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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Jean-Baptiste de Boyer, Marquis d’Argens, Lettres juives, Tome premier [a] (1764)
Préface générale de tout l'ouvrage


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Baptiste de Boyer, Marquis d’Argens (1704-1771) Lettres juives ou Correspondance Philosophique, historique & critique, entre un Juif Voyageur en différens États de l'Europe, & ses Correspondans en divers endroits. Nouvelle édition augmentée de nouvelles lettres et de quantité de remarques. La Haye: Pierre Paupie, 1764. Tome premier [a], 347 pp. Une édition numérique réalisée par Gustave Swaelens, bénévole, journaliste belge à la retraite, Suisse.

PRÉFACE GÉNÉRALE DE TOUT L'OUVRAGE.

***


Je pourrois éviter, si je voulois, de faire une Préface générale. Celles qui se trouvent à la tête de chaque volume suffisent assez pour détruire les fades critiques & les puériles objections qu'ont fait mes prétendus censeurs. L'approbation du public semble d'ailleurs me dispenser assez d'y répondre plus amplement: & ce seroit déshonorer en quelque manière le succès qu'a eu cet ouvrage, que de vouloir le défendre contre les attaques de quelques misérables barbouilleurs de papier, gens aussi ignorans dans la république des lettres, que déshonorés dans la société civile. Les injures grossieres qu'ils ont vomi contre moi, ne pourront jamais me faire aucun tort dans le monde, quoiqu'ils aient poussé l'impudence jusqu'à l'extrême, & qu'ils aient inventé les calomnies les plus atroces pour me rendre odieux & méprisable. J'ai dédaigné jusqu'a présent de les confondre, & de mettre au grand jour leur scélératesse. Mais il ne sera pas hors de propos que d'un seul trait je fasse connoître la fausseté de leur reproche. Ils ont eu l'audace de m'accuser d'avoir quitté le service par débauche & par libertinage, & ont circonstancié de cinquante particularités insultantes cette impudente calomnie. Voici, pour la détruire, la copie d'un certificat, dont j'ai fait mettre l'original chez le libraire qui a imprimé ces Lettres. Ceux qui voudront le voir, en seront les maîtres. 


*** 


Nous, capitaine au régiment de RICHELIEU, certifions à tous ceux qu'il appartiendra, que M. LE MARQUIS D'ARGENS a servi dans notre régiment en qualité de capitaine pendant toute la campagne de Philisbourg en 1734; & qu'il a quitté ledit régiment après la campagne, à cause de ses infirmités, & d'une chûte qui le mettoit hors d'état de continuer ses services. Ladite retraite faite avec l'agrément de M. le duc de Richelieu, l'estime & l'amitié de tous ses camarades. Ce que nous certifions avec grand plaisir. A Maubeuge, le 11 Mars 1738. Signé, LUMAJOUR, major, le chevalier d'ARISSAC, LA TOUR; D'ARGENSON; le chevalier DE LUMAJOUR; RAYNE; TERSON; MAJENVILLE; le chevalier d'ARTIGNOSE; LA ROUZET, commandant du troisieme bataillon; LA LANDELLE; GUICHEN; LE GRAS; SALHA; D'ESGUILLE; MAYNARD; RICHEBOURG; VAUGELAS.

Le sceau & cachet du régiment est posé & mis sur le présent certificat. 


*** 


Si mes indignes calomniateurs étoient capables de quelques sentiments d'honneur ne devroient-ils pas mourir de confusion, de se voir convaincus d'être les personnes les plus déshonorées de l'univers? Mais doit-on attendre le moindre remords de leur part? Ce seroit demander l'impossible. La honte n'est pas faite pour des gens de leur espece. Je sens que je m'avilis, en parlant trop long-tems d'eux. Mes lecteurs m'excuseront. La nécessité m'y a forcé; & il a fallu que je me résolusse à faire connoître le caractere, la naissance & la probité de ces écrivains gagés, qui, sans aucun sujet, s'étoient déchaînés contre moi. 


Il est vrai que je ne dois point ranger tous mes critiques dans la même classe. Il en est quelques-uns, qui ont écrit avec plus de retenue, quoique cependant si l'on ôtoit de leurs ouvrages toutes les injures, on en supprimeroit plus de la moitié. Je ne puis m'empêcher de rire lorsque je songe aux vains efforts qu'ont fait cinq ou six petits auteurs pour s'opposer au cours de ces Lettres. Le succès prompt & heureux qu'elles ont eu, loin de les rebuter, a semblé exciter leur bile. Las d'employer la force ouverte, ils ont eu recours à l'artifice; & voyant que leurs misérables critiques étoient méprisées du public, ainsi qu'elles méritoient de l'être, ils se sont servis en quelque maniere du nom des véritables savants. Il est vrai qu'ils en ont été la dupe, & que le mal qu'ils vouloient me faire m'a procuré l'honneur le plus sensible que je pusse espérer. 


Il y a quelques mois qu'il parut contre cet ouvrage une assez plate rapsodie dans la Bibliotheque Germanique. Voici la lettre que m'a fait la grace de m'écrire à ce sujet l'illustre & savant M. de Beausobre, dont l'Europe entiere respecte le mérite, & admire les vastes connoissances & la profonde érudition. 


«MONSIEUR, 


J'ai été fort surpris & fort mortifié de trouver dans le tome XL de la Bibliotheque Germanique une lettre où l'on critique une de vos Lettres Juives. Comme on n'ignore pas que j'ai part à ce journal, vous auriez pu croire, monsieur, que j'en ai, aussi, à la publication de cette lettre. C'est ce qui m'oblige à vous dire que cette piece a été fourrée à mon insu, dans la Bibliotheque. La longue maladie qui m'est survenue au commencement de l'automne, & dont je ne suis pas encore remis, m'a empêché de donner aucune attention au journal. J'ai seulement envoyé la section IX de la réponse aux journalistes de Trévoux, & ne me suis point mêlé du reste. Si j'avois quelques observations à faire sur vos ouvrages, je vous les communiquerois, monsieur, pour en faire l'usage que vous trouveriez à propos. Ces égards sont bien dûs à un auteur qui, comme vous, a infiniment de l'esprit, & qui enrichit le public d'ouvrages très-agréables & très-instructifs. Continuez, monsieur, à mériter l'estime des honnêtes gens qui ont du goût pour le vrai & pour le beau. Vous vous êtes acquis toute la mienne, &c.» 


DE BEAUSOBRE. 


A Berlin. le 15 Février 1738.» 


Quel gré ne dois-je point savoir à l'auteur subalterne qui a fait insérer dans la Bibliotheque Germanique, la piece où il a prétendu décrier mes ouvrages, puisqu'elle me procure ce que j'aurois acheté par tout ce qui m'eût été le plus cher? Accoutumé de bonne heure à regarder M. de Beausobre comme un des plus vastes & des plus sages génies de l'Europe, son estime m'avoit toujours paru d'un prix infini; & peut-être sans mon critique, n'eussai je jamais su jusqu'où alloit sa complaisance pour mes foibles talents. Il faut que j'avoue que, si j'ai jamais ressenti quelques mouvements de vanité, c'est à la premiere lecture de sa lettre. Mais ces mouvements font bien excusables, & si Boileau fit tant de cas de la lettre que lui écrivit M. Arnaud, qu'il vouloit la faire graver sur son tombeau, quelle satisfaction ne dois-je pas ressentir de celle de M. de Beausobre, théologien aussi grand qu'Arnaud, critique aussi éclairé que Bayle, historien aussi sincere & aussi correct que de Thou? Une seule de ces qualités suffit pour former un grand homme. Je demande quel est le mortel qui puisse être insensible à l'approbation d'un personnage aussi illustre & aussi respecté, non-seulement dans la république des lettres, mais parmi tous les gens de mérite & de goût. Puissent tous les grimauds du Parnasse écrire contre moi plus de rapsodies que Pradon & Bonnecorse n'en ont écrit contre Boileau, si l'ennui passager qu'elles me causeront est réparé par une gloire éternelle. Dorénavant, je croirois être indigne de l'honneur que j'ai reçu, si je faisois la moindre attention à des personnages aussi sots que ridicules, & dont je ne dois me venger que par un parfait mépris. 


Je place dans cette classe les journalistes de Trévoux. L'univers entier connoît leur mauvaise foi. Que peut-on espérer de bon de trois jésuites, chargés par leur état de défendre toutes les iniquités de la société? pour les faire rentrer en eux-mêmes, leur dira-t-on qu'ils n'ont ni honneur ni probité? On les en a convaincus plusieurs fois. Le front d'un jésuite n'a jamais su rougir que du dépit de ne pouvoir pas nuire à ses ennemis. Aussi n'est-il aucun mensonge que ces journalistes n'inventent, aucune fourberie à laquelle ils n'aient recours pour en venir à bout. Je ne répondrai point ici aux injures grossieres qu'ils m'ont dit; & je renvoie mes lecteurs à la préface du cinquiéme volume, & à la lettre où il est parlé d'eux dans le second. (1).

On trouvera dans ces deux endroits de quoi pouvoir juger de l'équité de ces révérends peres, qui ont eu l'impudence de m'accuser de déïsme, parce que j'avois plaisanté sur quelques friponneries des moines, & en passant, aussi sur les leurs. 


Quoi! l'état de jésuite est-il si glorieux, 
Qu'on ne puisse en parler sans offenser les dieux?

C'est avec bien de la raison qu'un de nos plus sages écrivains a dit: «Si vous attaquez aujourd'hui quelque auteur moine qui ait du crédit à la cour, ou auprès des magistrats, il va obtenir des lettres de cachet, ou des arrêts, pour vous faire envoyer en exil comme si c'étoit une querelle d'état ou de religion. Quasi illud respublica esset (2).

J'ai éprouvé cette vérité; & il n'a pas tenu aux faux dévot & aux moines, de soulever l'univers entier contre moi. Mais s'ils savoient combien je me ris & combien je me moque de leur impuissante haine, ils cesseroient de criailler inutilement. Philosophe encore plus par tempérament que par étude, rien ne peut me faire de la peine, que les reproches secrets de ma conscience. Or, il n'est aucun principe, aucune maxime dans les Lettres Juives que je ne sois fermement persuadé être très-conforme aux regles de l'honneur, de la probité & du bon & vertueux citoyen. On y voit par-tout cette soumission qu'on doit aux puissances que Dieu nous a données pour nous conduire. Le respect pour la personne des souverains y est fortement établi. Toutes les qualités morales y sont mises dans un assez grand jour; & le public qui juge sans passion a justifié par son approbation mes sentimens. 


Les invectives des faux dévots ont fait si peu d'impression sur les honnêtes gens, & sur les personnes d'un certain rang, que divers souverains m'ont fait assurer de leur protection, si je voulois me retirer dans leur état. Il n'y a pas encore trois mois qu'un des plus illustres, des plus estimables, & des plus respectables princes d'Allemagne, frere d'un grand roi, dont les vertus égalent la naissance, répondit à une personne de distinction qui lui avoit écrit à mon sujet, que si j'avois dessein de m'établir dans son pays, j'y jouirois de sa protection dans une pleine & entiere liberté. Ma santé ne m'a pas permis de pouvoir être assez heureux pour aller le remercier de ses bontés, & elle m'oblige à me fixer dans un autre climat. Mais, dans quelque endroit que je sois, je me moque de la haine des hypocrites, des faux-dévots, & de celle de tous mes ennemis. Je leur conseille donc de se tranquilliser, & de ne point se tourmenter vainement. 


En voilà, je crois, assez pour ma justification. Quelque ennuyeux que soit ce détail, les lecteurs verront qu'il étoit nécessaire. Plus ils ont eu de bonté pour mes ouvrages, & plus je me flatte de les voir passer à la postérité. J'ai dû par conséquent me purger des calomnies dont on m'avoit chargé. Il est impossible d'estimer parfaitement un livre, lorsqu'on mésestime la personne qui l'a écrit. 


Au reste, quelque bon accueil que le public ait fait à mon ouvrage, il s'en faut bien que je le croie exempt de défauts. S'il y a quelque chose de louable, & qui le distingue de la plupart de ceux d'aujourd'hui, c'est que la vérité y paroît hardiment. Je n'ai point craint de heurter de front tous les abus qui m'ont paru ruiner la société. J'ai plus fait que de condamner la superstition, le fanatisme, l'hypocrisie, la mauvaise foi. J'ai démasqué ceux qui profitent habilement de ces vices, pour parvenir à leurs fins, & qui font servir à leur intérêt particulier les malheurs & les calamités publiques. C'est là ce qui m'a fait tant d'ennemis: Hinc prima mali labes. Mais dussai-je en voir croître le nombre à chaque jour, rien ne pourra me forcer à manquer à ce que je dois à mes concitoyens. Je n'ai écrit que pour leur être utile. Devois-je déguiser la vérité? Je l'ai dite hardiment, & la dirai toujours. Et si fractus illabatur orbis, impavidam ferient ruinae. 


Je viens actuellement aux augmentations que j'ai faites dans cette derniere édition. Les nouvelles Lettres que j'y ai ajouté, me paroissent aussi passables, & j'ose dire aussi intéressantes que les autres. Je n'avois pu les donner en feuilles périodiques, parce que le même sujet contenant quelquefois deux ou trois _Lettres, on ne pouvoit guere les lire, encore moins les vendre & les débiter séparément. J'ai ajouté dans beaucoup d'endroits des notes, des remarques, & quelques citations qui m'ont paru nécessaires. Comme on doit tâcher de rendre un ouvrage, le plus qu'il est possible, utile aux lecteurs, j'ai cru devoir leur présenter sous les yeux, certains passages des plus grands hommes qui autorisoient ou justifioient quelques-uns de mes sentimens, qui, peut-être sans cela auroient moins trouvé de croyance chez les gens qui se déterminent difficilement. J'ai recorrigé bien des fautes d'impression, qui s'étaient glissées dans les premieres éditions; & il est peu de Lettres où il n'y ait, outre cela, quelque changement ou augmentation. Je prie donc le public de ne point s'arrêter aux différentes contre-façons_ qu'on a fait de cet ouvrage dans divers pays. Elles sont remplies de fautes, & entiérement différentes de cette édition. Je n'ajouterai rien à ce sujet; l'exactitude de celle-ci fera assez connoître sa supériorité sur toutes les précédentes. 


Au reste, je suis obligé, & comme philosophe, & comme galant homme, de déclarer ici, que je n'ai eu aucune intention de faire de la peine à M. le baron de Polnitz, en disant qu'il avoit été abbé. J'ai cru, qu'il regarderoit cela comme une plaisanterie. J'ai su le contraire, & ayant pour la naissance & le mérite de M. le baron de Polnitz tous les égards que je dois, je suis bien aise de protester publiquement, que personne n'est plus convaincu que moi qu'il est digne de l'estime de tous les honnêtes-gens. Je lui ai en particulier des obligations que je ne dois point oublier. Mes lecteurs lui en ont aussi; car sans lui, peut-être n'eussai-je jamais fait les Lettres Juives. Il appaisa le gouverneur de Rome & d'autres prêtres, fort irrités contre moi, & deux Suisses très-aimables, à cause de certains discours peu mesurés que nous avions tenu sur la pantoufle du pape, & sur les miracles de S. Jacques secoue-chevaux. M. le baron de Polnitz étoit chéri de tout ce qu'il y avoit à Rome de gens de distinction. Le pape lui avoit donné un appartement dans son palais; & je l'ai vû très-souvent à Monte-Cavallo, où sa sainteté fait sa demeure. Je rends à ce seigneur Allemand la justice qu'il mérite, avec d'autant plus de plaisir, que j'ai l'agrément qu'il n'est aucun particulier qui puisse se plaindre de moi; & qu'en blâmant les défauts des hommes, j'ai évité, autant qu'il m'a été possible, des personnalités également odieuses & déplacées. 


*** 



(1) Lettre XIII.

(2) Amelot de la Houssaie, Annal. de Tacite, Liv. IV, pag.288. Réflexions politiques.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 5 juin 2007 12:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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