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Collection « Les auteur(e)s classiques »

L'enfant difficile. (1930):
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Alfred Adler (1930), L'enfant difficile. Technique de la psychologie individuelle comparée. Traduction française de l'Allemand par le Dr. Herbert Schaffer, 1949. Paris : Éditions Payot, 1962, 214 pages. Collection Petite bibliothèque Payot, no 15.


Introduction

Dr Alfred Adler


L'homme et son semblable



Il serait extrêmement tentant de décorer ce thème de belles guirlandes verbales et d'une avalanche de phrases. Je pourrais également, remontant aux sources de la civilisation, décrire l'effort prodigué en vue de l'établissement d'une unité de l'humanité dans le sein d'une tribu, d'un peuple, d'un état, d'une communauté religieuse. Je pourrais montrer comment ce mouvement a toujours été représenté par quelque idée dont l'homme était plus ou moins conscient, unité de l'humanité au point de vue politique ou religieux. Je ne veux pas en parler. Je voudrais démontrer que les tendances qui visent à la création d'une unité dans la société humaine ne doivent pas être appréciées uniquement du point de vue moral, politique ou religieux, mais avant tout du point de vue de la vérité scientifique.

Je voudrais faire ressortir que la vie de l'âme humaine ne se dépeint pas par le verbe « être », mais par le verbe « devenir ». Tous ceux qui se sont obstinés à faire ressortir des fragments, des complexes à l'intérieur de cette vie de l'âme, n'ont pas beaucoup progressé. étant donné qu'ils estiment qu'il s'agit là d'une sorte de machine. Dans chaque organisme vivant qui tend vers une forme idéale nous trouvons la vie psychique se frayant un chemin qui la mène au triomphe sur les difficultés, difficultés qu'elle est appelée à affronter sur cette terre dans le sens de la société et dans les rapports entre les sexes. La solution de ces questions ne s'obtiendra pas comme celle d'un problème de mathématiques. Je sais qu'elles peuvent être résolues correctement mais je sais aussi qu'elles peuvent être résolues de façon erronée. Je voudrais faire ici une remarque marginale dont le but est d'attirer votre attention sur le fait que nous ne pouvons pas nous attendre à une solution absolument correcte. Ce ne peut être qu'un effort en vue d'atteindre pour chacun et pour tous un but où l'unité du genre humain apparaît sauvegardée. Ce que nous appelons « bon » est bon eu égard à son utilité pour l'ensemble des hommes, ce que nous nommons « beau » ne l'est que de ce point de vue également; à ce point la notion de la société est-elle enracinée dans le langage et dans les idées. Nous retrouverons toujours, dans toutes les formes d'expression de l'individu et de la masse, comment elles se placent vis-à-vis de la question de la communauté. Personne ne peut sortir de ce cadre. La façon dont chacun s'y meut est sa propre réponse. Si les solutions justes ne se réalisent que par rapport à la communauté, il est compréhensible qu'à l'intérieur de la sphère des relations humaines il se produise des résistances lorsque quelqu'un répond d'une façon erronée. Cette particularité atteint toujours celui qui n'est pas étroitement uni à la communauté, qui ne se sent pas une partie du tout, qui n'est pas chez lui à l'intérieur de l'humanité. Il ne doit pas seulement compter sur les avantages qui lui sont offerts par la civilisation mais aussi avec les inconvénients, les envisager comme le concernant et les accepter tels quels. Ce que nous nommons l'intérêt pour la généralité, n'est qu'un côté de l'union étroite avec les autres, ce que nous appelons courage est ce rythme qu'a en lui un individu et qui lui permet de se sentir un élément de l'ensemble. Nous ne devons pas être induits en erreur lorsque nous prenons en considération la moyenne de l'évolution actuelle et que nous voyons tout ce qui manque encore. Cela nous impose de nouveaux devoirs pour notre devenir. Nous ne devons pas ressentir notre existence comme une essence, nous ne devons pas nous comporter comme quelque chose de statique, ni prendre une position belliqueuse contre l'aspiration à l'évolution ; il est nécessaire que nous considérions les difficultés comme des problèmes dont la solution est exigée de nous, qui nous incitent à un optimisme actif. Seuls ont pu avoir voix au chapitre dans l'histoire de l'humanité ceux qui étaient animés d'un optimisme actif, ils étaient les représentants de l'évolution et le seront; tous les autres en réalité ne sont pas vraiment à leur place, ils retardent la marche de l'évolution. Es ne peuvent pas ressentir en eux le sentiment de bonheur comme l'ont ceux qui coopèrent sciemment à la marche du temps. Le sentiment de la valeur provient également de l'union étroite avec le tout et de la participation à l'action du temps. Ces conclusions proviennent des observations de la psychologie individuelle, et elles sont le fruit d'un long travail. Être un homme n'est pas seulement une façon de parler, c'est être une partie de l'ensemble, se sentir une partie de l'ensemble, Le fait qu'encore actuellement tant de gens manquent cette voie tient à l'erreur de leur personnalité. Celui qui est arrivé à saisir la connexion des faits sociaux ne renoncera pas dorénavant à se plonger dans le courant qui progresse vers le bien de la société.

