Charles-Robert Darwin, Observations géologiques sur les îles volcaniques explorées par l expédition du «Beagle»


 

RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Observations géologiques sur les îles volcaniques explorées par l’expédition du «Beagle». (1844)
Introduction


Une édition numérique réalisée à partir du livre de Charles-Robert Darwin (1809-1882), Observations géologiques sur les îles volcaniques explorées par l’expédition du «Beagle». (1844) Traduit de l’Anglais sur la 3e édition par Alphonse-François Renard. Bibliobazar. Une édition numérique de Claude Ovtcharenko, journaliste à la retraite dans le sud de la France.

 
Introduction

_______


Pendant les dix années qui suivirent son retour en Angleterre, après son voyage autour du Monde, Darwin se consacra surtout à la préparation de la série d’ouvrages qui furent publiés sous le titre général de Géologie du Voyage du Beagle. Le second volume de la série comprend les Observations géologiques sur les îles volcaniques, et les notes sur la géologie de l’Australie et du Cap de Bonne-Espérance, il parut en 1844. Les matériaux de ce volume ont été réunis en partie au commencement du voyage, lorsque le Beagle fit escale à San Thiago dans l’archipel du Cap-Vert, aux Rochers de Saint-Paul et à Fernando Noronha ; mais surtout durant la croisière de retour ; c’est alors que Darwin étudia les îles Galapagos, qu’il traversa l’archipel des îles Pomotou et visita Tahiti. Après avoir touché à la Baie des îles dans la Nouvelle-Zélande, ainsi qu’à Sydney, à Hobart-Town et à King George’s Sound en Australie, le Beagle, traversant l’Océan Indien, fit voile vers le petit groupe des îles Keeling ou Cocos, célèbre par les observations qu’y a faites Darwin, et se dirigea ensuite vers l’île Maurice. Après une escale au Cap de Bonne-Espérance, le navire arriva successivement à Sainte-Hélène et à l’Ascension, et visita une seconde fois les îles du Cap-Vert avant de rentrer en Angleterre.

Le voyage pendant lequel Darwin eut l’occasion d’étudier tant de centres volcaniques intéressants, lui réservait au début une amère déception. Durant la dernière année de son séjour à Cambridge il avait lu le Personal Narrative de Humboldt et en avait extrait de longs passages relatifs à Ténérife. Il avait recueilli un ensemble de renseignements en vue d’une exploration de cette île, lorsqu’on lui proposa d’accompagner le capitaine Fitzroy à bord du Beagle. Son ami Henslow lui avait conseillé, en le quittant, de se procurer le premier volume des Principes de Géologie qui venait de paraître, tout en le prémunissant contre les idées de l’auteur de cet ouvrage. Au commencement du voyage, Darwin, accablé par un violent mal de mer qui le confinait dans sa cabine, consacrait tous les instants de répit que lui laissait la maladie à étudier Humboldt et Lyell. On se figure sa déception, quand, au moment où le navire atteignait Santa-Cruz et où le Pic de Ténérife apparaissait au milieu des nuages, on reçut la nouvelle que le choléra régnait dans l’île et empêchait tout débarquement.

