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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Jean-Baptiste de Boyer, Marquis d’Argens, Lettres juives, Tome cinquième [e] (1764)
Préface du traducteur


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Baptiste de Boyer, Marquis d’Argens (1704-1771) Lettres juives ou Correspondance Philosophique, historique & critique, entre un Juif Voyageur en différens États de l'Europe, & ses Correspondans en divers endroits. Nouvelle édition augmentée de nouvelles lettres et de quantité de remarques. La Haye: Pierre Paupie, 1764. Tome cinquième [e], 357 pp. Une édition numérique réalisée par Gustave Swaelens, bénévole, journaliste belge à la retraite, Suisse.

PRÉFACE DU TRADUCTEUR.

J'avois résolu de ne plus répondre aux injures des ennemis de cet ouvrage: l'accueil favorable qu'il trouve auprès du public, me récompensant assez de leurs impuissantes invectives. Mais l'approbation de ce même public me force à dévoiler leur mauvaise foi. Après avoir reconnu qu'ils tentoient vainement de nuire aux Lettres Juives, ils ont voulu répandre leur venin sur le traducteur; & il n'est aucune calomnie qu'ils n'inventent continuellement dans cette vue. 


Je sais que le moyen de les faire cesser seroit de discontinuer l'impression de ce livre; & je veux bien leur avouer que je leur aurois donné cette satisfaction, si cela avoit uniquement dépendu de ma volonté. Ce n'est point à moi qu'ils doivent attribuer la durée d'un ouvrage qui les blesse si fort: c'est à des causes qui m'ont déterminé malgré moi. L'approbation de trois nations différentes, qui l'ont trouvé assez bon pour vouloir se l'approprier par des traductions & des éloges flateurs de plusieurs sçavans de la première volée, m'ont fait violence. J'avoue que le plaisir de me voir applaudi par des hommes illustres l'a emporté sur le chagrin & l'ennui d'être obsédé par les criailleries impertinentes des ignorans, des moines & de quelques misérables barbouilleurs de papier. 


Je consultai, il y a quelques tems, un des plus grands génies de l'Europe; j'ose ajoûter, & le favori d'Apollon. Apprenez-moi, lui dis-je, ce que je dois faire, parlez-moi sans me flatter. Voici ce qu'il m'écrivit: Si les Lettres Juives me plaisent, mon cher Aaron! Eh ne vous l'ai-je pas écrit trente fois? Continuez: je vous le demande au nom de tous les philosophes, au nom de tous les gens qui pensent, au nom enfin de l'humanité. C'est rendre à tous les hommes un service considérable, que de leur donner deux fois par semaine des instructions aussi salutaires. Je connois trop le peu d'étendue de mes lumieres, pour me laisser séduire par un éloge que je mérite si peu. Je l'attribue uniquement à l'amitié, & point du tout à la bonté de mes écrits. Celui d'un sçavant de la premiere classe que je n'ai l'honneur de connoître que par la juste réputation qu'il s'est acquise, doit me flatter davantage. Il a trouvé les Lettres Juives assez passables pour vouloir jetter les yeux dessus: & dans le fond de l'Allemagne, il a eu la complaisance de les honorer de son approbation. [1]

J'ai trouvé en Angleterre des hommes illustres, qui ont eu pour moi la même complaisance que ceux de France & de Berlin. Pouvois-je résister à des éloges aussi flatteurs? Que ceux dont la réussite de mes ouvrages excite la mauvaise humeur, se mettent à ma place: qu'ils se dépouillent pour un moment de leurs préjugés, & qu'ils jugent ce que j'ai dû faire. 


Au reste, je ne trouve point mauvais, que les jésuites aient condamné les Lettres Juives. Si j'étois à leur place, j'aurois agi ainsi qu'eux, à la différence près, qu'en les décriant, je n'aurois point songé à déchirer le traducteur par des calomnies. Qu'ils parcourent tout l'ouvrage dont ils se plaignent si fort: ils n'y trouveront aucune personnalité odieuse. Si leur Société y est blâmée, ses membres particuliers y sont loués. Le Pere Girard lui-même y est ménagé. Que dis-je, ménagé? Il y est à demi innocenté. Ils peuvent donc blâmer mon ouvrage. Il seroit absurde d'exiger qu'une personne approuvât des écrits qui condamnent ses sentimens. Mais il n'est ni du Chrétien, ni du Philosophe, de calomnier son prochain, & de se venger des Ouvrages d'un Auteur sur l'Auteur même. Je trouve très-mauvais, par exemple, qu'on me prête un libertinage d'esprit, qui n'est que dans l'imagination de mes Censeurs. Je n'ai jamais eu d'autre but que de condamner le vice, & de faire aimer la vertu; & je crois avoir toujours très-sincerement respecté ce qui est véritablement respectable. Il est vrai que je ne fais aucun quartier aux fourbes & aux hypocrites. Mais je soutiens, que c'est ce que tous les honnêtes gens devroient faire impitoyablement par-tout, afin de purger toutes les sociétés par-là des malhonnêtes-gens qui les deshonorent, soit par leurs mauvaises moeurs, soit par leur mauvaise doctrine. Si c'est-là ce qu'on traite de plaisanteries sur toute la religion chrétienne en général, on agit avec très peu de bonne foi, & si c'est là le déisme qu'on m'impute, je le soutiens incomparablement meilleur que la prétendue religion de mes censeurs dont les maximes relâchées & corrompues ne sont que trop généralement autorisées. 


Les Jansénistes devroient moins se déchaîner contre moi, que les Jésuites, si, par les Jansénistes, on entendoit les véritables éléves qui restent encore aujourd'hui des Arnaulds & des Pascals. Mais le nombre en est si petit, qu'à peine peut-on en trouver un parmi dix mille fourbes & extravagans, dont les uns font semblant de croire aux miracles de l'abbé Paris, & les autres sont assez imbécilles pour les regarder comme des prodiges célestes de la réalité desquels on ne sçauroit douter. L'approbation de pareils personnages est aussi nuisible que l'estime des sçavans, des sages & des honnêtes-gens est utile & honorable. Je les prie donc de continuer à décrier mes ouvrages; & pour reconnoître ce service, je m'engage de soutenir perpétuellement que les Jésuites sont aussi fins, aussi politiques & aussi ambitieux que les Jansénistes sont fous, insensés & ridicules. Je leur passe encore de vomir contre moi autant de calomnies qu'ils en inventent tous les jours contre les Evêques, & même contre le Pape. Ne dois-je pas en effet me féliciter de ce qu'ils veulent bien me donner des compagnons d'un rang aussi distingué, & aussi élevé? 


Quant aux écrivains subalternes, vils insectes du Parnasse, je leur promets de les laisser croasser dorénavant. Leurs crimes impuissans me divertiront: & les contes qu'ils débiteront me réjouiront autant que l'a fait celui que je vais apprendre a mes lecteurs. Il y a quelques mois qu'un sçavant, qui m'honore de son amitié, & j'ose dire de son estime, passa en Hollande, où il resta quelque tems. L'homme dont je parle est un héros dans la littérature: toutes les sciences sont réunies en lui. Il est rival de Virgile, disciple éclairé de Newton, & historien renommé. Les gens de lettres qui se trouvoient à Amsterdam, furent charmés de le connoître. Dans un repas qui se donnoit à son occasion, & dans lequel se trouverent des sçavans de toute espèce, on vint à parler des Lettres Juives. Mon ami cru devoir laisser ignorer aux convives, qu'il en connoissoit le traducteur. Ce qui acheva de l'y déterminer, c'est qu'elles furent assez applaudies; & que ceux qui étoient en droit de décider de leur valeur eurent plus d'indulgence que de sévérité. Certain petit grimaud de correcteur d'Imprimerie, jaloux apparemment de leur succès, ne put souffrir des louanges qui le blessoient si fort. Il n'osa pourtant critiquer les lettres; mais il prit sa revanche sur l'auteur. Il n'est pas surprenant, dit-il, que cet écrivain soit instruit des moeurs & de la religion des Turcs. Il a pris le Turban dans un voyage qu'il a fait à Constantinople. Mon ami étonné de ce qu'il entendoit, n'osoit embrasser ouvertement ma défense. Après avoir affecté de ne me point connoître, il craignoit que trop de vivacité à prendre mes intérêts ne découvrît son secret. Il se contenta de représenter, qu'il y avoit peu d'apparence à une semblable accusation. Quoiqu'il put dire, il lui fut impossible de garantir mon prépuce; le maculateur d'épreuves voulut impitoyablement me circoncire; & sans doute j'aurois passé pour Mahométan dans l'esprit de tous les assistans, si deux autres personnes, de qui je suis connu, n'avoient offert de subir la même opération, s'il étoit vrai que je l'eusse soufferte. Nous connaissons, disoient-ils, l'auteur dont vous parlez. Peut-être ne sçavez-vous pas même son nom. Pourquoi voulez-vous donc le ranger au nombre des circoncis? On eut bien de la peine à faire changer d'opinion à l'entêté ignorant; & ce ne fut qu'après avoir disputé une heure entiere qu'il avoua enfin qu'il n'y avoit aucune apparence que j'eusse essuyé la circoncision. Sa derniere ressource fut de dire, qu'on lui avoit assuré le fait. 


Mon ami, charmé de me voir démahométisé, ne put résister au desir de m'apprendre lui-même une aussi plaisante scène. Quoique je fusse assez éloigné de la Hollande,il suspendit ses affaires, partit d'Amsterdam, & vint m'annoncer en riant qu'il falloit songer à me justifier d'une accusation très-grave. Et de quoi s'agit-il? lui demandai-je? M'auroit on accusé d'avoir dit que la pantoufle de l'Abbé Paris renferme autant de vertu que celle du Pape? Non, me répondit-il c'est quelque chose de bien pis; on assure que vous êtes circoncis: Circoncis! m'écriai-je. Oui, circoncis, repliqua mon ami. C'est à vous à vous défendre. Le trait, repris-je, est cruel & part d'une main bien politique. En effet, me voilà dans l'impuissance de pouvoir me justifier; car les pièces nécessaires à mon apologie sont aussi peu montrables que celles de l'hémorrhoïsse des Jansénistes. Et moi qui me suis si souvent moqué de ce prétendu miracle, j'éprouve aujourd'hui que ma justification est aussi difficile que la sienne. Consolez-vous, me dit mon ami. Vous en serez quitte cette fois-ci pour la peur. Nous avons entiérement réhabilité votre réputation: quoique dans le fonds il n'y eût pas eu de mal que le Traducteur des Lettres Juives eût été circoncis, ou du moins eût passé pour l'être.

Après une semblable calomnie, je crois que je suis en droit de prier ceux à qui mon ouvrage a le bonheur de plaire, de vouloir bien faire ces questions à ceux qui pourroient leur parler à mon désavantage. Dites moi, je vous prie, Monsieur, tenez-vous par quelque endroit à la secte ignacienne? le zèle Jésuitique influe-t-il dans vos discours? Le traducteur des Lettres Juives vous a déclaré suspect sur ce qui le regade personnellement. Si vous suivez un parti opposé à celui de la Société, & que vous soyez un partisan de l'abbé Paris, ou un danseur & cabrioleur du théâtre de S. Médard, vos contes sont de ces calomnies, qui ne doivent absolument trouver aucune créance. Si vous n'êtes qu'un barbouilleur de papier, si vous travaillez pour les beurrieres & pour les Epiciers, votre emploi est de médire & de déchirer les auteurs qui ont quelque réputation. Je crois que ces questions sont nécessaires pour me conserver l'estime de ceux, qui ne me connoissant point, pourroient se laisser prévenir contre mon caractère & contre mes moeurs. Pour ce qui regarde mes ouvrages, je leur demande de vouloir bien s'en rapporter à eux-mêmes, ou au jugement des véritables sçavans, au goût desquels je me soumettrai toujours avec un respect infini. Si jamais les _La Croses, les Beausobres, les Voltaires, les Montesquieux, les Fontenelles, les Popes, les Gordons &c. les condamnent, leurs décisions seront pour moi des arrêt souverains. Je n'examinerai point ce qui peut les avoir dictés; sûr que ni la superstition, ni la haine, ni la jalousie n'y auront aucune part. 


Quelques-uns de mes Censeurs se sont crus assez éclairés pour pouvoir décider de tout mon livre sur son simple titre; & voici la décision magistrale d'un d'entr'eux. Vous devinez aisément à ce seul titre de Lettres Juives, que ces Lettres sont une imitation des Lettres Persanes, ou de l'Espion Turc. Je ne sçais si c'est bien entendre les intérêts de son amour-propre, que de vouloir imiter des ouvrages qui passent pour parfaits en leur genre; car il est difficile de ne pas échouer. Les lecteurs de mon ouvrage verront aisément la fausseté de ce critique. Je ne crois pas qu'il y ait de livre qui ressemble moins que le mien à ceux dont on le taxe d'être une imitation. Je n'ai jamais eu dessein de faite des Panégyriques indirects, visiblement tendans au payement & à la récompense, tels que ceux que prostitue très-souvent le prétendu Espion Turc; & je n'ai jamais eu intention de ne faire que des portraits ingénieux des malversations continuelles du siècle, tels que ceux du feint Espion Persan. Mon unique but, je le répete, a été de condamner le vice, de faire aimer la vertu, de détruire, s'il étoit possible, la superstition, & d'inspirer de l'amour pour les sciences, de la vénération pour les grands hommes, de l'horreur pour les fourbes & les imposteurs, & du respect pour les Princes & les Magistrats. Bien loin donc de me regarder comme copiste d'autrui, je crois avoir ouvert une nouvelle carriere à divers imitateurs; & je ne doute nullement de voir éclore au premier jour quelques mauvaises copies de mon ouvrage. 


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[1]     Défense de l'histoire critique de Manichée & du manichéisme, par M. de Beausobre, insérée dans le tome 37. de la bibliothèque Germanique, p.12.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 5 juin 2007 16:16
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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