Charles-Robert Darwin, La descendance de l homme et la sélection sexuelle. Traduit de l Anglais par Edmond Barbier


 

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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La descendance de l’homme et la sélection sexuelle (1876)
Préface de Carl Vogt pour la 1re édition, 1869.


Une édition numérique réalisée à partir du livre de Charles-Robert Darwin (1809-1882), La descendance de l’homme et la sélection sexuelle. Traduit de l’Anglais par Edmond Barbier d’après la seconde édition anglaise revue et augmentée par l’auteur, 1874. Préface par Carl Vogt. Edition définitive ornée de 38 planches hors texte. Paris: Librairie C. Reinwald, Schleicher Frères, Éditeurs, 1876, 27 pp + 720 = 747 pp. ). Une édition numérique de Claude Ovtcharenko, journaliste à la retraite dans le sud de la France.

Préface de Carl Vogt
pour la première édition.

1869.
 

Mon ami, M. Reinwald, me demande une préface pour le nouveau livre de M. Darwin dont j’ai vu naître la première édition de la traduction française. 

M. Darwin me fait l’honneur de citer, à la première page de son œuvre, une phrase prononcée dans un discours que j’avais adressé, en avril 1869, à l’Institut national genevois. 

Je ne crois pouvoir répondre mieux à la demande de mon éditeur et ami, qu’en mettant ici, et à la place d’une préface, la plus grande partie de ce discours qui a reçu une approbation si flatteuse de la part d’un maître tel que M. Darwin : 

Dans toutes les sciences naturelles, nous pouvons signaler une double tendance des efforts faits pour les pousser plus loin et pour leur faire porter les fruits que la société est en droit d’attendre d’elles. D’un côté, la recherche minutieuse, secondée par l’installation d’expériences aussi dégagées que possible d’erreurs et de perturbations ; de l’autre côté, le rattachement des résultats obtenus à certains principes généraux dont la portée devient d’autant plus grande qu’ils engagent à de nouvelles recherches dans des branches de la science en apparence entièrement étrangères à celle dont ils découlent en premier lieu. Enfin, au fond de ce mouvement qui domine dans les sciences et par conséquent aussi dans la société (car on ne peut plus nier aujourd’hui que ce soit les sciences qui marchent à la tête de l’humanité entière), au fond de ce mouvement, dis-je, s’aperçoit ce besoin d’affranchissement de la pensée, ce combat incessant contre l’autorité et la croyance transmise, héritée et autoritaire, qui, sous mille formes diverses, agite le monde et tient les esprits en éveil. 

Aussi voyez-vous ce courant de liberté, d’affranchissement et d’indépendance au fond de toutes les questions qui surgissent les unes à côté des autres dans le monde politique, religieux, social, littéraire et scientifique ; – ici, vous le voyez paraître comme tendance au self-government, là comme critique des textes dits sacrés ; les uns cherchent à établir, pour les conditions d’existence de la société et des diverses classes qui la composent, des lois semblables à celles qui gouvernent le monde physique, tandis que les autres soumettent à l’épreuve des faits et des expériences les opinions et les assertions de leurs devanciers, pour les trouver, le plus souvent, contraires à ce qu’enseignent les recherches nouvelles. Partout se forment deux camps, l’un de résistance, l’autre d’attaque ; partout nous assistons à des luttes opiniâtres, mais dans lesquelles triomphera sans doute la raison humaine, dégagée de préjugés et d’erreurs implantées dans le cerveau par héritage et par l’enseignement pendant l’enfance. Ces luttes, toujours profitables à l’humanité, mettent en plein jour les liaisons qui existent entre les différentes branches des connaissances humaines ; aucune ne saurait plus prétendre à un domaine absolu, et souvent les armes offensives et défensives doivent êtres cherchés dans un arsenal établi en apparence bien loin du camp dans lequel on s’est enrôlé primitivement. En même temps, la somme de nos connaissances acquises s’accroît avec une telle rapidité, que l’organisation humaine la plus amplement douée ne suffit plus pour embrasser au complet, même une branche isolée. Aussi me permettrez-vous de restreindre mon sujet et de rechercher seulement, dans le petit domaine dont je me suis plus spécialement occupé, les manifestations de cette tendance générale que je viens de signaler. 

Comment se manifeste dans l’étude des sciences biologiques s’occupant des êtres organisés et ayant vie, cet esprit d’indépendance, cette tendance à briser les liens qui empêchaient jusqu’ici le libre développement de ces sciences ? D’une manière bien simple, messieurs. On ne croit plus à une force vitale particulière, dominant tous les autres phénomènes organiques et attirant dans son domaine inabordable tout ce qui ne cadre pas à première vue avec les faits connus dans les corps inorganiques ; on ne part plus, comme d’un axiome élevé au-dessus de toute démonstration, de l’idée d’un principe immatériel de la vie qui n’est combiné avec le corps que temporairement et qui continue son existence même après la destruction de cet organisme par lequel seul il se manifeste ; – non, on laisse absolument de côté ces questions et ces prétendus principes tirés d’un autre ordre d’idées, et on procède à l’analyse du corps organisé et de ses fonctions comme on procéderait à celle d’une machine très compliquée, mais dans laquelle il n’y a aucune force occulte, aucun effet sans cause démontrable ; – on part, en un mot, du principe que force et matière ne font qu’un, que tout dans les corps organiques, n’est que transformations et transpositions incessantes, compensation perpétuelle. Et en appliquant ce principe à l’étude des corps organisés, en s’affranchissant, en un mot, de toute idée préconçue et implantée, on arrive non seulement à des résultats et à des conclusions qui doivent rejaillir fortement sur d’autres domaines, on est même conduit à la conception d’expériences et d’observations qui auraient été impossibles, inimaginables dans une époque antérieure où toutes les pensées étaient dominées par l’idée d’une force vitale particulière. Dans ces temps-là, un mouvement était le résultat d’une volonté dictée par cette force vitale ; aujourd’hui il est devenu la conséquence nécessaire d’une irritation du système nerveux, et, pour le produire, l’organisme ne dépense pas de la force vitale, mais une quantité parfaitement déterminée et mesurable de chaleur, engendrée par la combustion d’une quantité aussi déterminée, de combustible que nous introduisons sous forme d’aliment. Le muscle, qui se contracte, n’est aujourd’hui qu’une machine, dont les effets de force sont déterminés aussi rigoureusement que ceux d’un câble de grue, et cette machine agit aussi longtemps qu’elle n’est pas dérangée, avec autant de précision qu’un câble inanimé. Aujourd’hui, nous détachons un muscle d’une grenouille vivante, nous le mettons dans les conditions nécessaires pour sa conservation, en empêchant sa dessiccation et sa décomposition, nous lui donnons, comme du charbon à une machine, de temps en temps le sang nécessaire pour remplacer la matière brûlée par l’oxygène de l’air, – et ce muscle isolé, sous cloche, séparé de l’organisme, non depuis des heures et des jours, mais même depuis des semaines, ce muscle travaille sur chaque irrigation que nous lui transmettons par l’électricité aussi exactement qu’une spirale de montre dès qu’il est monté ! Aujourd’hui, nous décapitons un animal, – nous le laissons mourir complètement, – mais, après cette mort, nous injectons dans la tête du sang d’un autre animal de la même espèce battu et chauffé au degré nécessaire, – et cette tête revit, rouvre ses yeux, et ses mouvements nous prouvent que son cerveau, organe de la pensée, fonctionne de nouveau et de la même manière comme avant sa décapitation. 

Je ne veux pas m’étendre ici sur les conséquences que l’on peut tirer de ces expériences. La physique inorganique nous prouve que chaleur et mouvement ne sont qu’une seule et même force, – que la chaleur peut être transformée en mouvement et vice versa ; – la physique organique, car c’est ainsi qu’on peut appeler aujourd’hui cette branche de la biologie, nous démontre que les mêmes lois régissent l’organisme ; – nous mesurons le mouvement de la pensée, nous déterminons la vitesse, peu considérable du reste, avec laquelle elle se transmet, et nous apprécions la chaleur dégagée dans le cerveau par ce mouvement. Mais, je le répète, nous n’aurions pu arriver à ces expériences et à leurs résultats si frappants, si observateurs et expérimentateurs n’avaient travaillé, avant tout, à l’affranchissement de leur propre pensée, s’ils avaient rejeté d’avance, avant de les tenter, toute idée transmise par les autorités, pour s’en tenir aux faits seulement et aux lois qui en découlent. Lorsque Lavoisier prit la première fois la balance en main pour constater que le produit de la combustion était plus pesant que la substance brûlée, avant cette opération, et que la combustion était, par conséquent, une combinaison et non une destruction, il partait nécessairement du principe de l’indestructibilité de la matière et détruisait en même temps ce phlogiston, cette force occulte et indémontrable que l’on avait invoquée pour expliquer une foule de phénomènes du monde inorganique, absolument comme on invoque encore aujourd’hui cette force vitale dont les retraites obscures sont forcées et éclairées tour à tour par le flambeau de l’investigation. 

