RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les caractères originaux de l'histoire rurale française. Tome I. (1931)
Avertissement au lecteur


Une édition électronique sera réalisée à partir du texte de Marc Bloch, Les caractères originaux de l'histoire rurale française. Tome I. (1931) Paris: Librairie Armand Colin, 1968, nouvelle édition, 5e tirage, 265 pp. 18 planches hors texte. Collection: Économies, sociétés, civilisation. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l'Université de Paris.

Avertissement au lecteur

par Lucien Febvre 

Publié pour la première fois à Oslo en 1931, en même temps qu’à Paris aux « Belles-Lettres », le livre de Marc Bloch : Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, est épuisé depuis longtemps. De son vivant, Marc Bloch avait le ferme dessein de le rééditer : il me l’a dit bien des fois. Mais il n’était pas question pour lui de reproduire purement et simplement son texte original. Il savait, mieux que personne, qu’un historien n’arrête pas le temps — et que tout beau livre d’histoire est à refaire au bout de vingt ans : ou alors c’est qu’il a manqué son but, qu’à personne il n’a communiqué le désir de vérifier ses fondations et de dépasser en les précisant ses conceptions les plus hardies. Le temps a manqué à Marc Bloch pour refaire son grand livre comme il l’eût désiré. L’eût-il vraiment refait d’ailleurs ? J’ai dans l’idée qu’à cette tâche un peu mélancolique et difficile entre toutes (car un auteur, retravaillant une de ses œuvres anciennes, se sent malgré tout prisonnier de son canevas primitif et ne peut que peiner à s’en détacher), Marc Bloch eût probablement préféré l’amusement d’un nouveau livre à concevoir et à réaliser... Peu importe ; notre ami a emporté dans sa tombe ce secret en même temps que bien d’autres. Et le fait est là : un de nos classiques de l’Histoire attend, depuis vingt ans, sa réédition : la voici. 

Elle est faite de deux éléments. D’une part, elle reproduit tel quel le texte même, le texte original de 1931 — le texte du beau livre qui dut sa naissance à une heureuse initiative de l’Institut pour l’Étude comparative des Civilisations d’Oslo. On sait comment, en 1929, risquant un pas hors de son domaine accoutumé, cette grande institution, qui appela à collaborer à sa tâche, tour à tour, des hommes comme Meillet, Vinogradoff, Jespersen, Karlgren, Magnus Olsen, Alf. Dopsch, et d’autres — eut l’heureuse idée de demander à Marc Bloch, jeune encore et qui, au seuil de sa carrière, cherchait sa voie, quelques leçons sur les Caractères originaux de l’histoire rurale française. — Ce sont ces leçons, — professées avec un succès qui, pour la première fois, donna à Marc Bloch le sentiment de sa force et de sa jeune maîtrise, — qui, remaniées, approfondies, élargies, devinrent le livre dont nous nous sommes tous servis : le très beau livre, disais-je dans la Revue historique, en saluant son apparition, d’un homme qui, chassant loin de lui le spectre d’une « réputation pIV scientifique » à ne pas compromettre aux yeux des pédants par l’omission, peut-être, aux Notes bibliographiques, de deux livres dignes d’être ignorés à jamais, sut d’une main sûre dresser un bilan et tracer un programme. 

L’entreprise était ardue — car, la France étant ce qu’elle est, un pays formé de contrées très différentes les unes des autres et par les conditions géographiques, et par les traits particuliers d’un peuplement plus varié et plus mêlé qu’on ne pense, et par l’action, sur les terres que nous nommons françaises, de plusieurs civilisations matérielle et morales concurrentes — il n’était pas simple sans doute de dégager les traits essentiels d’une histoire agraire qui ne pouvait qu’être infiniment complexe. Mais l’entreprise était non moins nécessaire : la France étant un très vieux pays agricole, ne pas accorder à son histoire rurale toute l’importance qui convenait — c’était s’exposer à très mal comprendre le passé, et même le présent, d’un pays dont les révolutions ne furent très souvent que des résurrections. Bloch eut de l’audace en affrontant, le premier, tant de risques. Il eut autre chose encore — et c’est par là que Les Caractères originaux sont un grand livre. 

Certes, avant 1931, il s’était trouvé des hommes connaissant la technique des champs pour décrire, non sans mérite, « l’évolution de la France agricole » : c’était le titre d’un livre fort estimable d’Augé-Laribé, qui nous rendit bien des services en son temps. Et, dans le domaine propre de l’histoire, on, savait rencontrer quelques gros livres fortement pensés : songeons à L’Alleu de Fustel ou, plus discutable sans doute, mais vivant et provocant à la recherche, au travail, trop oublié peut-être, de Jacques Flach sur Les Origines de l’ancienne France. Il y avait même des manuels — et qui n’utilisait alors, en dépit de ses défauts, de son juridisme et de son manque de vie, celui d’Henri Sée : Les Classes rurales et le régime domanial en France au moyen âge ? Seulement, pour ces historiens — pour tous ces historiens, sans exception, la technique agricole était lettre close. Je pouvais écrire en 1932 que « leurs paysans ne labouraient que des cartulaires, avec des chartes en guise d’araires ». Qu’en particulier pour les maîtres des seigneuries, des problèmes proprement économiques aient pu se poser : c’était là une idée qui ne venait à personne. Pas plus que cette autre idée, fort simple cependant en apparence : c’est qu’on ne pouvait étudier les questions agraires dans le cadre de sa commune — ou de sa province. Elles se posent toutes, à tout le moins, sur le plan européen. Elles sont gibier d’historien comparatiste. 

C’est parce qu’au souci de ne pas faire de l’histoire agraire sans savoir ce qu’est un bœuf, une charrue et un assolement, Marc Bloch était capable d’ajouter, tout à la fois, l’intelligence approfondie des textes et des documents ; le sens des réalités économiques vivantes ; le souci du mode d’existence des hommes d’autrefois ; enfin une connaissance large et précise des êtres qui, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique et ailleurs — de Meitzen à Des Marez en passant par Seebohm et Vinogradoff, avaient eu le souci des grands problèmes d’histoire rurale ; c’est parce qu’il pouvait mobiliser tant d’aptitudes et féconder tant de connaissances diverses les unes par les autres que, en ce temps-là, le jeune professeur de l’Université française de Strasbourg était capable de nous donner le livre, qui nous faisait défaut — et d’engager dans la voie qu’il traçait avec autorité tant de jeunes hommes heureux de rencontrer un maître. 

Mais, et Bloch le savait mieux que personne, — le livre de 1931 ne pouvait être fécond que dans la mesure où il se révélerait rapidement provisoire. Où, petit à petit, il serait pillé sans doute (nos livres sont faits pour cela), digéré, transféré dans le domaine commun — et, plus encore, discuté, contredit, rectifié et révisé sans arrêt. Bloch le savait et, avec plus d’ardeur, plus d’autorité, plus de compétence que personne, il s’employait le premier à ce labeur de rénovation. Ne lui en faisons pas un mérite moral. Il faut être stupide pour se juger infaillible. Il faut être le contraire d’un historien pour croire au livre « définitif ». Il faut être borné mesquinement pour ne pas saisir la grandeur d’une besogne incessante d’élargissement, d’approfondis­sement, de mise au point des conceptions les plus brillantes, des constructions les plus solides en apparence. On peut dire que tout ce que Bloch a écrit dans les Annales sur les problèmes agraires, entre 1931 et 1941, n’a eu qu’un objet : serrer de plus près les réalités que le livre avait réussi à embrasser sous sa forme première — en vérifier les fondations, en élargir la portée. Et cela nous créait, dès lors que nous nous proposions de republier le livre introuvable de 1931, une autre obligation. Puisque Bloch n’était plus là pour faire lui-même le point — nous devions dans toute la mesure du possible le faire à sa place. Non pas en substituant à la sienne notre pensée. — Mais en ne négligeant rien de la sienne ; en recueillant pieusement toutes les suggestions, toutes les corrections, toutes les rectifications que, de 1931 à 1941, pendant dix ans de labeur incessant, Bloch avait apportées à sa pensée. Tâche ardue. pVI Elle supposait chez celui qui l’entreprendrait beaucoup d’abnégation en même temps que beaucoup de doigté ; ne parlons pas de la compétence. Nous avons prié de la mener à bien un des disciples de Marc Bloch, Robert Dauvergne — historien d’esprit curieux et inventif, préoccupé des problèmes agraires et ayant depuis quelques années en chantier, pour son compte personnel, un livre important sur la Beauce. Il ne nous appartient pas de faire l’éloge de la façon dont il a compris cette tâche. Disons simplement que nous aurions souhaité voir ce travail délicat terminé assez vite pour qu’il pût paraître en même temps que la réédition du texte de Bloch et sous la même couverture. Cette rencontre s’est trouvée impossible. Nous avons donc pris le parti de taire paraître d’abord, « nu » pour ainsi dire, le texte original des Caractères ; un second volume apportera demain à nos lecteurs les éléments de progrès dont les articles, les mises à jour, les comptes rendus critiques de Marc Bloch postérieurs à 1931 nous permettent de disposer pour donner à son texte initial un surcroît d’intérêt et de vie. 

Un surcroît, pas autre chose. Car, du livre que nous rééditons, quelque chose restera, de grand et de durable : sa formule même. Les Caractères originaux, écrivais-je en 1932, « marquent l’avènement d’une histoire rurale, qui, mitoyenne entre l’histoire de la technique agricole, du régime domanial et de l’évolution comparée des peuples européens, va devenir pour longtemps un des champs d’études les plus féconds du domaine historique, — un de ces lieux de choix où pourront le plus aisément s’entendre pour collaborer les historiens soucieux de réalités et les géographes curieux d’origines ». Il ne me déplaît pas d’avoir été aussi bon prophète, au lendemain même de la publication des Caractères, et quand leur succès n’était qu’une espérance. 

Lucien Febvre.

 

Nous ne saurions poser la plume sans dire de quel concours de désintéressements cette nouvelle édition s’est trouvée bénéficiaire — avant même de sortir des presses. L’Institut pour l’Étude comparative des Civilisations d’Oslo a bien voulu nous donner gracieusement l’autorisation de reproduire un texte qui lui appartenait. Et nous n’avons trouvé, une fois de plus, que compréhension et générosité chez les enfants de Marc Bloch. Au nom des bénéficiaires de l’entreprise, qu’ils soient remerciés ici comme il convient.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 5 mars 2008 10:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref