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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le folklore dans l'Ancien Testament (1924)
Préface de René Dussauld


Une édition électronique réalisée à partir du livre de James George Frazer (1854-1941), Le folklore dans l'Ancien Testament (1924). Édition abrégée avec notes. Traduction de E. Audra d'après l'édition anglaise de 1923. Paris: Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1924, 448 pp. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévole.

Préface

René Dussaud,

Membre de l’Institut.

Peu de savants étrangers jouissent en France d’une faveur aussi marquée que sir James G. Frazer, de l’Université de Cambridge (Angleterre) et docteur honoris causa de la Sorbonne. Les études d’histoire des religions, plus particulièrement celles qui ont trait aux non-civilisés, lui doivent une popularité inattendue car personne n’ignore qu’il est l’auteur du Rameau d’or.

Le Folklore dans l’Ancien Testament, dont M. Audra, le distingué directeur de l’Institut français de Londres, offre une traduction réduite mais fidèle, rentre dans l’ordre des mêmes préoccupations, mais son caractère exégétique y ajoute une note particulière.

* * *

A toutes les époques, de bons esprits se sont persuadé que tout avait été dit sur l’Ancien Testament et que ni le texte ni l’interprétation ne pouvaient plus être sérieusement améliorés. « La critique de l’Ancien Testament, écrivait Renan en 1866 [1], est ce qu’on peut appeler une science close. On ne trouvera pas d’autres textes hébreux ; on n’a guère de moyens pour améliorer les textes connus... Des générations de savants ont consumé leur vie sur ces textes ; presque toutes les combinaisons possibles ont été essayées. » Cette erreur d’appréciation, explicable au milieu, du XIXe siècle, où il était difficile d’entrevoir le merveilleux essor qui était réservé aussi bien aux études orientales qu’à l’histoire des religions, est encore couramment professé.

Mais, à chaque coup, un démenti ne tarde pas à survenir. Au moment où l’on s’y attend le moins, une découverte surgit ou une conception nouvelle [2] s’exprime qui, comme c’est le cas pour l’œuvre que nous présentons au lecteur de langue française, trace une voie nouvelle et oblige à réviser les idées reçues. En réalité, l’incomparable collection de textes légendaires, historiques, politiques, religieux ou simplement littéraires, qui constitue l’Ancien Testament, exercera encore longtemps la sagacité des interprètes.

Si l’on veut, d’un simple coup d’œil, juger les progrès réalisés, à une date récente, dans l’établissement du texte, il suffit de comparer la traduction que publie la Société biblique de Paris sous le titre de Bible du Centenaire avec la traduction de la Bible d’Édouard Reuss.

Les monuments sortis du sol de la Palestine et de la Syrie ou provenant des fouilles d’Égypte et de Mésopotamie offrent à la fois des éléments de contrôle et des renseignements complémentaires de la plus haute importance. Pourquoi ne découvrirait-on pas de nouveaux textes hébraïques ? On a bien mis au jour la stèle de Mésa, l’inscription de Siloé, l’original hébraïque du Siracide, les papyrus judéo-araméens d’Éléphantine. La stèle de Mésa, comme les textes officiels assyro-babyloniens, ont démontré qu’il existait d’authentiques Annales des rois de Juda et d’Israël que le compilateur du Livre des Rois a utilisées. Même des récits légendaires, comme celui de la venue des patriarches en Égypte ou celui de l’Exode, correspondent à des faits historiques dûment établis aujourd’hui.

L’accroissement incessant de nos connaissances en histoire des religions aide également, et de la manière la plus remarquable, à la compréhension de la littérature hébraïque comme des institutions bibliques. En mettant sa science de folkloriste au service de l’interprétation de l’Ancien Testament, sir James G. Frazer ouvre largement une voie encore peu fréquentée.

* * *

Trois savants ont marqué, à Cambridge, par l’originalité et la portée de leur exégèse. D’abord, un contemporain de Spinoza et de Richard Simon, le théologien John Spencer (1630-1695) qui, dans son De legibus Hebraeorum ritualibus et eorurn rationibus libri III, recherchait l’origine des pratiques mosaïque dans les religions païennes. Si hardie que parut cette thèse, elle ne faisait que développer, avec preuves à l’appui, notamment en ce qui concerne les sacrifices, la doctrine des anciens rabbins et des Pères de l’Église.

L’œuvre de Robertson Smith signale, en histoire des religions, un progrès considérable, moins par l’intervention de la théorie totémique qui lui était chère, que par la mise au premier plan de certaines notions, comme celle du sacré. On a prouvé, d’ailleurs, que la théorie sacrificielle de Robertson Smith subsistait dans ses traits essentiels, même en éliminant de la démonstration tout recours au totémisme [3]. Elle gagne une force singulière à ne plus être liée à un concept dont on ne peut dire, surtout après la belle enquête de Frazer [4] qu’il est une des étapes obligées de la pensée humaine.

L’influence de Robertson Smith sur la direction qu’ont prise les études de Frazer est manifeste, mais il n’en a pas été l’esclave. Il suffit de rappeler ses travaux sur le totémisme, ses recherches sur le sacrifice du dieu, l’extension qu’il a attribuée à la théorie du tabou ou interdiction rituelle, et que R. Smith n’avait reconnue tout d’abord, enfin la présente étude sur l’Ancien Testament.

Déjà épris de la beauté littéraire de ces anciens textes, ce qui l’amena à publier un choix de morceaux caractéristiques [5] l’éminent folkloriste n’a pu résister au désir de sonder le mystère des « vieilles chansons » qui avaient bercé son enfance. Loin de chercher à éteindre quelques « étoiles », il a pris pour tâche de verser une lumière abondante sur des texte souvent tronqués au point d’en devenir inintelligibles, de donner un éclat nouveau à des récits qui, comme on l’a souvent constaté, sont plus susceptibles de se déformer dans la tradition écrite que par la transmission orale.

Redresser les anciens contes bibliques d’après la méthode comparative des folkloristes, rendre à celte littérature, qu’on a tendance à négliger et que beaucoup estiment périmée, la vertu du récit ancien avec sa logique particulière et sa signification profonde, n’est-ce pas un programme d’un rare intérêt et d’une haute ambition ? Sir James G. Frazer a tenté de le remplir et nul ne le pouvait mieux que lui, car il joint à sa science incomparable du folklore un tact parfait qui le détourne des hypothèses aventurées. Il est tout le premier à reconnaître la faiblesse de nos moyens d’investigation ; aussi conseille-t-il la prudence et confie-t-il au lecteur le soin de l’y ramener si, par hasard, il oubliait ses propres conseils. C’est dire à quel point le savant scrupuleux qu’est Frazer, attache d’importance à ce qu’on n’use de sa méthode qu’avec circonspection.

* * *

Quelle est donc cette méthode ? Elle consiste essentiellement dans une comparaison des thèmes folkloriques qui doit permettre, en s’approchant de l’âme populaire et en s’initiant à ses modes de penser, de mieux comprendre le récit biblique. Cette méthode n’utilise pas seulement les sources anciennes, mais aussi les sources modernes vivantes [6]. Quand les conditions sont favorables, c’est-à-dire la documentation assez proche, cette méthode peut aboutir à une restitution, non du texte, mais du thème. Un exemple permettra de saisir le procédé.

Dans sa forme actuelle, le récit biblique de la chute du premier homme est si confus qu’on suppose généralement qu’il est emprunté à trois sources différentes, toutes les trois d’inspiration yahviste, et qu’on propose de supprimer dans Genèse, II, 9, la mention de l’arbre de vie. Il n’y a plus alors qu’un arbre au milieu du jardin, celui de la connaissance du bien et du mal. Le récit y gagne en clarté, mais on ne voit pas comment le rédacteur a pu introduire la mention de l’arbre de vie ; il a dû la rencontrer quelque part. La suppression radicale qu’on propose ne satisfait pas notre curiosité.