Si nous constatons ici, dans le domaine de la physiologie, l’heureux effet de l’affranchissement de la méthode investigatrice, nous en pouvoir voir encore une manifestation brillante dans le domaine de la zoologie et de la botanique proprement dites. Je veux parler de la direction nouvelle imprimée à ces sciences ainsi qu’à l’anthropologie, par Darwin. 

Que veut, en effet, cette direction nouvelle qui se base, comme toute innovation, sur des précédents, mais, il faut l’avouer aussi, sur des précédents en grande partie oubliés et négligés ? 

Avant tout, elle veut combattre des opinions transmises, autoritaires, dictées par un tout autre ordre d’idées, et acceptées, jusqu’ici, comme on accepte mille choses, sans en examiner le fond. 

« Espèces sont, avait dit Linné, les types créés dès le commencement », et on avait accepté, tant bien que mal, cette définition qui suppose un créateur, un nombre considérable de types indépendants les uns des autres, et un renouvellement successif de l’ameublement organique de la terre, si j’ose m’exprimer ainsi, d’après le plan fixé d’avance dans les différentes époques de son histoire. – Cet axiome admis, il n’y avait plus, en réalité, à examiner les rapports des différents organismes entre eux, ni avec leurs prédécesseurs ; – chaque espèce étant une création indépendante en elle-même, il était, au fond, bien indifférent si le loup ressemblait au chien ou à la baleine ! 

Or, si plusieurs prédécesseurs de Darwin avaient osé s’insurger partiellement contre tel ou tel point de cet axiome, leurs voix étaient restées sans écho ; – ces insurrections avortées n’avaient contribué, comme en politique, qu’à mieux, asseoir le gouvernement existant et à faire croire à son infaillibilité. Mais aujourd’hui, grâce à Darwin, une révolution complète a été opérée, et les partisans du gouvernement déchu se trouvent à peu près dans la même situation que les chefs de mainte révolution ; – ils ne peuvent en aucune façon revenir aux anciens errements, mais ils ne savent que mettre à la place. Personne, en Europe au moins, n’ose plus soutenir la création indépendante, et de toutes pièces, des espèces ; – mais on hésite, lorsqu’il s’agit de suivre une voie nouvelle dont on ne voit pas encore l’issue. 

« Il faut accepter cette théorie, a dit un homme de grand sens, uniquement parce que nous n’avons rien de meilleur. Que pouvez-vous mettre à sa place ? » 

Je l’ai dit, – la nouvelle direction imprimée aux sciences zoologiques par Darwin n’est pas tant remarquable en elle-même que comme manifestation de cet esprit libre qui tâche de s’affranchir de liens imposés et qui veut voler de son propre essor. Elle veut rattacher les innombrables formes dans lesquelles s’est manifestée la vie organique à cette circulation générale qui anime le monde entier ; – pour traduire sa tendance par un mot emprunté à la physique, elle veut considérer les organismes comme des manifestations, enchaînées entre elles, d’une seule et même force, et non pas comme des forces indépendantes, depuis Lavoisier, sur le principe de la matière impérissable, les étonnantes découvertes de Mayer et de ses successeurs ont été engendrées par la conception de la force impérissable. Dans toutes les modifications de la forme, la quantité de force dépensée reste toujours la même ; la force est mutable en sa qualité, mais non en sa quantité ; elle est indestructible comme la matière ; – à chaque molécule, à chaque quantité appréciable de la matière est liée, d’une manière impérissable et éternelle, une quantité correspondante de force. Les manifestations extérieures de la force peuvent revêtir autant de formes différentes que la matière, – mais la quantité dépensée dans une opération ou mutation quelconque doit se retrouver dans une autre opération précédente ou suivante, et doit rester identiquement la même dans toute la série des phénomènes qui se sont passés antérieurement ou qui doivent suivre dans le cours du temps. 

N’oublions pas, messieurs, que ce principe, connu par Mayer, il n’y a pas encore trente ans, nous a valu la détermination de l’équivalent en force de la chaleur, l’identification de la chaleur et du mouvement, enfin toutes ces découvertes et applications magnifiques qui se succèdent depuis quelques années avec une rapidité si étonnante. Ne faut-il pas croire que l’application de ce même principe aux sciences organiques et descriptives s’y montrera tout aussi féconde qu’elle s’est déjà montrée dans les sciences physiques ? 

Que voulons-nous en effet ? Démontrer que les formes si innombrables de la nature organisée ne sont que des mutations d’un fond impérissable d’une quantité déterminée de matière et de force ; – démontrer que chaque forme organique est le résultat nécessaire de toutes les manifestations organiques qui l’ont précédée, et la base nécessaire de toutes celles qui vont la suivre ; – démontrer, par conséquent, que toutes les formes actuelles sont liées ensemble par les racines depuis lesquelles elle se sont élevées dans l’histoire de la terre, et dans les différentes périodes d’évolution que notre planète a parcourues ; démontrer, enfin, que les forces qui se manifestent dans l’apparition de ces formes sont toujours restées les mêmes, et qu’il n’y a pas de place, ni dans le monde inorganique, ni dans le monde organique, pour une force tierce indépendante de la matière, et pouvant façonner celle-ci suivant son gré ou son caprice. 

Tel est, ce me semble, le véritable noyau de ce qu’on est convenu d’appeler le Darwinisme ; son essence intime ne peut se définir autrement, suivant mon avis. Il n’importe que les uns suivent cette direction, pour ainsi dire instinctivement, sans se rendre compte des derniers résultats auxquels elle doit nécessairement conduire, tandis que les autres voient clairement le but vers lequel ils tendent ; – l’important est que cette direction se trouve, comme on dit, dans l’air, qu’elle s’imprime par le milieu spirituel dans lequel vit l’homme scientifique à tous les travaux, et qu’elle s’assoie même à côté de l’adversaire pour corriger ses épreuves avant qu’elles ne passent à la publicité. 

L’héritage et la transmission des caractères est dans le monde organique, ce qui, dans le monde inorganique, est la continuation de la force. Chaque être est donc le résultat nécessaire de tous les ancêtres qui l’ont précédé, et, pour comprendre son organisation et la combinaison variée de ses organes, il faut tenir compte de toutes les modifications, de toutes les formes passées qui, par héritage, ont apporté leur contingent dans la nouvelle combinaison existante. Et de même que la force primitive se montre dans le monde physique et suivant les conditions extérieures, tantôt comme mouvement, tantôt comme chaleur, lumière, électricité ou magnétisme, de même ces conditions extérieures influent sur le résultat de l’héritage et amènent des variations et des transformations qui se transmettent à leur tour aux formes consécutives. 

Une tâche immense incombe donc aujourd’hui aux sciences naturelles. Dans les temps passés, l’étude des formes extérieures suffisait aux buts restreints de la science ; plus tard il fallut ajouter l’étude de l’organisation intérieure autant dans les détails microscopiques que dans les arrangements saisissables à l’œil nu ; un pas de plus conduisait nécessairement, pour comprendre les analogies, les rapports et les différences dans la création actuelle (qu’on me passe le mot) vers l’embryogénie comparée, savoir la comparaison des différentes manières dont se construit et s’accomplit l’organisme depuis son germe jusqu’à sa fin ; il fallut avoir recours à la paléontologie, à l’étude des êtres fossiles qui ont précédé les formes actuelles, et cela dans le but de comprendre la parenté plus ou moins éloignée qui relie ces êtres entre eux. Aujourd’hui, il faut ajouter à tous ces éléments, éclairés d’un nouveau jour, l’étude des limites possibles des variations que peut présenter un type ; l’influence, éminemment variable des milieux ambiants sur les différents types, et construire ainsi pièce par pièce les organismes définitifs, mais variables, que nous avons devant les yeux. 