Une ample compensation lui était réservée, cependant, quand le Beagle arriva à Porto-Praya dans l’île de San Thiago, la plus grande de l’archipel du Cap-Vert. Darwin y passa trois semaines dans des conditions favorables et c’est là qu’il commença, a proprement parler, son œuvre de géologue et de naturaliste. « Faire de la géologie dans une contrée volcanique, écrit-il à son père, est chose charmante ; outre l’intérêt qui s’attache à cette étude en elle-même, elle vous conduit dans les sites les plus beaux et les plus solitaires. Un amateur passionné d’histoire naturelle peut seul se représenter le plaisir qu’on éprouve à errer parmi les cocotiers, les bananiers, les caféiers et d’innombrables fleurs sauvages. Et cette île, qui a été pour moi si instructive et m’a prodigué tant de jouissances, est cependant l’endroit le moins intéressant, peut-être, de tous ceux que nous explorerons pendant notre voyage. Certes, elle est, en général, assez stérile, mais le contraste même fait apparaître les vallées admirablement belles. Il serait inutile de tenter la description de ce tableau ; aussi facile serait-il d’expliquer à un aveugle ce que sont les couleurs, que de faire comprendre à quiconque n’a jamais quitté l’Europe la différence frappante qui existe entre les paysages tropicaux et ceux de nos contrées. Chaque fois qu’une chose attire mon attention admirative, je la note soit dans mon journal (dont le volume augmente), soit dans mes lettres ; excusez mon enthousiasme mal traduit par des mots. Je constate que mes échantillons s’accroissent en nombre d’une manière étonnante, et je crois que je serai obligé d’en expédier, de Rio, une collection en Angleterre. »

Un passage remarquable de l’Autobiographie, écrite par Darwin en 1876, témoigne de l’impression ineffaçable que lui laissa cette première visite à une île volcanique. « La structure géologique de San Thiago est très frappante, quoique d’une grande simplicité. Une coulée de lave s’est étalée autrefois sur le fond de la mer, constitue par des débris de coraux et de coquilles récentes ; ces couches calcaires ont été soumises comme à une cuisson et transformées en une roche blanche et dure. L’île entière a été soulevée depuis cette époque, mais l’allure de la zone de roche blanche m’a révélé un fait nouveau et important : c’est qu’il s’est produit, plus tard, un affaissement autour des cratères qui avaient été en activité depuis le soulèvement. L’idée me vint alors, pour la première fois, que je pourrais peut-être écrire un livre sur la géologie des contrées que nous allions explorer, et cette pensée me fit tressaillir de joie. Ce fut pour moi une heure mémorable ; avec quelle netteté je me rappelle la petite falaise de lave sous laquelle je me tenais, le soleil éblouissant et torride, quelques plantes étranges du désert croissant aux alentours, et à mes pieds des coraux vivants, dans les lagunes inondées par la marée. »

Au moment de cette exploration, cinq années seulement s’étaient écoulées depuis l’époque où il suivait à Edimbourg les leçons du professeur Jameson, qui enseignait encore la doctrine Wagnérienne. Darwin avait trouvé ces leçons « incroyablement ennuyeuses ». « Le seul effet qu’elles produisent sur moi, déclarait-il, c’est de me faire prendre la résolution de ne lire de ma vie un livre de géologie, ni d’étudier cette science de quelque manière que ce soit. »

Quel contraste avec les expressions dont il se sert en parlant de ses recherches géologiques, dans les lettres écrites à ses parents à bord du Beagle ! après avoir fait allusion au plaisir qu’il éprouve à rassembler et à étudier les animaux marins, il s’écrie : « Mais la géologie l’emporte sur le reste ! » Dans une lettre à Henslow, il dit : « La géologie m’entraîne ; mais, comme l’intelligent animal placé entre deux bottes de foin, je ne sais à laquelle donner la préférence : étudierai-je les roches cristallines anciennes ou les couches moins cohérentes et plus fossilifères ? » Et, lorsque son long voyage va se terminer, il écrit encore : « Je trouve à la géologie un intérêt qui ne faiblit jamais ; et, comme on l’a dit déjà, elle nous inspire des idées aussi vastes sur notre monde que celles que l’astronomie nous suggère sur l’ensemble des mondes. » Darwin fait évidemment allusion ici à un passage de Sir John Herschel dans son admirable Introduction à l’étude de la philosophie naturelle, œuvre qui exerça une influence très profonde et très heureuse sur l’esprit du jeune naturaliste.

La prédilection marquée que professait Darwin, durant et après le célèbre voyage du Beagle, pour les études géologiques, ne peut laisser aucun doute ; comme il est facile aussi de reconnaître quelle est l’école géologique dont il suivait les doctrines et dont l’enseignement, malgré les avertissements de Sedgwick et de Henslow, le dominait tout entier. Il écrivit en 1876 : « La première contrée que j’ai étudiée, l’île de San Thiago dans l’archipel du Cap Vert, m’a démontré clairement la remarquable supériorité de Lyell, au point de vue géologique, sur tous les auteurs dont j’avais emporté les œuvres ou que j’ai étudiés depuis. » Et il ajoute : « La science géologique a contracté une grande dette envers Lyell, elle lui doit plus, je crois, qu’à personne au monde… Je suis fier de me rappeler que la première contrée dont j’étudiai la constitution géologique, San Thiago dans l’archipel du Cap Vert, m’a convaincu de la supériorité infinie des idées de Lyell sur celles que j’avais pu puiser dans tout autre livre que les siens. »

Les passages que j’ai cités montrent dans quel esprit Darwin commença ses études géologiques, et les pages qui suivent fourniront des preuves nombreuses de l’enthousiasme, de la pénétration et du soin avec lesquels ses recherches furent poursuivies.

Les collections de roches et de minéraux recueillies par Darwin furent, au cours même de son voyage, envoyées à Cambridge et confiées à son fidèle ami Henslow. A son retour en Angleterre, après avoir revu sa famille et ses amis, le premier soin de Darwin fut de commencer l’étude de ces matériaux. Vers la fin de 1836, il alla se fixer, pendant trois mois, dans un appartement de Fitzwilliam street à Cambridge : il se rapprochait ainsi d’Henslow et pouvait se livrer à l’examen des roches et des minéraux qu’il avait réunis. Il fut puissamment secondé dans cette étude par le professeur William Hallows Miller, l’éminent cristallographe et minéralogiste.

Darwin ne commença réellement à écrire son livre sur les îles volcaniques qu’en 1843, après s’être établi dans la maison qu’il habita le reste de sa vie, sa célèbre résidence de Down dans le Kent. Dans une lettre du 28 mars 1843 à son ami M. Fox, il dit : « J’avance très lentement dans la rédaction d’un livre, ou plutôt d’une brochure sur les îles volcaniques que nous avons explorées ; je n’y consacre qu’une couple d’heures chaque jour, et encore d’une manière assez peu régulière. C’est une besogne ingrate que d’écrire des livres dont la publication coûte de l’argent et que personne ne lit, pas même les géologues. »

Cette étude occupa Darwin pendant toute l’année 1843, et le livre fut publié au printemps de l’année suivante. D’après une note de son journal, le temps réellement consacré à la préparation de cet ouvrage s’étendit de l’été de 1842 jusqu’en janvier 1844. Lorsqu’il fut achevé, Darwin ne parut nullement satisfait du résultat obtenu. Il écrivait à Lyell : « Vous m’avez fait un grand plaisir en disant que vous aviez l’intention de parcourir mes îles volcaniques ; ce livre m’a coûté dix-huit mois de travail ! Et à ma connaissance, rares sont les gens qui l’ont lu. Je sens cependant que le peu que renferme cet ouvrage, et c’est peu de chose en effet, aura son utilité en confirmant des hypothèses anciennes ou nouvelles, et que mon travail ne sera pas perdu. » Il écrivait à Sir Joseph Hooker : « Je viens de terminer un petit volume sur les îles volcaniques que nous avons explorées. J’ignore jusqu’à quel point la géologie pure et simple vous intéresse, mais j’espère que vous m’autoriserez à vous envoyer un exemplaire de mon ouvrage. »

Tout géologue sait combien ce livre de Darwin sur les îles volcaniques est intéressant et suggestif. La satisfaction médiocre qu’il semble inspirer à son auteur doit être probablement attribuée au contraste que Darwin sentait exister entre le souvenir des vives jouissances qu’il éprouvait lorsque, le marteau à la main, il errait dans des contrées nouvelles et intéressantes, et la tâche lente, laborieuse et moins conforme à ses goûts que lui imposaient la transcription et l’arrangement de ses notes sous forme de livre.

Lorsqu’en 1874 je décrivais les anciens volcans des îles Hébrides, j’eus fréquemment l’occasion de rappeler les observations de M. Darwin sur les volcans de l’Atlantique, pour expliquer les faits que nous montrent, dans nos propres îles, les restes de volcans anciens. Darwin, écrivant à son fidèle ami Sir Charles Lyell au sujet de mon travail, lui dit : « J’ai éprouvé une satisfaction bien vive en voyant citer mon livre sur les volcans, je le croyais mort et oublié. »

Deux ans plus tard, en 1876, on proposa à Darwin de publier une nouvelle édition des Observations sur les îles volcaniques et sur l’Amerique du Sud. Il hésita d’abord, car il lui semblait que ces ouvrages n’offraient plus actuellement qu’un intérêt médiocre ; il me consulta sur ce point au cours d’une des conversations que nous avions souvent ensemble à cette époque, et j’insistai fortement auprès de lui pour la réédition de ces livres. J’éprouvai une vive satisfaction lorsque, se rendant à mes instances, il consentit à ce qu’ils fussent publiés sans aucune modification du texte. Il écrit dans la préface de cette nouvelle édition : « Par suite des progrès récents de la géologie, mes idées sur quelques points pourront paraître un peu vieillies, mais j’ai cru préférable de les laisser telles qu’elles ont été publiées originairement. »

Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d’indiquer brièvement les principaux problèmes géologiques sur lesquels le livre de Darwin les îles volcaniques a jeté une nouvelle et vive lumière. Le principal mérite de ces recherches est d’avoir fourni des observations qui, non seulement, présentent un haut intérêt scientifique, mais dont quelques-unes ont permis de faire rejeter des erreurs couramment admises ; d’appeler l’attention sur des phénomènes et des considérations qui avaient été complètement négligés par les géologues, mais qui ont exercé depuis lors une grande influence sur la genèse des théories géologiques ; et, enfin, de faire ressortir l’importance qui s’attache à des causes faibles et insignifiantes en apparence, mais dont quelques-unes donnent la clef de problèmes géologiques du plus haut intérêt.

En visitant des contrées où von Buch et d’autres géologues avaient cru trouver la preuve de la théorie des « cratères de soulèvement », Darwin fut amené à démontrer que les faits pouvaient recevoir une interprétation tout à fait différente. Les idées émises d’abord par le célèbre géologue et explorateur allemand, et presque universellement admises par ses compatriotes, avaient été soutenues par Elie de Beaumont et par Dufrenoy, les chefs du mouvement géologique en France. Elles étaient pourtant vigoureusement combattues par Scrope et par Lyell en Angleterre, et par Constant Prévost et Virlet de l’autre côté de la Manche. Dans cet ouvrage, Darwin nous montre sur quelles faibles bases repose cette théorie d’après laquelle les grands cratères circulaires des îles de l’Atlantique devraient leur origine à des ampoules gigantesques de la croûte terrestre, qui, en crevant à leur sommet, auraient donne naissance aux cratères. Reconnaissant l’influence que l’injection de la lave exerce sur la structure des cônes volcaniques, en accroissant leur masse et leur hauteur, il montre qu’en général les volcans sont édifiés par des éjaculations répétées qui amènent une accumulation de matières éruptives autour de l’orifice.

Cependant, quoiqu’il arrivât aux mêmes vues générales que Scrope et que Lyell sur l’origine des cratères volcaniques ordinaires, Darwin vit clairement que, dans certains cas, de grands cratères peuvent s’être formés ou s’être agrandis par l’affaissement du plancher, à la suite d’éruptions. L’importance de ce facteur auquel les géologues avaient accordé trop peu d’attention, a été montrée récemment par le professeur Dana dans son admirable ouvrage sur le Kilauea et d’autres grands volcans de l’archipel hawaien.

L’affaissement qui se produit autour d’un centre volcanique, et qui détermine le plongement des couches environnantes, a été mis en lumière pour la première fois par Darwin, comme résultat de son premier travail sur les îles du Cap-Vert. Des exemples frappants du même fait ont été signalés depuis en Islande par M. Robert et par d’autres, dans la Nouvelle-Zelande par M. Heaphy, et dans les îles occidentales de l’Ecosse par moi-même.

À diverses reprises, Darwin appela l’attention des géologues sur le fait que les orifices volcaniques présentent entre eux des relations qu’on ne saurait expliquer sans admettre l’existence, dans la croûte terrestre, de lignes de fracture le long desquelles les laves se sont frayé un chemin vers la surface. Mais en même temps il vit clairement qu’il n’existait pas de preuves du passage de grands torrents de laves le long de ces fractures ; il montra comment les plateaux les plus remarquables, formés de nappes de laves successives, peuvent avoir été construits par des émissions répétées et modérées, émanant d’orifices volcaniques nombreux, distincts les uns des autres. Il insiste expressément sur la rapidité avec laquelle la dénudation peut faire disparaître les cônes de cendres formés autour des orifices d’éjaculation, et les traces d’émissions successives de laves.

L’un des chapitres les plus remarquables du livre est celui ou l’auteur traite des effets de la dénudation déterminant l’érosion de l’appareil volcanique, au point de ne plus laisser subsister que des épaves ou tronçons ruines de volcans. Il a eu l’occasion d’étudier une série de cas permettant de suivre toutes les gradations des formes volcaniques, depuis les cônes complets jusqu’aux masses bouchant les cratères, où elles s’étaient solidifiées. Les observations de Darwin sur ce sujet ont été de la plus haute valeur et du plus grand secours pour tous ceux qui se sont efforcés d’étudier les effets de l’action volcanique pendant les périodes anciennes de l’histoire de la terre.

Comme Lyell, Darwin était fermement convaincu de la continuité des actions géologiques, et c’était toujours avec une vive satisfaction qu’il constatait que les phénomènes du passé pouvaient s’interpréter par des causes actuelles. Au moment où Lyell se livrait, quelques mois avant sa mort, à ses derniers travaux géologiques sur les environs de sa résidence dans le Forfarshire, il écrivit à Darwin : « Toutes mes recherches ont confirmé ma conviction que la seule différence entre les roches volcaniques paléozoïques et récentes se réduit aux modifications qui ont dû se produire en raison de l’immense période de temps pendant laquelle les produits des volcans les plus anciens ont été soumis à des transformations chimiques. »

Lorsqu’après avoir achevé ses études sur les phénomènes volcaniques, Darwin entreprît l’examen des grandes masses granitiques des Andes, il fut vivement frappé des relations qui unissent les roches dites plutoniques et les roches d’origine incontestablement volcanique. On doit dire à ce sujet que les circonstances mêmes dans lesquelles se fit la croisière du Beagle furent très favorables à Darwin dans ses études sur les roches éruptives. Après avoir observé des types nettement caractérisés de la série récente, il alla étudier dans l’Amérique du Sud de remarquables gisements de masses ignées anciennes très cristallines et, dans le voyage de retour, il put revoir les roches volcaniques récentes, raviver ainsi ses premières impressions et établir des relations entre ces deux types lithologiques.

Il exposa quelques-unes des considérations générales que ces observations lui avaient suggérées, dans un travail qu’il lut à la Société Géologique le 17 mars 1838, et qui portait comme titre : Du rapport de certains phénomènes volcaniques, de la formation des chaînes de montagnes, et des effets des soulèvements continentaux. La relation entre ces deux ordres de faits est discutée d’une manière plus approfondie dans son livre sur la géologie de l’Amérique du Sud.

Les preuves d’un soulèvement récent constatées sur les côtes d’un grand nombre d’îles volcaniques amenèrent Darwin à conclure qu’en général les aires volcaniques sont des régions de soulèvement ; et il fut conduit, naturellement, à les opposer aux aires dans lesquelles, comme il le montra, la présence d’atolls, de récifs frangeants et de récifs-barrières, offre les preuves d’un affaissement. Il parvint de cette manière à dresser une carte des aires océaniques, les répartissant en zones soumises à des mouvements de soulèvement ou d’affaissement. Ses conclusions à cet égard étaient aussi neuves que suggestives.

Darwin reconnut très clairement le fait que la plupart des îles océaniques semblent être d’origine volcanique, quoiqu’il prît soin de signaler les exceptions importantes qui infirment, dans une certaine mesure, la généralisation de cette règle. Dans son Origine des espèces il a développé l’idée et émis la théorie de la permanence des bassins océaniques, que d’autres auteurs ont adoptée après lui et ont étendue plus loin, pensons-nous, que Darwin n’avait cru devoir le faire. Sa prudence sur ce point et sur les questions spéculatives du même genre était bien connue de tous ceux qui avaient l’habitude de les discuter avec lui.

Quelques années avant le voyage du Beagle, M. Poulett Scrope avait signalé les analogies remarquables qui existent entre certaines roches ignées à structure rubanée, telles qu’on en rencontre aux îles Ponces, et les schistes cristallins feuilletés. Il ne semble pas que Darwin ait eu connaissance du remarquable mémoire de Scrope, mais il appela l’attention, d’une manière toute spontanée, sur les mêmes phénomènes lorsqu’il entreprit l’étude de roches fort analogues qu’on observe à l’île de l’Ascension. Comme il venait d’étudier les grandes masses de schistes cristallins du continent Sud-Americain, il fut frappé du fait que les roches incontestablement ignées de l’Ascension offrent une répartition identique des minéraux constitutifs, le long de « feuillets » parallèles. Ces observations conduisirent Darwin à la même conclusion que celle à laquelle Scrope était arrivé quelque temps auparavant, c’est-à-dire que, lorsque la cristallisation s’opère dans des masses rocheuses soumises à des forces déformatrices très puissantes, il se produit une séparation et une distribution des minéraux constitutifs, suivant des plans parallèles. On a reconnu pleinement aujourd’hui que ce processus doit avoir été un facteur important dans la formation des roches métamorphiques, que les auteurs récents désignent sous le nom de dynamo-métamorphisme.

Dans l’étude de ce problème et d’un grand nombre d’autres analogues, exigeant des connaissances minéralogiques très exactes, il est remarquable de voir à quel point Darwin réussissait à découvrir la vérité au sujet des roches qu’il étudiait, à l’aide seulement d’un canif, d’une simple loupe, de quelques essais chimiques et du chalumeau. Depuis Darwin l’étude des roches en sections minces sous le microscope a été inventée, et est aujourd’hui du plus grand secours dans toutes les recherches pétrographiques. Plusieurs des îles étudiées par Darwin ont été explorées à nouveau, et des échantillons de leurs roches ont été recueillis pendant le voyage du navire de la Marine Royale le Challenger. Les résultats de l’étude qu’en a faite un des maîtres de la microscopie des roches, le Professeur Renard, de Bruxelles, ont été publiés récemment dans un des volumes des Rapports sur l’Expédition du Challenger. Il est intéressant de constater que, tandis que ces recherches récentes ont enrichi la science géologique d’un grand nombre de faits nouveaux et précieux, et que des changements nombreux ont été apportés à la nomenclature et à d’autres points de détail, tous les faits principaux décrits par Darwin et par son ami le professeur Miller ont résisté à l’épreuve du temps et d’une étude plus approfondie, et demeurent comme un monument de la sagacité et de la justesse d’observation de ces pionniers des recherches géologiques.


Retour au texte de l'auteur: Edmond de Nevers Dernière mise à jour de cette page le mardi 19 octobre 2010 18:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref