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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Le nouveau monde industriel. (1829)
Avant-propos de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir du livre Charles Fourier, Le nouveau monde industriel ou Invention du procédé d'industrie attrayante et naturelle distribuée en séries passionnées (1829). Édition de 1845 publiée par la Librairie sociétaire. Paris: Éditions Flammarion, 1973, 568 pages. Collection: Nouvelle bibliothèque romantique.

Avant-propos de l'auteur

Un moyen de quadrupler subitement le produit de l'industrie ; de déterminer tous les maîtres à l'affranchissement conventionnel des nègres et esclaves; de policer sans délai tous les barbares et sauvages (dont la philosophie ne s'est jamais occupée) ; d'établir spontanément toutes les unités en langage, mesures, monnaies, typographie, etc.!!! c'est quelque charlatanerie, diront les beaux esprits.

L'auteur a dû prévoir cette défiance qu'excitent les promesses gigantesques ; il ne s'exposerait pas ainsi au soupçon de jonglerie, s'il n'était appuyé de preuves plus que suffisantes. Les charlatans scientifiques ont soin de ne pas heurter l'opinion ; ils prennent des formes patelines, insinuantes ; ils évitent les annonces invraisemblables : mais celui qui publie une découverte réelle, ne serait qu'un charlatan s'il ne contredisait personne ; il n'apporterait rien de neuf : Colomb, Galilée, Copernic, Newton, Harvey, Linné furent obligés de heurter de front leur siècle, démentir les opinions les plus enracinées.

Cependant les formes académiques s'opposent à ce qu'on donne un démenti aux sciences en crédit ; la règle est de distribuer de l'encens à tout le monde, si l'on veut se glisser dans les rangs des sophistes privilégiés. Le rôle d'un inventeur est tout différent ; il n'est pas prétendant à l'académie, ni obligé d'en prendre le ton; il ne peut pas encenser des préjugés qu'il vient dissiper. Vouloir qu'un inventeur ne s'écarte pas des idées reçues, c'est comme si on exigeait qu'un naturaliste, au retour d'un voyage d'exploration, ne présentât aucune plante nouvelle. Ceux qui nous ont rapporté d'Amérique le quina, le tabac, la pomme de terre, le cacao, la vanille, l'indigo, la vigogne, la cochenille, ne nous ont-ils pas mieux servis que s'ils n'eussent rapporté que des espèces déjà connues ? Un moderne a dit avec raison : « Le dernier des torts qu'on pardonne est celui d'annoncer des vérités nouvelles. » (THOMAS, Éloge de Descartes.)

Tel est mon tort, c'est de dévoiler beaucoup de sciences neuves et éminemment utiles ; les nouveautés les plus précieuses ont été repoussées à leur apparition ; la pomme de terre et le café ont été proscrits par des arrêts du parlement ; la vaccine, le mécanisme à vapeur, ont été de même diffamés dans leur début. C'est un travers inhérent à l'esprit civilisé que de contrecarrer les découvertes, en insulter les auteurs. L'amour-propre des diverses classes trouve son compte à ce vandalisme ; les philosophes inclinent à étouffer une invention qui compromet leurs systèmes; les badauds se croient de beaux esprits, en raillant, comme au siècle de Colomb, une théorie avant qu'elle ne soit éprouvée : de là vient que tout le monde s'accorde à repousser les inventions, et même les nouveautés en demi-faveur : Sévigné était applaudie quand elle disait : « On se lassera du café comme des tragédies de Racine. »

Pour motiver la défiance, la persécution contre les inventeurs, on objecte qu'il y a beaucoup de charlatans : c'est la faute du monde savant, qui n'a établi aucun jury d'examen, et qui s'est organisé de manière à ne favoriser que l'intrigue. Citez un charlatan qui ait été repoussé, citez un inventeur qui ne l'ait pas été. Les académies, pour s'excuser, rejettent la faute sur les siècles peu éclairés ; le nôtre, qui se dit pourvu de lumières, n'a-t-il pas éconduit FULTON et LEBON, inventeurs du bateau à vapeur et de l'éclairage au gaz ? On peut voir à la Postface un article où les savants français se trahissent et se dénoncent eux-mêmes, en croyant s'excuser de ce vandalisme qu'on affecte de condamner pour mieux l'exercer, contre les hommes non protégés, dont la théorie froisse quelque amour-propre.

