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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Edmond Vermeil [1878-1964], “La propagande allemande (ses principes — son organisation —ses méthodes.)” in revue NOTRE COMBAT, publication hebdomadaire, 20 octobre 1939. Première année, no 5, pp. 1-22. Une édition numérique réalisée par Michel Bergès, bénévole, directeur de la collection “Civilisations et politique”.

[1]

Edmond Vermeil [1878-1964]

universitaire français spécialiste de l’histoire et de la civilisation allemande.
professeur à La Sorbonne

La propagande allemande
(ses principes — son organisation —ses méthodes.)”

in revue NOTRE COMBAT, publication hebdomadaire, 20 octobre 1939. Première année, no 5, pp. 1-22.

Introduction [1]
I. Les principes [2]
1° Parler à la masse. [2]
2° Remplacer les anciennes valeurs par le socialisme à l’allemande. [3]
3° Règle unique : le succès. [3]
4° N’est vrai que ce qu’on fait croire. [3]
5° Parler à l’instinct et au sentiment. [4]
6° Simplicité et ténacité. [4]
7° Violence des moyens. [4]
8° Propagande et culture nationale. [5]
9° Changer de thème quand on veut. [5]

II. Organisation et instruments d’action [6]
1° Le ministère de la Propagande. [6]
2° La propagande en Allemagne. [6]
3° La propagande à l’étranger. [7]

III. Thèmes et procédés [10]
1° Vue d’ensemble sur la propagande de 1933 à 1939. [10]
2° La propagande allemande depuis le 1er septembre 1939. [13]

IV. Quelques exemples typiques des méthodes de propagande du Reich [17]
I. Les tribunaux d’honneur. [17]
II. L’invitation au voyage. [17]
III. La corruption des journaux et les envois de « documentation ». [18]
IV. La surveillance des nationaux à l’étranger. [20]
V. À l’écoute de la radio allemande… [21]

V. Thèmes généraux de la propagande allemande depuis l’avènement d’Hitler [22]


Introduction

« Il suffit que les mensonges de la propagande soient énormes (faustdick) pour qu’on les croie. »
Adolf  HITLER.

Français, Anglais et neutres, que vous soyiez paysans, ouvriers, commerçants, intellectuels ou soldats, la propagande allemande vous trompe, depuis six ans, avec autant de méthode que de cynisme.

Pourquoi ?

Parce que, forgée par des fanatiques sans scrupules, disposant d’un formidable budget, tournée vers l’Allemagne et le monde entier, elle poursuit une seule et unique fin : la victoire définitive de la communauté nationale allemande.

Les nazis disent et répètent que la loi de nature est la guerre éternelle entre les races et les peuples.

Ils affirment donc, au nom du racisme, que la guerre est l’état normal de l’humanité, la paix n’étant jamais que l’interruption momentanée de la guerre.

Or, l’Allemagne s’estime race supérieure. Pour quelle exerce sur l’Europe une hégémonie incontestable, il faut :

1° Que les Allemands, unis par une impitoyable dictature puisqu’ils n’ont pu s’unir en démocratie, se soumettent aux dogmes de leur religion nationale, soient tous animés de la même foi et acceptent tous les mêmes croyances ;

2° Que les citoyens des autres pays, trahissant leurs convictions [2] les plus chères et répudiant leurs institutions les plus sacrées, subissent la contagion allemande.

C’est pour libérer le monde de cette servitude spirituelle que les démocraties occidentales ont déclaré la guerre au IIIe Reich.

L’enjeu de la lutte est la sauvegarde des valeurs humaines que le racisme met en péril. Jamais combat plus vaste ne s’est livré dans l’histoire pour une fin plus élevée, si élevée qu’elle exige de chacun le sacrifice total.

Cette guerre est à la fois une guerre des armes et une guerre de l’esprit.

Tous doivent connaître les principes, les moyens d’action et les agissements actuels de la propagande allemande.

I. – Les principes

Les chefs hitlériens ont préparé, en vue de la lutte présente, un outil de propagande très perfectionné.

Hitler, dans Mein Kampf, et Gœbbels, dans ses discours, en ont défini les principes.

1° Parler à la masse.

Comme ils n’ont que mépris pour le peuple, les chefs hitlériens utilisent volontiers ce terme. Car il faut « pétrir » la masse la « mettre en forme » pour l’explication sanglante qui vient.

« Vers qui, se demande Hitler, la propagande se tournera-t-elle ? Vers les savants et les intelligents, ou vers la masse peu cultivée ? Elle doit, à perpétuité, s’adresser à la masse… La propagande ne se propose point de former scientifiquement l’individu, mais d’attirer l’attention de Ici masse sur des faits déterminés, sur des événements et des nécessités dont la signification n’entrera que par ce moyen dans l’horizon de la masse » (Mein Kampf, p. 196-197).

Gœbbels dira cent fois que l’éducation d’un peuple se fait par une pensée massive qui sera pensée « pour des millions de cerveaux simultanément. »

[3]

2° Remplacer les anciennes valeurs
par le socialisme à l’allemande.

Il s’agit de substituer une organisation sociale précise aux précédentes.

« La principale mission de la propagande est de gagner les hommes à la future organisation sociale. La principale mission de l’organisation sociale est de gagner les hommes à la continuation de la propagande. » (Mein Kampf, p. 651).

Or, puisque l’Allemagne lutte pour la puissance, il faut « décomposer » l’état de choses existant.

Gœbbels compare plus simplement la propagande à un gaz toxique qui dissout les objets les plus compacts.

Hitler reproche au Juif de pénétrer dans le tissu des nations pour les ronger par le dedans. C’est exactement ce qu il fait lui-même par sa propagande. Il veut, grâce à elle, transformer les multiples cultures de l’Europe en un bloc homogène de 250 millions d’Allemands.

3° Règle unique : le succès.

Le succès est le seul critère. Il faut vaincre à tout prix, puisqu’il y va de l’hégémonie qui revient légitimement à la race germanique.

« Quand des peuples luttent pour leur existence sur cette planète…, alors toutes les considérations d’humanité ou d’esthétique sont réduites à néant. » (Mein Kampf, p. 195-196).

Gœbbels voit dans la propagande une pratique, non une théorie. Il n’y a pas de propagande bonne ou mauvaise. Il y a des propagandes qui réussissent et des propagandes qui échouent. Est excellente toute propagande qui « enfièvre » les cervelles. Une propagande digne de ce nom ne sera jamais trop grossière ou brutale.

4° N’est vrai que ce qu’on fait croire.

La propagande ne distingue pas le bien du mal, le juste de l’injuste. Faites à l’adversaire la moindre concession, dit Hitler, et vous vous privez du droit que vous pouviez lui dérober.

« La masse n’est pas en mesure d’établir la frontière entre l’injustice du voisin et la sienne propre. » (Mein Kampf, p. 201).

La propagande est par essence exclusive et mensongère. [4] On dépouille autrui de son droit pour se l’attribuer à soi-même. On se dispute le droit comme les primitifs se disputaient le sol conquis.

5° Parler à l’instinct et au sentiment.

La propagande ne s’adresse pas à l’intelligence ou au bon sens. Elle va droit à l’instinct et au sentiment des toutes.

« La propagande doit être populaire. Elle adaptera son niveau intellectuel à la réceptivité des esprits les plus bornés… Il faut rabaisser son niveau, du point de vue purement intellectuel, d’autant plus que sera plus considérable la masse humaine à entraîner. » (Mein Kampf, p. 197).

C’est surtout en temps de guerre qu’on évitera de viser trop haut. Il s’agit de trouver « la forme psychologiquement juste pour fixer l’attention et, mieux encore, pour atteindre le cœur de la masse. »

Gœbbels insiste sur le lien qu’il dit exister entre les dirigeants et le peuple. Les chefs totalitaires expriment avec clarté ce que la masse ne sent que dans la confusion. La propagande est un rouage essentiel de l’État, ce dernier n’étant que l’instrument qui réalise l’idéal nazi.

6° Simplicité et ténacité.

On choisira les thèmes et les slogans les plus simples et les plus gros. On les répétera sans cesse, de manière à les enfoncer dans toutes les cervelles.

Par exemple, dans la guerre actuelle, l’Allemagne fera dire plusieurs fois par jour et par tous les moyens, que les Français offrent leurs poitrines à l’ennemi pour le compte de l’Angleterre.

7° Violence des moyens.

Pour Hitler, le moyen par excellence est l’art oratoire. Il estime le discours parlé bien supérieur à l’imprimé. D’autre part, comme l’éloquence se déploie pendant les manifestations spectaculaires, elle bénéficie des effets les plus sensationnels.

Le Führer ne craint d’ailleurs pas de rappeler le souvenir du catholicisme, du marxisme, voire de la Révolution française.

« Ne croyez pas que la Révolution française eût réussi en [5] vertu de théories philosophiques, si elle n’avait trouvé une armée d’agitateurs conduite par passions d’un peuple envergure, d’agitateurs qui fouettèrent les passions d’un peuple tourmenté dans sa propre substance, jusqu’à ce qu’enfin de produisit cette terrible éruption volcanique que l’Europe entière contempla, glacée d’effroi. » (Mein Kampf, p. 532).

Ainsi Hitler ramène 1789 à une simple explosion de fureur populaire. Il ne veut pas voir les grandes idées qui étaient à l’origine du mouvement.

Surtout qu’il n’y ait pas de discussions. Toute objectivité en soi est absurde. Qu’on varie les présentations du slogan, fort bien. Mais qu’au terme apparaisse toujours en pleine clarté, le slogan, répété avec une persévérance infatigable.

8° Propagande et culture nationale.

Définie de la sorte, la propagande se confond avec la culture même de la nation. Toutes les manifestations de l’esprit national doivent se soumettre à elle. Propagande et synchronisation spirituelle ne font qu’un. On y emploiera les plus modernes : radio, cinéma, aviation.

Le jeu, dit Gœbbels, doit être soigneusement réglé pour un peuple tel que le peuple allemand. Car le peuple est un ensemble de régions et de groupes incapables de s’entendre sans l’action d’un gouvernement autoritaire. La presse et le gouvernement « tirent les mêmes ficelles. »

9° Changer de thème quand on veut.

La conséquence dernière de cette conception, c’est que la propagande peut changer d’orientation ou de thème quant elle le juge bon et selon les circonstances. Il est donc impossible, en principe, de l’enfermer dans ses contradiction.

Elle entend, en effet, s’adapter à des situation toujours changeantes. Elle a lutté jusqu’à maintenant contre le bolchevisme soviétique. L’anticommunisme a été son slogan favori. Elle lui doit mille succès. Que vienne, exigé par une situation nouvelle, et d’ailleurs peut-être désespérée, le pacte germano-russe, et l’anticommunisme est soudain abandonné. On fera comprendre au public allemand que telle était la nécessité, nécessité avec laquelle se confond la volonté du Führer.

[6]

II. – Organisation et instruments d’action

L’Allemagne possède un ministère de la Propagande, qui exerce sa puissante action en Allemagne même et dans tous les pays étrangers sans exception.

1° Le ministère de la Propagande.

C’est un organisme très puissant et qui, malgré ses imposantes dimensions, fonctionne avec une impeccable sûreté.

Mais il en sera peut-être de lui comme de toutes les grandes machines montées par l’Allemagne. Elles marchent comme une horloge bien réglée en temps calme. Quand vient la tourmente, elles s’enrayent. Car elles souffrent d’une faiblesse interne. Il se pourrait que les hostilités portassent bientôt un coup mortel à la propagande du Dr Gœbbels.

Ce ministère porte le titre de « Ministère du Reich pour l’Éducation populaire et la Propagande ». Il a été institué par une ordonnance datée du 13 mars 1933, donc dès l’avènement du régime. Son titre établit, à lui seul, une identité absolue entre la formation intellectuelle du peuple allemand (Volksaufklärung) et la propagande.

Il comprend de nombreuses sections : administration, agents de propagande, radiophonie, presse, cinéma, théâtre, contre-propagande, etc… Nommé ministre le 13 mars 1933, le Dr Gœbbels dirigeait, depuis 1929, la propagande nazie.

