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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La terre et l’évolution humaine. Introduction géographique à l’histoire (1949)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Lucien Febvre, La terre et l’évolution humaine. Introduction géographique à l’histoire. Collection: L’évolution de l’humanité, synthèse collective. Paris : Albin Michel, 1949, 475 pages, 7 figures. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay.

Introduction

Le problème des influences géographiques.


 I. HISTORIQUE ET POSITION TRADITIONNELLE DU PROBLÈME.
II. LA GÉOGRAPHIE HUMAINE ET SES CRITIQUES.
III. LE PLAN ET LES DIRECTIONS DU LIVRE. L’ESPRIT GÉOGRAPHIQUE.

Il y a, ne disons pas deux grands problèmes : le mot impliquerait l’existence de données définies et de certitudes préalables qui font par trop défaut ici, — il y a deux ensembles, vastes et confus, de questions mal délimitées que tout esprit curieux d’histoire rencontre dès l’abord sur son chemin. Deux mots, deux étiquettes plutôt servent à les désigner. On parle communément du « Problème de la Race » et du « Problème du Milieu ». Nous voudrions définir les termes du second. Comment procéder ? Que doit être, dans notre idée, cette sorte d’introduction géographique générale aux volumes spéciaux d’une œuvre considérable de synthèse scientifique ! Essayons de le marquer nettement : la précaution n’a rien de superflu. 

Qu’on y songe en effet.Traiter d’ensemble, dans un petit livre de quatre cents pages, l’énorme question des rapports du sol et des sociétés humaines ; jouer par surcroît la difficulté en transposant le problème dans le temps et se demander quelles déterminations — ou quelles prédéterminations — la terre habitable, l’οἰκουμένη de Humboldt, l’œcoumène de Ratzel, imposait en ses diverses parties à l’Histoire : s’il s’agissait d’apporter des résultats positifs, de poser des conclusions définitives et de formuler dogmatiquement des lois, la tentative ne serait-elle point chimérique, pour ne pas dire insensée ? Ne faut-il pas le dire, le montrer tout d’abord : il ne peut, il ne doit s’agir ici que d’un travail d’orientation — donc, de réflexion critique ?

 

I. Historique et position traditionnelle du problème.

Certes, à prendre les choses autrement on ne risquerait pas de s’avancer le premier en terrain vierge. Précédents ou précurseurs ne manquent.

 

Voilà des siècles que le problème est posé. Faut-il rappeler le texte d’Hippocrate dans le traité des Airs, des Eaux et des Lieux [1], et la distinction qu’établit ce contemporain de Socrate entre les gens des pays élevés, battus par les vents et humides — gens de haute stature, de naturel à la fois doux et brave — et les habitants des terroirs légers, découverts, sans eau, à variations climatiques brusques : nerveux, ceux-là, secs, plutôt blonds que bruns, de caractère arrogant et indocile ? Hippocrate est l’ancêtre, le patriarche plutôt : quelle lignée après lui ! Voici tous les anciens [2] : Platon, au livre V des Lois ; Aristote, aux livres IV et VII de la Politique ; Galien qui reprend en médecin les indications d’Hippocrate ; et Polybe ; et Ptolémée, l’auteur du de Judiciis Astrologicis, cher à Bodin ; et tous les Latins, philosophes, moralistes, hommes de science ou poètes comme Lucrèce, au livre VI du De Natura rerum. Mais voici les modernes surtout, qui d’abord ont pris la substance des anciens, et puis ont développé, enrichi, élargi à la mesure d’une expérience plus vaste leurs indications, incertaines à la fois et dogmatiques.Voici Bodin, dans sa République, s’efforçant au cours de son puissant et remarquable chapitre premier du livre V — sur lequel nous reviendrons plus loin [3] — de déterminer à la surface du globe les grands cadres dans lesquels s’inscrivent les sociétés humaines : zones froide, tempérée, torride avec leurs subdivisions ; terres d’Orient et terres d’Occident ; plaines, montagnes, vallées ; contrées stériles ou pays de promission ; lieux battus des vents ou respectés par eux. Rien de rigide d’ailleurs, rien d’absolu dans l’action sur les hommes de ces conditions géographiques fondamentales. Bodin a le sentiment net de ce qu’un déterminisme géographique rigoureux aurait d’insuffisant et d’arbitraire [4]. Non seulement parce qu’il a le souci de sauvegarder le libre arbitre humain et le libre exercice de la volonté divine, — mais parce qu’il raisonne ; parce qu’il sait que, dans un même pays, un même peuple connaît des vicissitudes diverses, passe — les conditions physiques restant toujours les mêmes — par des périodes alternées de grandeur et de faiblesse, d’accroissement et de dégénérescence et démontre ainsi, expérimentalement, « combien la nourriture, les loix, les coustumes ont de puissance à changer la nature » [5]. — « Après, spécifie-t-il encore très nettement (entendez — après avoir signalé l’action des lieux et du climat), nous dirons aussi combien la discipline peut changer le droit naturel des hommes, en rejectant l’opinion de Polybe et de Galen qui ont tenu que le païs et la nature des lieux emporte nécessité aux mœurs des hommes [6] ». Prudence et maîtrise remarquable du vieux précurseur ; il a su se garder d’enivrements auxquels trop d’autres, plus tard, ont cédé.

 

Un siècle et demi — nous ne citons que les textes capitaux — et voici, trente ans avant Montesquieu, l’abbé Dubos, le fumeux et ingénieux auteur des Réflexions critiques sur la Poésie et la Peinture (1719). Bodin, faiseur de « République », comme Platon jadis et Aristote, avait envisagé surtout l’influence du milieu physique sur la vie politique des hommes. L’abbé Dubos, lui, s’attaque à un problème à la fois plus restreint et démesurément plus compliqué et plus subtil : celui des conditions physiques du progrès littéraire et artistique. Au fond, c’est le problème du génie qu’il pose — du génie qui sans doute dépend dans une certaine mesure de la naissance morale ; mais « la naissance physique l’emporte toujours sur la naissance morale [7] ». Et il le démontre en étudiant « le pouvoir de l’air sur le corps humain », tel que l’atteste le caractère des nations — et encore, en passant en revue les climats plus propres que les autres aux sciences et aux arts. Certes, Brunetière, étudiant l’évolution de la critique, a eu raison d’attirer à nouveau l’attention des érudits [8] sur l’œuvre de ce précurseur un peu compromettant d’un certain nombre de modernes, historiens « scientifiques » de la littérature et des arts. Mais sur le vieux Bodin, Dubos, à tous égards, est en régression nette. C’est un anneau de la chaîne. Mais trop grand pour son poids.

 

L’œuvre de Montesquieu a une tout autre allure. Nous aurons l’occasion de l’étudier en détail [9]. D’abord, l’abbé Dubos ne parlait que du climat. Montesquieu (comme Bodin) fait au sol sa part ; et s’il consacre quatre livres de l’Esprit des lois (XIV-XVII) à l’étude « des lois en général », puis des lois « de l’esclavage civil, de la servitude domestique et de la servitude politique » dans leurs rapports avec la nature du climat, il montre aussi, dans le livre XVIII, « comment la nature du terrain influe sur les lois ». — En second lieu, ce n’est pas un problème littéraire qu’il s’attache à résoudre ; c’est (comme Bodin) un problème juridique et politique plus vaste en extension, mais, dans un certain sens, infiniment moins ambitieux dans ses termes. — Enfin (et ceci appelle quelques observations) ; c’est avec une sorte de foi scientifique contenue, mais qu’on sent vibrante et agissante, profondément, que Montesquieu — le Montesquieu qui, en 1716, fondait un prix d’anatomie à l’Académie des sciences de Bordeaux, travaillait sérieusement lui-même au problème de l’aviation et s’occupait tour à tour, entre 1717 et 1723, de médecine, de physique, d’histoire naturelle [10] — aborde d’ensemble le gros problème du milieu physique et le résout dans le sens d’un déterminisme strict et absolu. Seulement, n’y a-t-il pas là beaucoup d’illusions ? 

*** 

C’est avec une sorte d’ardeur un peu naïve que beaucoup de nos contemporains font la chasse, aujourd’hui, aux passages d’auteurs anciens ou modernes d’où se peut déduire la notion plus ou moins nette d’une influence des conditions géographiques sur le développement des hommes et de leurs sociétés. Entre Bodin et Dubos, on part en quête — et on revient les mains pleines. Voici Corneille, dans Cinna (acte II, scène ii) :

 

J’ose dire, seigneur, que par tous les climats
Ne sont pas bien reçus toutes sortes d’états...

 

Voici Malebranche, dans la Recherche de la Vérité, au chapitre intitulé : « Que l’air qu’on respire cause aussi quelque changement dans les esprits » [11]. Sans aller si loin, voici Boileau dans l’Art poétique (chant III, v. 114) :

 

Les climats font souvent les diverses humeurs...