Si nous nous souvenons combien l'homme est mal partagé dans la nature, une chose nous apparaît clairement : cet être vivant, réduit à lui-même, n'aurait certes pas été capable de vivre. Nous ne trouvons nulle part la trace d'un individu vivant seul, aussi loin que nous pouvons suivre l'histoire de l'humanité. La foi de la société a toujours existé. Cela est parfaitement compréhensible si nous tenons compte de la faiblesse humaine en face de la nature. L'homme ne possède pas les armes dont disposent d'autres êtres vivants, il n'a pas les dents des carnassiers, pas de cornes, pas la même rapidité, il ne peut pas grimper, ni voler, il n'a pas l'acuité de la vue, de Poulie, de l'odorat, avantages grâce auxquels d'autres êtres vivants ont la possibilité d'attaquer et de se défendre, de s'assurer -une place sur cette pauvre écorce terrestre. Il dispose d'organes faibles pour la santé desquels - aussi bien en vue du maintien de la vie de l'individu que de celle de l'ensemble - l'union avec les autres a toujours été nécessaire. C'est dans cette union qu'il a puisé de nouvelles forces. Si l'on pense à l'étendue de la culture humaine, on comprendra que ceux qui l'ont créée et ont été amenés à l'utiliser, n'étaient pas suffisamment forts en face de la nature. Ils devaient chercher des compléments, des compensations pour ce qui leur manquait. L'homme doit apprendre à vaincre la nature pour se servir d'elle. L'union a été la plus grande et la plus importante invention du genre humain. Il ne doit pas être fait allusion ici uniquement à l'homme, nous trouvons également dans le royaume des animaux que les êtres vivants plus faibles se rassemblent en troupes pour trouver une protection ou pour chasser ensemble. Le gorille, dont nous admirons la force, le tigre, la terreur la plus redoutée de tous les animaux, n'ont pas besoin de la communauté. L'homme, si nous nous le représentons dénué de tous les secours de la culture; dépouillé de tous les moyens que son intelligence lui a procurés, aurait été perdu dès le premier jour s'il s'était trouvé sans coopération dans la forêt vierge. Notre observation nous mène encore plus loin. Les acquisitions les plus précieuses de l'homme, au cours de l'évolution, lui sont venues de sa faiblesse. Si nous pensons à la vie de l'homme, à la durée du genre humain, nous ne pouvons comprendre sa survivance que si nous pensons en même temps au grand secours que lui a apporté la communauté. Certes dans sa nature psychique et dans sa constitution physique lui sont donnés tous les moyens qui permettent cette union. Déjà si l'on considère les fonctions des organes des sens, il est clair qu'ils servent à cette liaison. Dans la façon dont chacun regarde l'autre se trouve la préparation au contact et l'expression de la liaison avec les autres. Sa manière d'écouter nous traduit ses possibilités de se lier aux autres, sa manière de parler représente le lien qu'il établit entre lui-même et son semblable. Allons-nous comprendre à présent pourquoi tant d'hommes ne regardent pas, ne parlent pas ou n'écoutent pas correctement? Ce ne sont pas les organes qui importent mais la vie instinctive, car toute vie psychique est drainée vers ces plans où l'individu trouve sa place en face et à côté des autres. C'est de nouveau la faiblesse de l'organisme enfantin qui contraint à cette liaison. Le rapport du nourrisson avec sa mère est la première formation sociale. Dans ce rapport social, où le moi du nourrisson réalise le « toi » de la mère, se développent toutes les possibilités et les aptitudes. Nous comprenons de ce fait qu'il naît là pour la mère une tâche importante : diriger le développement de l'enfant de façon telle qu'il puisse répondre plus tard correctement aux exigences de la vie sociale. Le cadre étant posé, l'enfant parlera, écoutera et regardera en rapport avec la mère. C'est là que réside la première fonction de la mère. Les mères se trouvent à la source du sentiment social, elles doivent la tenir pour