Renvoyons cette discussion : il est plus pressant de faire connaître au lecteur le sujet dont on va l'occuper, l'échelle des sociétés supérieures à la civilisation, et dont le mécanisme est enfin découvert. L'humanité, dans sa carrière sociale, a trente-six périodes à parcourir ; je donne ici un tableau des premières, qui suffira aux documents contenus dans ce volume :

ÉCHELLE DU PREMIER ÂGE DU MONDE SOCIAL
Voyez, pour les trois autres âges, le chap. LIV.

Périodes antérieures à l'industrie. K. Bâtarde sans l'homme (448). C. 1.
1. Primitive, dite Eden. C. 2.
3. Sauvagerie ou inertie. C. 3.
Industrie amoncelée, mensongère, répugnante. 3. Patriarcat, petite industrie.
4. Barbarie, moyenne industrie.
5. Civilisation, grande industrie.
Industrie sociétaire, véridique, attrayante. 5. Garantisme, demi-association.
7. Sociantisme, associat. simple C. 4.
8. Harmonisme, assoc. composée. C. 5.

Nota. Les lettres C indiquent les époques des créations passées et futures dont on parlera au chap. LIV.
Je ne fais pas mention des périodes 9 et suivantes, parce que nous ne pouvons nous élever aujourd'hui qu'à la période 8, déjà infiniment heureuse en comparaison des quatre sociétés existantes. Elle s'étendra subitement et spontanément au genre humain tout entier, par la seule influence du bénéfice, du plaisir, et surtout de l'attraction industrielle, mécanisme bien ignoré de nos politiques et moralistes. On en sent de plus en plus le besoin, car on ne peut amener au travail agricole,

Ni les nègres de Saint-Domingue, malgré les amorces, concessions de libertés, avances de moyens ;

Ni les nègres du Brésil, malgré les essais d'un colon aussi judicieux que généreux ;

Ni les sauvages d'Amérique, malgré les tentatives de la secte Owen, qui s'était flattée de découvertes en régime d'industrie sociétaire et attrayante, et qui a échoué complètement : aucune horde, aucun propriétaire de nègres n'a voulu adopter son système tout opposé à la nature, et si peu lucratif que cette secte n'ose dire mot de ses bénéfices : ils sont donc bien médiocres ! et pourtant la vraie méthode sociétaire, attrayante et naturelle, donnerait dès la première année quadruple produit. Combien la secte Owen est loin d'atteindre ni à ce résultat, ni à l'attraction industrielle.

Pour créer cette attraction, il fallait découvrir le procédé nommé Séries Passionnées, exposé dans cet ouvrage. Il s'établit par degrés dans les périodes 6, 7, 8, du tableau précédent. La période 6 ne crée qu'une demi-attraction et ne séduirait pas encore les sauvages ; la 7e commencerait à les entraîner ; la Se séduira en outre les riches oisifs. On pourra franchir les périodes 6 et 7. grâce à l'invention des Séries Passionnées, qui sont le mécanisme de 8e période.

La connaissance de l'échelle des destins sociaux va dissiper nos préjugés sur le bonheur. Nous avons sur ce sujet des notions si erronées, que la philosophie nous concède une trentaine de faux droits de l'homme, souveraineté et autres, dont on n'a aucun besoin, puis elle nous refuse les droits naturels, au nombre de sept :

1 Chasse ; 2. Pêche; 3. Cueillette ; 4. Pâture ;
5. Ligue interne ; 6. Insouciance ; 7. Vol externe.
X MINIMUM GRADUÉ : K LIBERTÉS RÉELLES.

Ce n'est que dans la Se période qu'on peut obtenir en plein ces libertés, ou des équivalents préférés. Le monde social va passer à cette 8e période, en franchissant les 6e et 7e, dont la découverte et le parcours auraient pu coûter bien des siècles encore, par influence de l'obscurantisme, vieille plaie intellectuelle que créa la docte antiquité, en nous dépeignant la nature comme impénétrable et voilée d'airain. Écoutons là-dessus Cicéron : « Latent ista omnia crassis occultata et circumfusa tenebris, ita ut nulla acies humani ingenii tanta sit, qua in cœlum penetrare, in terram intrare possit. » Voilà les visions de voile d'airain bien établies par la docte antiquité. Les modernes donnent dans un autre excès, dans les gasconnades sur leurs torrents de lumières d'où on ne voit naître qu'indigence, fourberie, oppression et cercle vicieux.