Ce grand organisme étend ses ramifications sur l’Allemagne entière. Dans chaque région ou « Gau » se trouve un Office (Landesstelle) de la Propagande du Reich. Divers services sont rattachés à ce ministère : Office du Tourisme, Contrôle des films, Association de la Presse du Reich, etc…

Mais le ministère de Gœbbels s’occupe également, avec autant d’ampleur et d’énergie, de la propagande à l’étranger.

2° La propagande en Allemagne.

La Section II et la Section IV concernent plus spécialement l’Allemagne.

La Propagande dite « active » organise les grandes campagnes du régime : Fêtes populaires et nationales, Congrès de [7] Nuremberg, action contre les Juifs ou les Églises chrétiennes, le Secours d’hiver, etc… On y groupe les régisseurs et les metteurs en scène patentés du régime. C’est eux qui construisent le décor spectaculaire du IIIe Reich.

La Section de Presse donne ses instructions, orales ou écrites, à l’ensemble de la Presse allemande. Ces instructions sont rigoureusement secrètes. Les divulguer, c’est faire acte de trahison. Mais, plus malin que la Gestapo, le Petit Parisien des 16, 17 et 22 novembre 1933 a livré les textes essentiels a la publicité.

Le Service de la Tsf fournit les informations diffusées par l’ensemble des postes radiophoniques du Reich. C’est lui qui dirige ce qu’on appelle « la guerre des ondes ».

Ce ministère a en mains le cinéma, le théâtre, les beaux arts et la musique. D’autre part, le ministère de 1’Enseignement public, rigoureusement soumis, lui aussi, à la dictature gouvernementale, ne peut être séparé de celui de la Propagande.

Rien de ce que l’Allemagne apprend par un intermédiaire quelconque, rien de ce que celui-ci regarde, entend ou lit n’échappe au contrôle nazi. Le peuple allemand vit dans un état de véritable autarcie intellectuelle. Instrument docile de décisions dictatoriales, il est littéralement chambré, séparé du monde.

Le but de la propagande nazie, comprise dans son sens le plus large, est d’abolir progressivement la distinction à établir entre le régime hitlérien et le peuple allemand, si cette distinction existe encore. Question de temps et de générations. Les anciennes couches sociales, soumises encore a l’action de la culture humaniste, du christianisme, du libéralisme et du socialisme international, résistent sans doute. La jeunesse suit. Et que sera-t-elle dans vingt ans ?

3° La propagande à l’étranger.

Elle embrasse tous les pays du monde entier. Elle relève en particulier de la VIIe section, dite de « contre-propagande ». Mais elle est également rattachée à la deuxième subdivision la Presse du Reich qui dépouille les journaux étrangers, achète, s’il le faut, la presse étrangère pour l’influencer par le moyen d’agents allemands auxquels le ministère envoie les directives, la documentation et les fonds nécessaires.

[8]

A. — On s’occupe, tout d’abord, des Allemands qui résident à l’étranger. Il y en a de 20 à 30 millions qui se répartissent en Europe et dans le monde. Mais les évaluations allemandes sont fondées sur la définition que voici : « Est à considérer comme Allemand celui qui, habitant un territoire hors des frontières du Reich et étranger à ce dernier… parle allemand et considère comme facteur dominant sort origine allemande. » On voit de quelles atteintes aux souverainetés étrangères pareille définition est grosse.

Ces Allemands à l’étranger (Auslandsdeutschtum), l’Allemagne les nourrit de sa propagande et en fait des propagandistes.

Innombrables sont, dans le IIIe Reich, les organisations qui s’en occupent. On cite, parmi elles, l’Institut de Stuttgart, fameux entre tous. Quant aux organisations qui se trouvent hors du Reich, on en compte plus de 40 000. Elles sont politiques, économiques, religieuses et intellectuelles. Les écoles allemandes à l’étranger sont légion. Elles dépendent directement du Reich ou des États étrangers, ou enfin de l’initiative privée.

On connaît le mot de Gœring lors d’un récent Congrès tenu à Stuttgart : « Il faut que tout Allemand se sente en état de permanente mobilisation au service du Reich et de sa puissance… Le national-socialisme impose à tout Allemand l’obligation d’être un nationaliste fanatique et un socialiste croyant. »

S’étonnera-t-on qu’au Congrès de juin 1938, on ait fondé une section de Recherches généalogiques, destinée à retrouver l’origine allemande de certains étrangers et à attirer vers l’Allemagne les dénationalisés ?

Le germanisme à l’étranger est et reste, de ce fait, une force considérable, capable de se manifester avec efficacité dans tous les domaines de la vie internationale.

B. — Le IIIe Reich a accordé tous ses soins à l’organisation de la propagande dans les nations étrangères.

Dès 1933, Hitler nommait M. Bohle, l’un des plus capables et des plus ambitieux parmi ses acolytes chef du Département des étrangers dans le parti nazi. Un décret du 30 janvier 1937 a rattaché M. Bohle au ministère des Affaires étrangères. Mais la liaison avec la propagande est évidente. Cette section comprend une organisation policière et judiciaire extrêmement puissante.

[9]

Elle recrute partout ses agents. Elle les prend, tout d’abord, parmi les Allemands qui résident à l’étranger. Elle se sert également de ceux qui s’y rendent pour y accomplir une fonction quelconque ou y exercer quelque profession lucrative. « Tout Allemand à l’étranger, dit Gœring, est mon agent personnel, j’attends de lui qu’il me renseigne avec célérité sur les conditions du pays qu’il habite. »

On crée d’innombrables et invisibles liens entre la diplomatie, le journalisme et l’espionnage.

La question des attachés dits « culturels » dans les ambassades allemandes a soulevé l’indignation du monde entier. Mais les attachés de presse existent et agissent. Lecteurs, assistants et étudiants sont largement utilisés. Les émigrés eux-mêmes ne sont pas oubliés, soit qu’on les amène à résipiscence, soit qu’on cherche au contraire à les compromettre ou à les empêcher de trouver du travail.

L’Allemagne peut ainsi disposer d’un gigantesque fichier qui s’étend à tous les pays du monde. Elle détient, par exemple, la liste mondiale des avocats aryens prêts à défendre les intérêts allemands dans les procès qui se déroulent à l’étranger.

L’humour s’en mêle. Pour donner le change, une sorte de décalogue officiel destiné aux Allemands qui résident à l’étranger contient les deux préceptes que voici :

« Ne te mêle pas à la politique du pays dont tu es l’hôte. » « Observe les lois du pays dont, tu es l’hôte. »

Ces agents de l’Allemagne travaillent avec un zèle fanatique, avec cette application et cette ponctualité dont seuls les Allemands semblent capables à ce degré, dans toutes les nations.

Dans les démocraties occidentales tout d’abord. Faut-il rappeler, pour la France, l’action exercée sur une presse achetée, l’influence d’organismes tels que la « Maison Brune », le « Comité France-Allemagne », l’« Office universitaire allemand », surtout le travail secret d’innombrables agents qui circulaient librement chez nous ?

Le national-socialiste n’était pas moins fortement organisé en Angleterre. L’autorité du Reich s’y exerçait sur des sujets allemands et aussi sur des sujets anglais, portant atteinte à l’esprit même des institutions anglaises et à la souveraineté gouvernementale. Quoi de plus impressionnant que la liste des personnalités allemandes qui dirigeaient en Grande-Bretagne les formations nazies.

[10]

Sans parler de l’Irlande, des Dominions, de tout l’Empire britannique. Partout, on retrouve la trace encore fraîche de cette puissante action, en Australie, en Nouvelle-Zélande, dans les Indes britanniques, dans l’Est et l’Ouest africain, en Rhodésie, etc…

On sait à quel point les deux Amériques sont travaillées par la propagande nazie. On estime à 100 000 environ le nombre des agents secrets qui circulent aux États-Unis, à 800 le nombre des associations que le IIIe Reich y entretient.

En Europe, les petits États, que les ambitions hégémoniques de l’Allemagne condamnent à une destruction qu’elle voudrait prochaine et totale, sont l’objet de l’action la plus perfide et la plus tenace. Le nazisme a témoigné de la plus cynique audace en Suisse allemande, en Hollande, en Belgique, où la querelle entre Flamingants et Wallons a servi ses desseins.

Son activité se déploie encore dans les Balkans. C’est dans l’ordre économique et sur la presse que s’exerce cet effort persévérant. On y gagne du terrain en accordant mille faveurs et facilités aux journalistes et aux rédactions des journaux. Les invitations périodiques à se rendre en Allemagne y réussissent fort bien. Et surtout, le IIIe Reich met à la disposition de la presse balkanique une documentation des plus fournies, cela gratuitement et en langue autochtone. Sans doute les procédés sont-ils partout les mêmes. Mais l’adaptation aux circonstances locales est en général des plus souples et des plus habiles.

Le champ d’action de la propagande allemande n’a donc d’autres limites que celles de la planète. Partout les principes fondamentaux sont rigoureusement observés. Mais ils se prêtent à d’infinies variations, à l’emploi des procédés, qui pour employer une expression militaire bien connue, « collent au terrain ».

III. – Thèmes et procédés

On peut opportunément établir une distinction entre la propagande antérieure à la guerre actuelle et celle qui date du 1er septembre dernier.

1° Vue d’ensemble sur la propagande
de 1933 à 1939.

Cette propagande est rigoureusement calquée sur la doctrine nazie elle-même. Elle n’est autre chose que l’enseignement ou la prédication de cette doctrine. Elle critique ce que [11] le nazisme veut détruire et remplacer dans le monde. Elle exalte avec passion le racisme, ses institutions, ses ambitions futures.

A. — Elle sape systématiquement les fondements de l’internationalisme, qu’il s’agisse des valeurs et des systèmes qui ont une portée universelle, du Traité de Versailles ou d’une institution comme la Société des Nations en vertu de laquelle les nations de l’Europe ont vécu pendant une quinzaine d’années en paix.

Elle condamne et combat, en principe, toutes les idées et croyances qui relèvent de l’humanisme, se placent au point de vue de la personne humaine, veulent lui assurer le salut ou défendre ses droits, réclament pour elle, dans la guerre comme dans la paix, un traitement humanitaire. Le prétendu « héroïsme germanique », qui n’est qu’un retour à la plus brutale primitivité, voit dans l’humanisme et l’humanitarisme des faiblesses.

Au nom du même principe, cette propagande poursuit de sa haine toutes les formes du christianisme, n’admettant, à la rigueur, qu’un christianisme « allemand » et anti-judaïque. Elle est à l’origine des persécutions que subissent dans le IIIe Reich les deux confessions chrétiennes.

Elle poursuit encore de sa haine la démocratie, se tournant vers la France, l’Angleterre et les États-Unis, pour déclarer ces nations « décadentes ». Souveraineté du peuple, libre discussion, institutions parlementaires, jeu de l’opposition gouvernementale, respect des droits individuels, tous ces aspects de notre vie politique lui sont odieux.

Elle est farouchement opposée à tout socialisme international. Elle n’admet de socialisme que « national » et allemand. Elle a fait de la haine de la Russie et de l’anticommunisme son slogan le plus efficace, celui auquel elle doit le plus de succès.

Elle est enfin antijuive par essence. Elle découvre le Juif dans toutes les formes de l’esprit international. Parce qu’il appartient à une race internationale, elle l’oppose, comme bouc émissaire, comme ennemi sur lequel doivent converger toutes les attaques, à la race allemande, à l’Allemand dit « aryen » parce qu’il se dévoue totalement à sa communauté nationale.

[12]

B. — Après avoir ainsi détruit ce qu’on veut remplacer, c’est-à-dire les bases de tout statut international, il faut convaincre les esprits de l’excellence du nazisme.

D’où la constante apologie du socialisme à l’allemande, de la dictature exercée, sous le camouflage de la communauté sociale et du Front du travail, par une impitoyable oligarchie sur les classes moyennes et les masses ouvrières.

En principe, cette propagande aurait dû célébrer la guerre, considérée comme rapport normal entre peuples et races. Cet éloge, elle l’a fait pour les Allemands et surtout dans les congrès de Nuremberg. Mais, devant l’opinion mondiale, elle a su habilement voiler la réalité, la préparation et les buts de la guerre, cela pour émasculer par anticipation les courages et user de la peur pour faire accepter à l’Europe ses conquêtes territoriales. C’est là son plus grand mensonge.

Aussi, tout en prêchant le racisme, a-t-elle essayé par mille moyens de faire croire aux nations européennes qu’elle voulait un ordre international, alors que le racisme est la négation de tout statut international.

C. — Cette propagande a également, de 1933 à 1939, travaillé sans relâche à la réalisation du programme pangermaniste nouvelle manière, qui consiste à construire tout d’abord le « Mitteleuropa » pour constituer ensuite un Empire mondial sur les ruines de l’Empire britannique et du nôtre.

Elle a tout fait pour nous séparer de l’Angleterre, obtenir la neutralité des britanniques et l’isolement complet de sa voisine de l’Ouest, tout en lui prodiguant des assurances pacifiques.

Elle a tout fait pour écarter en apparence la Russie du Continent, intensifiant de 1936 à 1939 l’anticommunisme afin d’obtenir, du côté occidental, l’acceptation du réarmement massif, de la remilitarisation rhénane, de l’annexion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie.

Forte des assurances prises du côté belge et du côté polonais, forte aussi de l’axe Berlin-Rome-Tokio et du pacte anti-komintern, elle s’est littéralement déchaînée en Europe centrale, dans les pays limitrophes de l’Allemagne. Et c’est après ses premiers succès qu’a surgi soudain la revendication coloniale.

Cette propagande s’est donc exactement calquée sur l’exécution du programme continental et colonial du néo-pangermanisme.

[13]

2° La propagande allemande
depuis le 1er septembre 1939.

La propagande allemande de guerre nous est surtout connue par la Radio et la Presse, sans oublier les discours de Gœring et de Hitler. L’accord est parfait entre ces moyens de transmission

A. – Cette propagande obéit rigoureusement aux principes énoncés plus haut.

Le même disque tourne toujours. Les mêmes slogans sont inlassablement répétés et il n’est pas difficile de les déterminer. Si on les varie quelque peu, c’est pour aboutir à des affirmations identiques.

L’objectivité étant proscrite, les informations son régulièrement tendancieuses et exactement contraires à la vérité. La propagande allemande n’hésite pas a user des sentiments les plus sacrés. L’appel d’une mère allemande aux mères françaises, diffusé par la radio allemande, en est un cas particulièrement choquant.

Elle a recours aux moyens les plus vils, et ceux de nos compatriotes qui, en Allemagne, assurent les émissions en français sont de véritables traîtres.

B. — Citons les exemples les plus frappants

1° Au début des hostilités, la propagande allemande n’a connu que la Pologne comme ennemie, feignant d’ignorer la déclaration de guerre des puissances occidentales, affirmant que le gouvernement polonais avait été mis au courant de toutes les propositions du Führer et qu’il les avait rejetées. Or, que la Pologne, non seulement n’ai pas rejeté ces propositions, mais ne les ait même pas connues, c’est ce qui est établi par tous les documents ;

2° Seul, à ce moment, le speaker polonais de la radio allemande parlait de l’Angleterre, pour répéter que la Pologne avait été entraînée dans la guerre par un gouvernement vendu aux Anglais, que les lords anglais et les banquiers juifs de la Cité étaient seuls responsables de ses souffrances. Il n’est pas vrai, ajoutait-il, que l’Allemagne ait procédé à des actes d’agression contre la Pologne. Or, il est certain que la Pologne n’a eu, à aucun moment, une attitude belliqueuse et qu’elle a montré, en [14] présence des provocations allemandes et dantzicoises, une patience infinie ;

3° Puis sont venues les attaques furieuses contre l’Angleterre qui, cette fois, est entrée en guerre avant la France. La virulence actuelle de la campagne anti-britannique dépasse celle de 1914-1918. C’est l’Angleterre, dit-on, qui porte toute la responsabilité de cette guerre. L’Angleterre est l’ennemie « judéo-démocratique ». Elle veut encercler et détruire le Reich. Le gouvernement allemand lui a offert son amitié ; elle a refusé. Or, la bonne volonté du gouvernement britannique, son attachement à la paix ont été manifestes, et dans la crise de 1938, et dans les mois qui ont suivi, jusqu’au moment où le Reich a dépassé les bornes permises ;

4° On a recours au slogan des atrocités polonaises. On insiste d’ignoble façon sur les massacres d’Allemands commis par les Polonais, de même qu’à la veille de la guerre, on ne parlait que des vexations infligées aux minorités allemandes par la Pologne. Il n’est pas vrai, ajoute-t-on, que les avions allemands aient bombardé des villes ouvertes et des objectifs non militaires. C’est la Pologne qui ne tient pas compte des principes admis. À cela, l’état présent de la Pologne, ses villes bombardées, les pertes de sa population civile donnent une réponse suffisante ;

5° Le blocus anglais est naturellement utilisé pour démontrer aux neutres que l’Angleterre veut la ruine du continent. Le blocus, ajoute-t-on, manquera son effet en raison du pacte germano-russe, dont la conséquence paraît être, au contraire d’empêcher l’Allemagne de gagner la mer Noire par la Roumanie. Et on nous affirme que l’Allemagne force, par son attitude irréprochable, le respect des neutres. Aux neutres même de répondre, aux marins danois, suédois, norvégiens, hollandais, qui ont été victimes de l’Allemagne et de ses méthodes de guerre maritime. Ici la menace se substitue à la persuasion. Elle répond mieux à la pensée profonde de l’Allemagne et les neutres savent désormais de quel côté sont leurs ennemis.

6° Mais cette argumentation ne suffit pas. L’Allemagne menace les neutres, leur répétant chaque jour que leur neutralité ne saurait être passive, qu’ils ont le devoir absolu de défendre activement leur commerce avec le Reich. Sinon, gare à eux !

