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Collection « Les auteur(e)s classiques »

L'âme américaine. Tome I (1900)
Avant-propos


Une édition numérique réalisée à partir de livre de Edmond de Nevers, L'âme américaine. Tome I: Les origines. - La vie historique (1900). Paris: Jouve et Royer, Éditeurs, 1900, 353 pp. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole.
Avant-propos

De tous les pays modernes, les États-Unis sont incontestablement celui dont la bibliographie a tenu le plus de place, au XIXe siècle. Les ouvrages publiés depuis quarante ans, en différentes langues, sur l'histoire, la civilisation et les mœurs américaines représentent probablement, à eux seuls, plus d'un millier de volumes.

Des historiens, comme Bancroft, Bradford, Hildreth, Carlier, MM. Goldwin Smith, Mac-Master etc., ont raconté l'établissement des colonies anglaises d'Amérique, la fondation de la République, sa croissance prodigieuse et la vie des générations successives qui l'ont habitée. Des légistes et des écrivains politiques, comme MM. Curtis, Tiedman, Ellis Stevens ont rattaché les institutions libres des États-Unis à celles du pays de liberté d'où elles ont été importées et établi leur filiation. Des économistes, comme, Émile Chevalier, et M. de Rousiers, des universitaires, comme M. Barnaud ont très consciencieusement mis en lumière le développement matériel et les systèmes éducationnels de la grande République. Des penseurs, comme Tocqueville, Claudio Jeannet, Matthew Arnold, M.M. James Bryce, Lecky ont recherché quels enseignements offre au Vieux Monde cette démocratie jeune, vigoureuse, poussée dans un sol vierge, et quel rôle elle est appelée à jouer dans la marche du progrès et l'évolution des idées.

Enfin, tous les touristes européens lettrés qui ont traversé l'Atlantique, Hamilton, Sir Charles Lyell, Dickens, Xavier Marmier, Laboulaye, M. Paul Bourget, pour ne nommer que quelques-uns des plus célèbres, ont rapporté de leurs voyages d'Outre-mer des tableaux de mœurs pleins d'aperçus neufs, de remarques piquantes et d'observations subtiles.

On trouvera, sans doute, présomptueuse la tentative d'un inconnu qui, venant après tant d'écrivains autorisés, prétend trouver encore à glaner dans le vaste champ d'études que constituent l'histoire et la vie américaines ; on la trouvera surtout bien superflue.

Un haut fonctionnaire anglais, sir Lepel Griffin, écrivait, il y a quelques années, pour expliquer l'intérêt qu'il portait aux États-Unis (Note 1) : « Les destinées de la République américaine et de la race vaillante et énergique qui l'habite, sont d'une importance suprême pour le monde et surtout pour l'Angleterre. Avant que les enfants de la génération actuelle soient devenus des vieillards, il ne restera plus que trois grandes puissances dans l'univers civilisé, l'Empire Britannique, la Russie et les États-Unis. La France, l'Allemagne et l'Autriche seront peut-être encore prospères, peut-être entretiendront-elles encore, comme aujourd'hui, des armées permanentes, mais la domination du monde sera échue aux races anglo-saxonne et slave. Nous avons donc un intérêt direct à bien connaître dans quel sens s'oriente la civilisation américaine et quel est le volume, et la force de propulsion des courants qui, partis de l'autre côté de l'Atlantique, atteignent nos rivages ».

Mon explication ou mon excuse, mais pour des raisons infiniment moins ambitieuses, sera la même. Les destinées des États-Unis sont d'une importance suprême pour nous, Canadiens-Français. La civilisation américaine représente un courant d'idées, d'aspirations, de sympathies dont nous subissons fortement l'influence et dans lequel nous nous défendrons difficilement d'être entraînés; c'est pourquoi il nous importe de voir clair dans son orientation, de ne pas nous laisser éblouir par de faux mirages et de nous mettre en état de faire un choix dans ce qu'elle offre à notre imitation.

La République américaine, c'est l'édifice gigantesque dans l’ombre duquel s'élève notre humble toit; l'étranger peut en admirer ou en critiquer la façade, les dispositions, le confort ; nous devons, nous, étudier l'ampleur de ses assises, vérifier la solidité de sa structure.

D'ailleurs, un rameau important de notre nationalité s'est déjà implanté au sein de l'Union, et, qui sait s'il ne viendra pas un jour, où, à la suite de l'une de ces crises profondes que nous voyons se dessiner à l'horizon, les conditions de liberté, de sécurité, de bien-être dont nous bénéficions depuis plus d'un demi-siècle, seront compromises ou détruites, et où il nous faudra jeter les yeux du côté de nos puissants voisins, ainsi que vers un port de salut ?

Il me paraît certain, quoi qu'il arrive, que, dans un avenir plus ou moins éloigné, la question suivante prendra la première place dans nos préoccupations patriotiques : Est-il de notre intérêt de contribuer à l'unification politique de tout le continent nord-américain ; nous sera-t-il possible, sous le drapeau étoilé, de grandir et de nous développer sans rien abdiquer, sans rien abandonner de ce qui nous est cher, en restant fidèles à nos traditions françaises et catholiques ? À cette question nous ne pourrons répondre qu’en interrogeant le passé et en lui demandant ce qu'il contient de promesses ou de menaces pour l'avenir de notre race et de notre foi.

En 1775, lorsque nos ancêtres déclinèrent les pressantes invitations des colons américains qui les adjuraient de se joindre à eux, pour secouer le joug anglais, ils avaient pour leur servir d'avertissement, le spectacle uniforme et ininterrompu que leur avait donné la Nouvelle-Angleterre, de cent cinquante ans de fanatisme religieux et d'intolérance.

Il s'agira pour nous, ou pour ceux qui viendront après nous, de dégager au milieu du conflit des dogmes et des principes dont l'Union est le théâtre, dans le flux et le reflux des courants psychiques divers qui la pénètrent, dans le décor changeant de tout un siècle de transformations, un ensemble d'idées directrices, d'aspirations constantes et de tendances irréductibles sur lequel nous pourrons baser notre ligne de conduite. Il y aura là, un problème difficile à résoudre.

Les ouvrages des auteurs américains et étrangers dont j'ai parlé nous seront, certes, d'une grande utilité et nous faciliteront ce recul dans l'histoire qui permet d'envisager, dans une lumière plus sereine, les évènements qui se déroulent sous nos yeux. Cependant, il me semble (mais je partage peut-être, ici, l'illusion commune à la plupart dès écrivains, qui s'imaginent volontiers être appelés à combler des lacunes laissées par leurs devanciers) il me semble, dis-je, que certains côtés des origines et de l'évolution américaines ont été négligés dans les études qu'on y a consacrées jusqu'à présent. Il me semble qu'au sujet de ce peuple en formation et dont de constantes agrégations modifient, chaque jour, les éléments constitutifs, on s'en tient trop obstinément aux clichés qui avaient cours au commencement du siècle, tel par exemple celui d'après lequel les États-Unis seraient un pays anglo-saxon. Il me semble que l'on n'a pas attaché assez d'importance aux procédés de fusion et d'alliage des groupes hétérogènes qui peuplent la République et que l'on ne s'est pas enquis suffisamment des états d'âme résultant de l'extinction ou du réveil des hérédités que les premiers colons et les immigrants des générations successives avaient apportées du pays natal.

Les publicistes européens qui se sont occupés du Nouveau-Monde ont tenu, sans doute, à se montrer absolument sincères et impartiaux, mais plusieurs n'ont pu échapper à certaines préoccupations ou triompher de certains préjugés. Il en est qui sont venus chercher en Amérique, des arguments en faveur d'une thèse politique ou la condamnation d'une théorie gouvernementale. D'autres y ont voulu trouver simplement des données et des faits à l'appui d'un système économique. Il en est dont la bonne foi a été surprise par des apparences fallacieuses, et qui ont dégagé trop vite la formule d'un état de choses observé seulement à la surface.

L'Anglais dont les appréciations devraient être les plus exactes et les mieux documentées, puisqu'il parle la langue de l'immense majorité du peuple des États-Unis, l'Anglais, on l'a constaté bien des fois, est incapable de rendre justice à ce qui n'est pas lui. Aussi, la plupart des écrivains d'Albion qui ont consacré à la Démocratie américaine, des volumes ou des articles de revues, appartiennent-ils à deux catégories bien distinctes. Les uns, considérant les Américains comme des étrangers, les écrasent de leur mépris hautain ; les autres, et le nombre en est considérable depuis quelques années, se rappelant leur parenté avec une partie des pionniers des premières colonies anglaises, et oubliant la diversité des races amalgamées aujourd'hui dans la confédération américaine s'écrient : « Mais vous êtes des Anglais ! L'Amérique c'est un agrandissement de la Grande Bretagne, Greater Britain. Vous appartenez comme nous à cette fière nation qui tend à dominer le monde ; nous reconnaissons en vous notre énergie, notre audace, notre sens pratique, notre esprit politique ». Et leurs études américaines se résolvent, le plus souvent, en essais sur l'expansion britannique (Note 2).

On accuse les Américains en général de se montrer d'un optimisme excessif, lorsqu'ils traitent des choses d'Amérique, et d'exagérer la tendance qu'ont, du reste, les auteurs de tous les pays, à se placer à un point de vue ethnocentrique d'où l'on n'aperçoit qu'un horizon très rapproché (Note 3).

Je n'ai pas la prétention d'échapper moi-même aux erreurs d'appréciation et d'analyse que comporte inévitablement un sujet aussi complexe que celui que j'ai inscrit en tête de cet ouvrage, mais je veux apporter à son étude toute la sincérité, toute la circonspection dont on doit faire preuve, en explorant un territoire accidenté que l'on est destiné, soi et les siens, à habiter un jour.

Mon livre sera, en somme, une fort modeste contribution à l'histoire de la civilisation américaine, portant en particulier sur quelques facteurs que l'on a généralement négligés jusqu'à présent et qui ont, au moins pour nous, étant donnée la situation spéciale que nous occupons sur ce continent, une importance considérable.

Notes:

(Note 1) The Great Republic p. 91 (Londres 1884).
(Note 2) Ces lignes ne s'appliquent pas à l'excellent ouvrage de Matthew Arnold « La civilisation aux États-Unis », non plus qu'à quelques autres.
(Note 3) Il serait injuste de ne pas rendre hommage aux études si impartiales et d'un esprit si élevé qu'ont publiées sur les institutions et la vie américaines, MM. Russell Lowell, Godkin et plusieurs écrivains des grandes revues.

Retour au texte de l'auteur: Edmond de Nevers Dernière mise à jour de cette page le Samedi 17 mai 2003 12:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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