Le « cube » de pierre qui formait la maison du dieu (baït al-ilah = baït Allah) était de même étendue que celle dont on a exploré les ruines en Arabie méridionale, environ dix mètres sur dix. La terrasse est inclinée vers le nord, et les fidèles sont très soucieux de recueillir l’eau sainte qui coule, fort rarement, de sa gouttière. Celle-ci se déverse au milieu de la face nord-ouest de la Ka‘ba dans un petit hémicycle où, selon la tradition, les principaux des Quraïchites s’assemblaient et dont les musulmans ne savent point s’il faisait partie de l’enceinte et si les tournées étaient accomplies autour de lui.

Le sanctuaire est nécessairement doublé d’une source, Zemzem, que semblent garder deux idoles, un couple, Isâf et Nâïla, changés en pierres pour avoir forniqué dans l’enceinte du temple : souvenir d’une prostitution sacrée. Des Djuchâm prétendirent les imiter et furent anéantis [98].

La Ka‘ba, sur le sol aride de Mekke, ne saurait être entourée d’un himâ, mais elle l’est d’un harâm sur lequel s’étend P049 son effluve protecteur et qui est un lieu d’asile. Une ancienne formule dit : « La première maison qui a été fondée dans la bénédiction, la station maqâm d’Abraham ; qui y pénètre est en sécurité. » Allah a envoyé sa sakîna à Abraham pour lui en désigner l’emplacement exact [99]. Et cette protection n’est pas seulement pour les humains ; les pigeons qui sont si nombreux dans le harâm et qui lui donnent l’aspect du himâ, respectent le temple et se détournent de leur route pour ne point le survoler. Mais quand l’un d’eux est malade ou blessé il vient se poser sur la terrasse et il y trouve la guérison [100].

La Ka‘ba, il faut le répéter, était et est restée la maison du dieu, la maison d’Allah, comme le Temple de Jérusalem. Si la mosquée de Mekke a un caractère sacré, c’est qu’elle est le harâm de la Ka‘ba ; mais il importe de rappeler que la mosquée musulmane, comme la synagogue juive et comme le temple protestant, est non pas un lieu sacré, demeure de Dieu, mais l’édifice respecté où s’assemble la communauté des fidèles pour l’adorer en sécurité et pureté. L’église catholique a, depuis le moyen âge, un autre caractère [101].

Au VIIe siècle, la Ka‘ba, maison d’un dieu, baït ilah = bétyle, donnait l’hospitalité à quatre divinités. Il est convenu que le maître de la maison était Hobal, qui représentait à Mekke le Quzah de Muzdalifa, le maître du tonnerre, de la pluie et de l’arc-en-ciel : ailleurs, on l’appelait Ta‘lab ; c’est Dhû-Samam, le Ba‘al Chama’in des Araméens ; on lui sacrifiait spécialement des chameaux [102]. Selon Ya‘qûbî [103], Hobal a été apporté de Syrie par ‘Amr b. Luhay, — mais son nom reste aussi pâle que sa figure : on en est réduit à y trouver ibel, parce qu’on lui sacrifiait des chameaux ou bien Habel de la Genèse [104]. Une pierre taillée figurait Hobal, au-dessus de la Pierre Noire [105].

Manât était la divinité du sort et du bonheur ; on l’a comparée à la tukhi sôtaïra, fille de Zeus [106]. Son sanctuaire était situé à Qudaïd, près du mont al-Muchallal et du lieu dit Waddân, sur la route des caravanes et des pèlerins entre Yathrib et Mekke. Il était particulièrement vénéré par les Hudhaïl, les Khuzâ‘a, les Azd, les Ghatafân, les Ghassân, les Aus et les Khazradj. Selon la tradition, ceux-ci, et d’autres sans doute, après avoir pris part aux cérémonies P050 du hadjdj hedjazien, ne se désacralisaient point à Mekke par le tawâf de la Ka‘ba, et le sa‘y d’aç-Çafâ — al-Marwâ — qui formaient le rite spécialement quraïchite de la ‘umra ; mais ils attendaient d’être revenus à Qudaïd où ils accomplissaient le sacrifice de la chevelure, en l’honneur de Manât [107].

En 621 et 622, quand Mohammed organisait, avec des Aus et des Khazradj son émigration à Yathrib, ceux-ci se préparaient à quitter Minâ pour aller se désacraliser à Qudaïd. Quand ils n’avaient pu le faire, ils devaient ne rentrer dans leurs maisons que par escalade [108]. La tradition note un personnage appelé Sa‘îd Manât parmi les Banû Nadjdjâr, ancêtres maternels du Prophète [109].