7° La Pologne, l’Angleterre et les neutres étant ainsi pris à [15]

partie, on se tourne vers la France pour l’assurer de la pitié à laquelle elle a droit, pour lui dire que ses paysans vont une fois de plus se battre pour l’Angleterre, pour lui rappeler les honneurs rendus aux officiers français tués ces derniers jours et sur la tombe desquels on chante « J’avais un camarade », pour lui faire enfin comprendre que l’Allemagne n’a rien contre elle, le tout accompagné de tentatives de fraternisation sur le front. Ces slogans, on les répète, en général, cinq fois par jour. Ces efforts inutiles s’ajoutent à la longue série de manœuvres par lesquelles l’Allemagne a cherché à dissocier la France de l’Angleterre ;

8° En attendant, il faut soutenir le moral allemand et gonfler les succès militaires en Pologne. Les communiqués sont, par opposition à ceux de 1914-1918, très développés, rédigés sur un ton épique destiné à exalter le patriotisme. Pour convaincre les Allemands qui craignent l’isolement, on multiplie les faits qui, provenant des cinq parties du monde, semblent prouver le contraire. On dénature au besoin la presse étrangère où l’on inspire, le cas échéant, ses articles. La déformation des faits, même les plus certains, est constante. Le cas le plus typique est le meurtre du président Calinesco, présenté par la propagande allemande comme un crime anglais, alors que Calinesco était l’ami de l’Angleterre et l’adversaire irréductible des nazis roumains sous les coups desquels il est tombé ;

9° Les démocraties occidentales prétendent que l’Allemagne veut mener sans restriction la guerre sous-marine. La propagande de répondre que les autorités hitlériennes ont donné l’ordre de se conformer aux règles du droit international ; et elle nie énergiquement le torpillage de l’Athenia. Ici encore, c’est sur l’Angleterre que l’Allemagne veut faire retomber la responsabilité. Mais le sous-marin qui a torpillé l’Athenia a été vu ; et l’Allemagne a maintenant renoncé à dissimuler ses intentions, en faisant connaître que dorénavant elle torpillerait sans avertissement les paquebots et les cargos se rendant en Angleterre ;

10° Un nouveau motif surgit en ce moment pour une offre de paix. L’Angleterre et la France ont-elles déclaré la guerre à la Russie quand cette dernière a envahi la Pologne ? Cela prouve, dit-on, que la Pologne n’était qu’un prétexte, que Français et Anglais n’en veulent qu’à l’Allemagne et au régime hitlérien. Or, si la Pologne a disparu, pourquoi se battre ? À cette [16] question, la réponse a été donnée par M. Chamberlain ; c’est à l’occasion de la Pologne que l’Angleterre et la France ont déclare la guerre, mais ce n’est pas la Pologne seule qui est en cause. Il s’agit aussi, il s’agit surtout de libérer le monde de l’atmosphère irrespirable que les procédés de violence du gouvernement hitlérien ont créés et veulent maintenir.

*
*     *

Comme l’a dit récemment un général allemand, la guerre ruine rapidement le mensonge et le bluff. La propagande allemande s’est usée avant les hostilités. Il en est d’elle comme de l’économie de guerre.

L’Allemagne en guerre mésestime trop grossièrement l’intelligence et le bon sens des neutres et de ses adversaires. Elle s’imagine qu’on dupe ces derniers aussi facilement qu’on abuse de la crédulité allemande. Elle semble ignorer le rôle que joue la radio, quand il s’agit de révéler le vrai aussi rapidement que le faux.

Les thèmes et les procédés de la propagande allemande se retournent contre elle. Elle est, elle aussi, comme Jean Giraudoux l’a dit de la guerre, « déjà vieillie et sans lumière ».

C’est dire que, dans la lutte qu’elles entreprennent aujourd’hui contre la propagande hitlérienne, les puissances occidentales ne sauraient employer des procédés semblables. Elles veulent au contraire, opposer la vérité au mensonge hitlérien. Car elles luttent, comme entre 1914 et 1918, pour la défense du droit et de la personne humaine, menacés par la doctrine et la pratique les plus redoutables que le monde ait jamais vues. Elles ne peuvent avoir recours qu’à des armes qui répondent aux exigences qu’implique cette défense. »

Edmond Vermeil

Notre Combat a besoin dans toutes les villes de France de correspondants bénévoles, qui sacrifieraient une partie de leurs loisirs à la propagande. Des instructions détaillées et du matériel de propagande seront envoyés à toutes les personnes qui ne feront la demande à notre siège social.


[17]

IV. Quelques exemples typiques
des méthodes de propagande du Reich



I. Les tribunaux d’honneur.

Les méthodes de travail des services de la Propagande et leur pouvoir illimité vis-à-vis de la presse allemande ressortent, mieux que de tout exposé théorique, des jugements des tribunaux d’honneur.

Citons un exemple. Le tribunal d’honneur d’Essen, qui avait condamné à la radiation de la profession le rédacteur d’un petit journal paraissant trois fois par semaine dans une ville de 9000 habitants, en donne les raisons suivantes :

« Le tribunal a acquis la conviction que le rédacteur est complètement incapable d’exercer sa profession. Devant les événements qui ont bouleversé l’Autriche, alarmé toute l’Allemagne et effacé tous les autres événements, le prévenu a fait montre d’une indifférence étonnante. Il aurait dû assurer un service ininterrompu pendant ces jours. Malgré la stricte instruction de l’Office de propagande d’Essen de publier le 12 mars 1938, un commentaire individuel dans son journal, il ne l’a pas fait et a rapporté la révolution en Autriche sous la présentation habituelle et le titre étrange : “Changement de tendance en Autriche”. Bien que le rédacteur fut prévenu le 11 mars par un coup de téléphone de 1’Office de propagande d’Essen, il n’était pas à son poste pour prendre le 13 mars 1938 les informations ultérieures, et, pleinement insouciant de ses devoirs, alla jusqu’à prendre part à la réunion du bureau d’une association de tirailleurs. Sommé de publier alors l’incorporation de l’Autriche au Reich, il le refusa par les stupides paroles suivantes : “Je ne sortirai pas le journal avant le 15 mars 1938 ; le monde peut périr, je ne me laisserai plus déranger cette nuit”. Même si l’on suppose, en faveur de l’inculpé, qu’il a fait un abus d’alcool, ces paroles témoignent de sa véritable attitude d’opposition à l’égard des instructions de l’Office de propagande et de son indifférence devant les bouleversements en Autriche ».

II. L’invitation au voyage.

Toutes les fois que le Reich dispose de certains avantages économiques dans un pays étranger, il en profite pour étendre sa zone d’influence. Mais la propagande [18] allemande serait inopérante si elle ne disposait d’un terrain propice. Ce terrain est créé grâce aux nombreuses faveurs ou facilités que le Reich accorde tant aux journalistes eux-mêmes qu’aux rédactions des journaux.

Au premier plan de ces mesures figurent les invitations périodiques à se rendre en Allemagne. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, des groupes importants de journalistes étrangers ont été les hôtes du gouvernement du Reich. Partout ils ont visité les usines, les grands chantiers, les monuments ; logés dans les meilleurs hôtels, fastueusement traités, ils ont emporté de leur séjour le sentiment de la force, de la technique, et du génie allemands. En dehors de ces voyages en groupe, des invitations personnelles sont régulièrement adressées à des publicistes, soit à l’occasion d’une manifestation artistique ou économique (festival de Bayreuth, foires de Vienne, Breslau, Leipzig), soit sur la simple demande des intéressés. Inutile de dire que les reportages qui ont accompagné et suivi ces visites, étaient particulièrement chaleureux.

III. La corruption des journaux
et les envois de « documentation ».


Mais il y a des faveurs plus substantielles encore.

Ainsi le Reich a payé des rotatives à certains journaux et il arrive qu’il leur fournisse le papier à des prix si bas que le marché ressemble à un don pur et simple.

Le Reich use encore d’un autre procédé : il met des correspondants à la disposition des rédactions (souvent des étudiants séjournant dans les diverses Facultés allemandes), mais il en assume la rémunération et les frais de téléphone. On le sait par divers journaux à qui la proposition a été faite et qui ont refusé.

Non contente de gagner les journalistes, la Propagande allemande pense en outre aux services administratifs. C’est ainsi que les organes germanophiles bénéficient régulièrement de la publicité par annonces des sociétés et des entreprises allemandes.

Toutes ces manœuvres ont pour but de faciliter l’utilisation de la très abondante documentation dont les services du Reich inondent tous ceux qui, à l’étranger, s’occupent de journalisme, depuis le rédacteur en chef jusqu’au dernier des reporters, dans les quotidiens comme dans les périodiques, en province comme dans la capitale.

Le principal souci des Allemands, dans ce domaine, est de réduire au minimum le travail et les frais des différentes rédactions. Toute la documentation leur est offerte gratuitement et dans la langue du pays. Bien plus, les légations allemandes rétribuent des journalistes qui facilitent la publication de la documentation qui leur parvient.

Voici, à titre d’exemples, la nomenclature de quelques bureaux [19] de documentation qui, d’Allemagne, font un service direct et gratuit à plusieurs pays de l’Europe centrale et orientale.

1°) « Nouvelles techniques ». Elles se présentent sous forme d’un bulletin mensuel de 25 à 30 pages et contiennent, en diverses langues, des articles de propagande sur l’économie, l’industrie, la technique allemandes.

2°) « Nouvelles brèves ». Ces nouvelles distribuées par la Légation d’Allemagne elle-même, ont la forme de feuillets contenant de 4 à 10 lignes de texte dans lequel le mot « Allemagne » revient souvent à côté de « le plus grand… du monde ».

3°) Le bulletin hebdomadaire « Nouvelles d’Allemagne », donne, en français, d’intéressantes informations politiques et autres, souvent reproduites. Le bulletin d’information de l’Office de tourisme des chemins de fer allemands contient, également en français des nouvelles économiques.

4°) La Maison Tobis diffuse une abondante documentation cinématographique ; celle-ci comprend un bulletin, rédigé en plusieurs langues, des clichés tout prêts pour l’impression et même la bande d’étamine gommée pour leur mise en place.

5°) De son côté la Maison Ufa publie un bulletin bimensuel accompagné de clichés et de photographies.

Ces deux Maisons se déclarent prêles à envoyer, sur simple demande, photos dédicacées et interviews des grands artistes de l’écran allemand.

6°) Les services de Propagande allemande inondent en outre les rédactions de photographies et surtout de clichés sur zinc, d’une facture impeccable. Non contents d’illustrer les réalisations politiques ou techniques du Reich, ces clichés représentent aussi, souvent, des désordres de rues, des accidents survenus en France, Angleterre, Amérique.

7°) Il convient enfin de mentionner les brochures propagande. Par personne, interposée ou d’une façon anonyme, la Légation d’Allemagne fait périodiquement paraître des plaquettes contenant soit des discours du Führer, soit le crédo national-socialiste d’après les déclarations de leaders du parti, soit même l’exposé de questions politiques à l’ordre du jour (Sudètes, colonies etc…). Ces brochures, d’un prix minime, sont adressées gratuitement à des personnalités politiques.

Dans le même ordre d’idées une place est réservée à a propagande par le cinéma. Il est fait une abondante diffusion de films documentaires tourisme, technique, sports, actualités), destinés à persuader le public de la supériorité des réalisations allemandes.

[20]

IV. La surveillance des nationaux à l’étranger.

On sait que le Reich a créé un service de surveillance et d’information, au vrai de mouchardage et de délation, en vue du renvoi d’office et de l’arrestation de tous Allemands qui, du point de vue National Socialiste, font tort à l’idée allemande à l’étranger. Nous donnons ici quelques exemples :

1°) Dénonciation du Groupe Local du Parti N. S. à Vigo (Espagne) adressé le 3 février 1936 à la direction du port de Madrid, au sujet du monteur Grunevald de la firme Krupp qui a tenu des propos méprisants sur la nouvelle Allemagne, et transmission de cette dénonciation par la voie de l’Office du service des Ports à la direction de l’A. O à Berlin, avec le vœu que le retour de Grunewald en Espagne (il est actuellement à Berlin), soit empêché à tout prix et que celui-ci soit expédié dans un camp de concentration.

2°) Note d’un dossier. Concerne Ernest Jaeger, de Saragosse.

« Il est employé de la firme Faust et Kamann et en est le représentant sur la place. Il aurait dit, raconte-t-on, que sa firme ne pouvait pas vendre les marchandises allemandes parce qu’elles sont trop chères… On essaye, sans en avoir l’air, d’exploiter ces renseignements. Au cas où cela pourrait, d’une manière ou d’une autre, entraîner la suppression des droits civils, il faudrait s’occuper de l’affaire avec beaucoup de tact, car Jaeger a pris, ici, grâce à son manque de scrupules, pas mal d’influence sur certains allemands. »

3°) Communication (strictement confidentielle) au groupe régional d’Espagne par le parti N. S. d’Alicante. Concerne les Allemands Adam Stach et Rodolphe Heine qui « ont pris part à une manifestation contre la nouvelle Allemagne... ne sont pas dignes de représenter une firme allemande de construction de machines » et l’Office du Commerce Extérieur du Reich doit faire le nécessaire pour que tous deux soient renvoyés en Allemagne.

4°) Un rapport de la direction du Parti N. S. nous apprend que, mettant son point d’honneur à faire assaut de zèle pour maintenir bien haut le pavillon de la navigation marchande allemande, un emballeur a dénoncé un représentant de la ligne Brême-Neptune à Malaga. Celui-ci, qui était attaché depuis de longues années à la maison, appartenait à une famille en vue mi-espagnole, mi- américaine. Comme cette famille n’a aucune attache allemande, le dénonciateur se propose lui-même pour occuper le poste qui va se trouver libre, quoique « il n’ait pas une grande expérience en matière de représentation de navires. » Il demande, pour renforcer son influence dans le parti et dans le front de travail, que la représentation de la ligne Neptune lui soit accordée.

[21]

V. À l’écoute de la radio allemande…

Voici quelques unes des perles de la radio allemande au cours de la campagne anti-polonaise :

1°) Les Polonais ont commis un crime affreux : ils ont abattu à coups de mitrailleuse une infirmière allemande allant soigner les blessés polonais (5/9.)

2°) Atrocités polonaises : les troupes allemandes ont découvert un garde-forestier cloué à la porte d’une grange et des enfants cloués par la langue sur une table (6/9).

3°) On a découvert de nombreux cadavres d’Allemands torturés. (7/9).

4°) Atrocités polonaises à Bromberg. L’Allemagne proteste au nom de l’humanité (8/9).

5°) La nourriture de l’armée polonaise est exécrable. Il n’y a aucun enthousiasme pour la guerre (8/9).

6°) Les Polonais ont empoisonné un fleuve qui traverse les régions occupées par les troupes allemandes (8/9).

7°) Massacres répétés. Un Polonais a déclaré : « J’ai quitté ma patrie parce que j’avais honte de mon peuple » (14/9).

Et voici pour l’Angleterre :

1°) Le croiseur Anglais Ajax a coulé près de Rio Grande le cargo allemand « Olinda ». Ce mépris du droit de souveraineté dans les eaux neutres prouve l’attitude criminelle de la Grande-Bretagne dans cette guerre (6/9).

2°) Mensonges britanniques. À force d’entendre la propagande anglaise affirmer que des avions allemands avaient été vus au-dessus de l’Angleterre, la Dca anglaise a failli abattre des avions anglais.

3°) L’attitude ferme et décidée du Reich à l’égard des tentatives de blocus de l’Angleterre est considérée avec intérêt par l’Italie. Celle-ci constate que l’Angleterre foule aux pieds toutes les conventions internationales (13/9).

4°) Le blocus anglais sera inopérant, et l’Allemagne bloquera l’Angleterre (14/9).

La France n’est pas oubliée :

1°) Transports publics à Paris dans un état lamentable (3/9).

2°) Nervosité dans le midi de la France qui était hostile à la guerre (6/9).

[22]

3°) Graves mesures de réquisition, terrible augmentation des prix à Paris (12/9).

4°) La presse italienne écrit que le peuple français doit servir une fois de plus de chair à canon à la Grande-Bretagne (14/9).

5°) « La Nation Belge » écrit : « Pauvre France qui se rend compte que quelle que soit l’issue de la guerre, elle en sortira épuisée » (14/9).

V – Thèmes généraux de la propagande allemande
depuis l’avènement d’Hitler


1°) Incendie du Reichstag accompli par les communistes.

2°) Tous les travailleurs allemands sont égaux sur le plan social.

3°) Le 3e Reich veut la paix et la collaboration des peuples.

4°) La France est décadente.

5°) La démocratie française conduit au bolchevisme.

6°) L’armée française est bolchevisée ; le drapeau rouge remplace le drapeau tricolore et L’Internationale la Marseillaise.

7°) La France a fourni aux Éthiopiens des balles dum-dum contre les Italiens.

8°) La France a distribué des armes aux détenus des prisons tchèques pour massacrer les Allemands des Sudètes.

9°) Les minorités allemandes sont partout terrorisées.

10°) L’Allemagne a annexé l’Autriche et la Tchécoslovaquie pour y rétablir l’ordre menacé.

11°) L’Allemagne est le grand rempart contre le bolchevisme.

12°) L’Angleterre est la grande responsable de la guerre.

13°) C’est l’Angleterre qui a fait assassiner Calinesco.

14°) L’Angleterre ruine les neutres par le blocus ; elle veut, en général, la mort du Continent.

15°) L’Allemagne ne veut aucun mal à la France et considère sa frontière occidentale comme définitive.

16°) Depuis la conquête de la Pologne, la guerre est inutile.

17°) Elle aime la France puisqu’elle enterre les Français morts à l’ennemi avec tous les honneurs et que Hitler plaint « le pauvre poilu » français.

Ces quelques exemples ne donnent qu’une idée incomplète des méthodes de propagande allemande : ils suffisent cependant à démontrer la perfidie et la mauvaise foi de l’adversaire.

Fin


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 12 octobre 2019 15:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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