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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Livres canoniques du second ordre ou Petits Kings
Le Tcheou-li, ou Rites des Tcheou (1851)
Table des matières


Une édition électronique sera réalisée à partir du texte Le Tcheou-li, ou Rites des Tcheou : tome premier. traduits et annotés par Édouard BIOT (1803-1850). Imprimerie Nationale, Paris, 1851. Tome I, 500 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

INTRODUCTION

de J.B. BIOT

 

La singularité du livre que l’on présente ici, traduit pour la première fois, dans un idiome européen, et les circonstances qui ont accompagné sa publication posthume, nous ont paru nécessiter quelques explications préliminaires.

Qu’est‑ce que le Tcheou-li ? Quelles difficultés y avait-il pour le transporter dans notre langue, et quels secours a-t-on eus pour les surmonter ? Dans quel état se trouvait cette entreprise à la mort du traducteur, et comment a-t-on pu en terminer l’exécution ? Enfin, dans quel ordre, et dans quel esprit, faut‑il lire cet ouvrage, pour en saisir l’ensemble, et apprécier l’importance des documents historiques qu’il renferme ? Voilà les questions diverses que l’on se propose de traiter dans cet avertissement.

Je n’ai pas à discuter l’authenticité du texte. Le traducteur l’a suffisamment établie dans son introduction, en résumant les recherches approfondies auxquelles les lettrés chinois l’ont soumis, depuis près de vingt siècles. J’admets aussi, qu’ayant mis à profit, pendant beaucoup d’années, les savantes leçons qui ont maintenant rendu chez nous accessible l’intelligence de la langue chinoise ancienne, sa traduction a pu être généralement fidèle, quand elle s’applique à des narrés de faits, à des transcriptions de dates, ou au simple exposé de fonctions administratives, de prescriptions légales, de rites religieux, minutieusement définis ; ce qui comprend toute la partie essentiellement historique de l’ouvrage, celle que nous avons surtout intérêt à connaître, et à posséder. Je me supposerai enfin disposant, comme lui, de toutes les données que les livres chinois peuvent fournir, sur la géographie et l’histoire de la Chine ancienne, sur l’état social, les connaissances pratiques, les mœurs, les usages des populations indigènes ou étrangères, qui ont successivement occupé cette extrémité reculée de l’Orient, dans un isolement presque absolu du reste du monde. Prenant alors le Tcheou-li, tel qu’il se présente, et que nous pouvons maintenant le lire, je tâcherai d’en donner une idée générale, et de signaler le point de vue, sous lequel il peut spécialement nous intéresser.

Montrons d’abord le lieu de la scène. J’emprunte cette description au traducteur.

« D’après les données authentiques, consignées dans les livres sacrés et dans les quatre livres classiques qui forment la base de l’ancienne histoire chinoise, les premiers habitants de la Chine étaient des peuplades sauvages, et chasseurs, au milieu desquels s’avança entre le XXXe et le XXVIIe siècle avant notre ère, une colonie d’étrangers, venant du nord‑ouest. Cette colonie est généralement désignée dans les textes, sous le nom de peuple aux cheveux noirs, sans doute, par opposition à la couleur différente ou mêlée, des cheveux de la race indigène, dont quelques débris habitent encore ¤3 les montagnes centrales de la Chine. Elle est appelée aussi les cent familles, le mot cent étant pris dans une acception indéfinie. Son existence paraît avoir été alors purement pastorale ; mais la nature des contrées qu’elle avait envahies modifia graduellement ce que cette manière de vivre avait d’absolu, en la portant vers l’agriculture. Ses premières opérations présentent beaucoup d’analogie avec celles des planteurs qui vont défricher les forêts de l’Amérique septentrionale ; si ce n’est qu’elles s’exécutèrent avec plus d’ensemble, par des tribus entières, distinctes les unes des autres, au lieu d’être conduites par des individus isolés. D’abord, le chef souverain, ou empereur, de cette association, fut choisi par l’élection générale ; et cela se continua ainsi, jusqu’au XXIIe siècle avant notre ère. A cette époque, la souveraineté fut attribuée à la famille des Hia, dont le chef, nommé Iu, s’était distingué en dirigeant avec habileté de grands travaux de desséchement. Alors commencèrent les premières entreprises de cultures régulières, substituées au pacage des bestiaux. Peu à peu chaque famille s’augmenta, s’étendit sur le territoire qu’elle s’était approprié, et devint une grande tribu distincte, comme celle des Hébreux, comme les clans de l’Ecosse. La famille des Hia régna près de cinq cents ans, et fut détrônée par une autre famille, celle des Chang, qui continua l’occupation progressive du territoire. Sous cette seconde dynastie, la famille ou tribu des Tcheou, forma un nouveau centre de civilisation, à l’ouest des autres, dans la vallée de la grande rivière Weï, qui, après un long cours, dirigé vers l’est, rejoint le fleuve Jaune aux environs du 34e parallèle. Elle y fonda un nouveau royaume, qui fut progressivement agrandi par ses conquêtes sur les peuples barbares, et fortifié par ses alliances avec eux. Au XIIIe siècle avant notre ère, des dissensions commencèrent à s’élever, entre la famille des Tcheou et la famille souveraine, celle des Chang. Elles se prolongèrent jusqu’à la seconde moitié du XIIe siècle. Alors, le chef des Tcheou, Wou‑wang, secondé par d’autres chefs de tribus chinoises et barbares, vainquit Cheou-sin, le chef des Chang, et fut investi du pouvoir souverain, qui se trouva ainsi transporté dans sa famille. »

L’association des tribus chinoises fut alors reconstituée sur de nouvelles bases. C’est ce code nouveau d’institutions politiques, qui est exposé dans le Tcheou-li comme l’exprime son nom même, rites, ou règlements, des Tcheou.

La rédaction de ces règlements est attribuée, par une tradition constante, à Tcheou‑kong, frère de Wou‑wang, le chef de la nouvelle dynastie. La mémoire de ces deux hommes s’est perpétuée dans les annales de la Chine, accompagnée d’une immense vénération. Longtemps après que les liens politiques et sociaux qu’ils avaient établis, furent brisés, par l’ambition des chefs des autres tribus, qui se rendirent plus tard indépendants du pouvoir central, Confucius, Meng‑tseu, tous les historiens, tous les philosophes, les ont représentés comme les modèles des princes ; et ils ont constamment rappelé le souvenir de leurs institutions aux souverains postérieurs, comme ayant donné la plus grande somme possible, d’ordre, de paix, et de bien‑être aux populations qui vivaient sous leur ¤5 gouvernement. Aujourd’hui, après trois mille ans, la plupart des offices administratifs établis dans le Tcheou-li subsistent encore, avec les seuls changements de dénomination ou d’attributions, qui sont devenus nécessaires pour continuer de les rendre applicables à un empire devenu beaucoup plus vaste, ainsi qu’à une société dans laquelle les conditions de la propriété et l’état des personnes ont été modifiés par le temps. La dynastie étrangère qui règne maintenant sur la Chine, a introduit autour d’elle l’accompagnement habituel des cours orientales, le faste, le despotisme, la servilité ; mais, à l’exemple des premiers conquérants mongols, elle a changé le moins possible l’ancien mécanisme de l’administration du peuple, et le système séculaire de l’immobilité au dedans, de l’isolement au dehors. Lorsque, depuis cent cinquante ans, les souverains de l’Europe se sont avisés d’envoyer des ambassadeurs à la cour de Péking, pour lier des relations de commerce, et montrer la civilisation de l’Occident à ces barbares, on s’est fort étonné du singulier accueil que le gouvernement chinois leur a fait. Des mandarins sont chargés de les recevoir à leur entrée dans l’empire ; ils les conduisent, avec force compliments, à la résidence impériale, dans une continuelle surveillance, par journées d’étapes, sans leur permettre le moindre contact avec le peuple, ni le moindre écart de la ligne tracée. Arrivés à Péking, on les tient honorablement au secret, eux et leur suite, pendant le peu de semaines qu’on les y laisse séjourner. Après de difficultueuses négociations, pour régler les conditions du cérémonial auquel ils doivent se soumettre, on leur accorde une audience de réception ; ¤6 quelques jours plus tard, une audience de congé ; puis on leur signifie poliment l’ordre de départ, et l’obligation immédiate de se remettre en route, pour sortir de l’empire, sous les mêmes conditions honorifiques d’entourage et de surveillance rigoureuse. Tout cela n’est point d’invention moderne. C’est un rite ; le rite même qui est établi depuis trois mille ans dans le Tcheou-li. Car on y voit déjà l’institution d’officiers spéciaux appelés agents de la rencontre, pour aller au‑devant des visiteurs étrangers, et d’autres appelés entoureurs, pour les entourer effectivement et les surveiller pendant le voyage, aller et retour. Quand on lit, dans le tome XI des Lettres édifiantes, le récit des deux audiences accordées, en 1727, par l’empereur Young‑tchin, à l’ambassadeur de Portugal, Don Metello de Souza, on y trouve toutes les formes rituelles prescrites dans le Tcheou-li. A la première, l’audience de réception, l’empereur lui fait dire d’abord, par ses interprètes :

— Vous avez eu beaucoup à souffrir, dans un si long voyage. Comment vous portez‑vous ?

C’est le rite de la consolation. A la seconde, l’audience de congé, l’empereur lui offre le vin de cérémonie, dans une coupe d’or, avec ces paroles :

— Buvez tout, si vous pouvez ; sinon, usez‑en à votre satisfaction.

C’est encore un rite du Tcheou-li ; c’est la formule d’invitation que le souverain adresse aux princes feudataires, quand il leur offre un repas de cour. La conservation si minutieusement fidèle de formes, de règlements, d’institutions civiles, politiques, administratives, qui remontent à une antiquité si éloignée, est un phénomène moral tellement remarquable, qu’il suffirait déjà pour donner le ¤7 plus haut intérêt historique à la traduction du livre qui les renferme ; mais cet intérêt devient bien plus grand encore, quand on y étudie ces institutions antiques, dans leur application immédiate à la société primitive, qu’elles ont servi à organiser et à régler pour un si long temps.

Aucune nation occidentale ne nous a laissé un document pareil. La Bible seule s’en rapproche, par les nombreux souvenirs de faits, de lois, d’usages antiques qu’elle nous retrace ; mais, dans sa sublimité religieuse, elle présente un tableau historique plus étendu et moins détaillé. Le traité de Codinus sur les offices de la cour de Constantinople, le recueil intitulé Notitia dignitatum utriasque imperii Orientis et Occidentis, le livre de Constantin Porphyrogénète sur les cérémonies de la cour byzantine, offrent bien quelques traits analogues pour une époque incomparablement plus moderne ; mais, dans les deux premiers, les offices sont plutôt énumérés par leurs titres que mis en action ; et l’on n’y voit aucunement leurs rapports avec la condition générale du peuple. L’ouvrage de Constantin nous montre les dignitaires de l’empire occupant certaines places, certains rangs, ou remplissant certaines fonctions dans plusieurs grandes solennités ; mais ils figurent seulement comme partie du cortège ; et l’écrivain couronné veut plutôt vous montrer dans quel ordre ils accompagnent sa personne, qu’il ne songe à spécifier les particularités de leurs charges individuelles, ou le rôle qu’ils remplissent dans l’ensemble du mécanisme administratif et militaire. Ces spécifications, si importantes pour nous, ne peuvent qu’être inférées de ces données disjointes, au moyen d’un travail de restitution très difficile, qui exige beaucoup d’érudition et de critique, sans qu’on puisse éviter qu’il ne laisse encore beaucoup de résultats incomplets et de points douteux.

Dans le Tcheou-li, au contraire, il n’y a aucun nuage de ce genre. Tous les rouages politiques et administratifs y sont exposés avec une entière évidence, tant leurs spécialités propres, que leurs rapports d’action. Tous les offices qui concourent au mécanisme général du gouvernement, depuis celui du souverain, jusqu’à celui du dernier magistrat du peuple, y sont individuellement décrits, réglés, fixés, jusque dans les moindres particularités de leurs attributions et de leurs devoirs. C’est ce qui donne à ce livre une si grande importance historique, et le rend si instructif pour nous, quand nous le reportons à son temps, ainsi qu’à l’état social qu’il a eu pour but d’ordonner. Le traducteur a tracé lui-même, dans son introduction, le plan de cette étude rétrospective. Les matériaux en sont répartis dans son texte, suivant l’ordre naturel de succession, et de mutuelle dépendance, que la raison politique leur assignait. Il suffit de les rapprocher, de les grouper ensemble, pour voir le système complet d’organisation qu’ils forment ; système dont la conception, l’application réellement effectuée, et le souvenir conservé avec une invariable reconnaissance, offrent à nos idées européennes, le phénomène moral peut‑être le plus étrange que l’histoire nous ait jamais révélé. On en va juger ; car ce travail de raccordement était si facile que j’ai essayé de le faire. Tous les éléments du tableau que je vais tracer sont textuellement tirés du Tcheou-li. Je les ai seulement disposés dans l’ordre qui m’a paru le plus favorable pour que l’on pût bien saisir leur ensemble, et leurs rapports.

L’empire des Tcheou est partagé en royaumes, gouvernés par des princes, feudataires d’un souverain unique. Celui-ci règne sur tous. Lui seul constitue les royaumes, détermine leurs emplacements, les limites de leurs territoires, la localité dans laquelle leur capitale doit être érigée. Il désigne et installe leurs chefs, littéralement leurs pasteurs, les astreint aux formes de gouvernement qu’il a établies pour son propre royaume, et en fait respecter la constante exécution par des agents spéciaux. Il constate leur soumission par des visites périodiques qu’il en exige ; et les révoque, les dépose, ou les réprime, même par la force des armes, s’ils contreviennent à ses lois. Le feudataire déposé cesse d’être. On lui dresse un autel funèbre, comme s’il était mort. Tous leurs rapports avec lui, et entre eux, sont réglés par des rites religieux dont nul ne peut s’écarter, pas même l’empereur. Ces rites sont tellement spécifiés ; ils fixent si minutieusement les actes de la vie publique, ceux de la vie privée, même les vêtements, les paroles et les postures, dans les relations officielles de tous les ordres de l’État, qu’ils semblent avoir eu pour but de fonder l’immutabilité du gouvernement, sur l’immutabilité physique et morale des individus, en leur rendant toute spontanéité impossible.

Voilà l’intention qui domine dans toute cette organisation.

Retour à l'ouvrage Le Tcheou-li, ou Rites des Tcheou (1851) Dernière mise à jour de cette page le jeudi 11 janvier 2007 16:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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