Al-Lât, « la déesse », était l’idole des Banû Thaqîf, les alliés des Quraïchites. Elle habitait à at-Tâïf une pierre cubique sur laquelle on avait élevé une construction recouverte d’une terrasse et semblable à la Ka‘ba : l’emplacement du temple de la maîtresse rabba était encore connu au siècle dernier. Aucun homme, revenant de voyage, ne rentrait dans sa maison sans avoir fait à al-Lât l’offrande de sa chevelure. La pierre-idole recouvrait le ghabghab de son Trésor. Le val d’al-Wadjdj constituait le territoire sacré du temple. Du temps de Mohammed, il était interdit d’y couper l’arbre ‘ilâh ou d’y tuer une bête sauvage [110].

Il est amusant de voir que les commentateurs tardifs de la tradition se sont donné beaucoup de peine pour trouver au mot al-Lât, un autre sens que celui de la « déesse » ; c’est al-Latt, « le broyeur », parce qu’auprès du sanctuaire, un homme y préparait du sawîq ; à moins que le mot ne vienne de lawâ avec un sens voisin [111]. Quand le Prophète eut conquis at-Tâïf, les habitants lui demandèrent de leur laisser al-Lât pendant trois ans, de les dispenser de la Prière, enfin de ne pas les obliger à détruire eux-mêmes leurs idoles [112].

Al-Lât, si elle n’a pas été empruntée aux Araméens, est, du moins, semblable à des divinités syriennes de la fécondité, à Aphrodite, à Vénus, qui par sa double valeur d’étoile du matin et d’étoile du soir, se partage en deux divinités : Ichtar et Balât. On la retrouve dans des inscriptions sinaïtiques. Ryckmans l’hellénise en Athènè ; c’est Urania Cœlestis [113].

P051 La troisième déesse, al-‘Ozzâ, la toute Élevée (?), avait son sanctuaire chez les B. Ghatafân à Nakhla, sur la route de l’Iraq, à neuf milles au-delà de Dhât‘Irq en venant de Mekke ; c’était un bois sacré, où trois arbres de samura lui servaient de temple. On retrouvera le samura et son caractère sacré à al-Hudaïbiya et ailleurs encore [114]. Le Prophète envoya Khâlid b. al-Walîd avec ordre de couper les trois arbres ; les deux premiers tombèrent sans incident ; devant le troisième apparut une sorcière échevelée, grinçant des dents ; derrière elle son prêtre l’excitait à résister à Khâlid en lui jetant le voile. D’un coup de sabre, Khâlid lui trancha la tête et elle fut changée en un charbon. Les Quraïchites célébraient une fête annuelle en l’honneur d’al-‘Ozzâ : elle était aussi vénérée par les Kinâna et Khuzâ‘a, les Thaqîf et une partie des Hawâzin. Selon la tradition, Mohammed, dans sa jeunesse, avait sacrifié un mouton blanc à al-‘Ozzâ. [115]

Al-‘Ozzâ était l’objet de la particulière vénération des Quraïchites. Ce n’est pas seulement Quçay, le grand ancêtre des Quzâ‘a, qui donna à l’un de ses quatre fils le nom de ‘Abd al-‘Ozzâ ; c’était aussi celui d’un oncle de Mohammed, Abû Lahab [116]. Ainsi, les Quraïchites convertis remplacèrent-ils volontiers le nom de la déesse par l’un des grands noms d’Allah, qui affirma sa puissance ; ‘Abd al-‘Azîz est resté un nom cher aux musulmans. Il ne suffit plus de la noter comme étant à Mekke la déesse de l’amour et de la fécondité. Il convient de reprendre l’indication de Dussaud : ce n’est point par un hasard de rythme que le Coran a réuni al-Lât et al-‘Ozzâ en les isolant de Manât ; elles formaient paire : on jurait par al-Lât et al-‘Ozzâ ; et quand une tradition tardive a tenu à marier les dieux, il a été convenu que Hobal était leur commun époux. « On disait : Le maître (Hobal) passe l’été avec al-Lât à cause de la fraîcheur d’at-Tâïf, et l’hiver avec al-‘Ozzâ, à cause de la chaleur du Tihâma. » A Ohod, Abû Sufyân entonna un poème en radjaz à la gloire de Hobal et d’al-‘Ozzâ [117].

On retrouve donc dans le couple al-Lât et al-‘Ozzâ la survivance de la croyance en les anwâ, c’est-à-dire en la succession de couples d’étoiles opposées, qui jalonnent les saisons de l’année ; on y reconnaît aussi l’union intime des P052 Quraïchites et des Thaqifites, de Mekke et de Tâif.

Il convient enfin de retenir quelque chose de la tradition d’Isaac d’Antioche ; on sacrifiait en Syrie à al-Lât des garcons et des filles, en réduisant peut-être le sacrifice à une consécration d’hiérodules dans le temple. Mais on croit aisément que les femmes syriennes montaient, la nuit, sur les terrasses, et imploraient la déesse de leur accorder un reflet de sa clarté sur leurs visages ; les femmes arabes avaient aussi cette coutume. Car certaines étoiles étaient favorables et d’autres funestes ; mais les anciens Arabes n’ont point cependant développé cet essai d’astrologie [118].

Il semble qu’il convienne de donner de la réunion du dieu et des trois déesses autour de la Ka‘ba une autre explication. On insiste aujourd’hui, avec raison, sur les alliances, plus ou moins durables, qui se nouaient entre les tribus de l’Arabie préislamique ; leur accord réalisait en même temps celui de leurs divinités, puissances tribales, qui ne prétendaient point à la domination universelle. Les tribus alliées s’assemblaient en un pèlerinage hadjdj autour du sanctuaire le plus illustre de leur groupement, peut-être celui qui pouvait se conjuguer avec la foire la plus fréquentée. Mais la tribu dont le sanctuaire était ainsi favorisé de la venue de plusieurs autres, devait avoir souci de confirmer leurs bonnes dispositions en réunissant, autour de sa propre idole, un souvenir et un symbole des divinités de ses alliées. J’imagine que c’est ainsi que les Quraïchites, organisateurs des marchés mekkois et de ceux qui précédaient le hadjdj de ‘Arafa, ont accueilli et vénéré dans le sanctuaire de la Ka‘ba les trois déesses, adorées par des tribus amies, et les ont unies à leur dieu Hobal, qui reste ainsi enveloppé de mystère. Pour des raisons qui nous échappent, le sanctuaire de Manât à Qudaïd avait déjà attiré les hommages d’un large ensemble de tribus du Hedjaz septentrional. Les Thaqîf d’at-Tâïf communiaient avec leurs alliés les Quraïchites en l’adoration d’Hobal, de Manât et d’al-‘Ozzâ, et retrouvaient à la Ka‘ba leur divinité al-Lât.

Le Coran a bien montré qu’Allah protégeait les caravanes, qui mettaient les marchés mekkois en relations régulières avec la Syrie au nord et le Yémen au sud. Ces relations pourront être mieux connues, comme l’a indiqué Ryckmans, P053 par l’étude des descriptions, qui jalonnent les routes de commerce et de pèlerinage. On notera plus loin que la Ka‘ba était vêtue d’étoffes yéménites.

La légende qui orne les murs intérieurs de la Ka‘ba avec les figures de trois cent soixante idoles, aussi nombreuses que les jours de l’année lunaire, se légitime peut-être par le souci qu’avaient les Quraïchites d’attirer à leur temple les adorateurs de tous les dieux.

Selon la tradition coranique, les Quraïchites considéraient les trois déesses comme les filles d’Allah ; on retrouvera dans l’histoire de Mohammed, l’incident des gharâniq. Les Quraïchites sont donc accusés d’imiter les Juifs et les Chrétiens qui attribuent à Allah un fils, ‘Uzaïr ou Jésus. Et le Coran dit : « Avez-vous vu al-Lât, et al-‘Ozzâ, et Manât, la troisième, l’autre. » — « Est-ce que ton maître a des filles, alors qu’eux ont des fils ? » [119].

Des cérémonies analogues à celles que l’on accomplissait autour de la Ka‘ba se célébraient devant les deux rocs d’aç-Çafâ et d’al-Marwâ, situés un peu au-dessus de la Ka‘ba : elles constituaient le sa’y, semblable au tawâf [120]. Des traditions y trouvent Içâf et Nâïla ; mais d’autres y font habiter des dieux sans autre nom que le « pourvoyeur du vent », mudjâwiz ar-rîh pour aç-Çafâ, et pour al-Marwâ le « nourricier des oiseaux », mut‘im at-taïr, qui confirme les sacrifices qu’on y offrait [121]. C’est là, et non devant la Ka‘ba, que ‘Abd al-Muttalib pensa sacrifier son fils. Il y avait une devineresse ‘arrâfa, auprès du rocher [122].

Les fidèles s’unissaient à ces lieux sacrés et les unissaient entre eux par des tournées tawâf et des processions. La plus solennelle constituait la ‘umra et avait lieu annuellement ; elle assemblait les sanctuaires mekkois avec celui d’at-Tan‘îm, une localité voisine. La coutume du salut à la mosquée, qui dans l’Islam était célébrée le premier de chaque mois lunaire est, sans doute, une survivance du préislam ; elle consistait surtout en tournées de la Ka‘ba, maison du dieu. Selon la tradition, avant comme après l’Islam, la chaussée qui entoure la Ka‘ba, ne fut jamais vide de fidèles accomplissant les tournées [123].

Les foires du Hedjâz et les cérémonies du hadjdj étaient dominées par des divinités qui étaient peut-être déjà imprécises, P054 et qu’Allah a condamnées à l’oubli. ‘Arafa est un roc dans une plaine entourée de montagnes. Minâ ne conserve plus que le souvenir d’Abraham, car la mosquée de Khaïf continue de ne pas livrer son secret. Seul Quzâh le dieu de Muzdalifa, spécialement vénéré par les Quraïchites-Homç, a une personnalité. Selon la tradition, il est le dieu de l’orage, de l’éclair et du tonnerre qu’il lance de son arc, l’arc de Quzâh, l’arc-en-ciel, qui finit par apparaître quand tout s’apaise. La montagne qu’il habite à Muzdalifa est appelée aussi Quzâh et Thabîr. Un feu y brûle constamment. On retrouvera plus loin les processions et illuminations [124]. Au Sinaï, Yahveh était le maître du tonnerre : Allah l’est aussi [125].

Mais on est tenté de voir en Quzâh une divinité solaire, qu’on cherche en vain parmi celles du Hedjaz. On sait qu’une tradition veut qu’à Minâ les pèlerins lapident le démon du soleil. Le Coran insiste pour que les Prières rituelles, les mouvements des pèlerins, etc., ne coïncident point avec des positions essentielles du soleil [126]. Il faut oublier la divinité soleil.

La Ka‘ba est la demeure du dieu. De même que le djinn venait se transformer en pierre, plante ou animal pour se mettre à la portée des hommes, ainsi le dieu vient accueillir les sacrifices, les prières, les demandes. Il est le maître de la maison, rabb, ba‘al, et enfin il est le dieu al-ilah. Ce sont des mots que les inscriptions répètent. Ba‘al paraît être arabe ancien. Il y avait un Ba‘alsamin en Arabie méridionale. Mais le Coran n’en a qu’un exemple : « Invoquez-vous un Ba‘al et négligez-vous le plus beau des Créateurs ? » ; c’est Ilyas (Élie) qui le dit, donc avec présomption d’emprunt hébreu [127].

Dhû, fém. Dhât, apparaissent souvent dans les inscriptions avec le sens de maître [128]128), qu’exprime fréquemment aussi rabb, fém. rabba. Le Coran le répète avec les pronoms affixes : rabbî, rabbuka, rabbunâ, etc., en opposition avec ‘abd, serviteur, esclave. Les plus anciennes sourates du Coran emploient rabb plus souvent qu’Allah [129].

Les inscriptions connaissent, un dieu Rahîm que l’on retrouve en épithète à Allah dans le Coran, Le inscriptions monothéistes sabéennes ont un dieu Rahmanân, « seigneur P055 du ciel et de la terre ». Dans un texte judaïsant Rahmanân est « dieu d’Israël, seigneur de Juda ». Des inscriptions chrétiennes disent : « Rahmanân et son Messie et l’Esprit-Saint », ou bien « et son fils Christos le Victorieux ». On comprend maintenant pourquoi les Quraïchites refusent d’accepter le dieu ar-Rahmân de Mohammed : c’est un dieu juif et chrétien. Et l’on comprend aussi que le « faux » prophète al-Aswad ait repris le vieux nom de la divinité de son pays [130].

Mais le meilleur mot pour désigner en sémitique le dieu est ilah, héb. el ; le féminin est Lât ; on vient de le trouver pour nommer la déesse des Thaqîf. Ilah est répété aussi par des inscriptions lihyanites, thamoudéennes, safaïtes, sous la forme Ilahan et Ilan [131], et avec l’article al-ilah. On l’invoque dans un appel ou dans un serment : yallah, billahi, allahumma où le redoublement de 1 est phonétique [132], Allah est déjà formé. Le Coran désigne par ilahât les divinités préislamiques.

Conclusion. — [L’Arabie du début du VIIe siècle nous apparaît donc comme combinant à des traditions anciennes et primitives des tendances unificatrices tant sur le plan de l’humain que du divin. A l’esprit anarchique des tribus s’opposent le besoin que leur approvisionnement par le commerce leur donne les unes des autres, les occasions de rencontre que foires et cultes combinés leur procurent. A la multitude des dieux s’opposent la similitude de leurs cultes, leurs rencontres à eux aussi au-dessus de celles des tribus qui les portent. Des influences étrangères s’y ajoutent, qui ont provoqué des expériences d’organisation politique, introduit les conceptions des religions plus évoluées du monde byzantin ou iranien voisin. Qu’une personnalité puissante vînt qui sût sentir ces besoins, ces tendances, pour les éprouver elle-même plus intensément, qui sût les grouper en un faisceau convergent, et le changement ainsi sourdement espéré deviendrait réalité. Naturellement on peut toujours épiloguer pour deviner ce qui serait arrivé si... Mohammed, comme tout grand homme, tient sa grandeur à la fois de ce par quoi il exprime son milieu et de ce par quoi, le dépassant, il l’entraîne derrière lui. Le moment était-il, vers 600, celui P056 d’un devenir accéléré, d’une crise, appelant une transformation rapide ? Nous verrons en tout cas que le succès de Mohammed suscitera d’autres prophètes : preuves sans doute de ce succès, preuves aussi que l’atmosphère en Arabie était prophétique. Et ce fut quelque temps avant 620 que Mohammed parut comme Prophète.]



[1] L’ensemble des faits est dans Buhl, Encyclopédie de l’Islam, (E. I.), 3, 685-703 ; cf. Tor Andrae, Mahomet, sa vie et sa doctrine, et Blachère qui, dans Le Problème de Mahomet, discute les traditions.

[2] Suyûtî, al-itqân fî ‘ulûm al-Qurân, 2, 106.

[3] Tabarî, Tafsîr al-Qurân, 2, 9.

[4] Le Coran, 2, 73 ; Horowitz, E. I., 1, 387.

[5] Khâtib Baghdâdî, Taqyîd, 52 et 57.

[6] al-‘Aïnî, ‘Umdat al-qâri’ fî charh al-Bukhâri, 6, 553 ; Dussaud, Les Arabes en Syrie avant l’Islam, 100.

[7] Geschichte des Qorans, éditée par F. Schwally.

[8] Le Coran, 1, 2, 29 ; 4, 62, 33, 21. Snouck Hurgronje, G. G., 2, 193.

[9] al-‘Aïnî, op. cit., 1, 551. Exemple brutal de variantes : une juive de Khaïbar est accusée d’avoir voulu empoisonner le Prophète ; selon un traditionniste, il pardonne ; selon un autre, il la fait mettre à mort. Le premier est connu pour chercher les exemples de mansuétude, l’autre ceux de dureté.

[10] Ibn Djubaïr, Voyages, trad. Gaudefroy-Demombynes, 309.

[11] Wensinck, E. I., 4, 581 ; Milliot, Introduction à l’étude du Droit musulman, 106.

[12] Ibn Taïmiya, Fatâwâ, 1, 406.

[13] Ryckmans, Les religions arabes préislamiques, 75 ; Hommel, E. I., 1, 362.

[14] C. R. Acad. Inscriptions, 1952, p. 87 ; Ryckmans, Les traces de Saba, 8.

[15] Buhl, E. I., 1, 74.

[16] Perron, Les Femmes arabes, 573.

[17] Le Coran, 85, 4 ; Wensinck, E. I., 1, 487 ; Nöldeke, Geschichte des Qorâns (éd. Schwally), 1, 47 note 1 ; Horovitz, Koranische Untersuchungen, 2 et 93 ; Grimme, Mohammed, 2, 77.

[18] E. I. 3, 374.

[19] Le Coran, 44, 36 et 50, 13 ; Grimme, op. cit., 2, 76.

[20] Horovitz, op. cit., 89 ; Margoliouth dans Hirschfeld, New researches into the composition and exegesis of the Qoran, 10, 541 ; Landberg, Etude sur les dialectes de l’Arabie méridionale, 1, 149 ; Le Coran, 89, 5 ; Schliefer, E. I., 1, 320.

[21] Schliefer, E. I., 2, 150 à 152, 1, 584 ; Lammens, E. I., 3, 12 ; Mordtmann, E. I., 2, 329 ; Dussaud.

[22] Lammens, E. I., 2, 12 ; Buhl, E. I., 2, 334.

[23] Brunschvig, Les foires à travers l’Islam, Recueil de la Société Jean Bodin, Bruxelles, 1953.

[24] E. I., 4, 1218.

[25] al-‘Aïnî, op. cit., 4, 784 ; al-Azraqî, Die Geschichte der Stadt Mekka, 132.

[26] Wellhausen, Reste arabischen Heidentums (dans Skizzen und Vorarbeiten), 88 ; Sayyid al-Afghânî : aswâq al-‘arab, 249.

[27] Tabarî, Tafsîr al-Qurân, 10, 47 ; al-Azraqî, 129 ; Bukhârî, Les traditions islamiques (trad. Houdas), 25, 150 ; al-‘Aïnî, op. cit., 4, 783.

[28] Hirschfeld, op. cit., 1, 57 ; Littmann.

[29] Ryckmans, op. cit., 16.

[30] De Goeje, E. I., 1, 378.

[31] Cf. Blachère, Histoire de la Littérature arabe, I.

[32] Bibliographie dans Macdonald, E. I., III, 203 ; notamment Van Vloten, Die Dämonen bei den alten Arabern, W. Z. K. M., 7-8 ; Eichler, Die Dschinn, Teufel und Engel in Koran, Leipzig, 1928 ; Westermarck, The nature of the arab Jinn (J. of anthrop. Inst., XXIX — 1899, 253) ; Wellhausen, op. cit., 148 ; Ahrens, Muhammed als Religionsstifter, 93 ; etc.

[33] Salomon enferme les génies rebelles dans des flacons d’airain scellés de son sceau ; mais d’autres djinns lui obéissent volontairement et construisent pour lui la ville de Tadmor. Un Ifrit des djinns propose à Salomon de lui apporter le trône de la reine de Saba. (Le Coran, 27, 39 ; Akâm al-murdjân fî ahkâm al-djann, d’Ibn Qaiyim ach-Chibliya, 90 ; Cent et une nuits, 301 ; Chauvin, Le Pêcheur et le Génie ; Risâlat al-ghufrân, 1, 109 sqq.

[34] Rev. Hist. Rel., 1953, 172.

[35] Dussaud, La Pénétration des Arabes en Syrie avant l’Islam, 97 ; Wellhausen, op. cit., 200 ; Robertson Smith, Kinship and Marriage in early Arabia, 192 à 201.

[36] Dussaud, Les sacrifices humains chez les Cananéens, 222-227.

[37] Tabarî, Annales, 1, 276-281 ; Ibn Hichâm, Sîra, Das Leben Muhammeds, 4, 85 ; Wellhausen, op. cit., 104.

[38] Wellhausen, op. cit., 155.

[39] Maïdanî, Madjma‘al-amthâl, 22, 57 ; Freytag, Einleitung ... bis Mohammed, 245.

[40] Freytag, op. cit., 160 à 167.

[41] al-aghânî (Kitâb) par Abû’l-Faradj al-Içfahânî, 9, 48 ; Wellhausen, op. cit., 151 ; Akâm al-murdjân..., 94 ; Freytag, op. cit., 167 ; Van Vloten, Die Dämonen bei den alten Arabern, 174.

[42] K. al-aghânî, 8, 18 et 9, 163.

[43] Wellhausen, op. cit., 159 ; K. al-aghânî, 3, 119.

[44] Wellhausen, op. cit., 156 sqq.

[45] Mufaddal, Dîwân (éd. Storey), 118.

[46] Le lexicographe (Ibn Manzûr, Lisân al-‘Arab, 236 — Cf. Horowitz, op. cit., 128) dit en parlant d’elle : « idole des Quraïchites et samura des Ghatafân. » Le nombre trois joue un grand rôle en Arabie une tradition parle des trois bâtons peints devant lesquels se prosternent les Yéménites (Ibn Sa‘d, Tabaqât, Biographien Muhammeds, seiner Gefährten..., 1, 32, 3). On retrouvera les trois gharâniq. Le cube 27 fixe un jour faste du mois. Allah a 99 noms, comme les gardiens de l’Enfer 99 chamelles (Le Coran, 74, 3 ; 38, 22 ; 18, 24 ; 12, 2 ; Horovitz, Koranische Untersuchungen, 20, note.)

[47] Wellhausen, op. cit., 210.

[48] Le Coran, 53, 30 et 6, 76.

[49] Ryckmans, Les religions arabes préislamiques, 41 et 42.

[50] Fr. Cumont dans Hirschfeld, New researches..., 1, 414.

[51] Wellhausen, op. cit., 14 ; Horowitz, op. cit., 150.

[52] Wellhausen, op. cit., 18, 19 et 22 ; Horovitz, op. cit., 118 et 153 ; Ibn Sa‘d, Tabaqât..., 1, 110.

[53] Le Coran, 71, 22 et 23 ; 12, 39 ; Nöldeke, Geschichte des Qorâns (éd. Schwally), 1, 95 et note 4 ; Le Coran, trad. Blachère, 166.

[54] Dussaud, La Pénétration des Arabes en Syrie, 150 et 1.

[55] Wellhausen, op. cit., 23 ; Horovitz, op. cit., 144.

[56] Wellhausen, op. cit., 45 et 46.

[57] Ryckmans, Les religions..., 46.

[58] Id., ibid., 47.

[59] Le Coran, 73, 9.

[60] Ryckmans, op. cit., 27 et 28 ; Id., Les traces de Sabâ, 9.

[61] Wellhausen, op. cit., 100 ; Ryckmans, Les religions..., 33, 37.

[62] Le Coran, 22, 35 ; Tabarî, Tafsîr al-Qurân, 17 ; Lammens, Taïf, 92.

[63] Scheftelowitz, Palestina Bauerglaube, p. 46 ; Knuchel, Die Umwandlung in Kult-, Magie-, und Rechtsbrauch, 1919.

[64] Le Coran, 5, 102 ; 6, 137 ; Wellhausen, op. cit., 113 ; Tabarî, op. cit., 7, 52 et 8, 28.

[65] Loisy, Sacrifices, 228.

[66] Ryckmans, op. cit., 38.

[67] Wellhausen, op. cit., 122 à 129 ; Robertson Smith exagère dans Hirschfeld, New Researches..., 11, 37.

[68] Ahrens, Muhammed als Religionsstifter, 6.

[69] Lods, Les prophètes d’israël et les débuts du Judaïsme, 1, 142 ; Deutéronome, 12, 81.

[70] Wellhausen, op. cit., 197.

[71] Id., ibid., 34.

[72] Id., ibid., 31 et 103.

[73] Ryckmans, op. cit., 39.

[74] Dussaud, op. cit., 123 ; Ryckmans, op. cit., 29 ; Wellhausen, op. cit., 105 et 130 sqq.

[75] Al-Azraqî, Die Geschichte der Stadt Mekka, 201.

[76] Ryckmans, op. cit., 54 ; note 363.

[77] Id., ibid., 52 ; R. Et Seine, 3495, 1 ; Genèse, 35, 2 ; II Rois, 10, 22.

[78] Ryckmans, op. cit., 38 ; Dussaud, op. cit., 132.

[79] Vajda, Juda b. Nissim b. Malka, dans Hespéris, 1953, p. 460.

[80] Le Coran, 5, 4 ; Tabarî, Tafsîr al-Qurân, 6, 41 et 44 ; Ibn Hichâm, Sîra, Das Leben Muhammeds, 1, 97 (?) ; résumé dans Le Livre de la Création, 115 ; trad. Huart, 108.

[81] Tabarî, op. cit., 6, 43 ; Mufaddal, Dîwân (éd. Storcy), 80.

[82] Ahrens, Muhammed als Religionsstifter, 38.

[83] Bukhârî, Les traditions islamiques, 68, 79 ; al-‘Aïnî, op. cit., 1, 510 et 9, 606.

[84] Le Coran, 11, 15 ; 67, 8 ; 42, 5 ; 25, 53 ; 13, 8 ; 38, 65 ; Le Coran, trad. Blachère, 433 note.

[85] Tirmidhî, al-Djâini ‘aç-Câlih, 7, 116 ; Wellhausen, Reste arabischen Heidentums, 206.

[86] Le Coran, 2, 210 ; Tabarî, op. cit., 2, 201.

[87] Le Coran, 72, 8.

[88] Wellhausen, op. cit., 207.

[89] Ibn Manzûr, Lisân ‘al-Arab, 5, 138.

[90] Freytag, Studium der arabischen Sprache, 288.

[91] Wellhausen, op. cit., 163 sqq. ; Maïdani, Madjma‘ al-amthâl, 6, 75 ; Freytag, op. cit., 288 ; Jaussen, Coutumes des Arabes au pays de Moab, 382.

[92] Ryckmans, op. cit., 35.

[93] Freytag, op. cit., 288 ; Wellhausen, op. cit., 164 ; Goldziher, Muhammedanische Studien 207 ; Robertson Smith, Kinship and Marriage in early Arabia, 133 ; Damîrî, Hayât al-Hayawân, 1, 178 et 244 ; Qalqachandî, Cubh al-A‘châ, 2, 40.

[94] Wellhausen, op. cit., 164 et références.

[95] Id., ibid., 167 ; Rasmussen, Historia Arabum ante Islamismum, 76, 409 et 410, avec de nombreux exemples.

[96] Freytag, op. cit., 289 ; Wellhausen, op. cit., 161.

[97] Ibn Al-Athîr (Madjd ad-dîn), K. an-nihaya fî gharîb al-hadîth.

[98] Tabarî, Annales, 1, 1031, 16.

[99] Id., ibid., 1, 274 et 275.

[100] Latîf, 58.

[101] Renan, Marc Aurèle et la fin du monde antique, 587.

[102] E. I., 1, 385.

[103] Page 295.

[104] Horovitz, Koranische Untersuchungen, 132.

[105] Wellhausen, op. cit. ; Ryckmans, Les religions arabes..., 14.

[106] Ahrens, Muhammed als Religionsstifter, 13.

[107] Wellhausen, op. cit., 25 sqq.

[108] Le Coran, 2, 156 ; al-Azraqî, Die Geschichte der Stadt Mekka, 79.

[109] Wellhausen, op. cit., 29 ; Horovitz, op. cit., 141.

[110] Wellhausen, op. cit., 29.

[111] al-‘Aïnî, ‘Umdat al-qâri’ fi charh al-Bukhârî, 4, 178 ; al-Azraqî, dans Yaqût, Geographisches Wörterbuch (éd. Wüstenfeld), 79.

[112] Ibn Manzûr, op. cit., 2, 2, 51 ; Dussaud, Recherches..., sqq.

[113] Ryckmans, Les religions arabes..., 22 ; Ahrens, op. cit., 13 ; Hommel, E. I., 1, 385.

[114] Ibn Manzûr, op. cit., 236 ; Horovitz, op. cit., 128.

[115] Wellhausen, op. cit., 36 et 104 ; Yaqût, op. cit., 79 ; Horovitz, op. cit., 128.

[116] Tabarî, Annales, 1, 1091 ; Wellhausen, op. cit., 56.

[117] Yaqût, op. cit., 79 ; Wellhausen, 208 ; Bukhârî, Les traditions islamiques, 56, 164 ; Wellhausen, 75.

[118] Wellhausen, 56.

[119] Le Coran, 37, 149 et 53, 19.

[120] E. I., 4, 208 ; Yâqût, op. cit., 76 ; Gaudefroy-Demombynes, Le Pèlerinage de La Mecque, 325.

[121] Nöldeke, Geschichte des Qorâns (éd. Schwally), 295 ; Wellhausen, op. cit., 78.

[122] Tabarî, Annales, 1, 1074 sq.

[123] Syria, 1950, p. 336.

[124] Wellhausen, op. cit., 61.

[125] Le Coran, 13, 14.

[126] Voir Dussaud, La pénétration des Arabes en Syrie... ; E. I., 1, 304 ; Hirschfeld, New researches into the composition and exegesis of the Qoran, 1, 662 et 6, 248 ; Wellhausen, op. cit., 2, 117 ; Ahrens, Muhammed..., 15.

[127] Ryckmans, Les religions arabes…, 20 et 23 ; Wellhausen, op. cit., 146 ; Horovitz, Koranische Untersuchungen, 101.

[128] Ryckmans, op. cit., 45.

[129] Wellhausen, op. cit., 145 ; Ahrens, op. cit., 16.

[130] Ryckmans, op. cit., 23 et 47 ; Ahrens, op. cit., 17.

[131] Ryckmans, op. cit., 15, 20 sqq.

[132] Margoliouth, dans Hirschfeld, New researches..., 6, 248.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 5 janvier 2009 10:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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