Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 11: Les directions de l'avenir


 

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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 11: Les directions de l'avenir.
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir des Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 11: Les directions de l'avenir. Paris: Les Éditions du Seuil, 1973, 236 pp. Collection: Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, no 11. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[13]

Les directions de l’avenir


Avant-propos



En tant qu'étudiant du phénomène humain, Teilhard de Chardin s'était toujours refusé à voir dans la conscience réfléchie  un simple épiphénomène, un simple accident de la nature, sans relation avec la structure profonde de notre univers. Tout au contraire il s'était efforcé d'intégrer ce « phénomène formidable qui a révolutionné la Terre et se mesure avec le Monde [1] » dans la structure générale du monde et d'en découvrir, à travers les tâtonnements de l'évolution, les origines dans la texture même de la matière primitive. La conscience réfléchie, à ce qu'il lui semblait, ne constituait nullement une anomalie ou un phénomène secondaire dans la nature, comme le voudrait faire croire M. Monod, mais bien au contraire un phénomène central, éminemment révélateur des forces mystérieuses contenues dans la matière. Avec Sir John C. Eccles, le grand spécialiste du cerveau humain, Prix Nobel 1963, il aurait pu dire : « Ma position philosophique est diamétralement opposée à celle de ceux qui voudraient reléguer l'expérience consciente au rôle insignifiant d'un épiphénomène [2] ».

Mais plus encore que par les origines et la lente maturation de la conscience à travers l'évolution de la vie, Teilhard fut fasciné par le spectacle actuel des manifestations de l'esprit au sein d'une humanité enfin parvenue à la maturité. Partout, il voyait l'esprit au travail.

[14]

Partout se manifestait, avec une force et une abondance sans précédent, la montée de l'esprit dans l'éclosion de nouvelles idées ou dans la réalisation de nouvelles entreprises. Jamais au cours de son existence, l'humanité n'avait connu une période comparable à la nôtre : que de progrès dans le domaine scientifique et technique, que de luttes pour la création d'une société plus juste et plus harmonieuse, quelle richesse et quelle variété dans toutes les manifestations de la vie artistique ! Vue à l'échelle de l'histoire de l'humanité, l'époque actuelle prenait figure d'une véritable révolution. Une nouvelle période, profondément différente de tout ce qui nous avait précédés, venait de s'ouvrir. La Noosphère commençait à montrer ses véritables dimensions et à révéler ses possibilités d'avenir. Avec un regard émerveillé et une attention soutenue, Teilhard s'est appliqué à comprendre ce spectacle fascinant qui se déroulait sous ses yeux et à évaluer à leur juste valeur toutes les manifestations de l'esprit, soit dans le domaine de la recherche scientifique, soit dans les orientations de l'effort en matière de structures politiques et sociales, soit encore dans le domaine de la création littéraire et artistique - tant en Orient qu'en Occident, tant dans le vieux que dans le nouveau monde. Partout le même essor, partout la même ardeur au travail, partout un même espoir de progrès et de conquête ! Il faudra bien qu'un jour quelqu'un entreprenne une étude sur Teilhard témoin et observateur de son époque. Dans ses essais et dans ses lettres se rencontrent en effet tant de remarques intéressantes, tant d'analyses de notre situation actuelle ! Cette attention au réel, cette ouverture à la vie de son temps, cette Préoccupation constante des mouvements de l'histoire constituent un aspect caractéristique de son attitude intellectuelle. Que d'événements dont il s'efforçait de comprendre le sens et la signification : la première guerre mondiale, les grands courants politiques de notre siècle, le fascisme, le nazisme, le communisme et la lutte pour une véritable démocratie, le réveil des peuples d'Asie et surtout de la Chine, dont il annonçait la renaissance et le rôle qu'elle jouerait bientôt dans les affaires mondiales, et puis surtout les grandes découvertes en matière d'astronomie, d'astrophysique, de physique nucléaire et de biologie. Avec quel enthousiasme aurait-il salué l'époque des premiers voyages interplanétaires et du déchiffrement [15] du code génétique, s'il avait vécu assez longtemps pour en être le témoin. Sa vision d'avenir avait ses racines, non tant dans l'étude et l’interprétation du passé que dans l'analyse en profondeur des grandes métamorphoses qui s'accomplissaient au sein de l'humanité présente. Partout il distinguait les signes précurseurs d'un « rebondissement de l'évolution », et les indices d'un glissement profond, qui devait tôt ou tard nous conduire vers l'épanouissement de cette « sur-humanité » dont il prévoyait la naissance.

Il serait difficile d'exagérer le caractère réaliste et empirique des prévisions de Teilhard quant au futur développement de la Noosphère. Sous‑jacent à tous les événements qu'il étudiait, il découvrait le même dessein, la même orientation profonde : l'unification progressive de l'humanité, l'intensification de la conscience commune, la naissance d'une humanité socialisée et finalement la structure convergente de l'évolution à la recherche de son centre cosmique. Ainsi, loin de stationner ou de régresser, l'énergie spirituelle, présente dans l'humanité, continue-t-elle d'évoluer et de progresser vers sa complète réalisation.

Cette nouvelle situation dans laquelle l'homme se voyait placé, exigeait de sa part une nouvelle attitude devant la vie, une nouvelle éthique. Nos conceptions morales traditionnelles avaient leur origine et leur fondement en la foi dans un ordre cosmique tenu pour stable et intangible, expression sacrée de la volonté du Créateur, à laquelle l'homme devait se soumettre sans réserve. Mais de nos jours l'univers se présente à nous d'une manière bien différente, non pas comme un ordre intangible et définitif, mais tout au contraire comme un ordre à inventer et à créer par l'homme lui‑même en vue de son propre épanouissement. Une morale fondée sur l'existence d'un ordre naturel pré-existant, servant de modèle et de règle à l'action de l'homme, n'avait de sens que dans le cadre d'une conception du monde à jamais périmée. La seule morale qui pouvait convenir à une humanité en marche, cherchant sa route et s'efforçant de découvrir sa véritable destinée, ne pouvait être qu'une morale de l'effort, une morale de la conquête, une morale du risque et du progrès. La crise actuelle de la morale tient tout entière dans le fait que nous ne nous sommes pas  [16] encore habitués à cette nouvelle situation et que nous manquons de clairvoyance et de courage Pour en accepter les conséquences. Malgré nos doutes et nos hésitations, cette nouvelle conception de la morale, fondée sur la responsabilité de l'homme devant sa propre destinée, finira par s'imposer inévitablement, étant la seule logique dans le cadre de notre conception du monde.

Teilhard se rendait clairement compte de cette nouvelle situation. Aussi, loin d'en sous‑estimer l'importance, s'efforça-t-il d'en tirer toutes les conséquences et de nous rendre conscients des changements que cette nouvelle situation pouvait exiger de nous. Deux formes d'humanisme se présentaient ainsi à ses yeux. Le Moyen‑Âge et la Renaissance avaient connu un humanisme d'équilibre, situant la perfection morale de l'homme dans son accord avec l'ordre naturel du monde. Notre époque avait vu naître une nouvelle forme d'humanisme, l'humanisme de conquête, mesurant la valeur d'une existence humaine non pas au degré d'équilibre qu'elle avait réussi à atteindre, mais plutôt à la contribution qu'elle avait faite au progrès et à la croissance spirituelle de l'humanité. L'humanisme d'équilibre avait placé le mal dans le refus de s'adapter à un ordre pré-existant ; l'humanisme de conquête voyait le mal dans le refus de contribuer selon ses forces au progrès de l'humanité en marche vers sa véritable destinée.

Une même transformation selon Teilhard était en train de se manifester dans notre conception de la vie chrétienne. Dans le passé le Christianisme avait été avant tout une religion de l'ordre. La question fondamentale que les chrétiens s'étaient posée avait toujours été la même : quelle signification faut-il attribuer au Christ dans un monde créé dans un ordre parfait, mais désorganisé par le péché originel ? La réponse  ne faisait aucun doute : Le Christ était venu pour restaurer l'ordre détruit par le péché et reconduire le monde à sa perfection primitive. Selon Teilhard la question fondamentale que les chrétiens d'aujourd'hui se posent était bien différente. La question était dorénavant celle‑ci : quelle signification faut-il attribuer au Christ dans un monde en évolution, au centre d'une humanité à la recherche de son avenir ? Une théologie prenant son point de départ dans une telle formulation de sa question fondamentale devait nécessairement conduire à une nouvelle [17] intelligence du mystère chrétien. On connaît la réponse que Teilhard a donnée à cette question : Pour lui le Christ était venu en ce monde, non pas pour restaurer un ordre primitif qui n'avait jamais existé, mais pour orienter et stimuler l'évolution de l'humanité en lui donnant son véritable, centre, son véritable but à atteindre.

Ainsi le christianisme devenait pour lui la religion du progrès, la religion de l'évolution : La science nous apprend une évolution, le christianisme nous enseigne une « super-évolution [3] ». De même que nous avions besoin d'un néo-humanisme, de mime nous avions besoin d'un « néo-christianisme », d'un christianisme enfin « libéré de la servitude que nous impose un certain groupe de formules scolastiques admises [4] », un christianisme aux dimensions de notre monde. Ce que nous vivions actuellement dans l'Église n'était, selon lui, rien d'autre que cette lente mais irrésistible transformation d'une religion de l'ordre en une religion de l'évolution et du progrès. Ainsi appelait-il de toutes ses forces la venue d'un nouveau type de chrétien, libéré des entraves de la théologie médiévale, et capable désormais de remplir sa véritable mission : la construction du monde dans le Christ.

Les essais contenus dans ce volume des Oeuvres doivent tous leur existence à ce souci ardent de découvrir le véritable sens de notre époque et de réveiller en nous ce « sens humain et chrétien » dont nous avons besoin pour la vivre dans sa plénitude. C'est pourquoi Teilhard restera pour nous un des grands témoins de cette révolution spirituelle qui est en train de s'accomplir et dont les manifestations, aussi déroutantes et aussi angoissantes qu'elles paraissent à certains moments, ne cessent de nous remplir de « joie et d'espérance ».

N. M. WILDIERS

Dr en Théologie



[1] Comment je crois (Oeuvres, vol. X), p. 126.

[2] John C. Eccles, Facing ReaIity, New York-Heidelberg-Berlin, 1970, p. 1.

[3] Comment je crois (Oeuvres, t. X, p. 185).

[4] Genèse d'une pensée, Grasset, 1961, p. 318.


Retour au texte de l'auteure: Simone Weil, philosophe Dernière mise à jour de cette page le mardi 20 novembre 2012 18:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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