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Collection « Les auteur(e)s classiques »

André-François Boureau-Deslandes. L'art de ne point s'ennuyer (1715)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du texte de André-François Boureau-Deslandes (1690-1757), L'art de ne point s'ennuyer. [Texte imprimé] par M. Deslandes Publication: Paris : E. Ganneau, 1715 Description matérielle: 141 p.: pièces liminaires ; in-12. Reproduction à partir d’un fac-similé de la Bibliothèque nationale de France. Une édition numérique réalisée par un bénévole, professeur d’université à la retraite, qui demande à conserver l’anonymat [Anonyme 1].

Préface

 

Le titre de cet Ouvrage plaira certainement au Public. L’ouvrage même aura-t-il un sort si heureux ? Je n’ose le croire, & mon amour propre fait volontiers ce Sacrifice au discernement du Lecteur judicieux. C’est un crime que de s’annoncer. Le titre qui semble un peu trop promettre, fait ordinairement tort à l’ouvrage. L’esprit prévenu va toujours plus loin qu’on ne souhaite, & la peine qu’il se donne d’attendre même de belles choses, lui doit être payée chèrement.

Que de motifs d’une juste appréhension ? Jamais matière ne fut plus intéressante que celle que j’ai entrepris d’éclaircir. Tous les hommes sont sujets à s’ennuyer. Les plus habiles cachent leur jeu : mais ils ne peuvent se tromper eux-mêmes. On ne se dérobe point ce qu’on sent. Plein d’une éloquence flatteuse, l’amour propre veut nos persuader que nous ne nous trouvons jamais seuls, & nous voulons ensuite le persuader aux autres. Mais cette illusion s’évanouit aisément. Le masque tombe, & les idées naturelles prennent le dessus. Cicéron ne présumait-t-il pas un peu trop de son mérite, quand il a assuré qu’il était toujours en compagnie ? Cette louange lui paraissait délicate & digne d’un grand homme.

L’Empire du monde a été partagé entre l’ignorance & l’orgueil. L’ignorance énerve les esprits & les rend timides. Peuvent-ils s’arracher à ce que le commerce de la vie a de trop fade & de trop uniforme ? L’orgueil ne veut ni s’abaisser ni rien devoir : comment s’accommodera-t-il de ces délicatesses dont le détail flatteur lie les plaisirs & les fait succéder les uns aux autres ? Voilà les sources de L’ennui, sources fécondes & qui jamais ne peuvent tarir. Je fais volontiers cet aveu : quoiqu’en le faisant je ne puisse sauver l’honneur du genre humain.

L’art de ne point s’ennuyer est donc un Ouvrage utile au Public, & plus utile sans doute que tout ce qu’on a admiré jusqu’ici. On se passe aisément d’éloquence & d’histoire. Peut-être l’homme vivrait-il plus heureux, s’il était moins savant & moins cultivé ? Mais on s’ennuie partout : à la Cour comme à la Campagne, dans les grands postes comme dans l’obscurité. Et n’est-il pas avantageux de se délivrer d’un ennemi d’autant plus cruel qu’il se fait moins connaître. L’adresse est surtout nécessaire dans cette nouvelle sorte de guerre cachée, & cette adresse n’est pas moins l’ouvrage d’une étude naïve que d’une imagination fleurie. J’en appelle au jugement des plus grands hommes : je veux dire, au jugement de ceux qui ne brillent que dans le monde délicat & poli.

Je ne prétends point avoir épuisé toute cette matière, Peu favorable à mes productions, je crains même de ne l’avoir qu’effleurée. Une telle modestie (& j’ose assurer qu’elle est sincère) mérite l’indulgence du public. Je m’en flatte. Cependant je ne priverai point la vanité du tribut quelle exige de chaque Auteur. On doit me savoir gré d’avoir travaillé sur une matière neuve & qu’on avait, pour ainsi dire, oubliée. Cette louange est moins éclatante, mai peut être aussi agréable que celle de la réussite.

Un homme [1] de beaucoup d’esprit & qui joint à l’exactitude géométrique toute l’élégance des belles Lettres, m’a parlé d’un Allemand qui avait écrit sur une matière presque semblable, quoique avec un titre différent. Mais selon la méthode des Écrivains du Nord, son Livre n’est rempli que de passages & de citations inutiles. Je ne me suis point mis en peine de le lire, aimant mieux parler de moi-même que me parer des dépouilles d’autrui. C’est être esclave que de vouloir s’assujettir à des idées étrangères.

Je ne sais s’il m’est permis d’allonger encore ma Préface par une petite remarque. Peut-être on me reprochera de n’avoir point parlé de certains caractères mélancoliques, que rien n’excite au plaisir & qui s’ennuient en quelques lieux qu’ils soient. J’ai prévu cette objection, & je dirai qu’un Médecin habile leur est plus nécessaire qu’un Philosophe qui réfléchit. M. de Tschirahaus, Gentilhomme Saxon, est le premier qui dans un même [2] Ouvrage a donne des préceptes pour guérir & l’esprit & le corps. Le succès a trompé son attente. Oserai-je le dire : un tel exemple m’intimide, & rien n’est plus autorisé que de devenir sage aux dépens d’autrui.

À Paris, ce 21 Juillet 1714.

J’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier un Manuscrit qui a pour titre L’art de ne point s’ennuyer, & je n’ai rien trouvé qui en puisse empêcher l’impression. À Paris ce 10 Septembre mil sept cent quatorze.

Dr Sacr.



[1]            M. de Lagny, de l’Académie Royale des Sciences.

[2]            Voyez son Traité De Medecina mentis & corporis, etc.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 14 juillet 2007 9:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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