Dantès Bellegarde, La Nation Haïtienne


 

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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Dantès Bellegarde, La Nation Haïtienne. (1938)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Dantès Bellegarde, La Nation Haïtienne. Paris: J. De Gigord, Éditeur, 1938, 361 pp. Une édition réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté d'ethnologie de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti.

[vii]

La nation haïtienne.

Préface

Des amis étrangers se sont souvent étonnés de ne trouver aucun ouvrage haïtien qui, décrivant en un tableau d'ensemble Haïti et son peuple, permette d'en prendre une connaissance objective.

C'est ce livre que nous avons eu l'ambition d'écrire pour nos amis étrangers et aussi pour les Haïtiens assez peu familiarisés, en général, avec l'histoire de leur pays et les conditions d'existence de la nation haïtienne.

L'entreprise était à la fois modeste et hasardeuse : modeste, parce que nous ne prétendions à aucune originalité, notre souci étant de réunir des renseignements exacts et non de discuter des théories et d'exposer des plans ; hasardeuse, parce que la description des principaux aspects de la vie haïtienne exige une documentation considérable qu'il fallait utiliser sans excès pour montrer, dans leur vérité, le passé et le présent de la jeune république.

Par sa géographie physique et humaine, par son histoire, par son organisation économique, son système d'éducation, sa religion, sa culture, Haïti mérite de retenir l'attention de tous ceux qui étudient l'évolution des peuples.

Géographiquement, elle est au croisement des principales lignes structurales des Grandes Antilles, ses chaînes montagneuses étant en direction, au nord, de la Sierra Maestra de Cuba ; à l'est, des hauteurs de Puerto-Rico ; au sud, des montagnes de la Jamaïque. Par suite des bouleversements dont elle a été le théâtre en des temps immémoriaux, elle offre au naturaliste, en un espace relativement restreint, une telle variété de terrains géologiques et une si grande diversité de formes végétales et animales que les ornithologistes américains Wetmore et Swales ont pu écrire que l'île d'Haïti « est, au point de vue biologique, la plus remarquable des Indes Occidentales ».

Historiquement, aucun peuple de la terre ne mérite plus que la nation haïtienne, sortie par un effort héroïque de l'esclavage [viii] le plus abrutissant, l'étude loyale et sympathique des historiens intéressés à la formation et au développement des États.

Un auteur haïtien, M. Louis-Joseph Janvier, a fort justement écrit qu'« Haïti est un vaste champ d'expérimentation sociologique » à cause des phénomènes ethniques, religieux, économiques, culturels, qu'on y peut observer. Elle est en effet le creuset où les différentes races de l'Afrique et les multiples éléments de la nation française ont, durant plusieurs siècles, intimement mêlé leurs sangs : de cette greffe du cep français sur le rameau africain est sortie une formation ethnique qui, sous le rapport de l'esthétique corporelle comme de la culture intellectuelle, est infiniment intéressante pour l'ethnologue et l'eugéniste.

Comment, d'autre part, le christianisme, apporté dans l'île depuis 1492, a pu détruire ou absorber dans l'âme du peuple haïtien les croyances africaines ; comment se sont combinées, pour régler l'évolution politique de l'État d'Haïti, les traditions monarchiques de l'Ancien régime français, les idées libertaires et égalitaires de la Révolution française et le vieux fonds de despotisme africain : voilà aussi des problèmes du plus haut intérêt pour un historien philosophe.

Au milieu de la crise mondiale actuelle dont les désastreuses conséquences ont atteint les petites comme les plus puissantes nations, il est instructif de connaître l'organisation économique d'Haïti et de mesurer la résistance qu'elle a pu opposer au cyclone universel grâce à sa paysannerie maîtresse du sol et à son régime de petite culture ; cette étude révélera que le problème agraire, qui est à l'heure présente la préoccupation obsédante de nombreux pays européens ou américains l'Irlande et le Mexique par exemple a été résolu depuis plus d'un siècle par Haïti dans le sens le plus démocratique.

De même que la géographie l'a mise à la croisée des lignes structurales de l'archipel antillais, l'histoire a voulu gue l'île d'Haïti fut le point de rencontre en Amérique des trois grandes cultures contemporaines : la culture espagnole, la culture française et la culture anglo-saxonne. Sur cette terre haïtienne, Espagnols, Français et Anglais ont mêlé leurs sangs à celui des Noirs d'Afrique dans de rudes et glorieux combats où s'illustra symbole saisissant ! le nègre génial Toussaint-Louverture : les Haïtiens pensent que la collaboration de ces trois grandes cultures, fortifiées par la jeune sève africaine, peut leur donner, grâce à un éclectisme intelligemment pratiqué, la solution de leur problème national d'éducation.

[ix]

« Collaboration » est un mot cher aux Haïtiens, car ils ont appris de bonne heure à pratiquer la coopération internationale. Haïti avait seulement un an d'indépendance quand elle accueillit à Jacmel, en 1805, Francisco Miranda. Simon Bolivar, dénué de ressources, vint en 1816 et 1817 lui demander assistance, et généreusement elle mit à sa disposition argent, armes et hommes : comme seule récompense, le président haïtien Alexandre Pétion réclama du jeune héros l'abolition de l'esclavage dans l'Amérique hispanique. C'est pourquoi les Vénézuéliens reconnaissants ont élevé sur l'une des places publiques de Caracas une statue à Pétion, l'estimant digne de figurer à côté de leur libérateur, de même que par une récente décision officielle la République de Colombie a affirmé sa gratitude à Haïti pour l'aide efficace donnée à son fondateur. Peut-être se trouvera-t-il un jour des Américains assez soucieux d'histoire pour demander qu'une statue de Toussaint-Louverture soit érigée dans la capitale fédérale des États-Unis se rappelant que leur grand historien Henry Adams a reconnu en termes formels que les Haïtiens, en combattant pour leur liberté et en réduisant en 1803 l'armée de Leclerc, détruisirent définitivement le rêve napoléonien d'un empire français dans la vallée du Mississipi et contribuèrent de cette façon au maintien et au développement de la puissance nord-américaine.

En nos temps d'inquiétude universelle, aucun État ne donne plus fidèlement et de manière plus désintéressée que la petite Haïti, son concours à la Société des Nations pour l'instauration si difficile de la paix et de la justice internationale. Aucune république américaine n'apporte une plus loyale et plus fervente collaboration à l'Union Panaméricaine en vue de mettre les relations de toutes les nations d'Amérique sur la base solide de l'amitié, de l'égalité et de la solidarité.

Nous nous rendons bien compte gue les sujets que nous venons d'indiquer ne pouvaient être complètement traités en un simple volume. Aussi avons-nous eu le dessein, non de les épuiser, mais de les présenter de manière à intéresser le lecteur à l'ensemble de la vie haïtienne, en lui fournissant les éléments nécessaires pour l'étude approfondie des questions particulières qui l'attireraient plus spécialement.

Dans notre désir de faire œuvre objective et le plus possible impersonnelle, nous avons largement mis à contribution les auteurs étrangers et haïtiens qui ont écrit sur Haïti, les haïtiens particulièrement : nous les avons cités souvent, en donnant parfois de longs extraits de leurs ouvrages, parce qu'il [x] nous a semblé que c'était là encore une excellente occasion de montrer l'effort de notre nation dans l'ordre intellectuel. Nous avons d'ailleurs placé à la fin de ce livre une bibliographie indiquant les travaux que nous estimons les plus importants pour une étude approfondie d'Haïti et de son peuple.

A tous ceux qui, directement ou indirectement, nous ont aidé dans la préparation et la publication de notre ouvrage nous présentons ici nos remerciements cordiaux. Notre plus vive gratitude est due aux artistes qui ont bien voulu nous permettre d'utiliser les belles photographies qui ornent ce volume.

Nous saurons gré à tous ceux qui liront ce livre « de bonne foi » de nous signaler les erreurs qui s'y seront glissées et les lacunes qu'il leur paraîtra comporter. Nous accueillerons avec reconnaissance toute critique sincère, parce que notre désir est avant tout de faire une œuvre de vérité qui puisse servir utilement les intérêts de la nation haïtienne en la présentant sans fard aux yeux du mondé, avec ses défauts, qu'on dénonce volontiers, et ses qualités, dont on parle si rarement.

D. B.

Octobre 1936.
Port-au-Prince


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 9 octobre 2017 13:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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