Eh bien, messieurs, peut-on raisonnablement croire que l’homme seul ne soit pas soumis à ces grandes lois de la nature, – que lui seul parmi les êtres organisés, ait une origine fondamentalement différente de la leur, – que seul il n’ait ni formes parentes, ni prédécesseurs dans l’histoire de la terre, et que son existence ne se rattache à aucune autre ? Vraiment, posée en ces termes, la question me paraît résolue d’avance ! Mais la conséquence qui découle nécessairement de ces prémisses, c’est qu’à l’anthropologie est dévolue la même tâche qu’à toutes les autres branches de l’histoire naturelle, qu’elle ne doit pas se contenter d’étudier l’homme en lui-même, et sous les différentes formes qu’il présente à la surface de la terre, mais qu’elle doit sonder ses origines, scruter son passé lointain, recueillir avec soin toutes les données que peuvent fournir ses fonctions, son organisation, son développement individuel, son histoire, dans le sens habituel du mot, mais en se rapportant à un passé bien antérieur, et qu’elle doit remonter ainsi, Comme la science le fait pour toutes les autres formes organiques, l’arbre généalogique jusque vers les branches congénères, portées par les mêmes racines, mais développées d’une manière différente. 

Les découvertes récentes ont ouvert un horizon immense aux études relatives à l’homme. Dans tous les pays nous remarquons une ardeur presque fiévreuse pour remonter aux origines de l’homme cachées dans les couches de la terre ; de tous les côtés, on apporte les preuves d’une antiquité bien reculée du type homme, que les imaginations les plus exaltées n’auraient jamais pu supposer jadis. Chaque jour cette Europe tant fouille par les générations passées ouvre son sein pour nous montrer des trésors nouveaux, ou pour nous donner, par des faits inaperçus jusqu’à présent, la clef d’une foule d’énigmes que nous ne savions résoudre. Nous assistons à cette époque où l’homme sauvage, montrant des infériorités très marquées dans son organisation corporelle, chassait dans les plaines du continent européen et de l’Angleterre le mammouth et le rhinocéros, le renne et le cheval sauvage ; nous suivons cet homme dans sa civilisation ascendante où il devient nomade, pâtre, agriculteur, industriel, commerçant, trafiqueur et fondeur de métaux ; là où l’histoire et la tradition nous font défaut, nous lisons les faits et gestes de cette antiquité préhistorique dans les pierres et les bois ! Et, tandis que les « curieux de la nature », comme s’appelaient, dans une académie célèbre les savants scrutateurs, poursuivent ainsi, de couche en couche, les gestes de l’activité humaine ; d’autres, non moins curieux, s’attachent à son organisation en reprenant un à un tous les caractères jusque dans leurs petits détails, en étudiant leur développement dans le cours de la vie depuis le premier germe jusqu’à la fin, ou bien s’adressant aux races, à leurs particularités, pour y trouver les preuves d’une infériorité ou supériorité relatives, dont les premières marquent les jalons de la route parcourue par le type homme lui-même, tandis que les autres indiquent la voie que ce type va suivre en s’élevant et en se modifiant. Les fonctions de l’organe de la pensée étant intimement liées à son organisation et dépendant de celle-ci, l’étude des manifestations de l’esprit et de la plus importante de ces manifestations, de la langue articulée, n’occupe pas une petite place dans les objets que l’anthropologie doit embrasser. 

Il faut avouer franchement, messieurs, que cette étude historique, comparative et génésique du type homme est encore dans l’enfance, et que tout ce qui a été fait jusqu’à présent n’est rien en comparaison de ce qui reste à faire. Est-il étonnant qu’il en soit ainsi, le principe dont découlent ces travaux n’ayant été introduit dans la science que depuis quelques années à peine ? 

Je n’ai rien à ajouter. M. Darwin prend l’homme tel qu’il se présente aujourd’hui, il examine ses qualités corporelles, morales et intellectuelles, et recherche les causes qui doivent avoir concouru à la formation de ses qualités si diverses et si com-pliquées. Il étudie les effets qu’ont produits ces mêmes causes en agissant sur d’autres organismes et, trouvant des effets analogues ont été en jeu. La conclusion finale de ces recherches, conduites avec une sagacité rare et égalée seulement par une érudition hors ligne, est que l’homme, tel que nous le voyons aujourd’hui, est le résultat d’une série de transformations accomplies pendant les dernières époques géologiques. 

Nul doute que ces conclusions trouveront beaucoup de contradicteurs. Ce n’est pas un mal, la vérité naît du choc des esprits.

Carl Vogt.


Retour au texte de l'auteur: Edmond de Nevers Dernière mise à jour de cette page le dimanche 28 septembre 2008 13:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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