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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les Cinq Livres canoniques ou Grands Kings
Le
YI KING, Traduction de Charles de Harlez (1832-1899)
Extraits


Une édition électronique réalisée à partir du texte Les Cinq Livres canoniques ou Grands Kings, Le YI KING. 1. Traduction de Charles de HARLEZ (1832-1899), extraite de Le Livre des mutations, éditions Denoël, Paris, 1959. — 2. Quatre articles de Ch. de HARLEZ sur le Yi-king parus au Journal Asiatique (1887-1891-1893-1896), Bibliothèque Gallica. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT

Le Yi-king. Sa nature et son interprétation.

 

… Si mon ouvrage a reçu l’approbation complète de sinologues des plus distingués, il n’a pas été parfaitement compris de tous les savants, et cela, je le reconnais bien volontiers, un peu par ma faute. Il est vrai que pour en bien saisir la portée, il faut être non seulement spécialiste, mais encore tout particulièrement versé dans l’étude du Yi-king et de la littérature ; mais cela n’explique pas tout. On comprend qu’en voyant une introduction aussi longue précéder la version, on ait dû croire que mon système était compliqué et demandait des preuves nombreuses, difficiles à fournir. En y lisant que j’avais écarté du texte tout ce qui était d’art augural, on devait naturellement penser que j’y avais fait des coupures assez nombreuses, que je l’avais plus ou moins remanié.

Or c’est le contraire qui est vrai ; je n’y ai rien, absolument rien retranché ; je ne l’ai changé en rien ; je n’ai ajouté ni supprimé aucun mot. Mon texte est exactement le même que celui de MM. Legge, Macklatchie et Philastre, et ce texte je l’ai traduit comme l’aurait fait tout savant chinois ou tout sinologue entre les mains duquel il serait tombé dépourvu de certains de ses commentaires qui en donnent une idée des plus fausses. Ce que j’en retranche, ce sont uniquement les interprétations extérieures. Quelques mots suffiront, je pense, pour en convaincre tout lecteur instruit, qu’il soit ou non spécialiste.

Qu’est-ce, d’abord, que le Yi-king, considéré matériellement ? Ouvrons-le et nous y verrons une suite de 64 chapitres composés d’un texte en double partie, portant en tête un titre formé d’un seul ou de deux mots.

Comment devons-nous envisager ce contenu ? Tout homme quelque peu instruit, auquel on poserait cette question, répondrait certainement : « Comme on envisage le contenu de tout livre quelconque, qu’il soit écrit en Europe, en Amérique ou aux dernières limites de l’Australie. » C’est-à-dire que l’on considérera le titre comme formé de mots ayant une signification et le corps du texte comme le développement de l’idée contenue dans le titre. En est-il autrement des livres chinois ? Évidemment non. Que nous ouvrions le Li-ki (Traité des Rites), l’I-li (Cérémonial), le Tcheng-meng (Traité philosophique de Tcheng-tze), le livre de Tchuang-tze ou tout autre, nous y trouverons des chapitres ou livres portant en tête des mots tels que Li-ki : Yue-ling (ordonnances des mois), Tchi-i (sens des sacrifices), Sang-fo (habits de deuil) ; I-li : Ta-ho (la grande harmonie) ; Tchang-tze : Ta-tsong (le grand progenitor des êtres), Tchuang-tze, etc. Il ne viendra certainement à l’esprit de personne de soutenir que ces mots n’ont aucun sens dans ces livres, que ces chapitres s’appellent Yue-ling, Sang-fo ou Ta-tsong, comme une fleur porte le nom de Delphinium ou de Clarkia, et que ces noms n’ont aucun rapport avec la matière du chapitre.

Peut-on supposer rationnellement que le Yi-king seul faisait exception à cette règle universelle ?

Si encore il était démontré que le contenu des chapitres n’a rien de commun avec le sens du mot placé en tête, ou que tout au moins il faut faire violence au texte pour mettre d’accord et titre et contenu, on aurait alors raison d’exclure le Yi-king de l’ordre général des livres et de supposer pour lui seul une nature exceptionnelle.

Mais c’est le contraire qui est vrai. Car je me suis borné à donner aux mots chinois leur sens usuel et ordinaire, celui que l’on trouve dans tous les dictionnaires et dans l’explication des phrases, j’ai suivi partout les règles de la syntaxe ordinaire de la langue littéraire de la Chine. En quelques cas très rares seulement, parmi les 500 à 600 phrases du Yi-king, l’adaptation présente quelque difficulté. Mais vu l’ancienneté de l’ouvrage et les modifications qu’ont subies, à plusieurs reprises, les caractères chinois, le contraire serait beaucoup plus surprenant.

Mais peut-être y aurait-il une raison, un moyen d’expliquer l’adjonction aux signes hexagrammatiques de caractères représentant de pures sonorités ? Je n’hésite pas à répondre catégoriquement : non, il n’y en a pas et l’on n’a jamais pu expliquer comment tel hexagramme s’appelle Tchun, tel autre Kien ou Sui, etc. ; comment surtout il y en a dont le nom est composé de deux mots tels que Kia jin, Ta-tchuang, Tchung-fuh, et d’autres d’un seul.

Comment d’ailleurs un hexagramme, soit six lignes superposées, entières ou coupées, pourraient-elles avoir pour nom propre Ta-tchuang « grande force », ou Kia jin « homme de la famille, serviteur », etc. ?

En outre, ai-je besoin de rappeler que l’explication traditionnelle fait, de l’aveu de tous, du Yi-king un amas de non-sens qui n’a jamais eu de pareil en aucun temps, ni chez aucun peuple ? Deux exemples suffiront pour remettre cette vérité en mémoire. Est-ce un homme pourvu de sens commun qui a pu jamais prétendre qu’une ligne (———) représente des oies s’avançant vers une île, et la même ligne placée au dessus, un jeune officier en danger, ou des oies s’avançant vers un autre objet ? Une autre représente un homme au dos écorché, et plein de satisfaction.

Il faut donc choisir entre deux systèmes.

L’un fait du Yi un livre ordinaire, composé comme tous les autres, très raisonnable et rempli de sentences judicieuses.

L’autre suppose des faits absolument inouïs, contraires à toute raison et transforme ce même livre en un tissu de sottises qui feraient reléguer son auteur en dehors de l’humanité.

Pour plus de clarté, voici le schéma des deux systèmes applicable à tous les chapitres :

 

EN TÊTE

Ex. Shih ho (XXI)

Mot chinois pris en son acception ordinaire.

Ex. : « Médisance. »

Son dépourvu de sens.

 

Shih ho, nom du koua.

1er Texte

Sentence expliquant, développant le sujet indiqué par le titre.

Ex. : « La médisance engendre les querelles », etc.

Phrase indépendante indiquant ce que la figure représente.

Ex. : « Le koua représente la médisance engendrant les querelles. »

2e Texte

Sentences diverses de même nature que le 1er texte. Exemples des divers sens du mot mis en titre.

Ex. : « Si (le médisant) a les pieds entravés et les oreilles coupées, cela évitera bien des maux. »

6 phrases indépendantes et incohérentes, indiquant ce que représentant les 6 lignes, une à une.

Ex. : « La première ligne représente un médisant les pieds pris dans des entraves, etc., et évitant les maux. »

 

Et notons bien que dans les deux cas, le texte tette matériellement le même.

On se demandera sans doute si la transformation du texte que suppose mon interprétation n’est pas aussi extraordinaire et n’implique pas autant d’absence de raison que l’explication traditionnelle.

Nullement, et tout au contraire.

En transformant le Yi en livre de consultation du sort, on devait nécessairement faire abstraction de la signification de l’ensemble et des différentes sentences dans leurs rapports mutuels, tout comme de ceux qui les unissaient aux titres des chapitres. Ceux-ci devaient nécessairement être laissés entièrement de côté et leur valeur devait se perdre. Tout ce qu’il y avait à faire, c’était de négliger ces en-têtes, de diviser le corps des chapitres en parties isolées, en phrases détachées et d’attribuer à chacune d’elles une valeur augurale. Comme il y avait six lignes à chaque hexagramme, il fallait six parties à chaque chapitre. Ainsi, quand le sort avait désigné un hexagramme et une ligne, on n’avait qu’à regarder la phrase correspondante et rechercher le pronostic qui y était caché sous des voiles transparents pour les seuls augures.

Voilà ce que l’on devait faire et voilà ce que l’on a fait.

Prenons, au hasard, un koua comme spécimen ; le koua XXXIX par exemple. Voici ce qu’il nous donne, traduit littéralement :

« Kien « difficulté ».

Texte I. « Énergie dans les difficultés peut réussir d’un côté et pas de l’autre. Par son succès se montre le grand homme. »

Texte II. « Si l’on va (courageusement) aux choses difficiles, on reviendra comblé de louanges. Si le prince et ses ministres ont difficultés sur difficultés, ce n’est point (toujours) parce qu’ils recherchent leur propre avantage. L’un va aux difficultés et revient après au repos. Un autre y va et revient uni à ceux qui les ont partagées. Un autre y va et revient plus éclairé. Un dernier y va et revient plein de mérites. (Effets divers des difficultés selon la conduite.)

De ce texte je veux faire des sentences pour consulter le sort ; et ce sort, je le consulte en cherchant ce koua et une de ses six lignes. Que ferai-je pour cela, sinon de faire abstraction du titre du chapitre, de diviser le second texte en 6 phrases dont chacune correspondra à une des lignes du koua ? Je le diviserai donc en le coupant à chaque point, et quand le sort aura désigné une ligne, je prendrai la phrase du même numéro et j’en tirerai ou ferai tirer un horoscope.

Ce sera : « 1. Si l’on va … 2. Si le prince … 3. L’un va … 4. Un autre y va …, » etc.

Ainsi il est arrivé que la 1e ligne a représenté un homme qui entreprend des choses difficiles ; la 2e un prince et ses ministres, etc. Ce à quoi ni les auteurs du livre, ni ceux de l’usage augural n’avaient jamais pensé.

Rien au monde de si simple et de si naturel ; eh bien, voilà ce que suppose mon système. Que pourrait-on bien y opposer ?

Mais l’histoire du Yi-king ne s’y oppose-t-elle pas ?

Loin de là, mon explication a de sérieux fondements dans l’histoire. Les plus anciens commentaires lui sont entièrement favorables, comme on peut le voir dans ma traduction. L’appendice VI du Yi-king n’est pas autre chose. Des commentaires plus modernes expliquent le texte comme moi, ainsi qu’on peut le voir aux pages 137 et suivantes. Les Chinois ont toujours conservé la conscience intime du sens originaire du Yi-king. Mais les commentaires horoscopiques les ont également empêchés de reconnaître la vérité tout entière.

Enfin les historiens chinois attestaient, encore au XIIIe siècle de notre ère, que le Yi-king avait subi une transformation considérable qui en avait modifié la nature.

On se demandera enfin quel rôle jouent les kouas ou hexagrammes dans ce nouveau système ? Ce rôle est des plus simples et des plus conformes à la nature du livre où ils sont employés.

On ne peut y voir un système graphique puisqu’ils sont formés de telle façon qu’il ne peut y en avoir que 64, pas un de plus. Ce sont tout simplement des figures servant à la divination et pouvant fournir matière à différents horoscopes. Néanmoins on peut leur attribuer une valeur représentative conforme au sens des mots qui forment l’en-tête et les sujets des chapitres auxquels ces kouas sont préposés, et c’est ce que j’ai fait à la fin de mon introduction. Ou bien ce sont des signes de numérotation. Ainsi tout s’explique sans lacune ni disparate.

Il y a donc à choisir entre un système qui fait du Yi-king, sans y rien changer, un livre comme tous les autres, ayant un sens en toutes ses parties, celles-ci étant bien coordonnées, qui en explique la transformation d’une manière très naturelle, fondée sur l’histoire, et qui lui enlève tout ce qu’elle a d’irrationnel en soi ; et cet autre, fondé sur une tradition nullement antique, qui représente le livre chinois comme un recueil de 64 tissus de non-sens, de sottises inimaginables, ayant chacune pour titre un son dépourvu de sens tout comme le reste et dont rien ne justifie le caractère tellement irrationnel que les commentateurs se contredisent souvent eux-mêmes, parce que leur bon sens naturel les éloigne des explications reçues et les force à reconnaître la vraie nature du vieux King.

Pour moi, je ne saurais hésiter.

Ce système est si simple qu’on se demande en vain comment on n’y a jamais pensé. C’est l’histoire de l’œuf de Christophe Colomb.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 15 août 2007 9:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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