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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Maurice Blondel, La Philosophie et l’Esprit Chrétien.
Tome II. Conditions de la symbiose seule normale et salutaire
. (1946)
Introduction (tome II)


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Maurice Blondel, La Philosophie et l’Esprit Chrétien. Tome II. Conditions de la symbiose seule normale et salutaire. (1946). Paris: Les Presses Universitaires de France, 1946, 1re édition, 379 pp. Collection: Bibliothèque de philosophie contemporaine. Une édition numérique de Damien Boucard, bénévole, professeur d'informatique en section post-bac, en lycée, en Bretagne, France.

Introduction
(tome II)

Introduction
à une nouvelle étape


Nous avions été tenté d’intervertir, pour ce tome second, les deux termes du titre : inscrire « l’esprit chrétien et la philosophie », n’était-ce pas mieux manifester, dans la connexion de l’apport rationnel et de l’apport chrétien, une réciprocité sans confusion ni empiétement ? et n’était-ce point par là même une novation de perspectives, un progrès dans la conquête de vérités autonomes et même incommensurables, mais qui comportent cependant une collaboration, respectueuse à la fois de leur hétérogénéité originelle et de leur union finale, sans confusion possible ? Si et d’abord nous avions discerné dans la philosophie la plus intégralement audacieuse certaines énigmes dont nous ne pouvions éluder le besoin de solution, nous avons maintenant à découvrir, en cela même qui avait soulagé notre anxieuse recherche, une stimulation nouvelle pour la raison elle-même en face de la révélation d’un plan spécifiquement religieux dont la philosophie ne peut normalement se désintéresser.

A lire d’abord la table des matières, comme le font souvent les meilleurs investigateurs, on pourrait croire que ce tome II est surtout une description des croyances et des activités chrétiennes ; et l’on serait amené alors à se demander comment, abstraction faite des réflexions personnelles dans le secret des consciences, la philosophie peut intervenir en ce qu’elle a de judicature scientifique et de compétence impersonnellement rationnelle. Afin d’exclure une telle interprétation, étrangère à notre dessein et dénaturante pour le sens véritable de notre enquête partout cohérente en sa continuité exclusivement philosophique [vi], il importe absolument de maintenir en tête du titre l’appel à la philosophie et à l’ubiquité de son rôle dans tout ce qui concerne la destinée de l’homme et le développement de l’humanité. De même que, dans l’histoire antique ou médiévale, certaines vérités ont pour ainsi dire transfiguré la notion que les hommes se sont faite de leur place dans la nature, de leur influence sur les choses, de leurs aspirations propres et de leur fin dernière, de même dans la grande crise contemporaine, s’offre à nous une possibilité, s’imposent même une obligation, une nécessité d’examiner tout ce que l’investigation philosophique peut discerner et mettre à profit en ce qui a vécu, en ce qui menace ruine, en ce qui s’ébauche non pas seulement dans l’ordre temporel ou spatial, mais dans l’histoire perpétuelle et dans les traditions religieuses de l’humanité toujours en mouvement. Telle est l’idée qui inspire nos trois tomes, différents et complémentaires, tous soumis au même scrupule philosophique en présence de ce procès du christianisme, toujours à reprendre à travers la double mobilité de l’histoire profane et d’une cohésion religieuse en sa fidélité traditionnelle.

Lorsque, précédemment, nous avions procédé à partir des initiatives et des énigmes philosophiques qui trouvent dans les mystères chrétiens des réponses éclairantes et soulageantes, nous avions pu légitimement parler d’un enchaînement logique. Nous avons désormais ici à tenir compte des motions secrètes et d’une fidélité aux exigences obscures de la vie intérieure, auxquelles nous ne pouvons nous dérober sans trahir cette norme morale et tacitement religieuse dont nous sommes effectivement dotés et travaillés, comme le prouve l’ardeur même des négations et des révoltes. Et voilà pourquoi au mot logique, qui répondait à la connexion des faits et des idées, il convient, maintenant qu’il s’agit d’une symbiose plutôt que d’une démonstration, de substituer cette notion concrète et profonde de norme, principe plus complexe, plus vital, plus [vii] judicatif de tous nos devoirs et de toutes nos responsabilités.

De ce premier aperçu résulte un problème nouveau : sous quel aspect rationnel y a-t-il une obligation philosophique d’étudier cet apport chrétien qui, de fait, a suscité tout ce qui différencie la civilisation moderne et contemporaine en face de la nature et de notre destinée intégrale ? En présence des choses, notre pouvoir humain se comprend tout différemment selon qu’on envisage la conception antique d’après laquelle nous étions assujettis aux formes occultes de l’univers, ou selon qu’on médite sur notre science conquérante, libératrice d’un fatum et progressivement victorieuse du déterminisme même. Il y a, dans une philosophie intégrale de l’action, un problème ignoré des anciens, mais qui s’impose aux inventions actuelles d’une maîtrise de l’homme sur la nature et sur le but d’une destinée essentiellement impérative.

Nous devons donc aborder en son ensemble ce problème qui, imparfaitement compris, mal orienté ou mutilé, a conduit tant de doctrines récentes à un positivisme découronné, à un humanitarisme athée, à un pessimisme radical, à l’espoir d’un suicide cosmique, à une philosophie de l’angoisse ou de l’absurde, à un existentialisme et à un activisme consécutifs à la plus audacieuse ardeur spéculative.

On a pu dire que, détachés de leur origine ou de leur fin suprême, les idées chrétiennes sont « devenues folles », haïssables ou criminelles. S’il semble en être ainsi, c’est qu’un rôle essentiel de la philosophie a été méconnu et négligé : sans doute la philosophie n’a pas à devancer, à prévenir, encore moins à supprimer la valeur de l’apport chrétien après s’en être servie pour élever l’homme au-dessus de la nature et avoir prétendu la dépasser ; mais, en nous libérant peu à peu de certaines servitudes matérielles, il ne faut pas qu’elle méconnaisse ni la source, ni l’océan auxquels nous puisons et vers lesquels nous acheminons le cours véritable d’une vie, destinée à cette entière libération que Spinoza nommait une union à l’infini et à [viii] l’éternel. Notre tâche nouvelle [1], c’est de conduire notre raison la plus savante, la plus spéculative, la plus active jusqu’à une synthèse toujours progressive vers ce que le langage chrétien appelle la consommation des siècles et la vie éternelle.

En face du christianisme et de l’apport introduit par lui dans la civilisation humaine, il est logique et indispensable d’examiner ce que la force et la lumière introduites par lui dans la subconscience même de l’humanité civilisée suscite encore pour le progrès des âmes et des peuples et pour conduire l’humanité vers la plénitude de sa destinée. Sans doute nous aurons plus tard à discerner les risques et les chutes, toujours possibles en cette grande aventure de la liberté humaine en face de son intégral destin ; mais il est juste de considérer d’abord les clartés et les ressources dont nous disposons pour apercevoir et réaliser ce que l’on a nommé nos fins dernières. Il est impossible [ix] de les désigner ainsi sans admettre que la route, les étapes, les viatiques, ne restent pas inconnaissables en leurs justifications. Là est le rôle encore légitime de la réflexion philosophique, pleinement fidèle à ses exigences universelles. Et s’il est vrai que, pour la conquête de ce destin, la liberté humaine ne peut renier son droit de choisir, son devoir d’agir, son exigence de contribuer à sa victoire, notre raison et notre volonté vont avoir à prolonger leur investigation critique et leur concours propre devant des indications et des ressources qu’offre l’intégrale tradition spirituelle.

L’exposé que nous allons offrir de cette activité humaine n’est pas un plaidoyer, non plus qu’une thèse théologique. C’est un résumé succint et, autant que faire se peut, fidèle d’un enseignement authentique qu’il est nécessaire de connaître et même de comprendre avant qu’on soit en droit de le contredire et pour qu’on soit en état d’en apprécier avec probité la signification, la portée et les titres (2). Non pas que cet exposé prétende être complet : on désirerait seulement qu’il empêchât des critiques fausses et, surtout, on souhaiterait qu’il invitât quelques esprits à réviser leurs positions en approfondissant leurs connaissances et en découvrant qu’il n’est pas légitime de traiter à la légère ni surtout d’exclure de la vie publique et de l’éducation morale les authentiques apports de l’esprit chrétien dans nos sociétés, trop exclusivement absorbées présentement par les aspects scientifiques et matériels, — fussent-ils complétés par des activités esthétiques et sociales, qui ne sont pas toute l’action humaine ni le but suprême de nos secrètes aspirations.

C’est déjà en ce sens que, dès l’introduction du tome premier, nous avions annoncé qu’après l’étude du dessein créateur nous devions discerner toute la part de Dieu dans ce plan providentiel, fût-il troublé par les fautes de la liberté humaine et leurs justes conséquences. Mais désormais, ici, nous avons à tenir compte en même temps des [x] motions divines et des efforts humains quand ils sont dociles et vraiment fidèles aux appels conjugués de la raison et de la grâce. C’est dire que la recherche philosophique et la coopération de notre volonté ont une valeur positive et doivent s’unir en ce qu’il est légitime d’appeler une active symbiose[2]. La part de l’homme à sa propre destinée et au succès de son intégrale vocation mérite donc et exige même une attention et une soumission qu’il importe d’éclairer et de justifier le plus possible ; et cela d’autant plus utilement que nous devrons aussi élucider les sanctions d’une rébellion qui aurait pu ne pas être, mais qui, de fait, est possible et même réelle (3).

Aussi est-il légitime, voire obligatoire de comprendre avant de juger (non plus seulement « le Génie du Christianisme » en sa fécondité esthétique et civilisatrice dans le passé ou le présent, tel un folklore) : il faut avoir du Christianisme lui-même une connaissance authentique, une agnition[3] objectivement sincère pour être en droit de l’apprécier et d’agir à son égard.

Après avoir montré, dans la philosophie, les préparations, les énigmes, les aspirations de la destinée humaine, nous cherchons désormais ce que la Bonne Nouvelle apporte de lumière, de force, de solutions à notre vision comme à notre acquisition de la seule plénitude à laquelle nous devons atteindre si nous ne voulons pas perdre entièrement tout ce à quoi nous aspirons humainement, et bien plus encore.

Dès l’abord de notre nouveau périple philosophique, autour d’aspects multiples et auprès des ports de refuge, [xi] nous avons, non certes à établir des preuves pour la foi, mais à discerner les données et les certitudes que la bonne foi peut humainement recueillir en face de conclusions douées déjà de garanties historiques et rationnelles. D’où la première partie de ce tome sur les mystères glorieux, à la fois prouvés et prouvants, mais probants d’une manière qui ne comporte aucun cercle vicieux, alors qu’il s’agit non pas seulement de faits matériels, mais d’intelligence spirituelle et d’adhésion intimement justifiée ; — c’est ensuite que nous aurons à écouter la grande et discrète voix de la Tradition, au sens le plus fort de ce mot religieux par excellence puisqu’il désigne la pérennité progressante d’une vérité et d’une vitalité toujours fécondes ; — et se déroulera, alors, tout ce que notre Table des Matières peut mettre sous les yeux des voyageurs désireux de savoir où ils vont. [xii] [1]



[1] Ici, comme pour les précédents ouvrages (qui forment une série, valable certes en chaque étape, mais surtout aussi éclairante par une interdépendance de plus en plus probante), nous recourons à des excursus préparant ou complétant les analyses ou les synthèses dont le rythme doit former une trame continue. C’est ainsi que, dès ce début d’une nouvelle investigation, il nous semble utile de faire valoir la cohésion de tous les développements qui, déjà justifiés en des assertions pouvant paraître novatrices et risquées, se confirment cependant et se complètent les uns par les autres. Mieux vaudrait même recourir à des redites que de laisser méconnaître la liaison totale des parties qui, pour former un tout, ont constamment besoin d’être comprises en leur unité essentielle. C’est pourquoi, dès ce premier excursus — que le lecteur pourra consulter soit au début même de notre introduction, soit après avoir achevé le texte principal — nous cherchons à faire saisir l’interdépendance de tous les éléments intégrés dans la destinée de chaque personne humaine et dans le dessein providentiel sur l’humanité ou même sur l’œuvre créatrice en son ensemble que nos derniers chapitres tenteront au moins d’entrevoir, avec toutes les réserves que réclame un tel sondage au double point de vue scientifique et religieux (1).

J’ajoute ici, pour répondre à des questions qui m’ont été posées sur le tome premier de cet ouvrage, une double rectification nécessaire. La Philolophie et l’Esprit chrétien, I, — p. 26, lignes 15 et 16, il convient de substituer ce que portera une nouvelle édition et de lire ainsi, après avoir remplacé le point virgule par deux points : « duo spirantes, una spiratio ; et cet amor duorum essentiel est réalisé en une troisième Personne... » ; — en outre, p. 221, ligne 18, il faut lire : « en refusant d’admettre le Filioque », etc. La nouvelle édition précisera l’origine historique du schisme d’Orient.

[2] Ce mot, relativement récent, a une origine et une signification techniques : il désigne la coopération indispensable de deux êtres, d’espèce différente, mais qui, pour leur existence et leur reproduction, ont besoin l’un de l’autre malgré leur complétude organique. Le sens de ce terme est donc plus fort, plus précis que celui des mots coopération, collaboration, accouplement, union ; et pourtant ce n’est toujours qu’une métaphore.

[3] Ce terme a été employé et expliqué au tome premier de L’Action ; nous signalons aussi, sur ce mot, l’article de M. Jacques Paliard dans La Revue philosophique de janvier 1938.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 25 janvier 2010 8:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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