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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Lettres sur le Canada. Étude sociale 1864-1867
Introduction


Une édition électronique sera réalisée à partir du livre de Arthur Buies (1840-1901), Lettres sur le Canada. Étude sociale 1864-1867. Montréal: Éditions de l’Étincelle, 1978, 95 pp. [Un ouvrage fortement recommandé par mon ami Russel Bouchard, historien délinquant].

Introduction

par M. Sylvain Simard, professeur,
Département des Lettres françaises
Université d'Ottawa
Décembre 1977

Lorsqu'il rédige, en 1863, les deux premières Lettres sur le Canada, Arthur Buies n'est de retour au pays que depuis un an. Pendant six ans en Europe, il a fréquenté des milieux libéraux et républicains et surtout vécu dans des sociétés largement décléricalisées. Fils d'un banquier écossais qui l'abandonne, moins d'un an après sa naissance, aux soins de deux vieilles tantes, Arthur Buies refuse dès son plus jeune âge de se plier aux exigences d'une éducation bigote et formaliste. Esprit révolté et facilement frondeur, être libre qui supporte mal les entraves, Buies est renvoyé de tous les collèges qu'il fréquente. Ayant obtenu de son père d'aller à Dublin, il passe rapidement en France et se voit déshérité. À Paris, il fréquente le lycée impérial Saint-Louis mais ses études souffrent beaucoup de la vie de bohème qu'il mène. En 1860, il va rejoindre, en Italie, l'armée de Garibaldi et participe à l'expédition des Mille en Sicile et à Naples.

Quel choc dut être ce retour après tant d'années d'absence! Il a tôt fait de s'identifier au dernier carré des irrédentistes de l'Institut canadien qui mènent encore, avec un certain éclat, le combat pour la cause libérale. Quelques semaines après son arrivée, Buies publie, dans le Pays, de violents pamphlets anticléricaux dans lesquels il dame, en terre zouave, son admiration pour Garibaldi et la cause italienne. On imagine sans peine le scandale qu'il provoque!

Les trois Lettres sur le Canada ont ce mérite de résumer de façon à la fois succincte et complète la pensée libérale radicale du milieu du XIXe siècle, tout en étant une illustration probante de l'originalité d'un style et de l'audace d'une pensée. Ce sont, surtout en 1867, les derniers coups de feu d'un franc-tireur qui défend l'honneur de la pensée tout en sachant perdue, du moins pour un certain temps, la cause libérale.

L'idéologie de conservation définie par le clergé ultramontain et l'élite qui s'y rattache a fait l'unanimité à peu près complète des Québécois. La pensée libérale violemment attaquée, ses tenants mis au ban de la société par les condamnations épiscopales et les excommunications, ne représente plus qu'une infime fraction de la, bourgeoisie autochtone. La confédération réalisée, avec l'appui d'un clergé loyaliste et sans consultation populaire, assure pour longtemps le maintien du cadre colonial. Le libéralisme véhicule d'ailleurs certaines contradictions internes qui diminuent ses possibilités d'influencer les masses. Désireux d'incarner le nationalisme mais surtout avides de liberté de pensée et de républicanisme, les libéraux se font les propagandistes d'une annexion aux États-Unis. Violemment anticléricaux, ils ne remettent pas en cause l'existence d'un clergé chargé de maintenir intact l'ordre social. Enfin le libéralisme économique, sous-jacent à la pensée libérale, tolère et appuie la domi-nation économique exercée par un capitalisme exogène.

Le cléricalisme ultramontain manifeste, pour sa part, une vision providentialiste de la société canadienne-française (les Canadiens ont été conquis afin d'échapper à la Révolution française et porter le flambeau du catholicisme dans une Amérique matérialiste). Partisan de la suprématie de l'Église sur l'État, défenseur de la primauté du rôle de l'Église dans l'éducation et dans les secteurs sociaux, il est en plein triomphalisme. En accord complet avec la réaction anti-libérale animée par Pie IX, pape parti en guerre contre les «erreurs modernes», Bourget et Laflèche ont mis en marche une machine de propagande d'une remarquable efficacité. L'envoi d'un contingent de zouaves pour défendre la suzeraineté du pape sur les États pontificaux attaqués par les libéraux unificateurs italiens est l'occasion d'une magnifique opération publicitaire et la création d'un véritable consensus national. Le clergé est omniprésent: il domine la presse, crée et anime des bibliothèques paroissiales, des sociétés, des débats, des cercles et des confréries de tout genre. Et surtout, il écrase tout ce qui tente de mettre en question son pouvoir absolu.

La première Lettre sur le Canada est une mise en situation; Buies y définit ses principes fondamentaux. Pourquoi, peut-on se demander, avoir choisi ce mode épistolaire et ne pas s'être identifié à son narrateur? Le procédé, qui a ses titres depuis les Provinciales, s'il n'a pas l'impact que provoque l'intervention personnelle de l'auteur dans son texte, donne une plus grande souplesse à l'exposition et permet de convaincre plus facilement le lecteur. Grâce à ces personnifications théâtrales, l'auteur pourra, de façon toute rhétorique il va sans dire, s'interroger, se répondre, se mettre en doute, se rassurer et douter de lui-même, ce qui permet une approche dialectique très efficace.

Datée du 1er octobre, cette première lettre est pour Buies l'occasion, après avoir établi avec vigueur que la raison et l'examen scientifique sont les seules bases valables du jugement, d'affirmer cette foi inconditionnelle dans la science. Alliée au sens de la justice, elle est en vole de faire disparaître la plupart des maux qui depuis toujours accablent l'humanité. Le tout se termine par un grandiloquent portrait de Québec qui n'annonce en rien le talent descriptif dont il fera preuve dans son oeuvre ultérieure. Cette lettre est enfin le moyen discret de faire acte de foi déiste devant le «Maître de l'univers». Ainsi, d'entrée de jeu, Buies a établi la pertinence de ses positions rationalistes: le lecteur qui a admis cet a priori est prêt à le suivre dans la Deuxième lettre.

Celle-ci porte la date du 1er octobre. Langevin, Français en voyage au Canada, raconte à son correspondant comment M. d'Estremont lui a appris qu'au Canada la raison est mise de coté et le pays sous la coupe du pouvoir clérical. Cette lettre est extrêmement bien structurée, ce qui augmente l'efficacité. Rappelant les grands torts qu'a causé à l'humanité le manque d'examen, d'Estremont apprend à son interlocuteur que si dans la plupart des pays civilisés on n'admet plus comme vérité que ce qui a été examiné rationnellement, au Canada un pouvoir occulte impose sa sujétion. Ce pouvoir est partout; il maîtrise l'opinion, asservit les hommes, domine les ministères. C'est avec un art consommé, utilisant répétitions, gradations, antithèses et sous-entendus que Buies nous trace les contours de ce pouvoir qui étend sa domination sur les hommes. D'ailleurs d'Estremont fait durer le mystère, augmente le suspense et prend plusieurs pages avant de donner le nom de ce pouvoir tout puissant, de donner le mot de l'énigme.

Après cette flambée de description passionnée, Langevin intervient et demande des preuves positives, un langage plus rationnel. Remarquable efficacité dialectique que ces hésitations rhétoriques qui n'ont pour but que de changer le niveau d'argumentation. L'auteur, en allant au devant des doutes possibles du lecteur ou en soulevant des interrogations auxquelles celui-ci n'aurait pas songé, maîtrise parfaitement l'exposition et augmente à peu de frais sa crédibilité. Faisant un retour aux débuts du régime anglais, Buies rappelle que si le clergé s'est tout d'abord identifié aux aspirations populaires, il est rapidement devenu l'appui majeur du conquérant britannique en échange du maintien de ses droits et privilèges. Dans tous les domaines, surtout dans l'éducation, les clercs ont étendu leur domination et réussi à étouffer l'esprit. Buies-d'Estremont interpelle directement le clergé, l'accusant de faire de la religion un noyau, de se servir de la nationalité dans ses propres intérêts et de profiter de la crédulité des gens. Les moyens sont exposés. Buies montre comment cette vaste toile d'araignée cléricale s'est tissée par les journaux, les fraternités, les sociétés de débats, par les écoles, les bibliothèques paroissiales, par la confession et la direction de conscience. Langevin, après que d'Estremont eût manifesté un moment de désespoir, lui fait part de sa profonde admiration. Suprême habileté que cette séance d'auto-congratulation!

La troisième Lettre sur le Canada est datée du 9 février 1867. La lettre précédente, par la violence de sa dénonciation et de sa révolte, manifestait un certain espoir. Celle-ci marque bien davantage le désenchantement et le dégoût: elle est beaucoup moins structurée que la seconde. Buies, dans ces parties sans aucune unité, passe du coq-à-l'âne, se répète et se perd dans de longues digressions. La démonstration y a donc beaucoup moins d'impact sur le lecteur. Le narrateur des deux lettres de 1863 est resté au Canada et le diagnostique de d'Estremont s'est vu confirmé. Les effets désastreux de la domination cléricale se sont étendus et consolidés.

Après un bilan d'ensemble, Buies relate, dans la deuxième partie, l'expérience de l'Institut canadien: il en brosse l'historique et énumère les vingt points du programme des Rouges et de leur journal l'Avenir en 1854. Le clergé ne pouvant laisser se développer un tel foyer de libéralisme sans réagir; l'orage du fanatisme se déchaîna et, malgré le courage des radicaux, dont joseph Papin et Eric Dorion qu'il cite avec admiration, le libéralisme ne devint plus qu'un mot trompeur, «un vain souvenir d'autrefois». Le pamphlétaire se livre ensuite à un nouvel inventaire des méfaits du médiocre système d'éducation clérical dont le seul but est de tenir la population à l'écart des grandes idées et des mouvements progressistes. Après avoir consacré la quatrième partie à l'éducation des jeunes filles, dont l'orientation cléricale contribue à assurer le maintien de l'idéologie dominante, Buies termine en soulignant le courageux travail de ces membres de l'Institut qui, en 1856, faisaient revivre l'Avenir. La lettre prend fin assez bizarrement par l'énoncé des 29 points du programme de l'Avenir. Outre qu'ils reprennent la plupart des points déjà énoncés dans le programme du premier Avenir et qu'ils résument sur les principaux points l'essentiel de la pensée libérale, on ne peut pas très bien voir l'utilité de ces longues citations. Le procédé est ici évident: mettre la mauvaise foi des tactiques cléricales et de la médiocrité des résultats pour la société en opposition avec le courage des membres de l'Institut et la pertinence de leurs propositions. Cette lettre ne saurait convaincre que les convertis.

Mais plus peut-être qu'une étude sociale, les Lettres sur le Canada sont, comme la Lanterne en 1868-1869, le lieu d'une liberté en acte. Observateur lucide de la médiocrité de son milieu, Buies tente, avec l'énergie du désespoir et une bonne dose de témérité, de crier sa dénonciation et son désespoir. Se refusant malgré l'évidence à admettre la défaite totale de l'esprit, il mène ce dernier combat pour l'honneur de la pensée. Seul, il a voulu déchirer ce voile opaque qui s'abattait pour cent ans encore sur la vie intellectuelle québécoise.


Sylvain Simard

Professeur,
Département des Lettres françaises
Université d'Ottawa
Décembre 1977


Retour au livre de l'auteur: Arthur Buies (1840-1901) Dernière mise à jour de cette page le Lundi 22 mars 2004 07:10
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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