Quelques savants modestes, les Montesquieu, les Voltaire et autres cités, 64, ont voulu faire entendre des opinions plus raisonnables, déclarer que la politique sociale était au berceau, que la raison était égarée dans un labyrinthe, comme l'ont pensé tant d'hommes célèbres qui, depuis Socrate et Aristote jusqu'à Montaigne, ont dit : « Ce que je sais, c'est que je ne sais rien. » Ces opinions modérées ont dû échouer ; les excès ont prévalu, surtout chez les philosophes tous enorgueillis, comme Crébillon, qui pensait qu'après lui on ne pourrait trouver aucun sujet de tragédie. Ainsi les politiques, les métaphysiciens, les moralistes, les économistes, ont cru ou feint de croire qu'on ne pourrait inventer aucune société supérieure à la civilisation et à la barbarie qui sont le terme de leurs étroites conceptions. Ils sont engouffrés dans des chimères de civilisation perfectible (réfutées en VI et VII sections) ; ils sont engoués d'un mesquin budget de 400 000 F dans Paris ; je prouve à la Postface que chacun d'eux, dans l'état sociétaire, obtiendra de son travail au-delà de 400 000 F de revenu.

Qu'ils cessent donc de s'alarmer de la découverte des destinées sociétaires ; mais la peur ne raisonne pas, les corporations aveuglées ne rétrogradent pas, on ne peut pas les convertir en masse ; peu importe : il suffira d'en désabuser une très petite minorité, la tenter par l'appât d'une immensité de gloire et de fortune assurée à tout écrivain distingué, qui osera le premier dénoncer les chimères dites politique, moralisme, économisme, vraie cataracte qui aveugle l'esprit humain ; ces sciences n'ont abouti qu'à détourner les nations des voies de progrès en échelle sociale. On verra, dans cet ouvrage, qu'un petit essai du régime naturel ou sociétaire appliqué à 1 800 personnes, couvrira de ridicule les sociétés civilisées et barbares, et prouvera qu'elles ne sont point la destinée de l'homme.

Alors finiront nos controverses parasites sur le bonheur, la sagesse, la vertu, la philanthropie : il sera prouvé que le vrai bonheur consiste à jouir d'une grande richesse et d'une variété infinie de plaisirs; vérité que nos philosophes ont niée, parce que leur science ne peut donner ce genre de bonheur à personne, pas même aux sybarites, ni aux monarques. César, parvenu au trône du monde, n'y trouve que le vide, et s'écrie : N'est-ce que cela ! Madame de Maintenon dit : « Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu'on aurait eu peine à imaginer, et qu'il n'y a que le secours de Dieu qui m'empêche d'y succomber ? » (secours bien faible s'il la conduit à mourir d'ennui!) elle ajoute : « Que ne puis-je vous faire voir l'ennui qui dévore les grands, et la peine qu'ils ont à remplir leur journée! tous les états laissent un vide affreux, une inquiétude, une lassitude, une envie de connaître autre chose. » Horace l'avait dit en d'autres termes : Post equitem sedet atra cura. C'est donc en vain que les sybarites parisiens nous vantent leur talent de VIVRE SI BIEN ET SI VITE ; je prouverai, par un parallèle avec les plaisirs de l'harmonie sociétaire (période 8e du tableau précédent), que leur vie est bien mesquine, bien traînante, et que l'homme le moins riche, le moins favorisé dans l'état sociétaire, sera plus heureux que les sybarites parisiens, parce qu'il pourra donner cours à ses douze passions dont le développement combiné est le seul gage de parfait bonheur. On persuade aux civilisés qu'ils volent à la perfectibilité, quand ils sont accablés de calamités nouvelles et récentes, dont 24 sont décrites au chapitre XLVIII; entre autres le fléau des dettes publiques, toujours croissant, et qui, à la première guerre entre les Occidentaux, amènerait une banqueroute universelle suivie de révolutions.

Il est bien d'autres plaies inaperçues : tel est l'empiètement du commerce qui menace de tout envahir, et dont les gouvernements commencent enfin à s'alarmer ; la théorie sociétaire peut seule enseigner les moyens d'abattre ce Titan politique. (Voyez 6e section.)

Le vice de nos soi-disant régénérateurs est d'accuser tel ou tel abus, au lieu d'accuser la civilisation entière, qui n'est qu'un cercle vicieux d'abus dans toutes ses parties; il faut sortir de cet abîme. J'en indique 32 issues.

Depuis 3 000 ans, la philosophie ne sait inventer aucune disposition neuve en politique industrielle et sociale ; ses innombrables systèmes ne reposent que sur la distribution par familles, réunion la plus petite et la plus ruineuse : quelle stérilité de génie 

Voici enfin des idées neuves, une théorie qui s'accommode aux vues des gouvernements, au lieu de les harceler par des visions philanthropiques, vrais masques d'agitateurs; tout ministre goûtera une méthode qui, quadruplant le revenu effectif, permettra de doubler subitement les impôts, tout en dégrevant les administrés de moitié, en sens relatif. (Ils ne paieront que double sur un produit quadruple.)

Un effet plus brillant sera d'opérer sur le monde entier, sauvage, barbare, civilisé ; métamorphoser le tout par un essai borné à une lieue carrée et 1 800 personnes. Quel contraste avec la philosophie qui bouleverse des empires, de fond en comble, sans aucune garantie de bons résultats, ni d'accession des barbares et sauvages!

La pauvre civilisation fait des efforts gigantesques pour des riens ; envoi d'armées de terre et de mer pour délivrer peut-être un dixième de la Grèce ; révolutions et massacres pour essais sur l'émancipation des nègres ; tentatives infructueuses de secours à l'indigence; tous ces travaux de pygmées vont finir: le genre humain va être affranchi et Secouru TOUT ENTIER ; il se ralliera partout à l'industrie attrayante, dès qu'il saura, par essai sur un canton, les prodiges de richesse, de plaisirs et de vertus qu'on en recueille.

Là finiront les chimères et les fureurs de l'esprit de parti : chacun en voyant la vraie destinée de l'homme, la mécanique des passions, sera si confus des absurdités civilisées, qu'on opinera à les oublier au plus vite.

Obligé de démasquer ici des professions vicieuses, commerce et autres, je ne blâme pas ceux qui en profitent : le tort est à la politique civilisée qui pousse les peuples au vice, en ne leur ouvrant d'autre voie de fortune que la pratique de la fourberie.

Il faudra de fréquentes redites pour dissiper certains préjugés, les illusions, « de tendre à la PERFECTIBILITÉ, dans cette civilisation où le mal fait dix pas en avant quand le bien en fait un » : de tendre à la richesse par l'industrie morcelée dont le faible produit, borné au quart de la sociétaire, est illusoire par le vice de population illimitée : de vouloir établir des mœurs avant d'avoir inventé le régime d'attraction industrielle, seul garant de bonnes mœurs et de juste répartition (360, 368).

On fait à Paris une tentative d'extinction de la mendicité, tentative et non pas moyen réel : le comité ignore qu'il faut opérer sur la campagne avant d'opérer sur la ville; effectuer la réforme industrielle en agriculture, fabriques, commerce et ménage. Qu'on se dispense de recherches : dès ce moment on a l'option sur les moyens réels d'extirper et de plus prévenir cette lèpre, par avènement aux phases 2, 3, 4 du tableau.

Tant d'écrivains cherchent un sujet neuf : voici le plus fécond qui se soit jamais présenté. Je puis à peine en traiter la 20e partie (Voyez Analogie, 523) : la proie est ample pour les coopérateurs ; je dois y préluder par une Préface réfutant nos prétendues perfections sociales, qui ne sont que l'absence de toute sagesse, que le monde à rebours en politique et en industrie, que la folle prétention d'aveugles qui conduisent des aveugles. ÉVANGILE.

Retour au texte de l'auteur: Charles Fourier Dernière mise à jour de cette page le mercredi 25 avril 2007 19:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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