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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La Pensée. Tome II. Les responsabilités de la pensée et la possibilité de son achèvement. (1934)
Perspectives


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Maurice Blondel, La Pensée. Tome II. Les responsabilités de la pensée et la possibilité de son achèvement. (1934) Paris : Félix Alcan, Éditeur, 1934, 558 pp. Une édition numérique de Damien Boucard, bénévole, professeur d'informatique en section post-bac, en lycée, en Bretagne, France.

Perspectives


Les doubles démarches nécessaires et volontaires
de la pensée 
[
1]


Jusqu’ici nous avons suivi, simples spectateurs, le développement rythmé de la pensée, en ce qu’il a de spontané, comme une force de la nature et comme une impulsion contrainte ou même contraignante. Lors donc que nous parlions de tendance, d’aspiration, d’effort vers l’unité, de démarche vers une fin implicitement convoitée, [10] il pouvait sembler qu’il s’agissait de métaphores anthropomorphique, d’interprétations subjectives qui n’interviendraient qu’après coup pour éclairer d’une lumière factice une histoire à laquelle nous restons étrangers, sans que préalablement nous y soyons intéressés, sans que nous ayons ensuite à entrer dans le drame et à prendre rang d’acteurs. Mais voici que nous abordons la scène où, comme tel personnage de Molière, nous ne paraissons qu’au 3e acte, mais pour un rôle si préparé, si attendu, si capital ! De nobis agitur, même quand nous ne semblions pas encore être là.

Toujours est-il que survient un point du développement naturel et pour ainsi dire fatal de la pensée où, mis forcément en possession des conditions de la raison et, partant, de la liberté, cette pensée réfléchissante se trouve en état et en demeure d’intervenir dans l’élaboration de sa propre histoire, dans l’ajustement de ses moyens, dans la recherche et la poursuite de ses fins proches ou ultimes. In manu consilii sui ponitur. De ce point de vue nouveau et plus compréhensif, elle pourra peut-être intégrer tout ce qui précède obscurément son progrès, désormais éclairé et ratifié ; mais surtout elle va, moins passive, moins purement réceptive, avoir à disposer (dans les cadres qu’elle paraît subir quoiqu’au fond ils répondent à ses besoins intrinsèques) ses initiatives clairvoyantes ou ses erreurs d’orientation.

Ainsi — on le comprend déjà, on s’en rendra de mieux en mieux compte — la pensée, d’abord captive au sein de la nature comme dans une ténébreuse matrice où elle est préparée à la vie de lumière, commence par être formée et subie, même en ce qu’elle a déjà d’activité. Toutefois, par son évolution même, elle émerge du flot qui la roulait en lui et où elle continue à prendre appui et mouvement, mais pour apercevoir l’horizon, étudier l’océan, éviter les écueils, tendre au port. [11]

Néanmoins avant d’examiner son itinéraire et de la suivre en son périple, une enquête circonspecte s’impose à nous ; tant l’aspect sous lequel il nous importe de la considérer a été peu remarqué et tant il est malaisé de l’étudier méthodiquement. Il nous faut donc rendre explicites les démarches qui suscitent l’intervention de décisions intelligentes. Il nous faut réfléchir aux raisons secrètes qui provoquent cette apparition d’une forme ou d’une fonction neuve de cette pensée libérée ; il nous faut ainsi faire comprendre les conflits, les dangers, les responsabilités nées de cet imbroglio qui fait succéder à l’épopée de la pensée en gestation ab origine mundi un drame dont nous avons à étudier les péripéties, avant et afin de le conduire à son tragique ou sublime dénouement.

Si quelques lecteurs avaient été surpris et même choqués par le paradoxe initial d’une pensée cosmique, obscurément travaillée par une dualité qui naît cependant d’une invincible recherche de l’unité toujours fuyante, nous allons peut-être — même s’ils avaient fini par agréer quelques-unes des perspectives précédemment ouvertes devant eux — les étonner encore en leur proposant, non plus seulement au sein de l’univers mais au plus intime de la pensée elle-même, une opposition secrète, une fissure d’autant plus incurable que, au moment même où l’idée de Dieu est venue en rapprocher les bords, la blessure loin de se cicatriser apparaît plus profonde et plus meurtrière pour nos espoirs de solution pacifiante.

Tel est donc l’enjeu de la recherche qui s’impose nécessairement à nous par l’effort cohérent de toute pensée fidèle à sa propre lumière, mais qui requiert une intervention de notre part. Car si cette genèse inévitable d’une réflexion inquiète et libératrice surgit en nous, même à notre insu et contre notre gré, cette liberté, fille de la nécessité apparente, n’est pas nécessitante ; elle [12] devient mère d’options éclairées, volontaires, imputables à notre responsabilité ; la voilà donc principe de lumière nouvelle et décisive pour le sort suprême de l’esprit.

Il faudra même aller plus loin. Car, si notre pensée reste constamment travaillée, comme le monde et plus que le monde entier, par une parturition — toujours avortée — d’unité, un problème se posera forcément à nous devant le bord de la faille que nous ne parvenons jamais à combler, à sonder : est-il concevable que, si nous n’achevons jamais notre pensée, il y ait cependant une pensée pure et parfaite, la pensée en soi, la « Pensée de la pensée » qui serait la réalité même et la perfection absolue de l’esprit ? Et ne voit-on pas que la solution d’une difficulté si suprême est néanmoins la seule réponse capable de fournir le mot de notre propre énigme ? Mais aussi ne devrons-nous pas chercher comment, sans présomption, nous aborderons une telle question, tout au moins pour indiquer dans quelle mesure, — si insoluble qu’elle puisse paraître pour nous et par nous, — il est toutefois concevable et légitime d’indiquer les conditions qui rendraient possible une réponse ?

Nous verrons plus tard que la solidité ou même la possibilité de nos connaissances partielles ou des réalités subalternes dépend d’un tel problème implicitement posé et de la solution virtuellement escomptée ; car s’il n’y avait point de lien entre les formes les plus rudimentaires de la pensée, de l’être et de l’action, la notion de vérité, l’idée de l’existence, l’élan de l’aspiration spirituelle seraient radicalement inintelligibles, irréalisables, impossibles à concevoir et à poursuivre. Mais notre tâche présente est plus limitée ; et il importe de parcourir d’abord les étapes intermédiaires d’une route sans lacune et sans discontinuité.

Ce que nous avons présentement à comprendre, c’est le fait d’une apparente symbiose en nous de deux formes [13] hétérogènes de pensées conjointes. Toujours sans doute on les a plus ou moins discernées ; il reste cependant à expliquer d’où elles procèdent, comment par leur inévitable développement elles engendrent un problème qui suscite et met en cause notre responsabilité. Et dès lors l’idée même d’une liberté est intégrée dans la vie d’une pensée vraiment consciente de soi et intelligible pour soi. Mais aussi des risques apparaissent ; une éducation, une rectification deviennent nécessaires pour que l’ordre des libres options se conforme à l’ordre des vérités subsistantes et des cohérences essentielles. A cette condition seulement nos pensées en devenir participeront à ce qu’on peut appeler l’intelligibilité et la bonté intrinsèque de la pensée parfaite, telle que nous devons la concevoir idéalement et la viser réellement. C’est grâce à cette droiture de notre pensée la plus personnelle que nous pourrons approcher le problème de la pensée pure, la question de savoir s’il y a un absolu du penser, une perfection intelligiblement et intelligemment subsistante, en qui se trouvent unis et distincts l’être, le penser et l’agir, dans une réciprocité de réalité, de vérité et de charité constitutives. [14][15]



[1] Tout en réclamant l’examen des techniciens pour un itinéraire un peu inexploré, ce tome second est accessible en ses parties essentielles à un public plus dégagé des questions d’école. d’esprit plus libre et moins tourné vers les dessous de la pensée que vers les problèmes concernant la valeur de la science, les devoirs intellectuels, le sens de l’ordre social et de la civilisation humaine, le but même de la vie spirituelle. Toutefois ce volume ne forme avec le précédent qu’un organisme étroitement lié : c’est pourquoi nous rappelons par la désignation numérique des parties les étapes antérieures. Cette numérotation sert à montrer la continuité d’un ouvrage d’ensemble qui ne trouve sa signification entière que par la liaison de tous ses membres et par l’intégration même des problèmes nés les uns des autres. Nous rappelons ici que les chiffres arabes insérés entre parenthèses dans le texte renvoient aux excursus ou commentaires justificatifs, qui figurent pour les 31 premiers nombres, à la fin du tome I, pour les nombres suivants à la fin de ce volume II. Et ces renvois peuvent être reproduits à diverses reprises quand il y a intérêt, pour le lecteur, à se reporter aux explications ou aux applications fournies à l’appui ou en marge de notre étude directe.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 17 janvier 2010 18:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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