 

Et plus loin, La Bruyère [12], et les Entretiens d’Ariste et d’Eugène [13] du P. Bonhours, et la Digression sur les anciens et les modernes de Fontenelle [14], et la Lettre à l’Académie de Fénelon [15]. Textes littéraires que l’on collige pieusement, comme s’ils attestaient autant de presciences géniales ou de réminiscences érudites. On dirait d’une suite d’éclairs qui illuminent la nuit... Leur nombre même, et leur insignifiance, et leur peu d’originalité devraient en réalité conduire à d’autres jugements et à d’autres remarques. Si l’on se souciait davantage des sources d’idées vulgaires, courantes et populaires des hommes d’autrefois, on pourrait songer, avec quelque profit peut-être, à ces almanachs qui répandaient et transmettaient à la fois tant de vieilles notions archi-séculaires. A commencer par leur ancêtre à tous, le vénérable Calendrier des Bergers : « Aucuns bergers disent que l’homme est un petit monde à part soy, pour les similitudes et convenances qu’il a au grand monde » [16] : l’idée n’a rien précisément de moderne, ni d’original. Encore moins de « scientifique ». Or, les opinions des auteurs allégués plus haut sur « le climat » et son influence sont essentiellement de même inspiration et de même provenance. Elles nous font remonter à de très vieilles conceptions, en grande partie d’origine et d’ordre magiques. Pour des générations qui ont toutes cru, et d’une foi aveugle et entière, à l’influence des astres sur la vie humaine, vie physique et vie morale aussi bien que destin, — pour des générations qui savaient quelle partie du corps « gouvernait » tel signe du Zodiaque — [point de livre d’heures, point d’almanach ni de calendrier, jadis, sans « homme anatomique », merveille d’enluminure aux Heures de Chantilly, grossière gravure sur bois au Calendrier des Bergers [17] : la conception était la même et nous savons de quelles sources lointaines elle dérivait [18]] — pour des générations enfin qui, sans hésiter, déduisaient l’influence psychologique de Mercure ou de Saturne ou de Mars, — il n’y avait rien d’étonnant, vraiment, absolument rien dans l’idée que « le Climat » ou « les Climats » — gros mots confus et mal analysés — « gouvernassent », eux aussi, telle ou telle portion de l’âme humaine et, comme dira plus tard Victor Cousin dans un texte éperdument lyrique [19], déterminassent nécessairement la nature des hommes de chaque pays, le rôle que ce pays doit jouer, à toute époque, enfin « l’idée qu’il est appelé à représenter ».

 

Il ne s’agit point ici d’une hypothèse. Qu’on se reporte au chapitre-type, au chapitre fondamental de Bodin. L’accord s’y fait, ouvertement, entre les considérations « géographiques » — comme nous dirions, nous, mais comme Bodin ne dit pas, l’idée même de la géographie moderne n’étant pas née de son temps — et les vieilles conceptions astrologiques qui vivaient au fond de tous les esprits du xvie, siècle.

 

Il distingue la zone tempérée de la zone glaciale et de la zone torride ; il répartit dans ces trois zones les groupements humains et note l’influence sur ces groupements des conditions physiques et avant tout climatiques, qui précisément constituent les zones : oui, mais, ceci fait, il s’empresse d’ajouter : « qui prendra garde à la nature des planettes, on trouvera, ce me semble, que la division d’icelles s’accommode aux trois régions que j’ai dit : suivant l’ordre naturel d’icelles, et donnant la plus haute planette, qui est Saturne, à la région méridionale, Jupiter à la moyenne, Mars à la partie septentrionale !... » — et le voilà lancé, et qui répartit ses planètes, et qui déduit leurs influences, et (tout comme le rédacteur anonyme du Calendrier des Bergers que nous citons plus haut) qui établit la convenance du tout au corps humain, « image du corps universel » : il en a, certes, pour plus d’une grande page in-folio [20]. Rêveries, dira-t-on ; chimères dont le siècle est responsable ; mais distinguons d’elles, soigneusement, la part propre de Bodin, et ses observations scientifiques ou tout au moins rationnelles... [21]. — Croit-on ? Y a-t-il vraiment un tel abîme entre les deux ordres de remarques ? En ce qui concerne Bodin personnellement, ses « rêveries » astrologiques ne sont-elles pas directement responsables d’un certain nombre de ses « réflexions » scientifiques, ou prétendues telles ? Mais surtout, et d’une façon plus générale : cette influence du « climat » n’est-elle pas pour lui une influence tout à fait du même ordre, ne s’exerce-t-elle pas tout à fait de même façon que l’influence obscure, mystérieuse et en partie, secrète des astres et du Zodiaque ? 

*** 

La remarque ne nous paraît pas superflue. Nous ne sachions pas qu’on l’ait jamais faite en ces termes. Quand on attribue aux vers de Corneille ou de Boileau que nous citons plus haut je ne sais quelle valeur latente de pressentiment scientifique, on se trompe. Car on n’est en présence que d’une réminiscence d’auteur ancien ou (ce qui revient du reste au même) d’une vieille conception populaire immémoriale.Mais l’important est que, par surcroît, un Bodin et, deux siècles après, un Montesquieu — ils peuvent bien avoir un esprit d’une vigueur peu commune et qui les place au-dessus du niveau commun ; et le second, en outre, tirer le bénéfice de deux siècles de recherches et d’efforts scientifiques pour s’élever plus haut que le premier (ou, tout au moins, affecter dans sa marche une allure plus moderne et plus dégagée), — au fond, l’un et l’autre, la tradition les tient. Bodin y est encore plus qu’à demi engagé, personnellement. Mais Montesquieu, qu’on étonnerait, qu’on scandaliserait bien, sans doute, si on prétendait l’y ramener en quoi que ce soit, — Montesquieu en dépend encore, parce qu’il accepte le problème tel que l’ont posé ses devanciers, d’une façon toute traditionnelle. Et il peut en moderniser les termes : s’il n’analyse pas la notion « d’influence », — et il ne l’analyse pas, — il est pris. L’engrenage séculaire le tient...

 

La preuve ? l’œuvre de Buffon la fournit, très nettement. Montesquieu est un amateur de recherches scientifiques, et, dans une certaine mesure, un croyant de la science. Buffon est un savant, — un praticien de la science. Mesurons l’écart. On ressuscite l’abbé Dubos ; on note sa tentative pour se dégager des exagérations et des imprécisions séculaires [22] : « Je me défie, écrit-il, des explications physiques, attendu l’imperfection de cette science dans laquelle il faut presque toujours deviner ; mais les faits que j’explique sont certains » : belle prudence, qui ne va en réalité qu’à déguiser sous un masque scientifique des banalités traditionnelles et immémoriales. — Mais on ne cite jamais Buffon, qui n’aurait point besoin, pourtant, de résurrection : car il est tout vivant.

 

La conception de Buffon est toute moderne.Il ne s’agit plus « d’influences » plus ou moins occultes et mystérieuses, sinon dans leurs effets, du moins dans leurs modes. Non : l’homme de Buffon n’est point une pâte molle que façonne la nature. C’est un acteur. C’est littéralement une des forces de la nature. « Depuis environ trente siècles [23], suppute-t-il, la puissance de l’homme s’est réunie à celle de la nature, et s’est étendue sur la plus grande partie de la terre... Par son intelligence, les animaux ont été apprivoisés, subjugués, domptés, réduits à lui obéir à jamais. Par ses travaux, les marais ont été desséchés, les fleuves contenus, leurs cataractes effacées, les forêts éclaircies, les landes cultivées... La face entière de la terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme, laquelle, quoique subordonnée à celle de la nature, souvent a fait plus qu’elle ou du moins l’a si merveilleusement secondée que c’est à l’aide de nos mains qu’elle s’est développée dans toute son étendue... » Et, sans doute, il ne s’agit point de le soustraire, cet homme, à l’emprise des conditions naturelles. En un sens, il les subit plus, que quiconque, plus qu’aucun des autres êtres vivants : en raison même de son ubiquité. N’est-il pas le seul animal qui vive partout, strictement, où la vie est possible ?

 

« Il est le seul des êtres vivants dont la nature soit assez forte, assez étendue, assez flexible pour pouvoir subsister et se multiplier partout, et se prêter aux influences de tous les climats de la terre... Loin de pouvoir se multiplier partout, la plupart des animaux sont bornés et confinés dans de certains climats, et même dans des contrées particulières : les animaux sont, à beaucoup d’égards, des productions de la terre ; l’homme est en tout l’ouvrage du ciel ». Laissons « le ciel » de côté (Buffon lui-même n’y contredirait point) : l’idée moderne, l’idée de l’homme « agent naturel », l’idée que Vidal de la Blache a formulée excellemment dans ses articles sur les genres de vie [24], elle est là, chez Buffon, et non chez Montesquieu, — chez Buffon qui cherche à montrer ingénieusement quelque part comment l’homme peut agir sur le climat : et que l’exemple choisi soit mal choisi, peu importe. C’est d’esprit qu’il s’agit ici. Qu’on ne cite point Buffon coutumièrement, lorsqu’on recherche les Pères de l’Église de la théorie du « milieu » — on le comprend après tout. Il est en dehors de la lignée. Il marque le point de départ d’une tout autre conception que la leur — le renversement décisif de leur conception. Façonnée, modifiée, adaptée par l’homme, la terre « humanisée » sans doute réagit ensuite sur lui. Mais c’est lui qui, d’abord, a exercé sur elle sa puissance de transformation et d’adaptation.

 

Nous nous sommes attardés à ces lointains ancêtres. Non sans raison. Dans l’étude de toute question scientifique, considérer la façon dont les premiers investigateurs ont posé les termes des problèmes qui se présentaient à eux — rien de plus essentiel. Il est bien rare qu’on ne trouve pas dans cette étude la raison d’être profonde de maints retards et de maintes difficultés. Or, nous n’entendons pas faire l’historique complet du problème des influences géographiques. Il y faudrait un livre, et qui ne serait point très aisé à bâtir. Car il y aurait à s’orienter simultanément dans trois grandes directions. L’une, scientifique. Dans la genèse de la géographie moderne, on sait le rôle qu’ont joué naturalistes et voyageurs, de Humboldt à Richtofen et à Ratzel. L’autre, politique, au sens large du mot : toute la progéniture intellectuelle, toute la suite d’héritiers moraux d’un Montesquieu se rencontreraient sur nos pas. La troisième, enfin, historique. Car, au temps où nulle géographie, au sens présent du mot, n’existait encore, ce sont des historiens d’abord qui, par le progrès même de leurs études spéciales, se virent contraints de poser une série de questions, ne disons pas : géographiques, mais dont certains éléments étaient d’ordre géographique.

 

Alors qu’après tant d’autres, un Augustin Thierry réduisait encore toute l’histoire de France au long conflit, à la lutte opiniâtre de deux races rivales [25] ; alors qu’il montrait à l’origine de son pays « deux races d’hommes, deux sociétés qui n’ont rien de commun que la religion, violemment réunies et comme en présence dans une même agrégation politique » [26] ; alors qu’il lui semblait encore, « malgré la distance des temps », sentir peser sur lui « quelque chose de la conquête des barbares », un Jules Michelet, se dégageant, par un effort vigoureux, de toute cette métaphysique ethnique à la fois puérile et compliquée, tentait de fonder l’histoire sur une « forte bonne base », la terre, qui la portât et la nourrît. Tandis que la géographie ne tenait aucune place chez Guizot ni chez Thierry, il proclamait avec énergie, lui, en tête de son célèbre Tableau de la France, que « l’histoire est d’abord toute géographique » ; et, revenant sur son œuvre totale dans la belle Préface de 1869 : « Sans une base géographique, déclarait-il, le peuple, l’acteur historique semble marcher en l’air, comme dans ces peintures chinoises où le sol manque. Et notez que ce sol, ce n’est pas seulement le théâtre de l’action. Par la nourriture, le climat, etc., il y influe de cent manières. Tel le nid, tel l’oiseau. Telle la patrie, tel l’homme. »

 

Par ces belles formules, souples à la fois et riches de sens précis, Michelet se dégageait, Camille Jullian l’a bien montré [27], de la pensée pauvre à la fois et forcée de son initiateur Victor Cousin. Se laissant tout entier envahir par un déterminisme à la fois lyrique et candide, le philosophe s’exclamait dans son Introduction à l’Histoire de la Philosophie [28] : « Oui, Messieurs, donnez-moi la carte d’un pays, sa configuration, son climat, ses eaux, ses vents et toute sa géographie physique ; donnez-moi ses productions naturelles, sa flore, sa zoologie, et je me charge de vous dire a priori quel sera l’homme de ce pays, et quel rôle ce pays jouera dans l’histoire, non pas accidentellement, mais nécessairement ; non pas à telle époque, mais dans toutes ; enfin l’idée qu’il est appelé à représenter ! » — On songe invinciblement à cet autre contemporain du père de l’éclectisme, Raspail, et qui lui aussi s’égosillait : « Donnez-moi ! » Ce qu’il lui fallait, à lui, c’était — pour refaire le monde — « une vésicule animée de sa vitalité propre... » Mais on songe aussi, irrévérencieusement, à cette judicieuse remarque de Bodin, que « tous les grands orateurs... poètes, farceurs, sarlatans et autres qui allèchent les cœurs des hommes par discours et belles paroles » sont presque tous gens des pays tempérés ! — En fait, malgré son intrépidité d’affirmation et sa confiance imperturbable, tant en son génie propre qu’en l’autorité des lois, Cousin gardait de l’histoire cette idée, qu’elle était proprement un drame. Aussi convenait-il que l’écrivain, d’abord, connût en perfection le théâtre du drame. Conception scénique et décorative, pauvre et qui datait dans sa naïveté. On voit combien Michelet sut l’enrichir, la nuancer aussi. Il avait de la science moderne et de ses nécessités un autre sentiment que Victor Cousin. Le seul malheur fut qu’en 1833, lorsqu’il rédigeait les pages brillantes du Tableau — et même plus tard, en 1869, au temps de la Préface de l’histoire de France — la géographie n’existât pas encore.

 

Michelet devinait que le sol n’est pas, pour les sociétés humaines, un simple parterre immobile, un inerte plancher de théâtre. Il percevait dans le passé des peuples tout un jeu d’influences géographiques subtiles, multiples et complexes. Il percevait, il prévoyait, il pressentait, ici comme partout ailleurs. Son sens merveilleux des réalités, son tact divinatoire le guidaient. Ce n’est pas lui, certes, qui se serait écrié, avec un Ratzel mal inspiré [29] : « Toujours le même et toujours situé au même point de l’espace, le sol sert comme de support rigide aux humeurs, aux aspirations changeantes des hommes » — ce qui est proprement la conception de Victor Cousin. Et ce n’est pas lui enfin qui aurait ajouté, développant encore et poussant à l’extrême cette puérile théorie : « quand il leur arrive d’oublier ce substrat, il leur fait sentir son empire et leur rappelle par de sérieux avertissements que toute la vie de l’État a ses racines dans la terre. Il règle les destinées des, peuples avec une aveugle brutalité. Un peuple doit vivre sur le sol qu’il a reçu du sort ; il doit y mourir, en subir la loi. » Non, Michelet dans le développement des sociétés humaines, ne faisait point leur place à de telles actions directes, empreintes, comme dit l’autre, d’aveugle brutalité. Mais quoi ? pouvait-il, à lui seul, aller beaucoup plus loin, dépasser de beaucoup ses intuitions géniales ?

 

En fait, à l’exemple du maître, tout historien composant, comme c’était l’usage, une histoire nationale, grecque, romaine ou française, mit en tête de son livre un « tableau géographique » plus ou moins soigneusement établi. Dans son Histoire de la République romaine, ce travail de début et qu’il commença vers 1828 (elle parut en 1831), Michelet déjà, au chapitre premier, décrivait l’aspect de Rome et du Latium moderne ; puis, au chapitre second, esquissant un tableau de l’Italie, de ces Apennins « aux paysages sévères et tracés au burin », de tout ce inonde brillant du Midi, il y découvrait « quelque chose d’exquis, de raffiné, mais de sec comme les aromates ». A sa suite, Victor Duruy — pour ne prendre que ce seul exemple — en tête d’une grosse Histoire des Romains [30] dont on a pu dire « qu’elle ne serait pas concevable sans l’Histoire romaine et les leçons de Michelet sur les Césars » [31], plaçait à son tour une description géographique de l’Italie, en attendant que plus tard il décrivit le sol et le climat de la Grèce en tête de son Histoire de la Grèce [32]. Ainsi fit de son côté Ernest Curtius dans des pages célèbres [33] — car le mouvement ne se limitait pas à la France, naturellement ; et nous n’avons pas ici la prétention de donner une histoire de ces tentatives, du reste dispersées et sans lois. Tentatives louables et pleines d’intérêt. Seulement, une fois rendu par tous ces historiens cette sorte d’hommage propitiatoire aux mystérieuses puissances de la terre et de l’eau — d’autant plus révérées qu’ils les connaissaient de plus loin — tout était dit. Il n’était plus question de sol ni de climat. Et les choses se passaient comme si ces influences complexes qu’on devinait, dont on pressentait l’action, s’exerçaient toujours identiques dans leur puissance et leur modalité pendant tout le cours d’une histoire de peuple — comme si par exemple l’Angleterre, pays sans marine jusqu’au xvie siècle (après avoir été du reste, bien avant, un pays de marins), et pays sans industrie jusqu’à la fin du xviiie, n’en avait pas moins été immuablement, depuis les origines jusqu’à notre époque même, la fameuse île de fer et de houille, isolée de toutes parts au milieu de l’Océan, dont on nous déduit si souvent les vertus.

 

« La race », interrogeait Michelet dans sa Préface de 1869, la race reste-t-elle identique sans subir l’influence des mœurs changeantes ? » Mais ni lui, ni aucun de ses disciples ne pensait à remplacer dans la question « la race » par « le sol ». Historiens, non géographes, ces hommes pensaient en historiens les choses mêmes de la géographie. Forces naturelles et forces humaines : ils se les représentaient comme exerçant sur l’histoire une action identique. Dans la nature, enfin, dans les cadres géographiques qu’ils se plaisaient à décrire en termes brillants — c’étaient des hommes passifs qu’ils montraient, des hommes subissant, mais n’agissant jamais. « Dès à présent, concluait Victor Duruy après avoir tracé son Tableau de l’Italie, nous savons par l’étude du sol italien que la population, placée dans des conditions de territoire et de climat qui varient à chaque canton, ne sera point soumise à une de ces influences physiques dont l’action toujours la même produit des civilisations uniformes et réfractaires aux influences du dehors » [34]. Et ailleurs, quelques pages plus haut : « La géographie n’explique jamais qu’une partie de l’histoire, mais elle l’explique bien ; les hommes font le reste. Selon qu’ils mettent en leur conduite de la sagesse ou de la folie, ils tournent à bien ou à mal l’œuvre de la nature » [35]. Conception un peu courte, un peu vacillante aussi — et ces considérations de « sagesse » ou de « folie » nous paraissent étrangement lointaines. Duruy par ailleurs n’était en rien autre chose qu’un bon élève d’histoire, appliqué, consciencieux et sans génie. Mais Taine, d’esprit infiniment plus vigoureux — Taine dont l’influence, sur d’autres milieux il est vrai, valut celle de Michelet sur les historiens — qu’a-t-il fait plus que reprendre et utiliser, pour une construction systématique et, rigide, ces idées vulgaires alors et que tous professaient ?

 

En apparence, son dessein est plus vaste, son point de vue plus libre et plus étendu. Il dose impartialement les influences concomitantes de la race, du milieu et du moment. En réalité, il vit de la pensée commune, et ne met rien en œuvre que des matériaux connus, avec, parfois, quelque peu d’indécision. Car sa conception du milieu, par exemple, est fort complexe ; il ne s’agit pas pour Taine, sous ce nom, du seul milieu physique, — mais de tout ce qui environne un être humain : climat, sol, institutions aussi et religion et gouvernement, ce qui, d’ensemble, constitue « l’atmosphère matérielle, morale, intellectuelle dans laquelle l’homme vit et se meut ».

 

L’action de Taine sur ses contemporains fut forte et déterminante. Elle ne s’exerça point avant tout, comme celle de Michelet, sur les historiens. Elle aboutit, bien plutôt, à la création d’une sorte de genre littéraire que des adeptes, fort souvent littérateurs, politiques ou moralistes, cultivèrent avec plus ou moins de bonheur. Tous, avec une insistance et des développements croissants, avec une abondance plus ou moins grande d’exemples et, derrière ceux-ci, pour étayer les thèses, un matériel plus ou moins ample de faits contrôlés, ils proclament que des influences directes s’exercent du milieu géographique, de la terre, de la nature, du sol, du climat sur l’homme pris en tant qu’homme ou que membre de sociétés politiques diverses. Théories d’autant plus aisément acceptées qu’il faut tenir compte de la vogue, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, des idées évolutionnistes — et de la diffusion dans les milieux populaires et non spécialisés, des hypothèses de Darwin qui, par contre-coup, firent connaître aux profanes celles de Lamarck.

 

Or, les deux naturalistes avaient, l’un comme l’autre, beaucoup réfléchi au problème capital de « l’adaptation » des êtres vivants aux milieux dans lesquels ils sont placés et doivent vivre.Et sans doute leurs théories sur beaucoup de points différaient profondément [36] ; ce n’est pas le lieu du reste, et nous ne sommes point qualifiés pour expliquer en quoi ni comment : mais elles se rencontraient pour admettre que l’adaptation d’un animal était la conséquence du fait que cet animal vivait dans tel milieu ou se comportait de telle façon. Peu importaient dès lors les distinctions, et que Darwin donnât à la sélection naturelle ce que Lamarck attribuait au besoin ; aussi bien les auteurs dont nous nous occupons n’en demandaient pas tant. Il leur suffisait de pouvoir établir un lien — ils le pensaient du moins — entre l’effort des naturalistes tendant à interpréter les relations du milieu et des êtres vivants, et leur effort à eux, leur effort d’historiens, de moralistes, d’économistes, tendant à définir les rapports de l’homme avec la nature. Ce qu’ils savaient, en gros, de l’opinion des savants les rassurait sur la solidité de leur œuvre propre, et leur conférait à leurs yeux et aux yeux des lecteurs un peu du prestige certain dont jouissaient les naturalistes. Les débats auxquels, sous leurs yeux, continuaient de se livrer darwinistes et lamarckiens, ils les résumaient à leur façon en disant que « la Science » établissait la stricte dépendance des êtres aux milieux et que, par exemple, les oiseaux et les insectes qui habitent les îles s’adaptent à l’insularité en perdant leurs ailes complètement, Comme la population entomologique de Kerguelen, ou en en subissant tout au moins l’atrophie au point de ne plus pouvoir voler, comme la grande majorité des Coléoptères de Madère ou les Rallides de Maurice et de la Nouvelle-Zélande [37]. Il était logique d’en conclure (ces faits étant incontestables) que le milieu avait un pouvoir de transformation qui ne devait point s’arrêter aux insectes ou aux animaux quelconques — mais s’exercer également sur les êtres humains. Au physique d’abord, au moral ensuite. Et le passage de l’animal à l’homme, d’abord ; du physique au moral ensuite, pouvait paraître hardi. Mais ici encore « la Science » ne l’autorisait-elle pas ; et n’avait-on pas vu Darwin lui-même, fondant la morale évolutionniste que Spencer devait développer et formuler d’ensemble — tenter de montrer comment, au point de vue de la conscience morale, le passage était possible de l’animal à l’homme par l’intermédiaire facile de l’instinct social ?

 

Il n’en fallait pas tant pour justifier toutes les audaces. Au surplus, utiliser de vastes hypothèses scientifiques, comme l’évolutionnisme de Darwin, pour des fins toutes littéraires, et avec un retard d’une bonne trentaine d’années — ce n’était pas pour effrayer nos gens. Brunetière, avec sa forte candeur, n’a-t-il pas fait un jour la théorie de cette pratique [38] dans quelques lignes, assez suggestives, on l’avouera, de son livre de 1890, l’Évolution de la Critique : « Or, s’il est toujours bon de se défier un peu des nouveautés et d’attendre... qu’elles aient, selon la mot expressif de Malebranche, de la barbe au menton, nous pouvons être certains qu’après vingt-cinq ou trente ans maintenant écoulés, la doctrine de l’évolution doit avoir eu quelque chose en elle qui justifiait sa fortune... Et puisque nous savons ce que l’histoire naturelle générale, ce que l’histoire, ce que la philosophie en ont déjà tiré de profit, je voudrais examiner si l’histoire littéraire et la critique ne pourraient pas aussi l’utiliser à leur tour ? »

 

Ainsi naquirent, en toute sécurité, nombre de livres qui, consacrés les uns à l’étude d’un homme, les autres à celle d’un peuple, ou d’une école d’art, ou d’un système philosophique, développaient avec complaisance et ingéniosité le thème du milieu. Quelques-uns s’y attachaient, d’aventure, comme à leur véritable objet. En veut-on un exemple, et relativement récent ? Un vulgarisateur de bonne volonté [39], d’intelligence très confiante dans sa facilité, s’enferme dans son cabinet pour repenser, après tant d’autres, toute l’histoire des peuples, en trouver le principe, le lien, l’explication. A côté de la Nomenclature des faits sociaux de M. de Tourville (nous avons affaire à un adepte de la Science sociale), il met, j’imagine, sur sa table, pour soutenir et parfois provoquer les élans de son imagination, quelques bons dictionnaires d’histoire, deux ou trois manuels éprouvés et la Géographie universelle d’Élisée Reclus, cette Providence si souvent reniée... Puis, partant d’une idée ingénieuse, d’une hypothèse brillante à l’égal d’une fiction romanesque, il s’applique avec une sorte d’acharnement mécanique à en tirer des conséquences universelles : voilà, en deux fois cinq cents pages, Comment la route crée le type social, par Edmond Demolins. Feuilletons. Ouvrons au hasard le livre ou, plus exactement, le premier des deux livres (I, Les routes de l’Antiquité, Paris, s. d.) que l’auteur a consacrés successivement à l’exposé de sa théorie de la route, alambic naturel des civilisations. Ouvrons — et voici par exemple (p. 249) la genèse magnifique du peuple chinois : « Le problème se pose ainsi : trouver une route capable de dresser les gens à la culture, à l’industrie et au commerce, mais exclusivement à la petite culture, à la petite industrie, au petit commerce, et cela d’une façon intense... Cette route existe : c’est celle du Tibet ! » — Simple fragment ; mais ne permet-il pas de juger cette apocalypse révélée à l’Élu ?

 

Déductions syllogistiques ou pures descriptions littéraires voilà ce qu’offrent à nos curiosités ces livres, grands ou petits, que l’on pourrait appeler la progéniture intellectuelle de Taine, quelques protestations que cette qualification pût attirer de la part des auteurs. Il en est de judicieux. Il en est de plaisants. Certains sont l’œuvre d’érudits consciencieux. D’autres ne sont que des improvisations. Tous, ils manifestent un défaut commun, et qui vient de loin, de très loin même. — Ici, le Milieu naturel ; ou encore la Terre ; ou, si l’on décompose, (et par quel effort d’analyse !) le sol d’une part et le climat de l’autre ; quelquefois, le climat tout seul, moins en vertu d’une théorie particulière qu’en considération de la vieille tradition. — Là, l’Homme. Physique et moral, individuel et social, « naturel » et « politique ». Reliant ces deux groupes de forces obscures, rattachant au monde physique « cet autre monde qui est l’homme » — un réseau d’influences que l’on tisse plus ou moins serré, selon sa science et son ingéniosité propre... Influence : « Sorte d’écoulement matériel que l’ancienne physique supposait provenir du ciel et des astres et agir sur les hommes et sur les choses ». Ainsi Littré, bien impartial dans le débat, nous ramène à nouveau, lui aussi, vers les astrologies... Mais en étions-nous jamais sortis, vraiment ? En sortons-nous jamais, avec tous ceux dont nous rappelons plus haut l’œuvre inégale — mais tout entière caduque ?

 

N’insistons pas. Aux historiens, aux littérateurs, aux philosophes, qu’il plaise de nouer une fois pour toutes un lien de causalité entre l’ensemble des phénomènes qu’ils étudient, et deux ou trois complexes de faits géographiques pris sans analyse ni discernement : soit. Qu’ils fassent agir au gré de leur fantaisie les « puissances du sol », les « forces du climat » sur le « génie des peuples » et « l’histoire des nations » : libre à eux. Mais qu’ils courent seuls le risque de l’aventure.Leur œuvre nous apparaît stérile — sinon dangereuse. Le problème du milieu géographique, ils l’ont reçu, tout posé, d’une tradition séculaire. Ils n’ont point cherché à en rajeunir les termes. Cette influence géographique, à la fois puissante et trouble, multiforme et complexe, qui s’exerce, nous disent-ils, et sur l’homme physique et sur l’homme moral et sur l’homme social et Politique — sur la couleur de la peau, la forme du corps, la résistance de l’organisme, les qualités et les défauts psychiques, les institutions juridiques, économiques, religieuses — les productions de l’esprit même, les créations de l’art, le génie : cette influence, ils l’affirment. Ils la postulent, en réalité. Ils ne la démontrent pas. 

Alors, cette géographie, dont on prétend communément qu’elle explique tant de choses — elle n’expliquerait rien ? Ne nous hâtons pas tant de conclure. La géographie ? Où la prend-on en cette affaire, jusqu’à présent ? 

 

II. La géographie humaine et ses critiques.

 

La géographie — il la faut chercher là où elle est sans doute : chez les géographes. Qui de nos jours désire se renseigner sur les rapports du sol et de l’histoire — j’entends en conscience, et avec garanties — c’est à eux tout d’abord qu’il lui faut s’adresser. Il le doit — et il le peut. La vieille géographie n’est plus, qui se souciait uniquement de décrire, d’énumérer, d’inventorier. Et tandis que la géographie physique, prenant appui sur les sciences physiques et naturelles : géologie, climatologie, botanique, zoologie, s’en dégageait peu à peu, assurait ses méthodes, définissait nettement son objet propre et prenait conscience de son autonomie, par l’effort précurseur d’un Alexandre de Humboldt, l’auteur du Cosmos, et d’un Karl Ritter, dont l’Allgemeine vergleichende Erdkunde, traduite dès 1836 par Buret et Desor, devenait en français la Géographie générale comparée, ou Étude de la terre dans ses rapports avec la nature et avec l’histoire de l’homme, par l’action personnelle et professorale d’un Frédéric Ratzel, zoologiste et voyageur se transformant en curieux et profond géographe (1[40]), une géographie nouvelle se constituait lentement. Elle devait à Ratzel même son nom de baptême : l’Anthropogéographie : la Géographie humaine, comme dit plus volontiers notre langue, ennemie des longs mots composés.

 

Dans les deux volumes de l’Anthropogeographie, l’œuvre maîtresse du géographe allemand publiée, en 1882 et 1891, dans la célèbre bibliothèque de manuels géographiques d’Engelhorn, à Stuttgart, c’est toute la vie des hommes, toute l’activité multiple des hommes, des groupes humains, des sociétés humaines qui se trouve étudiée méthodiquement, rationnellement, d’ensemble, en fonction du milieu géographique. Dans le volume unique et plus récent de la Politische Geographie, c’est plus spécialement la vie des sociétés politiques, des États, qui est envisagée dans ses rapports avec le sol, ce substrat terrestre « toujours le même et toujours situé au même point de l’espace » qui — Ratzel l’a écrit un jour, dans l’Année sociologique — « sert comme de support rigide aux humeurs, aux aspirations changeantes des hommes et règle les destinées des peuples avec une aveugle brutalité ».

 

Cependant, parallèlement, une école géographique se constituait en France, autour, non d’un naturaliste, comme Ratzel, mais d’un historien : Paul Vidal de la Blache (2[41]), qui, à partir de 1872, commence à s’orienter vers la géographie — d’abord médite l’œuvre d’Humboldt et de Ritter, voyage ensuite à travers l’Europe, mûrit lentement ses idées sur la géographie humaine, les éprouve au contact des livres de Ratzel dont son sens critique discerne vite les faiblesses — et devient enfin le maître incontesté d’une pléiade de disciples qui peuplent les universités françaises et les lycées. — Point de gros traité dogmatique, à la façon de l’Anthropogeographie ou de la Politische Geographie. Une série d’articles [42], à la fois positifs et critiques, d’un style un peu serré, avec des jaillissements brusques, comme des éclairs de divination et de compréhension — et quelle puissance de suggestion toujours, d’évocation parfois ? Un livre unique [43], de forme toute personnelle, un chef-d’œuvre — mais dépourvu de tout dogmatisme et proprement inimitable. Le fécond recueil des Annales de géographie (depuis 1891). Surtout un esprit, qui se répand par l’enseignement à l’École Normale Supérieure (1877-1898), puis à la Sorbonne : esprit de libre recherche, de souple et vivante investigation — celui d’un éveilleur de vocations et non d’un répétiteur de catéchisme.

 

L’œuvre originale de l’école géographique française issue de Vidal de la Blache, son apport particulier à la science — c’est la série de ces monographies régionales, de types variés, qui laissent aux tempéraments individuels toute licence de s’exprimer et de s’affirmer, mais où s’affirment des tendances communes : Plaine picarde d’Albert Demangeon, Flandre de Raoul Blanchard, Basse-Bretagne de Camille Vallaux, et les Paysans de la Normandie orientale de Jules Sion, et les Pyrénées méditerranéennes de Maximilien Sorre [44] — autant de monographies exactes, méthodiques, approfondies, autant d’efforts pour rendre compte, à l’aide de la géographie, des traits caractéristiques d’une contrée, d’une région géographique de la France. Plus rien du vieil esprit prophétique qui se survit à lui-même dans tant d’ouvrages d’amateurs dont nous parlions plus haut. La prudence avertie de travailleurs rompus aux méthodes critiques comme à l’utilisation des données fournies par les sciences naturelles. La nécessité reconnue de ne pas jongler témérairement avec des notions obscures et massives comme la terre, ou le climat, ou l’homme — mais de s’appliquer à des analyses patientes et modestes. Et petit à petit, par l’effort en Allemagne des disciples et (non moins) des contradicteurs de Ratzel [45], comme par le labeur, en France, des élèves de Vidal de la Blache, la constitution d’une science véritable des rapports de l’homme et de la nature : rapports présents, ou rapports anciens et passés. Science jeune, mais vivante, pleine de sève et d’expansion, suscitant des dévouements, éveillant des vocations, provoquant parfois, chez ses néophytes, des espoirs un peu prématurés et des enthousiasmes plutôt intempérants : comment ne point sourire en apprenant d’un admirateur transporté par sa découverte, que « la géographie renferme toutes les sciences, ouvre tous les horizons, comporte toutes les connaissances humaines [46] » — l’énumération suit, jusqu’à la conclusion, trop grandiose pour que nous résistions à la tentation de citer : « Nous plaçons l’Université de France au sommet d’une pyramide, et, bien en évidence, le mot géographie, vers lequel doivent tendre toutes les connaissances humaines ! » — Mais ceci même est une force ; toute discipline ne provoque pas de semblables crises de délire religieux ; et les torrents actifs, les rivières travailleuses, seuls, font naître sur leurs rives de tels paquets d’écume... Pour étudier les rapports de l’homme et du milieu, une science s’est constituée, c’est un fait. Elle a ses méthodes, ses doctrines, ses écoles ; ses chaires aussi, et ses périodiques, et ses manuels d’enseignement ; ses résultats enfin, qui portent témoignage. Partout, ou presque partout dans les Universités, la géographie humaine a conquis droit de cité. Elle peut avec orgueil mesurer son influence sur l’époque, détailler ses prises, énumérer ses victoires [47]. — Grand bienfait pour nous, car nous voici hors de peine et de souci. Incapables de nous confier à l’impressionnisme des « essayistes » de tout à l’heure — nos guides, nos vrais guides les voilà trouvés. Confions-nous à eux pour résoudre le problème de la terre et l’histoire. Leur science, jeune, mais éprouvée, nous conduira au but sans tâtonnement...

 

Peut-être. Mais, rappelons-le d’un mot : travail d’orientation de réflexion critique. Il ne peut s’agir ici d’autre chose. Mais il doit s’agir de cela, pleinement. 

*** 

Or, n’entrons pas pour l’instant dans le détail des doctrines. Ne nous demandons pas si, dans le bloc des idées géographiques, il n’y a pas, réellement, de fissures et si l’on peut suivre à la fois, avec la même sécurité paisible, les « déterministes » à la Ratzel et ce qu’on pourrait nommer, peut-être, les « possibilistes » à la Vidal. La question est trop grosse pour être posée dans une introduction ; nous aurons, longuement, à l’étudier en elle-même. Ne regardons, provisoirement, qu’aux apparences. Quand on essaie de juger l’effort géographique contemporain (nous parlons de celui des anthropogéographes, uniquement) un mot vient aux lèvres : ambition. Ce n’est pas nous qui le prononçons. La jeune géographie humaine a des rivales. Et des critiques. Rien de plus naturel. Les jeunes sciences qui prennent conscience de leur autonomie et revendiquent leur droit à une existence libre et indépendante, ne croissent jamais sur un sol libre et déblayé d’obstacles. Or, enivrées de leurs premières découvertes, émerveillées de leurs premières acquisitions, elles manquent de prudence, parfois, et de réserve. Elles ne savent s’arrêter, refréner leurs désirs de conquête, calmer leur fièvre de croissance. De là, les récriminations des aînées, en possession d’état — ou des cadettes, en voie d’expansion elles aussi. De là, toujours, et comme nécessairement, l’accusation traditionnelle d’ambition. La géographie humaine n’y a point échappé.

 

Voix des aînées, sévère et rogue : qui n’a dans l’oreille quelque écho de ces protestations grognonnes de géologues, mal résignés à voir s’émanciper de leur tutelle jalouse les géographes physiciens et se complaisant à redire, pour se consoler, qu’en France les Leçons de géographie physique de Lapparent furent l’œuvre d’un géologue, ou qu’aux États-Unis Davis à ses débuts fut aussi l’un des leurs ? Récriminations sans portée, non plus que cette accusation, si souvent formulée, de parasitisme qu’en 1913 encore, Vidal de la Blache se croyait obligé de confondre [48] : « Dans la complexité des phénomènes qui s’entre-croisent dans la nature, il ne doit point y avoir une seule manière d’aborder l’étude des faits. Il est utile qu’ils soient envisagés sous des angles différents. Et si la géographie reprend à son compte certaines données qui portent une autre estampille, il n’y a rien dans cette appropriation qu’on puisse taxer d’anti-scientifique. » C’est l’évidence même. Vidal de la Blache aurait pu noter par surcroît, avec un biologiste qualifié, J. Costantin, que bien souvent — et il le dit en pensant aux rapports de la géographie et de la biologie — « c’est aux confins des domaines scientifiques que se posent les problèmes nouveaux et que se trouvent les solutions inattendues et intéressantes [49] ».

 

À côté, les critiques et les tentatives d’annexion des jeunes rivales. Rien là non plus qui soit particulier à la géographie. Ne sait-on pas, pour s’en tenir aux sciences de l’homme, quelles difficultés la complexité de leurs rapports crée aux logiciens, soucieux de déterminer strictement méthodes, et frontières ? Voici l’ethnographie et l’anthropologie ; nul n’ignore les longs débats, encore mal apaisés, qui les mirent aux prises. En Allemagne, que d’articles, de dissertations, de gros volumes parfois pour distinguer nettement, par l’étude des faits ou des principes, ces disciplines trop indéterminées, aux noms multiples et de sens imprécis, aux voisinages parfois compromettants : Volkskunde, Vœlkerkande, Ethnologie, Voelkerpsychologie, Vœlkerwissenschaft ?

 

L’anthropogéographie, en France la géographie humaine, c’est à la sociologie que, nécessairement, elle devait se heurter. 

*** 

La sociologie, elle aussi, est une science jeune, active, en pleine croissance. Elle a ses turbulences, elle a ses ambitions. Par surcroît, nombre de ses adeptes possèdent et manifestent un goût vraiment particulier pour les définitions de mots et de concepts, les délimitations de domaines et d’influences, les belles ordonnances logiques et théoriques : c’est vrai notamment de ce petit groupe d’excellents travailleurs qu’Émile Durkheim [50] avait su constituer autour de lui, avant que les événements tragiques de 1914-1919 ne vinssent le désagréger presque entièrement — et qui, depuis 1896-1897, s’associait au labeur critique et constructif à la fois de l’Année sociologique, un précieux recueil, plein d’idées et de suggestions et qui, sur toute une génération, a exercé une influence plus ou moins directe, mais toujours féconde.

 

Forts de leurs raisons, solidement appuyés sur l’armature rigide de classifications qui allaient de jour en jour se compliquant ou, si l’on veut, se précisant davantage, les disciples du maître, les sociologues de l’Année ne détestaient point les attaques vigoureuses, les critiques offensives, ni de signaler chez autrui, quand ils croyaient l’y surprendre, le péché de confusion. Les historiens certes en savent quelque chose — et qui l’ignore n’a, pour s’édifier, qu’à parcourir la collection de la Revue de Synthèse historique, principalement vers les chaudes années 1902 et 1903 qui virent, entre autres, les controverses de F. Simiand et de P. Mantoux [51]. — Aux critiques de cette école fortement organisée, toute pleine d’ardeur et de confiance en l’avenir, la géographie humaine ne pouvait, ne devait échapper. 

Non que les sociologues lui fussent, le moins du monde, hostiles de parti pris et par raison préjudicielle. 

Dès l’origine, au contraire, l’œuvre d’un Ratzel frappait et retenait vivement leur attention. Bien plus : au lendemain de la publication par le géographe allemand, en 1897, de la Politische Geographie, l’Année sociologique de 1898-1899 publiait, parmi ses Mémoires, quelques pages intéressantes sur le Sol, la Société, l’État, où le professeur de Leipzig résumait lui-même ses théories les plus caractéristiques.

 

Notons d’ailleurs, en passant, qu’un tel résumé, tout abstrait, tout théorique, tout desséché pour ainsi dire et complètement dépourvu des nombreux exemples, de l’abondant trésor de documents qui donnent tout leur prix aux ouvrages de Ratzel, n’était pas des mieux faits pour permettre aux lecteurs non géographes de l’Année de se former une idée véritablement et complètement exacte du but, des méthodes et du caractère de la nouvelle science. — Mais, dans le même volume, par une coïncidence notable, Durkheim rendait compte lui-même (p. 550 et suiv.) des deux tomes pleins et nourris de l’Anthropogeographie. Et s’il en dégageait les théories fondamentales ; s’il signalait la nouveauté et la fécondité du livre ; s’il voyait dans l’œuvre du géographe allemand un effort neuf, sincère et plein d’avenir — en quelques pages serrées il faisait ses réserves et, de son point de vue de sociologue, exposait des objections qu’il devait reprendre du reste par la suite.

 

Depuis cette première rencontre en effet, à diverses fois, tant Durkheim en personne que divers autres de ses collaborateurs réguliers : F. Simiand, M. Mauss, M. Halbwachs notamment, sont revenus sur la question dans l’Année et toujours à peu près avec le même esprit. Qui veut s’en rendre compte n’a qu’à se reporter aux comptes rendus insérés, sous la rubrique Morphologie sociale, dans la sixième section des volumes successifs du recueil ; il n’a surtout, qu’à prendre connaissance du mémoire détaillé que M. Marcel Mauss, en collaboration avec un américaniste connu, M. Beuchat, a consacré dans l’Année de 1904-1905 aux Variations saisonnières des sociétés Eskimos. Le sous-titre précise bien l’intention des auteurs : Étude de Morphologie sociale, écrit M. Mauss. Il s’agit d’un exemple et d’une démonstration — on dirait volontiers d’un manifeste, si le mot s’accordait le moins du monde au ton du mémoire. Ainsi l’intérêt des sociologues pour l’anthropogéographie ne demeure point passif. Il ne les incline point à la docilité, mais à la réaction. Leurs objections sont à examiner de très près. Non pour le plaisir assez vain de voir se dérouler un beau débat théorique, une de ces ardentes controverses de doctrines qui plaisent au philosophe et passionnent le spécialiste, obligé de se défendre, lui et ses idées les plus chères. Mais les sociologues ne se bornent point à l’attaque. Ils construisent, et sur leur terrain propre. A l’Anthropogéographie de Ratzel ils proposent de substituer une science mieux définie, prétendent-ils, et plus rigoureusement délimitée — une science sociologique dont ils définissent l’objet et dont d’avance ils fixent le nom : c’est la Morphologie sociale. Cette attitude nous dicte la nôtre : il faut choisir.

 

Tout à l’heure, nous écartions d’un mot ces tentatives brillantes mais incoordonnées dont trop d’esprits ingénieux se sont rendus coupables. Et de fait, si pour nous l’action de la nature sur les sociétés tire précisément sa force de ce qu’elle ne s’exerce pas de la même façon que l’action des hommes ; si nous croyons, avec Vidal de la Blache, que c’est « une interférence insensible et complexe, accumulant les effets qui lentement se totalisent — une action lente et continue, et devant à cette continuité même sa puissance », que pourrions-nous faire de tant de rapprochements superficiels et d’analogies trompeuses dont, pendant si longtemps, on s’est encombré ?

 

Point de méthode, disions-nous, point de science constituée. Mais voici qu’il s’en est offert une, d’abord, pour nous guider — puis bientôt une seconde. La jeune géographie humaine nous propose ses certitudes ; et la morphologie sociale, son aide prudente et réfléchie. A qui nous confier ? Il faut bien que d’abord nous écoutions les parties, que nous examinions les critiques que la discipline sociologique porte, hardiment, contre sa devancière. Et si même ces critiques ne nous déterminent point à nous écarter, nous aussi, de la voie géographique ; si elles n’ébranlent point notre croyance à l’existence légitime comme à l’efficacité de la géographie humaine, science véritable et autonome — ne nous aideront-elles point à mieux poser le grand problème, ou plutôt la série multiple de problèmes compliqués que nous avons la charge de passer en revue ? 

Critique de méthode, critique de résultats aussi, la bonne voie est là. Les collections d’échantillons abondent ; n’en accroissons pas le nombre inutilement. Et les questions de doctrine, possible qu’en d’autres matières on puisse sans dommage en ajourner, en écarter même l’examen. Ici, dans cet état d’indétermination de plusieurs sciences rivales, ce n’est pas au seuil, c’est au cœur même du livre qu’est la question de méthode. 

La géographie, oui, et la méthode géographique. Mais sous bénéfice d’inventaire, après long et sérieux examen — après effort mûri pour en déterminer, soigneusement et fermement, les directives. 

 

III. Le plan et les directions du livre.
L’esprit géographique.

 

Cet effort, nous ne l’appliquerons point d’ailleurs qu’à ce premier objet. Il ne saurait suffire. — Certes, l’étude que nous ferons des objections portées contre la théorie et la pratique des géographes par les sociologues, nous éclairera déjà sur la nature et l’aspect des questions qu’ils se proposent d’étudier et de résoudre, mais cette approche indirecte, cette sorte de reconnaissance par le dehors, si utile et instructive qu’elle soit, ne peut nous dispenser de pénétrer dans la place, et d’en examiner les dispositions en détail.— Du moins nous aura-t-elle rendu déjà un grand service, si elle nous empêche de céder à l’attrait du « tableau d’ensemble » et du résumé « succinct mais complet ».

 

Nous pourrions partir, en effet, nous aurions pu partir des grands ensembles géographiques, des grandes régions naturelles que nous sommes habitués à reconnaître dans l’Univers — en rechercher successivement et en énumérer les caractéristiques fondamentales et les confronter en quelque sorte avec l’histoire des peuples qui se sont remplacés les uns les autres dans ces régions. Marche historique et topographique d’apparence simple. Mais quel profit pratique en espérer ? Ne supposerait-elle pas, d’abord, la connaissance intime, profonde, personnelle de toutes les parties du globe et de toutes les histoires particulières des nations ? Refaire, dans un esprit infiniment plus géographique — plus profondément géographique — refaire à soi tout seul l’œuvre que les collaborateurs de la Weltgeschichte d’Helmolt ont été impuissants, réellement, à mener à bien sinon à terme : chimère. Quel serait l’homme, historien ou géographe — historien et géographe — qui pourrait aujourd’hui risquer cette tentative sans la savoir d’avance totalement condamnée ? Sur quelles monographies utiles, d’ailleurs, sur quelles recherches préparatoires bonnes et suffisantes, s’appuyer ? Les livres ne manquent pas sans doute qui prétendent — tel l’American history and its geographic conditions [52] de miss E. C. Semple — expliquer toute l’histoire par la géographie. Mais l’esprit critique peut-il désarmer devant ces tentatives, en raison de leur bonne foi manifeste ? Il nous paraît que non. L’ambitieux qui tenterait semblable aventure se verrait condamné, simplement, à collectionner çà et là les éléments hétéroclites d’un recueil d’anas historicogéographiques, comme ces naturalistes dont se plaignait le Genevois Horace-Bénédict de Saussure, le « découvreur » du Mont-Blanc — qui marchaient, ou plutôt rampaient « les yeux fixés sur la terre, ramassant çà et là de petits morceaux, sans viser à des observations générales. Ils ressemblent, ajoutait-il, à un antiquaire qui gratterait la terre à Rome, au milieu du Panthéon et du Colisée, pour y chercher des fragments de verre coloré... [53] » — Modestes et prudents naturalistes : du moins ne prétendaient-ils pas, eux, reconstituer un Panthéon tout entier, ou un Colisée en verre coloré !

 

En fait, il appartiendra aux divers collaborateurs de l’Évolution de l’Humanité, chacun pour sa part et pour sa province, de tenir compte dans ses études particulières de ces facteurs géographiques qui entrent, pour partie seulement, mais pour partie essentielle dans ce que Taine d’un mot nommait : le milieu. Nuls qui pour cette tâche soient mieux qualifiés que les spécialistes même de chaque histoire — à condition toutefois qu’ils n’ignorent rien de l’effort parallèle des géographes, et des principes qui se dégagent, après étude critique, de leurs recherches propres. Autrement... c’est à la fin de l’œuvre, comme conclusion, non comme introduction, qu’il faudrait placer le livre que voici. Et sans doute, dans les volumes qui paraîtront, on pourra glaner d’utiles suggestions. elles accroîtront la liste des remarques partielles ; elles ne constitueront pas un trésor d’ensemble. 

Cette conception écartée, une autre se présentait. Plus d’asservissement aux diverses contrées, ni aux histoires diverses. Dégager par comparaison et par abstraction le rôle, dans les histoires humaines, d’un certain nombre de facteurs qualifiés spécialement de géographiques : la distance, l’espace, la position, etc. ; illustrer ce rôle à l’aide d’exemples empruntés tour à tour à toutes les régions et à toutes les histoires ; composer ainsi un livre de généralités, et dont les conclusions vaillent universellement : dessein séduisant. Mais les difficultés sont-elles moindres ? 

D’abord, des livres semblables existent. Et s’ils sont de valeur inégale, quelques-uns d’entre eux réalisent l’idéal du beau livre — et du livre fécond. A quoi bon résumer, une fois de plus, l’Anthropogeographie ou la Politische Geographie de Ratzel ? — Mais sans résumer, ne peut-on mettre au point et dépasser ? A quoi bon refaire alors les deux petits volumes, abondants et serrés, de Camille Vallaux : le Sol et l’État, ou la Mer — à quoi bon reprendre le gros ouvrage bourré d’une matière inégale de miss Semple, écrivant en 1911 ses Influences of geographic environment ? 

Allons au fond des choses : toute la maîtrise personnelle d’un Ratzel, toute sa connaissance approfondie et supérieure du globe, toute son érudition historique et surtout ethnographique, ne tiennent pas, ne peuvent pas tenir lieu d’un bon siècle d’enquêtes partielles, prudentes et méthodiques. Et précisément, le grand vice de semblables entreprises, c’est, à notre sens, qu’elles masquent la difficulté, qu’elles font illusion sur l’étendue profonde de nos ignorances ; c’est qu’elles fournissent trop aisément à nos esprits toujours paresseux de nature et enclins à se satisfaire de formules passe-partout, l’illusion que la réalité a été, par elles, tout entière embrassée, épurée, condensée en quelques abstractions — mais riches, et comme gorgées de la diversité prodigieuse de la vie. Munis à bon compte d’une sorte de catéchisme formel, nous avons trop tendance, ensuite, à nous dispenser d’effort, de réflexion, d’abstraction personnelle.

 

Des constructions comme celles d’un Ratzel, fortement influencées du reste par des idées et des considérations qui ne sont pas toutes strictement scientifiques (l’événement ne l’a que trop montré depuis 1914 et l’on a pu voir que le mégalostatisme du maître allemand n’était pas uniquement une vue de l’esprit) — de telles constructions portent témoignage de dons supérieurs chez un architecte richement doué [54]. Mais s’abritant derrière elles, un peuple de disciples et d’épigones s’endort paresseusement — ceux dont Rauh écrit quelque part [55] que « toujours plus intransigeants que le maître, parce qu’ils ne le comprennent qu’en partie, ils ont peur de renier l’esprit en reniant la lettre ». Leur besoin de précision ne se satisfait que par une formule. Redoutons de favoriser leur esprit de routine et leur conservatisme mécanique. 

*** 

En réalité, du rôle, de l’influence du milieu géographique sur les sociétés humaines, nous ne savons rien encore que de menus détails. Et pour une bonne raison : la géographie, qui nous dira ce rôle, commence à peine de naître et de se constituer. A-t-elle une méthode ? Oui et non, car elle en a plusieurs — surtout cette géographie qu’on s’accorde de plus en plus à reconnaître comme une géographie « humaine ». Elle a plusieurs méthodes entre lesquelles hésitent de bons esprits. Ce n’est vice que de jeunesse. La sociologie connaît de semblables hésitations, et bien d’autres sciences voisines. Or, c’est à la géographie que revient le soin de poser et d’élucider les problèmes dont nous nous occupons. Elle le prétend du moins, et nous aurons plus loin à exposer ses prétentions, à les défendre même contre des prétentions rivales. Donc, de la constitution, de la mise en application d’une méthode géographique universellement acceptée et pratiquée dépend essentiellement, nous ne disons pas la solution, mais la position scientifique du problème du « milieu ».

 

Seulement, s’il y a doute encore et controverses entre géographes sur l’a méthode, voici que déjà point et se constitue ce qu’on pourrait nommer un esprit géographique, une attitude géographique. Voici que, des travaux partiels entrepris par les géographes, de leurs efforts multiples de réflexion et de comparaison, se dégagent, à défaut d’une méthode définie, quelques façons spéciales et très particulières de concevoir les choses. C’est un grand fait, croyons-nous, et dont il ne faut pas diminuer l’importance. Il y a longtemps déjà que Frédéric Rauh, dans son livre pénétrant sur la Méthode de la psychologie des sentiments, a mis en pleine lumière le rôle primordial de l’esprit scientifique, « qui se manifeste différemment, notait-il, précisément parce qu’il est le même, dans la recherche d’objets divers » [56]. Et aux « grossières et stériles connaissances » qu’on risque d’atteindre seules lorsqu’on prétend « vouloir trop bien savoir », il opposait tout ce que peuvent, nous révéler « les larges et fécondes approximations, les suggestions sans cesse renouvelées de la vie ». Il y a grand danger, insistait-il, dans ces choses « à décourager, à inquiéter l’invention. L’invention, née au contact de la réalité complexe, vaut mieux ici que la preuve, qui la suit lentement » [57]. En tout cas, c’est cette apparition d’un esprit géographique, c’est ce dégagement d’une attitude géographique spéciale qui nous permettra de mener à bien notre tâche.

 

Sans asservissement à aucun ordre historique ou topographique rigoureusement déterminé d’avance ; sans dessein systématique et préconçu d’extraire de la réalité certaines données générales, certaines caractéristiques abstraites valables pour toute histoire et pour toute contrée — définir aussi nettement que possible ce que peut-être aujourd’hui vis-à-vis des questions si délicates d’influence, l’attitude des géographes et des historiens ; mais d’abord s’efforcer de classer ces questions et de montrer comment, probablement, un avenir prochain les posera devant la science — ce n’est évidemment que marquer un moment, bref et fugitif, d’une évolution scientifique continue ; mais c’est peut-être suggérer aussi le vrai moyen de combattre, de détruire quelques idées fausses, de préciser quelques conceptions vagues et de hâter l’heure où généralisations brillantes, remarques ingénieuses et rapprochements littéraires subtils feront place, enfin, à des études positives, à des investigations méthodiques — à une œuvre de science. Un esprit se cherche. Aidons-le, dans la mesure de nos forces, à se trouver et à se définir. Un esprit se manifeste déjà. C’est à lui, c’est à ses manifestations qu’il convient de s’attacher. Non à la rédaction vaine d’un catalogue de résultats illusoires. Critique ? l’effort serait perdu. Positif ? la tentative serait blâmable. Une science qui se fait, c’est à ses promesses et à ses espérances qu’on se doit attacher. 

*** 

Que de telles anticipations soient un des objets, le principal sans doute, des volumes successifs de l’Évolution de l’Humanité — il est inutile de le redire ici. Mais faut-il ajouter un mot personnel ? 

De la terre et de l’histoire, c’est un historien, avec l’aide d’un autre historien, qui va essayer — en historien — de déterminer les rapports et les relations. J’ajoute, un historien voué, par goût et par métier, à l’étude non pas de ces sociétés prétendues primitives ou proclamées archaïques qu’une illusion certaine et une non moins certaine pénurie de documents nous font considérer volontiers comme « simples » et comme étroitement dépendantes de « la nature » — mais bien de ces sociétés modernes qu’on a tendance parfois à caractériser par un détachement presque absolu des influences physiques et des conditions géographiques. — Simple hasard, en aucune façon. Encore moins, désir puéril chez l’auteur de se « camoufler » pour un temps en géographe, à seule fin de voir si ce travesti lui va. Dessein très réfléchi, au contraire, et j’ajoute : nécessité presque évidente.

 

Le point délicat, on s’en doute, n’est pas que, s’agissant des rapports de la géographie et de l’histoire, celle-ci a son mot à dire au moins autant que celle-là, dans un procès d’intérêt commun : vaine logomachie. Mais sur un tel sujet aujourd’hui, le livre d’un géographe, presque fatalement et par la force des choses, ce serait un tableau. Excellent ou moins bon, peu importe : un tableau. Le groupement des faits menus et séduisants qui semblent démontrer les affirmations géographiques traditionnelles. C’est que la géographie se croit en possession d’une méthode. Elle fait à ses propres yeux figure de science. En vertu de cette loi que Rauh, dans le pénétrant essai que nous citions plus haut, formulait [58] en disant qu’une science jeune se modèle tout d’abord naturellement sur la science voisine déjà constituée, la géographie humaine, sœur puînée de la géographie physique renouvelée par l’étude et sous l’influence des sciences de la nature, continue de retenir de son origine première quelques affirmations — celle parfois, entre autres, d’un strict déterminisme, dont il lui est malaisé de se libérer totalement par son propre effort. Ou plutôt, de ses adeptes, les uns y réussissent pleinement, d’autres moins ; d’autres enfin ne sentent pas le besoin d’une libération. 

L’histoire n’en est pas là. Elle ne croit même pas encore, tout entière, à sa qualité de science [59]. Pour reprendre la même formule, elle ne fait pas figure de science à ses propres yeux. De quoi sans doute elle n’a pas lieu de se féliciter naïvement, au contraire. Mais cette infériorité n’est pas sans quelque avantage. 

L’historien n’est pas lié par une solidarité de doctrine, ni avec un corps de théories historiques à allure pseudo-scientifique qui restreindrait sa liberté de jugement individuelle — ni avec un ensemble de doctrines préconçues, héritage de disciplines antiques sur l’effort desquelles se modèlerait encore, parfois, son effort propre. En d’autres termes, ce que le géographe sans doute concevrait comme un tableau, ou, si l’on y tient, comme une esquisse, rien ne s’oppose à ce que l’historien en fasse une libre étude critique. C’est cette étude critique dont nous allons ici ébaucher les grandes lignes. 

Sans aucune rigidité dogmatique : on l’a vu. Ni dans le plan, qui sera souple, ni dans les conclusions, qui ne seront point arrêtées. Dégager un esprit, ce n’est pas le recréer, le reconstituer logiquement. Cest, d’abord, le saisir en pleine opposition, en pleine lutte avec les esprits qui le combattent : à quoi les sociologues, en l’espèce, nous aideront. — Et c’est aussi le suivre dans le détail de ses démarches propres et de ses manifestations, sans pédantisme hargneux — avec une sympathie critique qui réserve l’avenir.


[1] Littré, Paris, 1840, II, 90.

[2] Cf. Heiberg, Théories antiques sur l’influence morale du climat.

[3] Livre II, ch. Ier.

[4] Chauviré, Jean Bodin, auteur de la République, p. 349 sq.

[5] Bodin, Les six livres de la République, V, 1, p. 485.

[6] Id., livre V, 1, p. 464.

[7] Braunschvig, L’abbé Dubos, rénovateur de la critique au XVIIIe siècle, ch. III, passim.

[8] Brunetière, L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature, p. 144.

[9] Plus loin, IIe Partie, ch. Ier.

[10] Dedieu, Montesquieu, Paris, 1913, in-8o, p. 6-9.

[11] Livre II, Ire Partie, ch. iii.

[12] Caractères, ch. ii, Du Cœur, éd. Rébelliau, p. 120.

[13] Quatrième entretien.

[14] Œuvres, éd. de la Haye, 1726, t. II, p. 126.

[15] Ch. iv.

[16] Nisard, Histoire des livres populaires ou de la littérature de colportage, Paris, d’Amyot, 1854, t. I, p. 125.

[17] Ibid., t. I, p. 139 sq.

[18] Fr. Cumont, dans Revue archéologique, 1916 : L’homme astrologique des Très-Riches Heures.

[19] Brunetière, L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature, p. 202.

[20] Bodin, Les six livres de la République, p. 480-481.

[21] Chauviré, Jean Bodin, auteur de la République, p. 349.

[22] Braunschvig, L’abbé Dubos, rénovateur de la critique au XVIIIe siècle, ch. iii.

[23] Buffon, Œuvres choisies, p. 87.

[24] Vidal de la Blache, Les genres de vie dans la géographie humaine.

[25] C. Jullian, L’ancienneté de l’idée de nation, dans Revue pol. et litt., janvier 1913, p. 8.

[26] Essai sur l’histoire du Tiers-Etat, Paris, 1853, in-8, ch. Ier, p. 14.

[27] Jullian, L’ancienneté de l’idée de nation, p. 10.

[28] Texte relevé par Brunetière, op. cit., p. 203.

[29] Ratzel, Le Sol, la Société, l’Etat.

[30] Les deux premiers volumes parurent en 1843 et 1844. Cf., Jullian, Extraits des historiens français du XIXe siècle, p. LXXIX et p. 462.

[31] Hauser, Grande Revue, 25 octobre 1913, p. 649.

[32] Ière éd., Paris, 1862, ch. Ier.

[33] En tête de son Histoire grecque (trad. franç. par Bouché-Leclercq, Paris, 5 vol., 1882).

[34] Duruy, Histoire des Romains, t. I, éd. de 1879, p. xxvii.

[35] Ibid., p.I.

[36] Sur tout ceci, cf. Cuénot, La genèse des espèces animales, p. 10 sq.

[37] Ibid., p. 173 sq.

[38] Brunetière, L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature, Leçon d’ouverture, p. 2.

[39] Champault, Revue de Synthèse historique, 1913, p. 60.

[40] Brunhes, La géographie humaine, p. 41-49 (renvois bibliographiques).

[41] Né en 1845, mort en 1918.

[42] Voir bibliographie de Vidal de la Blache, p. 420 et 423.

[43] Le Tableau géographique de la France, dans Lavisse, Histoire de France, t. I.

[44] Cf. bibliographie, p. 428.

[45] Cf. par exemple Wagner (H.), dans Zeitschrift der Gesellsch. f. Erdkunde zu Berlin, XXXVI, 1891; et Penck, Klima, Boden und Mensch.

[46] Albert Favre, Les enseignements de la guerre, Grande Revue, septembre 1917, p. 439.

[47] Brunhes, La géographie humaine, ch. X, L’esprit géographique.

[48] Vidal de la Blache, Les caractères distinctifs de la géographie, Ann. de Géogr., XXII, 1913, p. 289-290.

[49] Costantin, Annales de géographie, 1898, p. 193. Cf. également Douxami, La géographie physique et la géologie, Revue Encyclopédique, 1897.

[50] 1858-1917.

[51] Bibliographie : P. Mantoux, Histoire et sociologie, Rev. de Synthèse, 1903; F. Simiand, Méthode historique et science sociale, Revue de Synthèse, 1903.

[52] Boston et New York, 1903.

[53] Voyages dans les Alpes, Neuchâtel, 1780, t. I, p. iii.

[54] Brunhes et Vallaux, La géographie de l’histoire, Géographie de la paix et de la guerre sur terre et sur mer, p. 324 sq.

[55] F. Rauh, De la méthode dans la psychologie des sentiments, p. 29.

[56] F. Rauh, ibid., p. 25.

[57] F. Rauh, ibid., p. 23.

[58] F. Rauh, ibid., p. 13 sq.

[59] Cf. Berr, L’Histoire traditionnelle et la Synthèse historique, parties II et III.


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Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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