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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Étienne De Greeff, AUX SOURCES DE L’HUMAIN. (1949)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Étienne De Greeff, AUX SOURCES DE L’HUMAIN. (1949) AVEC 3 GRAVURES HORS TEXTE Paris: Librairie Plon, les petits-fils de Plon et Nourrit, libraires-éditeurs 1949, 240 pp. Collection: Présences. Une édition réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec.

[i]

AUX SOURCES DE L’HUMAIN


Introduction



I



La personne humaine est l'expression d'un devenir incessant. Ce devenir est en grande partie conditionné par le milieu que l'homme édifie en son âme, réplique du milieu où la vie l'a plongé. Gardée en l'écorce cérébrale et dans toutes les cellules qui concourent à la vie de l'esprit, cette réplique remplace peu à peu la réalité ambiante et, à mesure qu'il gagne en âge, il devient de plus en plus difficile à l'individu de s'en échapper, de dépasser ces ensembles, de s'évader de soi.

Livré à lui-même dès son plus jeune âge et réduit aux seules indications de ses sens et de ses instincts, l'homme se construirait un équivalent suffisant et ordonné, mais rudimentaire, du monde extérieur et du monde d'autrui. Il apprendrait à trouver sa nourriture et à l'isoler du fatras des choses inutiles, il y associerait un monde de techniques ; il reconnaîtrait la femme, il découvrirait l'émotion tendre et l'agression et s'identifierait à l'amour et à la violence ; il protégerait ses enfants et pénétrerait dans le monde de la subordination et du dévouement. Il aurait acquis une personnalité telle que, mis en parallèle avec [ii] un civilisé de même âge, brusquement séparé de sa famille et réduit à subvenir à son existence, sa supériorité serait écrasante. Le civilisé s'apercevrait alors qu'un nombre considérable de comportements vitaux lui sont étrangers, il se sentirait humilié et respectueux à la fois devant ce compagnon. Il ne manquerait cependant pas de remarquer que son sauvage ami n'a pas la possession consciente de certains aspects des choses, de certains complexes qu'il nommerait, lui, des valeurs. Tout en s'estimant égaux en intelligence, tous deux se trouveraient singulièrement différents. Retournés dans leur milieu respectif, à la fin de leur vie, l'un serait devenu un vrai sauvage, l'autre un vrai civilisé ; un abîme quasi infranchissable se serait créé entre eux, aboutissement d'un mode de percevoir et d'un mode de réagir. Ces deux personnes différentes seraient avant tout deux modes fonctionnels différents.

À mesure que la personnalité se développe elle accentue ses structures initiales en ce sens que, à supposer son organisme normal, un homme dont l'esprit s'est meublé sans qu'interviennent certaines valeurs achèvera de se développer sans en tenir compte, sans les voir. À ces valeurs ne correspond chez lui aucune fonction. Un homme inémouvable par le son, même s'il devient éminent, sera affecté de lacunes affectives graves ; pour lui, harmonie et mélodie n'auront pas de sens et si, par hasard, cet homme était chargé de créer de toutes pièces un milieu, il en omettrait ces valeurs. Par contre, François Mauriac, contrairement à ce qui se passe pour un grand nombre de romanciers, ne créera jamais une atmosphère sans odeurs. Il donnerait à l'odorat une place que beaucoup estimeraient légèrement exagérée s'il lui était possible de refaire la création.

Très tôt, certaines sensibilisations s'opèrent ; [iii] très tôt aussi certaines cécités se manifestent et ce qui se passe dans la vie sensorielle se passe dans la vie intellectuelle et affective. Il existe une osmose continue entre l'ambiance et la personne et c'est sous le signe de ces phénomènes osmotiques que la personne nous apparaît. Le genre de vie, la diversité des intérêts, l'absence de certains dangers, la non-nécessité de défendre durement sa femme et ses petits, créent, fonctionnellement, en l'homme d'aujourd'hui, une personne fort différente de ce qu'elle serait devenue dans d'autres circonstances. L'oiseau, provenant d'un œuf couvé en cage, peut différer à tel point de ses parents pris au piège que, remis en liberté, il ne trouvera plus sa nourriture, ne se défendra plus contre ses ennemis, ne se protègera pas contre les intempéries et devra mourir s'il n'a pas le bonheur de retrouver sa geôle.

La civilisation que nous voyons se développer sous nos yeux coïncide-t-elle avec un épanouissement harmonieux de la personne ? N'a-t-elle pas laissé se perdre en cours de route des valeurs qui, n'ayant plus droit de cité, ont cessé d'entrer dans la constitution de la personne achevée, condamnée de la sorte à un amoindrissement marqué ?

Chez l'homme, en effet, les déformations de la personne peuvent se développer d'une génération à l'autre, même si, en naissant, l'enfant a conservé toutes ses possibilités. C'est que, grâce au langage, les enfants n'ont pas à refaire seuls toute l'évolution antérieure ; ils reçoivent non seulement les matériaux bruts qui doivent servir à l'élaboration de leur personnalité, mais des constructions toutes faites, des théories, des systèmes, des enseignements. Les aberrations et les déviations passent, avec les progrès, d'une génération à l'autre et s'amplifient spontanément. Si la tradition est la source de tout progrès, elle est aussi celle de la [iv] déformation et de l'atrophie. Pour en rester dans le pur domaine de la poésie on a pu constater, par une expérience faite de nos jours, les désastres apportés par l'écriture, dans la mentalité finlandaise [1]. L'imprimé répandant des flots de banalités, saturant l'âme de formules faites, tuant l'élaboration intérieure chez les poètes et l'avidité intellectuelle chez les autres, a fait oublier instantanément aux habitants leurs poèmes profonds, répétés jadis de mémoire d'une génération à l'autre et la qualité des œuvres rédigées par les littéraires n'a en général rien de comparable à celle des poètes inconnus de jadis. Or, ni l'écriture ni l'imprimerie ne peuvent être des maux en soi ; ce sont des instruments puissants qui ont accéléré une régression de la personne mais qui en ont souvent aussi favorisé l'exaltation.

Les personnes humaines achevées de nos jours sont nécessairement, marquées par les efforts et abandons du passé ; le monde que l'imprimé leur suggère présente de grossières lacunes, n'a rien réservé aux fonctions affectives, exprime surtout la puissance et, tout naturellement, accentue le côté agressif et dominateur, égocentrique, du moi. C'est dans l'imprimé, mais aussi dans les institutions, dans la place qu'on réservera à certaines fonctions dans la société que se décidera le destin de la personne future. Ce qu'on a détruit en elle, en le supprimant du milieu, on peut le faire reparaître en le réintroduisant dans les réalités quotidiennes. On ne peut échapper à cette nécessité : la personne est tributaire de la qualité héréditaire dont elle est issue, de l'intégrité et de la perfection des organes de la pensée dont elle dispose ; mais ce qu'elle devient est lié aux fonctions qui auront [v] l'occasion de se développer en elle. Ces fonctions suggérées par le milieu humain actuel ne recouvrent plus toutes les possibilités tenues originellement en réserve. Avec la self-domestication croissante et inévitable, les conditions de vie se modifient pour l'homme aussi profondément qu'elles se modifient pour les oiseaux sous l'influence de l'élevage.

L'écriture et l'imprimerie sont des instruments ; il serait singulièrement imprudent d'imaginer qu'en eux-mêmes ils possèdent un pouvoir épanouissant ; la radiophonie comme le cinéma constituent à leur tour de puissants moyens d'action sur la personne, mais pour ces derniers, dont la médiocrité est évidente et auxquels nul ne peut s'abandonner, on se rend fort bien compte de leur incapacité à conserver ou à renforcer les aspects de l'âme que les usages, les institutions ou les mœurs auraient abandonnés. Le théâtre lui-même reflète cette évolution plus qu'il ne la provoque. Jean Giraudoux est mort sans avoir pu rétablir, même sous une forme moderne, un théâtre tragique. Il lui fallut travestir le drame de ses personnages, l'introduire subrepticement sur la scène et l'on peut craindre qu'un petit nombre seulement l'ait compris.

Cette transformation croissante de la personne vers un type caractérisé surtout par la psychologie de l'esclave avec un développement croissant des vertus secondaires comme l'obéissance, la solidarité, le courage aveugle tel que celui du militaire dressé, l'adaptation et le conformisme, avec des vices, des colères, des sentiments et des haines rudimentaires, avec une cécité progressive pour les valeurs fondamentales, la liberté, l'amour, le désintéressement, le dévouement, l'honneur, est une transformation artificielle liée au milieu bien plus qu'à une transformation de la substance de l'homme. Cependant, maintenant que la conquête [vi] de la matière doit permettre une émancipation, ne pourra-t-on retrouver la personne en retrouvant les fonctions nécessaires à son épanouissement ? C'est à l'étude de l'homme et de son être profond qu'il faut demander du secours. Nous allons traverser une ère de psychologie. Dans le monde de plus en plus artificiel qui s'édifie, il faut s'efforcer de marquer dès maintenant la place qui revient aux exigences élémentaires de l'âme, afin que, dans ce monde conquis et organisé, la personne n'en soit pas réduite, pour vivre, à s'atrophier dès le berceau.


II


L'homme d'aujourd'hui est devenu indifférent à l'idée de valeur. Celle-ci ne cadre plus avec la psychologie courante, ne cadre plus avec la vulgarisation scientifique. Réintroduire ces valeurs dans la psyché contemporaine nous paraît au-dessus des possibilités. De ces valeurs il en est un certain nombre qui correspondent à des fonctions de l'âme, inconscientes ou peu conscientes, toutes proches de la vie instinctive et qui sont, pourrait-on dire, inscrites dans notre biologie. L'étude de ces fonctions, dans la mesure où elle s'efforce d'être aussi objective que possible, peut nous donner une vision complète de l'homme, peut mener de la sorte à un certain humanisme. Se connaissant mieux, conscient de ce qu'il doit conserver et défendre, l'homme d'aujourd'hui, indifférent aux valeurs comme il le devint jadis à la mythologie, comme il l'est devenu depuis à la religion, pourrait retrouver un mode de vie conforme à la personne humaine et susceptible de la sauver.

Nous nous dissimulons le caractère dur et [vii] implacable d'une évolution sans retour, en nous dissimulant la lointaine genèse des réalisations actuelles, les profondes affinités qui nous les ont fait choisir parmi d'autres possibles. Le présent, nous ne l'étudions que sur des schémas découpés dans les données de l'histoire et sur lesquels, sans angoisse et sans problèmes, nous observons deux mille ans en arrière, ce qui nous arrive aujourd'hui. Nous vivons sur des graphiques et cela nous permet de croire que l'histoire est un perpétuel recommencement et que, quoi qu'il arrive, nous pourrons toujours repartir de zéro.

Par une déformation quasi inévitable de notre pensée, nous parlons aux autres comme s'il était effectivement en leur pouvoir que les choses fussent différentes de ce qu'elles sont, nous les avertissons, nous les conjurons, nous les accusons, sans avoir toujours clairement à l'esprit qu'ils s'adaptent aux événements bien plus qu'ils ne les dirigent et qu’il n'est pas en leur pouvoir, pas plus qu'au nôtre, de percer les apparences, de projeter dans l'avenir la route où nous nous avançons. L'homme réel n'est pourtant pas celui-là. Il ne dirige pas. Il est toujours à la recherche de son âme, comme dit Jung. Il tâtonne. Il est aveugle.

  L'homme de la rue, subit lui aussi la même illusion ; il imagine que les autres savent où ils vont, que les personnages dont les noms lui parviennent à travers les manuels scolaires ou les grands titres de journaux agissent par des créations ex nihilo sur le cours de l'histoire. Cette croyance aiguise sa sensibilité à toute idéologie bien présentée et affermit sa conviction que c'est la volonté qui préside aux destinées de la personne. Clercs et lecteurs, constituent de la sorte une communauté solide pour laquelle il serait simple de trouver une solution aux difficultés de l'heure. [viii| L'on s'étonne, depuis le commencement des temps, du manque de sagesse de l'homme. Sa vie sociale même aurait commencé par une faute inepte, qu'il eût été tellement simple d'éviter, mais qu'on retrouve sous des formes différentes dans tous les folklores. « Le monde irait bien » dit Bernard Shaw, « si l'homme passait à éviter les bévues le temps qu'il passe à les réparer. » Tout en s'ébahissant de ce manque de sagesse dans le passé, nos contemporains proposent pour l'avenir un comportement d'efficacité éprouvée ; il leur paraît invraisemblable que la sottise obstinée qui caractérise le passé ne fût pas révolue. Sous l'influence de cette illusion, on tend à considérer l'homme d'aujourd'hui comme plus maître de sa raison et de sa destinée que l'homme de jadis, mais cela n'est pas conforme à la réalité. L'humanité ne cesse de répéter la faute de l'ancêtre ; mais tout en la répétant elle imagine qu'elle en serait incapable.

*

Ceux qui devant le désarroi actuel proposent un remède, arrivent porteurs d'un code. Qu'il s'agisse d'un plan communiste destiné à assurer le bonheur définitif des citoyens ; qu'il s'agisse d'un humanisme, fût-ce un humanisme chrétien, qu'il s'agisse d'un personnalisme quelconque, il ne faut pas chercher longtemps pour constater que ce mode de vie proposé et déjà codifié, ne s'adresse qu'à l'intelligence et à la volonté, à la conscience lucide. Tous ces systèmes garantissent le bonheur ; ils ne se préoccupent pas de connaître le mystère de l'être à qui ils le promettent et si, pas plus qu'une autre idéologie, une formule électorale d'humanisme chrétien ne paraît acceptable, c'est que peu à peu, suivant la courbe générale, l'humanisme proposé s'est détourné de [ix] l’homme réel, l’a perdu de vue, l'a remplacé par des symboles d'une pauvreté inimaginable, l'a réduit lui aussi à une chimère.

On s'épouvante de l'idéal que propose une société communiste, mais cet idéal n'épouvante pas celui qui se trouve engagé dans cette voie. Non pas parce qu'il est de mauvaise foi, ni parce qu'il est inintelligent et intoxiqué, mais parce qu'il n'est pas devenu suffisamment homme pour pressentir ce désastre.

Ceci n'est pas spécifique de l'idéologie communiste ; nous sortons à peine d'un engouement fasciste tout aussi destructeur, et ceux qui s'effraient de la facilité de certains hommes à s'engager dans la ligne totalitariste, oublient souvent de regarder autour d'eux. Dans le domaine du christianisme vécu par le public, un Maxence Van der Meersch qui vient nous proposer des types conformes à son humanisme missionnaire ne nous dépeint que des infantilismes et des échecs.

Il n'est pas de psychologie plus pauvre que celle d'une humanité de ce genre, et nous appréhendons presqu'autant d'en être réduit à ce qu'un vicaire de paroisse laisserait subsister de notre être réel que d'avoir à nous soumettre au servage entrevu dans l'ordre totalitariste.


III


Il ne suffit pas que des idées soient d'inspiration ou d'allure spiritualiste pour qu'elles vaillent d'être défendues ou même pour qu'elles ne soient pas dangereuses. Il ne suffit pas de parler de Dieu pour échapper au mensonge ou à l'erreur ; il ne suffit pas de dire que l'homme est d'essence spirituelle pour se faire de lui une idée juste. Toute une littérature, tout un symbolisme, tout un ensemble [x] d'illusions et de déformations philosophiques se sont installés autour, de ces notions, en vivent presqu'en parasites, mais n'ont que fort peu à voir avec l'homme réel, et même avec Dieu. Il y a toute une dorure verbale autour d'un certain spiritualisme d'étiquette auquel il n'est plus permis de s'arrêter, auquel nous ne pouvons plus nous confier. Nous ne parlons pas de la doctrine, mais bien des hommes, des dimensions auxquelles ils la réduisent, de ce à qui ils la font servir, de ce qu'ils en attendent.

Précisément, lorsque dans Corps et Âmes un Van der Meersch nous dépeint une bourgeoisie et des intellectuels dévoyés, à ne pas prendre en exemple, et qu'il propose, comme un remède aux maux qu'il décrit, un retour à Dieu, nous estimons qu'il tombe dans le verbiage. Pourquoi n'a-t-il pas placé dans son roman un croyant authentique, qui pût nous montrer comment un spiritualiste vrai mais en même temps homme, vit et résout les problèmes essentiels ? Il ne nous dépeint qu'un pauvre type, Michel, l'échec personnifié, l'être passif, égoïste sans le savoir et que ses croyances écrasent lourdement. Si nous citons Maxence Van der Meersch c'est un peu comme un test, comme un témoin puéril proposant, pour résoudre le drame de l'homme, une formule de désengagement pur et simple. Dans cette littérature, Dieu devient une sorte de mot magique, dont l'emploi dispense de chercher plus loin. Il faut se rendre compte de l'inutilité d'une tentative de sauvetage de l'homme par un retour à un langage et à des conceptions qui ont échoué.

*

Depuis des années, nous nous demandons quelle idée se fait encore de l'homme le magistrat de [xi] valeur moyenne, et ce qui subsiste de l'homme, réel et complet qu'il a devant lui et qu'il doit juger ? Que représente l'homme devant le grand politicien ? Que représente la psychologie du malade devant le médecin de la mutuelle ? Quels sont les aspects du fidèle qui ont eu grâce devant le curé d'une paroisse quelconque ? Pour ces hommes, autrui se réduit à une volonté malveillante, à une volonté qu'il faut réduire à merci.

L'attitude. d'un Charles Du Bos envers l'homme et l'adversaire est une merveilleuse exception ; les milliers de fonctionnaires, d'officiers, de prêtres, de médecins, les quelques philosophes et littérateurs qui se créent au cours de leur existence et de leurs contacts humains une conception toujours enrichie ne peuvent empêcher que dans la plupart des consciences humaines, de l'âge de raison à la mort, autrui ne fasse que perdre de plus en plus, que se réduire de plus en plus à un symbole, à un signe extérieur, une abstraction, une présence dont on a progressivement appris à se détacher. Chacun de nous dans sa propre histoire fait l'apprentissage de ce qu'il devient vis-à-vis de la masse, vis-à-vis des administrations : et des fonctionnaires du culte, et des autres, il se sent peu à peu réduit, nié, dans ce qui n'est pas strictement social, ce qui n'est pas strictement obéissance, courage, solidarité, conformisme. À tel point que l'homme moyen imagine que tout ce qui existe en lui, en dehors de ce que les lois et les administrations ont prévu, doit être caché ou détruit. C'est dans cette destruction progressive de sa propre personnalité qu'il voit s'opérer dans l'âme du prochain, que l'homme prend conscience de sa solitude et de son isolement ; c'est de cette relégation dont il est l'objet dans la conscience collective que l'homme s'effraie, s'épouvante, en arrive à rechercher un moyen de salut qui [xii] puisse servir de ligne de conduite aux autres.

S'il est un homme supérieur, il se crée un climat, religieux ou non ; s'il est simplement normal, il découvre ce climat, soit en une religion, qui lui promet une survie de bonheur et cette conception religieuse le console du comportement de ses coreligionnaires, soit en une philosophie stoïque ou épicurienne à laquelle d'ailleurs un élément religieux peut se mêler. Mais si la santé mentale lui manque, si l'équilibre affectif ne lui permet pas de s'adapter vivant à cet ensevelissement, l'adaptation se fait mal et c'est le malade, le névropathe, l'enfant mal adapté, l'adolescent troublé, l'adulte avec sa névrose d'angoisse qui viennent nous révéler la réalité, nous apprendre le nombre de fonctions qu'un homme normal se laisse enlever sans réagir, mais non sans souffrir. C'est à travers les organismes malades que l'humanité crie son angoisse devant le sort qu'elle se prépare.

Ce sont les médecins qui ont accueilli les anxieux ; c'est la psychologie et la psychanalyse qui ont découvert le gens de cette anxiété, ses rapports avec la vie instinctive, l'impossibilité d'une paix intérieure sans équilibre affectif et, tout compte fait, ce sont les médecins qui ont recueilli, à travers les confidences des névropathes, la protestation de l'homme devant son anéantissement affectif, devant le manque d'affection dans l'univers vécu. L'homme que nous appelons normal est, le plus souvent, celui qui présente la zone de tolérance la plus étendue, qui s'adapte à un maximum de difficultés avec un minimum de dramatisations et de refus. C'est en fait cet homme-là que nous considérons comme typique et souhaitable et ses possibilités d'adaptations sont pratiquement illimitées. Il suffit de songer que si l'on parvient à empêcher une [xiii] propagande contraire d'agir massivement il est possible d'envoyer des millions d'hommes mourir au service d'idées pour le salut desquelles, en temps ordinaires, ils ne donneraient pas dix dollars. Mais c’est aussi cet homme normal qui laisse fonctionner les camps d'extermination sans protester.

Or, en grande partie, cela provient du fait que dans le monde de la connaissance d'autrui, il n'est réservé aucune place à la connaissance par la sympathie qui valorise et accueille.

Au cours de ces pages nous nous étendrons sur ces aspects du problème. L'hygiène mentale qui, dans sa forme primitive, ne consistait pratiquement qu'à redire au malade, par contact personnel, et en termes vaguement médicaux, qu'il devait s'adapter, et à lui manifester un peu d'amitié, a été forcée de se mettre en harmonie avec les données de la psychopathologie et, presque risible dans ses premières manifestations, elle devient une fonction sociale de la plus haute importance, l'organisme par lequel la collectivité pourra mieux prendre conscience d'elle-même et des dangers courus.

On a dit que la vie actuelle multiplie et favorise l'éclosion des névropathes et c'est vrai dans le sens où cette vie révèle des inadaptations qui, dans des conditions plus humaines, eussent pu être compensées par des malades. Mais ces névropathies mêmes, surgissant chez les plus sensibles, n'en donnent pas moins les indications sur ce qui se passe dans les profondeurs et c'est tout autant dans un but politique, que dans un dessein eugénique, que les dictatures s'efforcent d'en finir au plus vite avec les névropathes : une déconsidération savamment orchestrée et une stérilisation massive des produits suspects constituaient une méthode radicale pour le nazisme. Gœbbels, mieux [xiv] que personne au monde, savait qu'on se tirerait le plus facilement d'affaire, qu'on réaliserait le plus facilement un ordre définitif avec un peuple de normaux, un peuple sain.

De même que la psychopathologie de l'esprit est à la base de tout progrès réel en psychologie, de même, au point de vue social, la névrose et le névropathe sont les moyens par lesquels il devient possible à une collectivité de savoir ce qui se passe en son sein.

Celui qui n'a pas été exposé aux confidences des hommes, s'imagine mal le néant de la plupart des existences, s'imagine mal qu'il existe un rapport entre la dévalorisation qu'ils se laissent imposer par les exigences sociales et la médiocrité de leur drame intérieur, limité, la plupart du temps, à quelques conflits d'un niveau infantile. A ce point de vue là il n'y a pas de différences bien nettes entre les intellectuels, les artistes et les gens dits ordinaires. Il ne s'agit pas de pauvreté vraie. Chez la plupart il s'agit d'un arrêt de développement, d’une atrophie précoce de la personnalité affective par le milieu et les conditions de vie ; il s'agit en somme d'un phénomène d'adaptation, d'un état de fait imposé aux individus par la forme de domestication émanée de la société.

La qualité du linge, la coupe d'un costume, la marque de la voiture, l'allure de l'habitation et la correction du langage tendent à nous laisser supposer une vie intérieure correspondante et nous illusionne. Ce qui crée l'envie entre les hommes c'est autant le bonheur qu'ils se supposent que les inégalités visibles ; les gens simples qui envient les personnalités des puissants ignorent que ceux-ci vivent de la même vie qu'eux-mêmes ; ils jalousent la vie intérieure imaginée des autres et ne se rendent pas compte de sa trop fréquente pauvreté.

[xv]

Sous les diversifications liées aux apparences et aux situations, le drame de tous tend à s'uniformiser.

Ce n'est pas par plaisir de répéter de banales vérités que nous exprimons ces idées sur la médiocrité du drame intérieur de nos contemporains. Peut-être est-il injuste d'en accabler l' « homme moyen », car les exceptions à la règle ne se trouvent pas toutes du côté des intellectuels, des moralistes, des philosophes, des artistes. Le drame de ceux-ci ne dépasse pas toujours la banalité coutumière et ceci nous précise où se trouvent les causes profondes du mal. Le fait que la justice condamna Verlaine pour tentative de meurtre et que, durant son séjour en prison, l'illustre poète fut traité et compris comme un vulgaire délinquant par des gens qui se trouvaient dans l'ignorance de sa valeur, - et ils en étaient à ce moment là fort excusables - ne constitue nullement un outrage de la masse au génie, mais montre plus simplement que le drame intérieur de Verlaine s'apparentait à celui des hommes les plus quelconques. Le drame n'est pas seulement que l'homme de la rue ne comprenne pas Dostoïevski ; il est aussi, il est surtout que le drame intérieur de Dostoïevski, qu'il illumina si somptueusement, n'était pas autre que celui de la plupart de ses contemporains et que l'homicide affleurait chez lui à toutes les faces de sa puissante personnalité.

Comme nous le verrons, si presque tous les génies retenus par l'humanité sont des génies agressifs et destructeurs, ce n'est pas qu'il n'y en eut point d'autres, mais parce que ces autres n'eurent pas accès à l'âme de la collectivité. Le problème existe donc non seulement au sujet du nombre de génies qui peuvent éclore dans une société donnée, mais du type de génie qu'une collectivité est à même [xvi] de reconnaître. En ce sens reconnaître la médiocrité, l'infantilisme, l’instinctivité, non seulement de la masse, mais de la psyché profonde du grand nombre des hommes qui dirigent la vie intellectuelle de la communauté, ne constitue nullement un jeu cruel, niais pose la première de toutes les questions : l'homme petit-il vraiment mieux faire, est-il nécessairement condamné à cet infantilisme éternel, son drame intérieur ne dépassera-t-il jamais celui de Topaze ou de Karamazoff ? Il paraît évident (et les exemples de ceux qui ont dépassé ce stade le prouve abondamment) que l'homme n'est pas enchaîné d'une manière inéluctable à ce berceau de fer. Mais il en reste souvent là, parce que de choix en choix, Il s'est peu à peu fixé dans une direction qui lui interdisait toutes les autres, et que ce fut trop souvent l'instinct de défense et d'agression qui l'orientèrent. Il est devenu « un », ne pouvait-il pas réellement conserver en soi une certaine « multiplicité » ?

Le génie humaniste se trouve donc conditionné par la collectivité qui l'identifie. Les promoteurs d'une éducation civique imaginent fort souvent que tout changera lorsque les masses, aujourd'hui incultes, bénéficieront de loisirs plus étendus, d'une éducation plus parfaite. Mais précisément la banalité même du drame intérieur de l'intellectuel, artiste ou savant, ne nous permet pas d'espérer une victoire sans effort. L'étrange question que se posait Alexis Carrel dans L'Homme cet inconnu à propos de l'opportunité d'allonger indéfiniment la vie peut se comprendre. Carrel avait fait, comme tout médecin, le tour de ses malades et se demandait : pourquoi vivent-ils,  pourquoi faudrait-il leur allonger la vie ? Cette question n'a pas seulement une portée morale ou philosophique ; elle traduit un état d'âme fort [xvii] dangereux, celui du désengagement et de « l'à-quoi-bon » de l'homme mûr, état d’âme qui apparaît dans les statistiques sociologiques sous la ferme significative de l'augmentation croissante et rapide des suicides avec l'âge. C'est une vie ratée et malheureuse que celle qui se développe sous un tel signe. Pour un suicide réel, combien de retrait, de désengagements, de malédictions, de regrets ?

Or, allonger la vie de l'homme c'est augmenter proportionnellement le nombre de ceux pour qui elle a perdu sa valeur initiale, le nombre de ceux pour qui vivre ne représente plus qu'une petite fonction chenue, accrochée aux registres de mauvais papier de la sécurité sociale ; c'est augmenter le nombre de ceux qui sont disposés à tout laisser se perdre, comme ne valant pas la peine, ou même à empêcher ceux qui viennent, de vivre plus complètement. Il ne suffit donc pas d'allonger la vie, il faut que les hommes la vivent pleinement, soient plus épanouis et plus heureux, sinon on augmente l'armée des ennemis de l'homme ou tout au moins l'armée des tièdes et des résignés.

Une vie qui s'achève dans un consentement croissant à la mort tel est le résultat moyen, palpable en chiffres, de notre mode de vivre. Il est possible qu'il ne soit pas d'autres solutions au destin de l'homme. Et pourtant, il faut espérer. Nous ne pouvons pas oublier que l'humanité sort à peine de l'indigence, de l'esclavage et du froid, qu'au moindre désordre elle retrouve la famine et la misère et que jusqu'ici les hommes ont nécessairement vécu pour se nourrir, pour échapper à un travail exténuant et sans fin, pour assurer un minimum de bien être autour d'eux, pour se créer des loisirs ; ils ont lutté, ils ont agi sous le signe de leurs instincts de défense ; force leur fut de négliger leurs autres possibilités. Mais peut-être [xviii] n'en sera-t-il pas indéfiniment ainsi. S'il apparaît que de plus en plus la vie sera communautaire, étatiste, tout à fait collectivisée, il n'est peut-être pas inéluctable que cet ordre corresponde à un esclavage total, à une accentuation de la médiocrité moyenne, à la disparition du drame intime de l'homme, de son moi réel.

Ce qui nous permet d'espérer, c'est que l'homme finit peu à peu par se palper, par identifier en lui les émotions liées à  des fonctions perdues ou négligées au cours des temps. C'est que s'il parvient à se connaître réellement tel qu'il est, à retrouver dans le milieu physique et le milieu moral les éléments indispensables à son équilibre et à sa conservation, il pourra reconstruire, sur les données psychologiques, le monde évanoui des valeurs spirituelles. Ce sera, sous une forme inattendue, une contribution de la science au sauvetage de l'homme.


IV


La science, sous ses différentes applications, est devenue indispensable à l'épanouissement des sciences morales de l'homme, parmi lesquelles il faut compter les phénomènes religieux. C'est pourquoi il est inutile de dire que l'homme peut retrouver un équilibre en retournant à un humanisme religieux antérieur. Ce qui a dévalorisé cette forme religieuse d'humanisme et l'a rendu aujourd'hui peu acceptable pour un grand nombre des hommes libres, c'est que cet humanisme ne se contentait pas d'envisager la conduite morale de l'homme et, généralement du reste, d'une manière excellente, mais tendait à s'imposer au détriment de l'épanouissement intérieur, de l'achèvement de la personnalité, tendait à imposer une fixation dans l'évolution de la pensée, à river l'homme [xix] mûr à des symbolisations que son esprit ne peut admettre par une opération normale. Prenons par exemple le sentiment de culpabilité. Celui-ci existe dans toutes les religions un peu évoluées et, partout, se concrétise sous la forme d'une première faute. Le récit de cette faute est précieusement conservé et peut naturellement servir à amorcer la connaissance d'un sentiment de culpabilité en l'humanité. On ne saurait sérieusement prétendre qu'il n'a d'autre but que d'être cru en lui-même et pour lui-même. Or, les religions ont eu ce sentiment de culpabilité en dépôt pendant des millénaires et n'en ont rien tiré ; c'est la science psychologique contemporaine et déterministe qui s'en est emparée, montrant le rôle immense que ce sentiment joue dans la psychologie normale et pathologique et nous révélant des aspects fort nouveaux du psychisme, aussi bien pour la psychologie que pour la mystique. Et pendant tout ce temps la psychologie du sentiment de culpabilité est restée à peu près inconnue, même chez les catholiques.

Prenons un autre exemple encore. Devant l'écroulement de tous les systèmes de valeurs et des diverses morales, il arrive, entre des milliers de questions, qu'on recherche les raisons pour lesquelles l'homicide n'est pas permis. D’une manière générale les gens ont intérêt à ce que l'homicide ne soit pas permis et ils ne cherchent pas de grandes justifications ; mais certaines personnes ou certaines collectivités peuvent éprouver de fortes tendances à supprimer un individu ou un groupe. Le quart de siècle que nous venons de vivre nous montre la rapidité des progrès que des peuples civilisés peuvent accomplir dans la justification de la mort utilitaire d'autrui. À ce propos, une des conséquences de l'appauvrissement invraisemblable du drame personnel et de [xx] la vie authentiquement religieuse chez bien des chrétiens et non des moindres, c'est qu'on les entend dire que ces crimes sont une conséquence de l'abandon des croyances religieuses et que chez un homme qui ne croit pas en Dieu et ne prend pas ses directives dans la morale dictée par lui, ce consentement à l'homicide se comprend parfaitement, car quiconque n'est pas croyant n'aurait aucune raison, selon eux, de ne pas tuer son prochain. Or, comme nous le verrons, l'homme n'a nul besoin de préceptes moraux d'origine explicitement religieuse pour éprouver que toute destruction de vie, acceptée par lui, opère en son moi intime une singulière modification, provoque un déséquilibre difficile à redresser et que rien ne détruit l'être profond comme la destruction d'une vie. Tout cela se retrouve à l'examen clinique. C'est le jeu profond de la vie instinctive qui protège autrui, parce qu'il protège le petit et l'espèce ; c'est ce jeu profond qui justifie au cœur de l'homme la défense de l'homicide et qui rend l'âme sensible à l'ordre naturel ou à l'ordre divin. Mais rien ne prouve mieux la perte de contact de l'esprit religieux - avec le devenir scientifique et la science psychologique qu'une ignorance aussi prononcée des phénomènes élémentaires.

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Parmi tous les problèmes que la psychologie relève aujourd'hui, il en est un intéressant entre tous, celui des rapports et des liens que la vie instinctive de l'homme établit avec le monde et avec autrui. Ce domaine est tellement vaste que son étude se révèle directement liée à un humanisme et à la morale. Ces rapports ne sont pas des rapports abstraits, des convenances théoriques, des choses artificielles. Ces rapports sont basés sur [xxi] des fonctions ; ce sont des formes de vie ; ils s'établissent d'eux-mêmes, peuvent être renforcés par l'éducation ou atrophiés par elle. Il s'agit là de problèmes essentiels.

Pendant l'épidémie de paralysie infantile de 1945 des jeunes gens placés en clinique dans le respirateur et étendus depuis des semaines et des semaines dans leur poumon d'acier, ne manquaient jamais de se faire renseigner, incapables de le voir par eux-mêmes, sur le temps qu'il faisait au dehors. Les infirmières prenaient cela pour une expression de leur volonté de rester accrochés à la vie. Elles ne se trompaient certes pas : mais que ce fût justement cette question-là qui les intéressât n'est pas dépourvue de signification. L'homme est normalement relié au Cosmos ; vivre c'est ne pas laisser vivre ce cosmos sans y être présent. Compatissante, l'infirmière obtint qu'on plaçât un miroir pour que les malades pussent voir par eux-mêmes. Ce petit détail, en apparence insignifiant, nous ouvre tout un horizon sur l'homme quand nous lisons que, durant leur séjour dans les usines américaines, conditionnées pour l'air, la chaleur, la lumière, et par conséquent dépourvues de fenêtres, les ouvriers se plaignaient le plus de ne pas savoir le temps qu'il faisait... Pour empêcher que le travail n'en souffrît, l'administration fit placer des signaux : le vert signifiait soleil, le rouge : pluvieux [2].

C'est fort simple et c'est fort peu de chose. Tout cela est bien près du biologique pur, ne sort pas du psychisme inférieur. Mais un homme normal est mal à l'aise s'il se trouve dans l'impossibilité de savoir le temps qu'il fait dehors. Cela nous apprend à quel point l'être humain est relié à la lumière, à la couleur, aux formes, à la [xxii] température, à la vie. Un homme peut travailler à la mine pendant toute sa vie, et toute sa vie ne jamais savoir comment il fait dehors. Il s'y adapte, c'est-à-dire qu'il tue en lui le besoin normal d'être présent là-haut. C'est-à-dire que dans une certaine mesure il s'abrutit. Multipliez ces « adaptations » par mille, que peut-il rester de cet homme à la fin de sa vie ? Cette infériorité pourtant est une création, est l'effet d'une mort imposée peu à peu. Certes, établir ces signaux verts et rouges pour favoriser le rendement ce n'est pas de l'humanisme, mais s'emparer de ces données, des centaines d'acquisitions similaires que les hommes ont fait et peuvent faire, retrouver ainsi tout ce qui peut, au lieu de tuer l'être affectif dès les premières années, l'épanouir splendidement, le préparer à être sensible à des valeurs affectives plus hautes, sublimation d'attitudes élémentaires, cela peut constituer un effort humaniste. Montrer que, sevrée de toute vie affective organisée, l'humanité a toujours choisi les mêmes types de héros et qu'elle a perdu l'aptitude ait sentiment de culpabilité, qui forme le nœud  entre les instincts de défense et de sympathie ; montrer qu'elle a perdu ces valeurs, parce que les régions les plus fécondes de l'âme, celles que peuvent épanouir l'instinct de sympathie et l'amour restent silencieuses et absentes, inhibées par une exaspération continuelle de l'instinct de défense et d'agression, montrer que tout n'est pas à abandonner dans les structures morales établies et que bon nombre d'entre elles correspondent à l'être humain vu dans son ensemble, nous paraît une contribution à la création d'un humanisme plus rigoureusement d'accord avec les données objectives.

[xxiii]

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Dans notre ouvrage Notre destinée et nos instincts nous avons étudié la psychologie élémentaire reliée à la vie instinctive et nous avons mis en évidence le caractère dangereux de certaines valeurs unilatérales. Nous y avons mis en lumière comment l'amour et la sympathie se trouvaient actuellement à l'arrière plan, dévalorisés et inutiles. Nous voudrions dans ces pages montrer à quel point un équilibre harmonieux de l'homme exige l'épanouissement de tous les modes inconscients de connaissances et surtout du mode de connaissance par la sympathie. Une opposition profonde s'est marquée en l'âme humaine entre les instincts de défense et les instincts de sympathie. L'humanisme nouveau que la vie nous prépare pourrait retrouver cette ambivalence fondamentale de l'être humain, retrouver les proportions entre ces deux grandes constantes de l'âme humaine. C'est là un domaine que la psychologie peut explorer et qui s'ouvre à nos investigations.

Établir les fondements d'un humanisme sur ces données n'implique pas une suréminente de la vie instinctive, mais implique une méthode : agir conformément aux tendances profondes de l'homme, confronter les données acquises par l'expérience et la tradition avec ces données émanées de la substance la plus profonde de l'homme, retrouver l'accord entre l'être inconscient et les conceptions, idées, systèmes, symboles et mythes dont le sens semble momentanément perdu, reconstituer de la sorte un ensemble acceptable, solide, scientifiquement défendable, plus rigoureusement conforme à un humanisme biologique.

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[1] Jean-Louis PIERRET, La Poésie populaire finlandaise dans Le Mois Suisse, janvier 1944.

[2] Choix n° 11, L'usine moderne aux États-Unis.


Retour à l'auteur: Guillaume De Greef Dernière mise à jour de cette page le samedi 19 octobre 2013 9:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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