Frazer aborde le problème d’un autre point de vue. Si, dans l’état où il nous est parvenu, on ne sait comment restituer le texte, il n’en va pas de même du thème dont il existe des équivalents chez d’autres peuples. Si l’on trouvait, dans les textes assyro-babyloniens, un récit parallèle de la chute de l’homme, personne n’hésiterait à admettre le rapprochement ; malheureusement, tel n’est pas le cas. Cependant, dans l’épopée de Gilgamesh, apparaît un serpent dont la fonction est de s’emparer de la plante de vie qui doit rendre la jeunesse au héros ; ainsi le serpent ravit à l’homme le privilège de se rajeunir. Car, il est constant, chez les non-civilisés, que le serpent passe pour posséder la propriété de reprendre une vie nouvelle en perdant sa peau chaque année. Sur cette base, le savant fokloriste restitue le primitif récit yahviste qui devait mentionner deux arbres, l’arbre de vie dont l’homme pouvait manger les fruits et l’arbre de mort, auquel s’appliquait l’interdiction : « tu n’en mangeras pas, car le jour où tu en mangerais, tu mourrais certainement ». Autrement dit, tu deviendrais mortel. Par suite, le rôle du serpent consisterait à persuader le premier couple de goûter aux fruits de l’arbre de mort ; par là, le rusé animal se réservait l’usage de l’arbre de vie, c’est-à-dire l’immortalité.

Certes, la part de conjecture est assez grande dans cette restitution ; moins grande cependant ou moins arbitraire que dans le procédé simpliste de l’école critique. En tous cas, la méthode de Frazer élargit singulièrement la question et la pose en pleine lumière.

On n’a pas manqué de reprocher au savant auteur l’abondance même de sa documentation. Il aurait dû, a-t-on dit, faire un choix judicieux entre les exemples qu’il avait recueillis. Mais ne lui eut-on pas reproché alors, avec non moins de raison, de ne pas apporter toutes les pièces du litige ? On sait, par exemple, quelles discussions, aujourd’hui apaisées semble-t-il, a soulevées le récit du déluge dont on trouve des parallèles chez les populations les plus diverses. Frazer en a réuni la plus riche collection et sans fournir ses preuves pouvait-il asseoir ses conclusions ? Pouvait-il aussi nettement distinguer le mythe babylonien — prototype du récit biblique — de l’histoire de Deucalion et considérer comme indépendants les récits diluviens des peuples exotiques, réminiscences d’inondations locales, non souvenir d’une catastrophe générale.

Qu’il étudie, en partant de la Bible, les premiers temps du monde et les mythes qui s’y rattachent, l’âge patriarcal où les historiens du droit puiseront une information abondante et des plus neuves, les époques des juges et des rois, certaines pratiques fixées par la Loi, Frazer traite son sujet avec une ampleur qui ne saurait surprendre puisque, en réalité, il cherche à situer les faits dans l’humanité. Chaque question envisagée se présente sous la forme d’un abondant répertoire d’exemples ; on pourra parfois pencher pour une autre solution que celle qu’il propose, mais on ne pourra y parvenir qu’avec la documentation réunie par le savant auteur. Sa préoccupation constante de remonter aussi haut que possible dans l’histoire de la pensée humaine, l’amène à concevoir les origines de tel rite, de telle loi ou de telle institution sociale. Tout se mêle dans ce recul vertigineux : la religion, le droit, la société ; mais tout s’ordonne aussi.

Nul doute que le public français ne lui réserve un accueil chaleureux. Le Folklore dans l’Ancien Testament est une œuvre originale, fortement documentée, d’une clarté parfaite.

René Dussaud,

Membre de l’Institut.



[1] Préface à la traduction par Pierson de A. Kuenen, Histoire critique des livres de l’Ancien Testament, 1, p. II. Depuis, Renan est revenu de cette opinion.

[2] Au moment où Renan écrivait les lignes citées plus haut, Graf publiait ses observations sur le Pentateuque, qui ont complètement transformé le point de vue de la critique biblique.

[3] H. Hubert et M. Mauss, Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, dans Mélanges d’histoire des religions, Paris, Alcan, 1909.

[4] Totemism and Exogamy, 4 vol. in-8o, Londres, Macmillan, 1910.

[5] Passages of the Bible, chosen for their literary interest and beauty, 2e éd., Londres, Black, 1909.

[6] Une curieuse utilisation du folklore palestinien a été faite dès 1875 par Clermont-Ganneau, La Palestine inconnue, Paris, Leroux. Voir aussi S. I. Curtiss, Primitive Semitic religion to day, Chicago, Revell, 1902, et trad. allem.


Retour au texte de l'auteur: James George Frazer Dernière mise à jour de cette page le lundi 5 janvier 2009 12:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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