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François Cosentini, La sociologie génétique. Essai sur la pensée et la vie sociale préhistoriques. (1905)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de François Cosentini, La sociologie génétique. Essai sur la pensée et la vie sociale préhistoriques. (1905) Introduction de Maxime Kovalewsky, Ancien professeur de Droit public à l'Université de Moscou. Paris Félix Alcan, Editeur. Ancienne librairie Germer Bailliére et Co., 1905. 205 pp. Une édition numérique réalisée par Gustave Swaelens, bénévole, journaliste retraité en Suisse.

Introduction

Maxime Kovalevsky.
Ancien professeur de Droit public à l'Université de Moscou 

Le livre de M. Cosentini arrive à son heure. Depuis des années, le public lettré, désireux de connaître le passé préhistorique de l'homme, est dans l'impossibilité de se frayer une voie à travers une masse prodigieuse de faits et de théories, qui se combattent plus qu'ils ne se soutiennent. Un scepticisme outré, ou ce qui ne vaut guère mieux, un éclectisme optimiste, enclin à s'accommoder de tout, à admettre les origines les plus fantastiques et les plus contradictoires à l'évolution humaine, finit par s'emparer des esprits. 

On donnait d'abord couramment pour origine à la religion, à la moralité et au droit le couple individuel ou la famille. On a vu récemment cette théorie s'effondrer avec fracas grâce aux découvertes de l'ethnographie. Et quelle est la conclusion que les sceptiques en ont tirée ou plutôt les conclusions, car il y en a plusieurs et des plus contradictoires? Les uns prétendent que ce qu'on a de mieux à faire, quand on s'occupe de l'histoire du droit, c'est de ne plus faire aucun cas de l'ethnographie, cette dernière n'ayant pas encore tiré au clair ses principales doctrines. Telle est, entre autres, l'opinion du célèbre jurisconsulte M. Dareste. II l'exprime avec son franc parler habituel dans la préface de ses Nouvelles Études d'histoire de droit. Et pourtant ce même savant avait témoigné naguère encore une certaine sympathie pour les études comparatives sur l'ancien droit et la coutume primitive. L'auteur de ces lignes a eu l'occasion d'en être satisfait pour son propre compte; il a aussi non seulement le droit, mais le devoir de rappeler les éminents services rendus à l'étude de nos origines par cette même méthode comparative, si habilement appliquée par Sir Henry Maine dans le domaine des antiquités juridiques hindoues, romaines, celtes, germaines et en partie slaves.

A côté des sceptiques, qui ne veulent tenir aucun compte des découvertes de l'ethnographie, se placent ceux qui admettent couramment la possibilité d'origines non seulement diverses, niais radicalement opposées à l'évolution sociale des peuples. Les uns auraient commencé par le matriarcat, les autres par la reconnaissance de l'autorité paternelle. Il y a eu, prétend-on, non une, mais un nombre infini de types d'évolution en correspondance directe, selon les uns, avec la race; selon les autres, avec le milieu physique ou encore avec les conditions économiques des peuples respectifs. [1]

Il existe enfin une théorie qui voudrait résoudre le problème de nos premières origines et de notre évolution successive par une espèce de méthode statistique. D'après le grand Tylor qui a rendu tant de services à l'étude de la « Culture primitive », on aurait lieu de se demander, par exemple, lequel des deux systèmes, celui du matriarcat ou celui du patriarcat, a été ou est encore le plus fréquent. Celui des deux régimes qui l'emporterait sur l'autre par le nombre de ses adeptes devrait être reconnu comme possédant à lui seul un caractère de généralité; ceci réduirait le régime contraire à n'être qu'une exception à la règle, une déviation de la marche commune de l'humanité.

Je ne partage personnellement aucune de ces façons de traiter le problème de nos lointaines origines. Les codes les plus anciens qui soient parvenus jusqu'à nous, qu'il s'agisse de droit égyptien, de droit hindou ou de cette admirable trouvaille, faite à Suse, d'une loi babylonienne, qui contient à elle seule tout un système de législation, système vieux de quatre mille ans, nous mettent déjà en présence d'une société savamment organisée. Il a fallu des siècles d'évolution pour élaborer le régime des castes dont il est question dans le code Manou, ainsi que dans l'Apastamba et qui, à ce qu'il semble, faisait encore défaut aux livres sacrés du Rig et de l'Atharva Véda. Que dire d'un système familial qui établit une différence entre la femme de première dignité, vraiment l'égale de son mari, et une femme de dignité secondaire, une espèce de maîtresse attitrée, sinon qu'un pareil système est loin d'être primitif? Et pourtant c'est bien celui que nous rencontrons tant dans la vieille Egypte qu'en Chine [2].

Comment reconnaître aussi un caractère archaïque au régime matrimonial de la loi d'Hammourabi récemment découverte à Suse? Cette loi ne se prononce-t-elle pas en effet en faveur de la monogamie, d'une seule femme légitime, le mari ne pouvant prendre de concubines, ne pouvant les introduire dans sa maison, que dans le cas où il n'aurait point d'enfants de son premier lit. Encore cette concubine qui rappelle de si près la femme de seconde dignité des Egyptiens et des Chinois, ne peut‑elle jamais occuper un rang égal à celui de l'épouse [3].

Ainsi, plus de doute sur l'impossibilité de remonter aux premières origines de notre évolution juridique et morale en étudiant les documents mêmes les plus anciens de la législation écrite. Force est de recourir à la coutume, à l'étude des moeurs et des traditions; ou encore à cette source inépuisable de « survivances » d'un passé souvent très éloigné que présente le folk-lore, les usages et le rituel populaires.

Ce n'est pas en Sicile qu'on ignore le profit d'une pareille étude, dans la Sicile qui nous a donné par l'œuvre de M. Pitré, le modèle peut-être le plus complet d'une enquête systématique des mœurs, coutumes, habitudes et traditions populaires. Aussi M. Cosentini est-il pleinement autorisé à dire dans la belle conclusion de son livre:

«L'histoire nous présente de grandes révolutions, qui, à première vue, semblent avoir transformé tout ordre de choses; mais elles ne modifient pas la trame des coutumes, des croyances, des manifestations sociales avec une rapidité correspondant à l'intensité de ces perturbations extérieures. Ce phénomène nous permet d'étudier le passé dans le présent; et l'exactitude des observations, la profondeur des recherches seront seulement possibles, si l'on examine scientifiquement le folk-lore de chaque pays. »

S'il est impossible de renoncer aux données ethnographiques dans l'étude de la genèse des sociétés, est-on d'autre part autorisé à se contenter de la simple constatation de ce fait, que les croyances, les coutumes;les habitudes, les goûts des tribus qui peuplent le globe ou qui l'ont habité jadis, sont tout aussi variés que leurs langues, et que par conséquent on ne peut les classer dans un ordre de progression? Tel n'est point mon avis, ni heureusement celui de l'auteur du livre, dont j'écris ici l'introduction.

Admettre que l'évolution des diverses nationalités et races a pu se faire dans un sens souvent opposé, que les uns, pour reprendre un exemple cité plus haut, ont passé du matriarcat au régime patriarcal, que les autres ont interverti l'ordre de succession entre les deux régimes, équivaut à mes yeux à la négation de toute science et plus particulièrement de celle que j'appellerais volontiers du nom d'embryogénie sociale. A quoi nous servirait, en effet, dans ce cas, le contrôle exercé par l'histoire vis-à-vis de l'ethnographie, contrôle qui nous permet d'établir du moins ce fait, que les temps non seulement se suivent sans se ressembler, mais que les changements qu'ils apportent avec eux, se font dans un ordre qui ne peut aucunement être interverti. C'est ainsi que le fétichisme et plus particulièrement l'animisme précèdent le polythéisme, c'est ainsi que le clan est antérieur à la cité et la cité à l'État. On n'a jamais vu et on ne verra jamais un peuple remplaçant ses opérations de crédit, ses ventes et ses achats par le simple troc, ou revenant à la vengeance du sang versé, après avoir essayé au préalable le régime de la poursuite des criminels par l'Etat. Tout cela nous paraît aujourd'hui de la dernière évidence. Mais il n'y a pas encore cent ans, alors que Niebuhr arrivait à découvrir dans les Institutes de Gaïus la mention d'une organisation gentilice antérieure à l'existence de l'État et la confrontait avec les Slachten ou Geschlechter de Dithmarschen, tout cela était du dernier neuf. Il est également certain qu'avant la découverte de l'animisme par Tylor, on était loin de reconnaître au culte des esprits, dont il est tant question dans les livres sacrés de l'Inde et de la Perse, ainsi que dans les poèmes homériques, le caractère d'une croyance antérieure à toute mythologie polythéiste ou monothéiste, à toute religion nationale ou universelle.

C'est à l'étude parallèle de l'ethnographie, du folk-lore, de l'histoire de la religion et du droit, que nous sommes redevables de toutes ces belles découvertes; c'est le concours réciproque que ces sciences encore si jeunes se sont accordé qui a permis d'établir l'ordre de progression, l'ordre génétique, dans l'évolution des croyances, des institutions et des moeurs. C'est là un fait qu'on ne doit point perdre de vue en face de ce scepticisme, considéré de nos jours comme le dernier mot de la sagesse, et qui consiste à nier un ordre irréversible dans l'évolution du mariage et de la famille. A ceux qui ne veulent point se départir de l'idée d'une patria potestas et d'une manus primitives à l'exemple de celles que nous révèle le droit romain, qu'il me soit permis de rappeler le grand empêchement que la reconnaissance d'une telle autorité trouvait dans l'âge précoce du père et de l'époux. Chez mainte tribu sauvage ou barbare, les mariages se font entre enfants. On n'attend pas le développement de la puberté. Il en était de même chez les anciens Hindous; Botlinck cite des vers sanscrits qui proclament que les pères des filles qui restent non mariées jusqu'à l'apparition des premières règles sont condamnés à l'enfer. Non seulement le père, mais encore la mère et le frère aîné doivent descendre en enfer s'il arrive que la fille voie ses premières règles avant d'être mariée. [4]

Le Dr Mechtnikoff, un des trois directeurs de l'institut Pasteur, déclare incontestable le fait que les mariages contractés avec les filles non encore réglées peuvent être féconds. « Il n'est pas déraisonnable de supposer, écrit‑il, que dans les temps primitifs, ces mariages des fillettes non pubères devaient être beaucoup plus fréquents, sinon tout à fait réguliers. Les progrès de la culture seuls ont amené un recul plus ou moins considérable de l'âge matrimonial [5]. Mais des mariages contractés entre enfants ne peuvent conduire qu'à la reconnaissance du droit et du devoir de protection vis-à-vis de la femme et de sa progéniture, incombant non à l'époux trop jeune, mais à l'homme mûr, frère aîné de la mariée. Tel a été en effet et tel est encore le cas de tous les peuples, qui comptent la parenté du seul côté de la mère et qu'on considère pour cette raison comme soumis au régime du matriarcat. Il est bien entendu que cette autorité du frère aîné est tout autre chose que la gynécocratie admise sans autre preuve à l'appui que celle des Amazones légendaires par le savant suisse Bachofen. Les doutes que devait nécessairement provoquer une pareille assertion, par suite de l'état d'enfance dans lequel se trouvait la jeune mère, n'ont pas de prise contre la théorie qui reconnaît au frère aîné de la mariée l'autorité de tuteur, autorité qui manque encore à l'époux et au père.

Parmi tant d'autres ethnologues, M. Mazzarella est peut‑être celui qui a le mieux mis en évidence le rôle que le frère de la mère joue dans la famille matriarcale. Je suis, pour cette raison, fort aise de trouver le nom de ce jeune érudit parmi les autorités que M. Cosentini cite en faveur du passage des sociétés du régime maternel à celui dont le père forme la base. Malgré quelques réticences de langage et une grande circonspection qui l'empêchent de se mêler aux débats dont le régime primitif de la famille fait l'objet, M. Cosentini relève, on ne peut mieux, les contradictions dans lesquelles tombent les adeptes de la théorie patriarcale.

Comment ne pas reconnaître en effet que la famille basée sur le pouvoir du père et du mari ne correspond point à l'ensemble des conditions dans lesquelles s'écoulait l'existence de nos aïeux les plus reculés? « Si l'on considère (lisons-nous dans l'ouvrage que j'analyse) que les premières communautés humaines ont dû se former pour la défense commune, pour la nécessité de lutter en commun, et que les sentiments domestiques ne pouvaient pas se développer dans la confusion des grottes et des cavernes, on pourra conclure que le droit, pour ainsi dire social, dut précéder le droit familial. »

Il nous reste maintenant à donner notre avis sur l'application de la méthode statistique aux questions d'ethnographie. Le grand obstacle qui s'oppose à l'application d'un pareil procédé est cette tendance à l'imitation, dont nul mieux que M. Tarde n'a révélé la nature et la portée. Si de nos jours, des religions, parties de la Judée, de l'Arabie ou des Indes ont conquis peu à peu le globe, si Rome a pu devenir le foyer dune législation qui régit l'Allemagne; si de nos jours encore l'Angleterre a imposé son modèle de gouvernement aux deux continents, on est en droit de se demander pourquoi des courants d'imitation ne se seraient pas également produits entre les peuples dont s'occupe l'ethnographie. Pour ma part l'étude des indigènes du Caucase ne m'a laissé aucun doute sur le fait que l'ancien droit écrit n'a pas toujours été le reflet, mais souvent aussi la cause déterminante de certaines normes du droit coutumier. On retrouverait dans maint précepte de la loi verbale qui règle les rapports civils des Chevsours, des Pschars ou des Ossèles, les traces de l'influence exercée sur leurs ancêtres les plus reculés par l'Avesta, par le droit romain dans les limites où il fut accepté en Arménie [6], enfin par le droit géorgien.

Il m'est également arrivé plus d'une fois de constater dans le droit coutumier des paysans de la grande et de la petite Russie de nombreuses survivances des anciens monuments législatifs, tels que la Pravda de Jaroslav qui remonte au Xe siècle, et surtout le fameux statut de Lithuande, qui jusqu'au XVIIIe siècle a réglé les querelles des Cosaques du Dniéper.

La conclusion que je tire d'un grand nombre de faits analogues me fait supposer que le calcul des degrés de la parenté, non par stirpes, mais par classes, ainsi qu'il se pratique encore de nos jours chez les Peaux-Rouges étudiés par Morgan comme chez les Négritos de l'Australie, a bien pu gagner les îles voisines de la Mélanésie. Pourquoi les avantages que présente une famille bien unie sous l'autorité d'un seul père et d'une seule mère n'auraient-ils pu déterminer le triomphe définitif du couple patriarcal et monogame sur la famille consanguine? Ceci une fois reconnu, le patriarcat n'aurait pas eu de peine à se répandre comme une tache d'huile au milieu des civilisations jadis soumises aux régimes matriarcal, polyandre ou polygame.

On n'a jamais pu citer un seul exemple d'une société patriarcale adoptant un ordre de parenté dont la mère forme le point de départ, tandis que l'évolution contraire s'est plus d'une fois produite, comme l'attestaient encore naguère MM. Spencer et Gillen dans leur ouvrage magistral sur les Indigènes de l'Australie Centrale [7]. L'hypothèse d'une imitation presque universelle une fois admise, pouvons-nous prétendre qu'un système juridique, une institution, une coutume, doit être déclarée typique pour cette seule raison qu'elle est la plus répandue? Évidemment non, car rien ne prouve que ce qui n'est plus que l'exception n'a pas été jadis la règle commune. J'ai du plaisir à constater que M. Cosentini, dans sa tentative pour nous faire connaître la psychologie collective de l'humanité à sa période la plus reculée, s'est bien gardé de recourir à la méthode statistique, dont on voudrait aujourd'hui élargir la sphère d'application au delà de ses vraies limites.

Dans un aperçu sociologique, tel que celui qu'il nous donne, l'auteur est nécessairement forcé de s'en tenir aux généralités. Aussi les mythologistes, les historiens du droit et de la morale auraient-ils tort de reprocher à ce premier essai d'embryogénie sociale son manque de détails et de documentation. Il en serait de même des archéologues et des anthropologistes dont M. Cosentini a aussi cherché le concours dans son exposé des conditions de l'existence matérielle des primitifs. Ce qu'il faut surtout chercher dans le livre qu'il nous offre, c'est un tableau d'ensemble, tableau dont toutes les parties correspondent intimement entre elles.

L'auteur s'est inspiré de toutes les découvertes récentes de la biologie, de l'archéologie, de l'histoire du langage, des croyances, des moeurs et des coutumes, pour nous faire connaître l'enfance de l'humanité, et c'est là un travail non seulement, utile, mais nécessaire. Nécessaire, car nous finissons par être submergés de faits d'apparence contradictoire.

Les métaphysiciens profitent de notre embarras de richesse, de notre incapacité ou de notre nonchalance à tirer des conclusions générales, pour reprendre leur ancien refrain d'idées innées, d'impératifs catégoriques de l'esprit, de droit naturel.

Il est temps de mettre fin à tout ce verbiage de plus en plus creux, car le revival idéaliste dont nous avons devant nous le spectacle attristant, a cela de particulier qu'il n'apporte avec lui rien qui ressemble à un nouveau système de philosophie ou à une méthode nouvelle d'investigation. Il ne suffit pas, en effet, de prôner les avantages de la soi-disant observation intérieure; il faut encore démontrer l'inanité des critiques qui lui ont été adressées et qui tendent à lui enlever tout caractère scientifique. Aussi suis-je heureux de trouver dans le livre de M. Cosentini, parmi tant d'autres idées sinon entièrement neuves, du moins bien assises, celle d'une morale naissant avec le phénomène de la vie sociale, d'une morale évoluant de pair avec la sociabilité et réduite au rôle de régulatrice des rapports de convivance entre les hommes.

La morale ne doit point ses origines à la religion, nous dit l'auteur, encore moins peut‑on la considérer comme se développant en dehors de toute société; sans la société la vie morale n'est pas possible. Mais si la morale naît en dehors de la religion, qui de son côté provient de l'animisme, leur rencontre a dû nécessairement être suivie d'une pénétration mutuelle. La morale s'est empreinte du culte des aïeux, et ce culte a acquis en même temps un caractère moralisateur. Les pages dans lesquelles M. Cosentini parle de certains rapports moraux existant déjà dans le monde animal, et toujours à la suite de la naissance préalable des rapports sociaux, trouvent une confirmation complète dans le bel ouvrage de M. Sutherland sur l'évolution de l'instinct social [8], ainsi que dans cette série d'articles ingénieux et admirablement écrits que le prince Kropotkine a publiés dans le Nineteenth Century de Londres et qui viennent de paraître en volume sous le titre de Mutual-Aid (secours mutuel).

M. Cosentini est en parfaite conformité d'idées avec les auteurs que je viens de citer lorsqu'il déclare que l'amour sexuel et l'amour des parents pour leur progéniture, qui ont déterminé la constitution des sociétés animales, furent aussi le point de départ de l'évolution de la morale humaine.

C'est eux qui établirent les premiers liens d'affection, de sympathie réciproque entre les hommes. Au fur et à mesure que des hordes détachées vinrent former un seul tout afin de mieux résister aux agressions, ces liens d'affection et de sympathie réciproques s'étendirent de plus en plus. Cette extension s'est accomplie au fur et à mesure du concours apporté par tous les membres d'un même groupe à la production, concours qui se manifeste par une division du travail et un échange des produits. La vie commune devint de la sorte le point de départ du sentiment de solidarité dont l'évolution progressive est celle de la morale elle-même.

Je crois que M. Cosentini a rendu un réel service à la science de nos origines en mettant en système les conclusions sociologiques auxquelles nous nous sommes péniblement élevés dans le courant du siècle qui vient de finir. Son livre aura le mérite d'attirer l'attention de bien des personnes étrangères à l'archéologie, à l'ethnographie et au folklore sur l'importance des problèmes soulevés par ces sciences encore fort jeunes, mais dont l'avenir est désormais assuré.

MAXIME KOVALEVSKY.

*****


[1] Telle est notamment la théorie de M. Grosse.

[2] Précis de droit égyptien comparé. Paris, 1902.

[3] V. L'article de M. Dareste: Le code babylonien d'Hammourabi. Journal des Savants, 1902. oct. nov.

[4] V. Ploss. Das Weib. 7. AufI. Bd. 1, pp. 615-625.

[5] Etudes sur la nature humaine. Paris, 1903, p. 116 et 117.

[6] Fort curieux à cet égard est le recueil du juriste arménien Mehitar Goche, recueil dont une partie seulement est entrée dans le code géorgien. Le travail de Goche ne contient que des règles de droit romain.

[7] The natives tribes of Central Australia, par Baldwin Spencer et E.-J. Gillen. Londres, 1899.

[8] The origin and growth of the moral instinct. New-York, 1898. 2 vol.


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Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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