sacrée. Ce mécanisme joue à tout instant et il devient finalement un automatisme psychique qui façonne la forme de vie de l'enfant. Si nous réfléchissons à la façon dont s'effectue le développement de la parole, fonction sociale si importante, nous pouvons comprendre où la communauté met ses forces en oeuvre. « Je dois parler comme je présume que chacun devrait parler afin que tous le comprennent. » Nous trouvons fréquemment que là où la première fonction de la mère a échoué, cette dernière n'a pas su réussir dans sa deuxième fonction : élargir le sentiment social de l'enfant vis-à-vis des autres, le préparer afin qu'il affronte correctement ses semblables. Nous trouverons un intérêt insuffisant pour les autres, état qui fera l'objet principal de nos préoccupations. Où trouvons-nous la possibilité de réaliser le développement du sentiment social si cette relation n'a pas été effectuée pendant les premières années de la vie enfantine? Cet intérêt insuffisant a déjà pris forme et apparence, un but est présent à l'esprit; cheminer dans la vie sans intérêt pour les autres, toujours prendre et ne jamais donner. Le sentiment de la valeur commence déjà à agir. Seul celui qui se sent à sa vraie place le possédera. Celui qui n'a pas fait de soi une partie de l'ensemble ne le connaîtra pas. Si nous pensons à la plus grande faculté de l'homme, l'intelligence, nous pouvons dire - il n'y a pas d'intelligence privée, pas d'intelligence de l'individu, « l'intelligence a une valeur générale ». Elle ne s'est développée que dans la compréhension des autres, ce qui veut dire s'approcher de ses semblables, s'identifier à eux, voir avec leurs yeux, entendre avec les oreilles des autres, sentir avec le cœur des autres. Comprendre signifie concevoir un homme, un événement de la façon dont nous nous attendons que chacun le conçoive. Là aussi nous accompagne le contrôle et le jugement de la communauté. Je ne veux pas parler de morale, d'éthique, ce ne sont que les règles du jeu nées du sentiment social. Nous ne pouvons nommer morale et éthique que ce qui est utile à la communauté. La même chose vaut pour l'esthétique. Ce que nous appelons beau doit avoir une valeur d'éternité pour la communauté. Nous ne devons pas nous étonner d'être sujets aux erreurs. Nous avons toujours été prêts à reconnaître nos erreurs et à les corriger. Même si un changement dans l'idéal de beauté se manifeste nettement, il est certain que seul peut se maintenir comme beau ce qui l'est pour l'éternité et ce qui se trouve en connexion avec nos notions sur sa santé. Je voudrais attirer l'attention sur la puissance énorme du sentiment social pour l'individu, cette puissance capable de créer des unions d'importance plus ou moins grande, des courants nationaux, politiques ou religieux. Pour établir les formes utiles à la société, nous nous servirons des mêmes mesures. Nous ne pouvons reconnaître comme valables que celles qui se placent sur le plan de l'utilité générale. On peut longuement discuter là-dessus, il est parfois difficile de donner une réponse précise. La vie humaine est un devenir. Ce que nous éprouvons aujourd'hui n'est qu'un point d'intersection dans le mouvement éternel qui tend vers le but de la forme parfaite. Qu'arrive-t-il à ceux qui n'agissent pas dans le cadre de la société? Ceux chez lesquels ne se manifeste pas le sentiment social? Je voudrais intercaler ici : ce qu'un individu dit ou pense de lui-même est absolument sans importance, nous ne pouvons en faire aucun cas. Nous ne pouvons apprécier que les actes. Aussi peut-il arriver que quelqu'un se tienne pour un égoïste et nous constatons qu'il est capable de collaboration et d'altruisme. Beaucoup peuvent considérer qu'ils collaborent : lors d'un examen plus attentif nous devrons malheureusement constater qu'il n'en est pas ainsi. Il n'est pas nécessaire que ce soient des mensonges, les erreurs dans la vie psychique jouent un rôle beaucoup plus grand que les mensonges conscients. Comment s'introduisent ces erreurs dans la vie psychique? Comment se fait-il que notre effort impatient vers la communauté se développe si lentement? Il y a à cela plusieurs réponses. Une grande partie des hommes est pénétrée de cette idée : cela dépasse les forces humaines Ce sont les pessimistes, ceux qui ne contribuent guère à l'évolution, évolution qui nous semble la tâche essentielle de la vie et qui réclame le triomphe sur les difficultés. J'ai l'habitude vis-à-vis de mes élèves de recourir très souvent à une fiction : « J'imagine que nos ancêtres très éloignés, jadis assis sur une branche d'arbre, peut-être encore pourvus d'une queue, réfléchissaient à ce qu'on pourrait faire, cette vie étant vraiment trop pauvre. » L'un dit : « A quoi bon se tourmenter, cela dépasse toutes les forces, le mieux est de rester ici en haut. » Que serait-il arrivé si celui-là l'avait emporté? Aujourd'hui encore nous serions assis dans l'arbre et nous aurions gardé une queue. Vraiment, où sont-ils restés, ceux qui étaient en haut de l'arbre? Exterminés. Ce processus d'extermination se poursuit continuellement, il est terriblement cruel, la logique des faits est cruelle. Il n'y a aucun doute que des myriades d'hommes ont été sacrifiés, parce qu'ils ne sont pas descendus de l'arbre. Des peuples ont été exterminés, des familles détruites parce que leurs réponses aux exigences de la vie étaient mauvaises. Ce processus se déroule sous une forme dissimulée de sorte qu'on retrouve rarement sa trace; à la troisième ou quatrième génération il peut arriver à sa fin et personne ne sait pourquoi. Lorsqu'on examine de plus près ce problème on trouve ceci : il est impossible de donner une réponse incorrecte aux exigences de la logique de la vie en société sans que ces fautes se paient; qu'il s'agisse de maladies, de graves processus de dégénérescence, d'atrophies psychiques de quelque sorte que ce soit. Il est clair que ce sont les suites des fautes - à peu près ce que blâme Emerson lorsqu'il dit que nous voulons éviter les suites mais pas les fautes. J'ai indiqué où commence ce processus. Chacun prend position à l'égard de la vie. Ce n'est qu'un verbiage lorsque quelqu'un croit que la conception du monde ne regarde que la philosophie et non pas chacun de nous. Partout où vous regardez vous voyez apparaître clairement la conception que chacun se fait du monde. Pour celui qui l'a réalisée, il est évident qu'on ne peut pas aider le sujet qui n'arrive pas à une meilleure conception du monde. La question est la suivante : quelle conception du monde allons-nous adopter pour remplacer celle qui nous semble erronée? Dans la confusion des voix vous entendrez dire : une conception du monde nationale, religieuse, européenne, asiatique. Nous ne sommes prévenus contre aucune, ce que nous demandons c'est qu'elle prenne une forme aboutissant à la conception du sentiment social; ceci est la conception philosophique de la psychologie individuelle. Nous nous appliquons à en faire la pierre de touche parce que nous avons appris chez l'individu, aussi bien que chez les masses, où ils ont commis leurs fautes. Nous ne pouvons pas être d'accord avec ceux qui réclament des facilités, qui croient que tout est sauvé si les difficultés sont abolies. Cette solution ne peut venir que par le sentiment social, qui tire son origine de la force créatrice de l'individu. La mère est la médiatrice indispensable pour la vie, elle doit dégager le sentiment social, le guider et le diriger vers les autres. Mais il y a des passages dangereux où le développement peut échouer, par exemple lorsque la mère n'est pas une véritable coopératrice, de telle sorte qu'elle ne peut absolument pas développer le sentiment social. Ou bien elle n'est collaboratrice que pour l'enfant et pas pour les autres. Elle le lie si fortement à elle qu'elle compromet l'épanouissement ultérieur de l'enfant. Ce sont là les fautes capitales ; toutefois il y a d'autres phases dangereuses dans le développement de l'enfant.

Des enfants qui naissent souffreteux considèrent ce monde comme une vallée de larmes et ne manifestent pas du tout cette joie du développement que nous apprécions tant chez les enfants. Nous pouvons déjà comprendre pourquoi de tels enfants, qui sont surchargés, qui ressentent leur corps comme un fardeau et trouvent la vie pesante, sont beaucoup plus intéressés par leur propre personne que par les autres. Il en résulte un état d'âme de panique : sauve qui peut. Nous trouvons des traits égoïstes qui entravent le développement du sentiment social. Ce groupe d'enfants avec des organes faibles est important, ce qui n'a rien d'étonnant étant donné que tout l'organisme humain est faible par rapport à l'organisme animal. Ensuite il y a un second groupe d'enfants : ils sont surchargés dès le début de leur vie; les enfants gâtés qui ne sont intéressés que par une seule personne, ils veulent constamment se faire assister par elle. Aussitôt que le style de vie est parachevé, dans la quatrième ou la cinquième année d'existence, il ne subit plus de changement radical. Tout ce que les enfants éprouvent dans cette forme de vie ils l'assimilent avec leur style de vie : ils regardent le monde avec leurs yeux, ils ont leur propre conception de la vie, celle d'être assistés par les autres, ils veulent avoir un succès immédiat, ils échouent lorsqu'ils doivent fournir un effort. Je n'ai pas besoin d'indiquer que de tels enfants échouent lorsqu'ils se trouvent dans une nouvelle situation et que tout changement de situation provoquera chez eux l'apparition de difficultés. Les enfants gâtés occupent une place énorme dans la vie, je ne crois pas exagérer en disant qu'il y a 50 à 60 % de tous les enfants qui ont été rendus dépendants et dépourvus d'initiative. Ce manque d'indépendance se manifeste pendant toute la vie, tout leur est trop difficile. Ils n'ont aucune confiance en eux-mêmes. Il existe dans l'histoire américaine un exemple intéressant illustrant ces cas. Dans la guerre hispano-américaine, les Américains étaient alliés avec le général Garcia. Il était indispensable de lui adresser un message, mais on ne parvenait pas à le trouver. Le message était important et il ne resta au général américain rien d'autre à faire que d'annoncer publiquement qu'il avait un message pour Garcia et de demander qui voulait le porter. Après un long silence quelqu'un s'avance, prend la lettre et part. Des écoliers américains reçurent comme devoir de classe de dire quel était, selon eux, le plus grand héros des temps modernes. Un élève écrivit : « Le soldat chargé du message pour Garcia» et il expliqua : la plupart auraient dit : comment peut-on le trouver? ou : un autre ne pourrait-il pas le faire mieux? L'un ne dit rien et partit. Il était indépendant, les autres se sentaient faibles. - Voilà la source de tous nos maux dans notre âme, le trop grand sentiment de faiblesse, le manque de confiance dans sa propre force. Appartiennent au troisième groupe ceux qui, au départ, sont surchargés et qui ne peuvent pas s'intéresser à leurs semblables : les enfants haïs. Ils n'ont jamais appris qu'il existe un prochain. Il y en a une masse énorme dans la vie, illégitimes, non désirés, orphelins, pour lesquels notre culture n'a pas créé les conditions de vie nécessaires ; les enfants laids, qui apprennent bientôt que l'on n'est pas favorablement disposé à leur égard. Nous comprenons pourquoi parmi les criminels, les ivrognes on trouve si son vent des hommes laids. Il y en a aussi de beaux, ce sont ceux qui ont été gâtés. Ils représentent un grand pourcentage d'individus pour qui se posent des problèmes et qui par leur allure démontrent qu'ils n'ont aucun intérêt pour les autres. Ce sont des enfants difficiles, dont la conception du monde est la suivante : que ma volonté soit faite. Ils en arrivent à des larcins, ils font des fugues, ils ne travaillent pas. Ils sont tous dignes de pitié, car chacun sent qu'ils ne coopèrent pas. Qu'arrivera-t-il lorsqu'ils seront placés devant des tâches plus importantes? Il se révèlera qu'ils ne peuvent pas participer aux jeux des autres. Les névrosés et les aliénés s'efforcent de sortir du cadre de la communauté parce que les tâches leur apparaissent insolubles. Ici aussi se manifeste la conception du monde : pour moi une autre planète serait nécessaire où il n'y aurait pas de tâches, où l'on trouverait tout ce qu'on désire. Les criminels sont des individus qui manquent d'intérêt pour leurs semblables et qui sont guidés par l'idée qu'il faut facilement et rapidement arriver à des succès sans s'occuper d'autrui. Nous trouvons dans tous ces groupes un manque de courage pour reconnaître les tâches de la vie. Ce sont des fuyards, ils veulent que les choses leur soient plus faciles, différentes, ils ne s'efforcent pas de se créer les conditions qui sont nécessaires pour résoudre les problèmes de la vie. Ensuite viennent les candidats au suicide qui nous démontrent combien peu d'intérêt ils ont pour la coopération, combien ils ont peu de courage pour affronter les tâches de la vie. On ne doit pas croire que l'on peut saisir la totalité de ce mal avec de simples statistiques. Laissez monter les prix du blé, vous aurez plus de suicides, créez des conditions d'habitation défavorables, vous trouverez une masse énorme de gens penchés vers le côté antisocial de la vie. La disposition à s'évader du côté utile est énorme. Il n'y a pas de développement idéal du sentiment social, il faut que nous l'ayons devant les yeux comme but, non pas pour des motifs normaux, sociaux, charitables, mais pour des motifs scientifiques. Nous voyons que des fautes ne peuvent pas être commises sans qu'elles se paient. Il en est de même pour les peuples, lorsqu'ils ne possèdent pas assez de courage pour s'insurger contre les guerres, lorsqu'ils n'ont pas assez d'intérêt pour les autres. L'histoire du monde est un enchaînement de tels événements malheureux. Je ne voudrais pas m'arrêter davantage à la question des dipsomanes, mais insister simplement, avant de finir ce chapitre, sur l'importance du développement social.

Aucune des circonstances de notre vie ne peut se passer de sentiment social. J'ai fait allusion précédemment aux fonctions des organes des sens. Là le sentiment social de l'enfant se manifeste dans ses rapports avec la famille, avec ses frères et sœurs. Lorsque l'enfant commence à fréquenter l'école, il est éprouvé quant au degré de son sentiment social. Au moment où apparaît le problème de la camaraderie, surgit la question : « Jusqu'à quel point as-tu développé ton degré d'intérêt pour les autres »; et nous comprenons pourquoi, lorsqu'il fait défaut, le sentiment social se venge, puisque du fait de cette carence, l'individu n'est pas à même de payer ce qu'il doit.

Mais nous voyons aussi qu'il n'est pas responsable. Il nous faut penser à un remède autre que ceux employés jusqu'à présent. Il s'y ajoute encore le problème de la profession et la question se pose alors : « Comment pourrais-je me rendre utile dans un travail? » Il n'existe pas d'activité professionnelle qui ne soit pas utile aux autres. Les problèmes de l'amour et du mariage réclament également un intérêt accru pour les autres. Nous voyons de nouveau comment l'extermination progresse lorsqu'un individu ne se sent pas lié à la communauté. Cela se manifestera dans le choix de son partenaire, selon que le sujet voudra dominer ou qu'il se sentira intimement uni avec lui. Et tant d'autres problèmes qui tous exigent un sentiment social. Il en est exactement de même pour les questions qui concernent la vie des peuples. Un peuple ne pourra progresser que s'il a de l'intérêt pour la communauté. S'il place au premier rang des intérêts égocentriques, l'autre peuple fera de même. Il serait bon d'avoir un mot d'ordre. L'humanité actuelle aime les mots d'ordre. Je pense que le résultat des observations de la psychologie individuelle est le suivant : notre tâche doit être de nous développer nous-mêmes ainsi que nos enfants pour devenir les instruments du progrès social.

Retour au texte de l'auteur: Alfred Adler Dernière mise à jour de cette page le Mercredi 10 juillet 2002 14:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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