RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Maurice Blondel, La Philosophie et l’Esprit Chrétien.
Tome I. Autonomie essentielle et connexion indéclinable
. (1944).
Introduction générale (tome I)


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Maurice Blondel, La Philosophie et l’Esprit Chrétien. Tome I. Autonomie essentielle et connexion indéclinable. (1944). Paris: Les Presses Universitaires de France, 1950, 4e édition, 379 pp. Première édition, 1944. Collection: Bibliothèque de philosophie contemporaine. Une édition numérique de Damien Boucard, bénévole, professeur d'informatique en section post-bac, en lycée, en Bretagne, France.

[vii]

Introduction générale (tome I)

 - Unité d’inspiration
et division tripartite



 « En esprit et en vérité », n’est-ce point la devise, le dessein, l’ambition de la philosophie, envisagée dans sa plénitude comme un désir et un espoir de fonder sur la vérité aussi large que possible l’aliment de la vie la plus hautement humaine, la plus conforme à l’ascension spirituelle et aux suprêmes aspirations des âmes ? — « En esprit et en vérité », mais n’est-ce point aussi et surtout l’essence, le but, la promesse de la religion, comprise et pratiquée en toute sincérité et en toute intégrité ?

Pourtant, en présence de cette apparente identité de formules et de visée, comment ne point apercevoir les attitudes les plus variées, les risques de conflit ou d’absorption qui semblent résulter d’une sorte d’émulation entre deux disciplines paraissant procéder de points de vue divergents, de méthodes hétérogènes, de prétentions accaparantes ? De cette rencontre et de ce qui semble une coïncidence ou même une superposition, ne résulte-t-il pas un problème de compétence et de conciliation ? Est-ce que la pensée et l’aspiration proprement humaines ne peuvent suffire ? et, chez les meilleurs, ne peuvent-elles atteindre et égaler ce que la pensée et la vie religieuse prétendent fournir à ce besoin qui réside déjà au fond de toute conscience, comme une ambition constitutive de notre esprit lui-même ? ou bien y aura-t-il normalement compétition ? et ne faudra-t-il pas finalement accorder [viii] primauté et supériorité à l’une ou à l’autre de ces deux règles de vie ?

Il serait instructif sans doute d’examiner, dès le début, la diversité des attitudes que le passé ou le présent nous offrent en ce qui concerne les rapports de la philosophie et de la religion, notamment du christianisme ; et longue serait la liste des mots caractérisant la variété de leurs relations dans les consciences et dans l’histoire des personnes et des sociétés : émulation, subordination, hostilité, exclusion alternatives, essais variés de concorde, hiérarchie des valeurs, guerre déclarée entre des puissances qui ne peuvent ni s’anéantir, ni se subordonner, ni même s’ignorer pour n’avoir ni à s’aimer ni à se haïr.

En face de cette multiplicité de positions réellement prises dans maintes intelligences, et souvent soit avec une vivacité passionnée, soit avec une indifférence ou un oubli plus ou moins sincères et complets, nous devrons, afin de rester fidèles à la philosophie comme au christianisme, prendre une détermination toute différente de celles qui viennent d’être énumérées. Nous emploierons une méthode qui, semble-t-il, n’a jamais été pratiquée avec une exactitude et une continuité sans lacune. Non pas qu’au cours de notre examen nous ne devions rencontrer, discuter et juger les divers états de conscience que nous découvrirons lorsque nous aurons à discerner ce qui dépend de la liberté humaine en face de ce qu’on pourrait appeler, par hypothèse, les offres et les exigences du plan divin. Mais, avant d’examiner les déficiences variables que peut introduire notre volonté arbitrale dans l’ordre essentiel de ce plan et de l’activité normale de la raison humaine, il importe essentiellement de décrire et d’apprécier ce que la philosophie a de positif à fournir en face de ces offres et de ces exigences de la religion chrétienne. Car, de part et d’autre, des données positives sont fournies et, en gardant leur caractère propre, ces deux disciplines, humaine et chrétienne, n’ont point seulement à se juxtaposer : [ix] chacune d’elles conserve une initiative originale en même temps que chacune prépare ou stimule une coopération et, à vrai dire, une sorte d’hymen pour une union féconde. Qu’on ne s’inquiète pas de ce qu’une telle assertion offre d’apparente obscurité ou de paradoxale convergence. Ce que, dès l’abord, nous voulons et devons écarter, c’est l’idée trop fréquente d’un parallélisme ou d’une superposition qui n’admettrait aucune influence réciproque.

Déjà il résulte de ces prémisses une double conséquence. La devise « en esprit et en vérité » a, en fait et en droit, deux significations différentes, également légitimes, également positives et indispensables dans la vivante réalité d’une cohérence et d’une symbiose sans aucune confusion de pouvoirs. L’initiative philosophique a, par elle-même, une valeur réelle dont ne peut se passer l’étude de la destinée humaine. L’apport chrétien n’est pas une surcharge ou un refoulement : il est un soulagement, une promotion, qui à son tour fournit des lumières pour la raison et assure une « philosophie ouverte », — philosophie d’une inépuisable fécondité, non seulement par une cohérence intellectuelle, mais dans une coopération comparable à une sorte d’union conjugale.

Une telle annonce peut, dès l’abord, sembler chimérique ; et, ce qui serait plus grave, on pourrait s’imaginer qu’elle méconnaît l’initiative propre de la philosophie dans son indépendance qui demande à être partout et toujours autarcique ; d’autre part, plusieurs craindraient peut-être que la promiscuité de la raison naturelle et du surnaturel chrétien rapprochât illégitimement des initiatives incompatibles et confondît celles de notre pensée avec ce qui leur est incommensurable, les dons et les exigences de la grâce.

Afin de justifier et d’éclairer d’avance notre marche, nous faisons appel à une des pages les plus paradoxales que, dès le début des Évangiles, propose à notre méditation chacun des quatre évangélistes. Si la méthode dont [x] s’inspirera continuellement le tome premier de cet ouvrage peut paraître incompréhensible ou, du moins, inadmissible au philosophe jaloux d’une entière autonomie, étrange et presque scandaleuse à certains chrétiens, cantonnés dans le surnaturel pur, nous demandons aux uns et aux autres de réfléchir à ce quadruple récit qui s’offre à notre surprise et à notre méditation.

Quoi, en effet, de plus étrange que le baptême de l’eau que demande, que prescrit à son Précurseur le Christ venant apporter le seul baptême efficace pour effacer le péché et inaugurer le règne de Dieu dans les âmes ? Comment ne pas s’étonner avec Jean-Baptiste d’une telle démarche qui semble évidemment renverser les rôles ? Le Baptiste, dont toute la mission est de préparer les voies, de prêcher la pénitence, d’annoncer le Sauveur, n’a-t-il pas le droit et le devoir de protester contre le rôle surprenant qu’il lui est demandé de jouer, comme s’il avait à purifier la pureté même, — celle de celui qui défiera bientôt les témoins de sa vie publique de trouver en lui un seul péché ? Et, quoique purifié dès le sein de sa mère, Jean n’a-t-il pas en effet plutôt à demander à l’Auteur de la grâce le seul baptême de salut qui ne dépend point d’un homme, fût-il déclaré le plus grand, fût-il reconnu le plus saint de l’humanité, et destiné au martyre et au baptême de sang ? Mais non, Jésus insiste et commande. Quelle en est la raison ? Ce ne peut être seulement pour présager, pour sanctifier d’avance l’eau qui servira plus tard au baptême sacramentel ; c’est bien pour signifier la préparation morale et spirituelle qui doit précéder et rendre possible l’accès de la grâce, le vrai baptême, celui de l’Esprit-Saint.

Remarquons, en effet, le contenu de la prédication du Baptiste. Il n’est qu’un précurseur, non seulement annonçant la venue du Messie, mais indiquant les dispositions nécessaires pour le reconnaître, pour le suivre, pour profiter de sa grâce. Que signifient ces métaphores et paraboles, chères aux Orientaux : aplanir les voies, redresser les sentiers [xi] tortueux, abaisser les montagnes et les collines, combler les vallées ? Qu’est-ce, sinon détruire l’orgueil, rectifier les vertus astucieuses, relever les espoirs, ouvrir les cœurs, préparer déjà l’intelligence du Sermon sur la montagne ? Et quelles sont les indications plus précises qui nous frappent encore, lorsque saint Luc nous rapporte les prescriptions morales nécessaires pour accéder au seuil du salut ? Pour l’accueil de la Bonne Nouvelle messianique, des devoirs de probité, d’équité, de charité sociale sont à accomplir, et, s’il y a eu abus de pouvoir ou justice lésée, des torts sont à redresser : « Et les foules l’interrogeaient, disant : « Que devons-nous faire ? » Il répondait et leur disait : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même. » Il vint aussi des publicains pour être baptisés, et ils lui dirent : « Maître, que devons-nous faire ? » Et il leur dit : « N’exigez rien en plus de ce qui vous a été fixé. » Des gens du service armé lui demandaient aussi : « Et nous, que devons-nous faire ? » Et il leur dit : « Ne molestez personne. Ne dénoncez pas faussement. Et contentez-vous de votre paye. » (Luc, III, 10-14.)

Il s’agit bien de vérités d’ordre humain et d’obligations s’imposant à une volonté droite dans l’ordre naturel, préludant à une éventuelle vocation plus haute. Cette rectitude de la raison et de la volonté apparaît comme antécédente et préparatoire à la compréhension et à l’acceptation de ce que doit être l’œuvre messianique et le caractère supra-terrestre du royaume de Dieu. Ce ne peut donc être seulement pour encourager les foules à recevoir le baptême de pénitence que Jésus descend lui-même au Jourdain. Le Christ veut faire comprendre qu’une préparation de la conscience humaine est requise de notre raison parce que, selon les propres paroles du Sauveur : « il convient que nous accomplissions ainsi toute justice », — justice en ce qui concerne l’aveu et la réparation de nos propres fautes, justice en ce qu’exige l’offense faite à Dieu et en vue de [xii] la restitution de la grâce par la Rédemption qui va s’accomplir [1]. C’est ce qu’exprime la double théophanie qui suit aussitôt ce surprenant baptême du Christ : l’apparition de la colombe figurant l’Esprit-Saint, et la voix du Père qui retentit pour annoncer qu’en ce Fils bien-aimé il a mis toutes ses complaisances.

Revenons maintenant au double sens que nous avons attribué à ces simples paroles « en esprit et en vérité ».

La philosophie est comme un premier baptême de [xiii] l’eau, qui prépare les voies à la lumière intégrale, mais qui, par ses résultats positifs, suscite des problèmes légitimes qu’elle ne peut résoudre complètement elle-même. Cette tâche est indispensable pour préparer les voies à des vérités qui n’auraient pu être pleinement découvertes par notre seule raison, quoique celle-ci, mise en présence d’un enseignement révélé, y trouve des clartés stimulantes et nourrissantes. Mais par cela même que, sous cette illumination, la philosophie s’accroît de nouvelles données, elle trouve, au delà de ses limites précédentes et toujours provisoires, de nouvelles difficultés à résoudre et de nouvelles clartés à accueillir. Ce rythme d’une marche cycloïdale se poursuit dynamiquement, sans qu’il faille se borner à recueillir et à développer séparément des données imparfaites de la raison à côté de mystères révélés qu’on accepterait passivement comme absolument incompréhensibles ou qui seraient à exclure de toute spéculation rationnelle.

Dès lors, au lieu de juxtaposer un ordre rationnel clos à un apport qui lui resterait étranger et comme limitatif, nous profitons d’une double source de lumière et de vitalité spirituelles. Et n’est-ce point là la parole du Christ qui, en commandant à Jean de lui conférer le baptême de l’eau, annonce que le baptême de l’Esprit permettra l’avènement de l’œuvre divine de surnaturalisation, dans « l’accomplissement de toute justice » ? En réalité, la méthode des deux baptêmes est étrangère et supérieure à toutes les difficultés imaginées, ou même imaginaires, qui compliquent la confrontation de la philosophie et de l’ordre chrétien. Et cette procédure, apparemment inédite ou qui paraît ne point avoir été développée en sa cohérence et en son dynamisme intégral, semble la seule méthode normale pour poser, élucider et résoudre la question essentielle des rapports de la philosophie avec le christianisme. On n’en comprendra la signification et l’extension qu’en la voyant mise en œuvre avec une continuité sans brisure ni lacune.

L’objet propre du tome premier de cet ouvrage c’est [xiv] de rendre manifeste la double chaîne des initiatives rationnelles alternant avec les apports du plan divin, afin de montrer la destinée supérieure à laquelle l’humanité est appelée obligatoirement. De ce point de vue, où se rencontrent les initiatives rationnelles et morales de la nature humaine avec une vocation transcendante, il nous apparaîtra que l’accord de ces deux puissances, normalement développées, est entièrement justifiable et que le dessein créateur s’adapte même à tous les écarts de la liberté humaine, sans qu’aucune des conséquences des erreurs et des fautes de l’humanité fasse échouer le dessein primitif, tout en étant une occasion de mettre en une plus saisissante évidence la plus équitable justice et la plus sublime miséricorde. C’est donc bien le caractère irréprochable du plan providentiel en sa tenace plasticité que nous avons à mettre en relief, depuis l’initiale vocation supérieure de créatures surnaturalisées jusqu’à l’accomplissement de la Rédemption rouvrant l’accès de l’adoption divine à une destinée encore enrichie par ce que le texte sacré appelle l’excès même de l’amour de Dieu pour l’humanité.

Nous nous placerons donc, si l’on ose dire, au point de vue du Créateur, du Médiateur et Sauveur et du Sanctificateur qui, bien que se suffisant absolument, ont cependant voulu, tout gratuitement, appeler à l’existence des êtres qu’ils rendraient capables d’adoption divine, en leur accordant, par des voies admirables, le pouvoir de devenir des « enfants de Dieu ».

*
* *

Dans un tome second, nous aurons à manifester non plus la générosité, la souplesse, la richesse toujours accrues du plan providentiel, mais les besoins, les risques que court l’humanité, les ressources mises par Dieu à sa disposition pour soutenir la foi, la vitalité, la permanence de la chrétienté, à travers l’épreuve de ce monde jusqu’à la fin des temps et jusqu’à l’accès de la vie éternelle ou de la mort [xv] qui ne meurt plus. Le sens probant et confirmatif des mystères glorieux, l’effusion de l’Esprit-Saint et la prolongation en ce monde de la vie du Christ, par l’Église, par les sacrements, par la tradition et la discipline, forment un ensemble, parfaitement cohérent lui aussi, à travers même les tempêtes et les naufrages qui n’empêchent ni l’Église visible ni l’Église invisible d’être, ostensiblement ou secrètement, infailliblement survivante, au sein de l’humanité itinérante.

*
* *

Le tome troisième nous rappellera à nos perspectives présentes. Chaque siècle, chaque génération a son devoir immédiat. Quoique la tradition maintienne tout l’apport du passé et l’intégrité de l’éternelle Bonne Nouvelle, nous sommes avertis cependant que nous ne pouvons, à chaque stade, porter de façon explicite et opportune l’infini contenu de l’héritage du Christ. C’est pourquoi il y a toujours nova et vetera ; et il nous importe, il importe à l’avenir, comme au passé, de travailler à une adaptation toujours renouvelable, selon la vieille devise : vetera novis augere, in eodem sensu et in eadem sententia. En des sens bien divers ou même totalement opposés, on parle d’ « ordre nouveau » à instaurer ; et nos hymnes sacrés donnent un sens impératif à ces mots : recedant vetera ; nova sint omnia, corda, voces et opera ; mais il ne faut pas oublier que c’est du « vieil homme », de l’homme de péché qu’il est ainsi parlé : l’« homme nouveau » est toujours à raffermir, à recréer, en chaque personne, en toute société, en l’humanité entière. L’œuvre de paix demande aux hommes de bonne volonté une rénovation de la vie chrétienne dans le monde, une extension de l’apostolat missionnaire et peut-être aussi d’abord cette union tant désirable de tous ceux qui se réclament du Christ, par une adhésion à l’unité du seul bercail, du seul Pasteur. Et de même qu’en parlant des deux baptêmes nous insistions sur le rôle et les initiatives [xvi] d’une saine et courageuse philosophie, nous devrons également, pour conclure tout cet ouvrage, faire ressortir l’importance du retour à une saine éducation de la vie familiale, sociale, morale, internationale et chrétienne, afin de tendre à embrasser le « Christ intégral », à réaliser son vœu suprême : sint unum ! et à préparer ce corps mystique par lequel il unira à son Père céleste tous les invités du « banquet de la divinité ».

(Cet ouvrage sur La Philosophie et l’esprit chrétien fait suite aux cinq tomes sur La Pensée, L’Être et les êtres et L’Action. Quoique inaugurant une nouvelle série, de méthode et de caractère différents, il devait recourir à la même typographie ; mais puisque d’impérieuses circonstances ne permettent pas de marquer matériellement la continuité de l’œuvre d’ensemble, entreprise sur des plans hiérarchisés, nous recourons à cette édition d’attente. Cette décision, conforme à maints désirs qui m’ont été vivement manifestés, offre des avantages dont je demande à mes lecteurs de me faire le plus possible profiter. Je les prie, en vue d’éditions ultérieures, de me signaler leurs remarques et leurs suggestions ou les difficultés qui leur font souhaiter un plus complet développement de certaines thèses, annoncées dès l’Introduction générale, pour les tomes II et III) [2].



[1] Que le lecteur ne soit pas mis en défiance par le langage qui vient d’être employé, comme si nous introduisions subrepticement cela même qui est en question. Si nous usons ici de textes de l’Évangile et si nous recourons à des indications qui pourraient sembler présumer la foi, ce n’est point pour suggérer peu à peu l’adhésion à des dogmes impliquant de véritables mystères. Nous voulons seulement faire comprendre le paradoxe de la méthode à laquelle nous recourons dans notre itinéraire, qui part d’une initiative rationnelle, qui se poursuit en une autonomie philosophique, qui se maintient en des assertions reconnues positivement légitimes au regard de notre pensée visant toujours à déployer toutes ses exigences et ses puissances propres, selon la belle devise d’un Ancien : rationem quocumque ierit sequar, et selon le précepte que Platon met sur les lèvres de Socrate : « Partout où la raison nous emportera de son souffle, c’est là qu’il faut aller, ὅπη ἄν ὁ λόγος ὥσπερ πνεῦμα » (République, III, 394 d). C’est donc de toutes nos ressources rationnelles que nous userons en face et en raison même des apports chrétiens, qui seuls offrent une issue aux impuissances reconnues de la raison sincère avec elle-même lorsqu’elle ne peut ni avancer, ni reculer devant les apories qui se présentent inévitablement sur sa propre route. Ce qui résulte, en effet, pour nous présentement du récit des deux baptêmes, c’est que conscience et raison, en nous, ont légitimement un rôle initial, fondé sur des clartés naturelles, et que ce n’est nullement par une participation directement surnaturelle que s’exerce la méthode ascensionnelle de notre intelligence en son réalisme total. (Nous aurons à insister sur cet essentiel « accomplissement de toute justice » par deux voies distinctes et finalement harmonisées.)

Loin donc de surnaturaliser d’emblée, de façon confuse ou présomptueuse et pervertissante, l’élan spirituel de la conscience proprement humaine, nous chercherons et trouverons toujours dans l’activité de la raison un fonds positif et solide à mettre en culture. C’est sur ce fonds même que peut et doit s’insérer l’œuvre authentique d’une vocation, d’une rédemption, d’une élévation qui, impossibles à la seule nature humaine, la parfont grâce à une adoption divine et à un don gratuit qu’il n’est pas légitime de repousser. Nous aurons à revenir sur cette destinée, dont le caractère obligatoire est en effet à justifier en ce qu’il a d’apparemment paradoxal, mais qui ne lèse ni la condition naturelle de l’homme en sa dignité d’être libre, ni l’équité ou la bonté divine. On voit par là que nous ne nous déroberons à aucun des problèmes inquiétant bien des consciences dans la crise contemporaine qui travaille l’humanité et qui suscite tant d’interprétations déficientes ou délétères, là même où il est nécessaire d’éclairer et d’apaiser les esprits et les cœurs.

[2] Ces seize lignes figuraient dans la première édition de l’ouvrage, imprimée au début de l’année 1944. On a cru devoir les conserver dans une simple réimpression. (Note des éditeurs.)



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 25 janvier 2010 8:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref